lundi 4 juin 2012

QUATRE ( 4 ) CENT-VINGT-NEUF ( 29 )



Cette semaine, il y aura un mois que je suis de retour du Vietnam. Et lorsque le temps devient plus frais, je gèle. Lorsque le temps devient gris, me rappelle les derniers jours, ceux de la fin du mois d'avril et du début du mois de mai, à Saïgon, alors qu'il fallait suivre l'évolution de la météo avant d'enfourcher la moto et partir en escapade. Lorsqu'il pleut, ça n'a absolument rien à voir avec ces ondées chaudes qui formaient des murs d'eau diaphanes pour s'évaporer aussi brusquement qu'elles étaient apparues; ici, actuellement, elle est froide et drue.


Un mois plus tard, je me souviens l'avoir écrit dans un des derniers sauts vietnamiens qu'il fallait bien établir un bilan de cet hiver asiatique, j'essaie de voir ce que j'en retiens. J'ai très souvent dit que l'on ne connait vraiment les gens qu'en voyageant avec eux. Les exemples d'amitiés brisées, d'amours égratignées, de surprises inimaginables sont légion chez plusieurs personnes qui, de retour d'un voyage parfois aussi court qu'une semaine, se rendent compte qu'elles ne connaissaient pas l'autre ou les autres, qu'elles ont découvert des travers cachés chez leur co-voyageur et qu'à partir de cela, elles ont mis une certaine distance entre eux. Chez d'autres, c'est tout le contraire. Pour moi, dans ce voyage que j'entreprenais seul et auquel allaient se greffer des personnes que je ne connaissais absolument pas, des jamais-vues-de-ma-vie, le défi était celui-ci: allais-je être en mesure de voyager avec moi-même?

Je me rappelle que lors de mon passage à l'heure asiatique (à partir du 25 décembre dernier, je vivais le jour la nuit et vice-versa) je me suis senti perdu, isolé et parfaitement incapable de bien me situer dans l'espace et dans le temps. Je venais de me transposer dans un lieu tout en demeurant au même endroit. Bizarre que cette sensation d'être déjà parti alors que tu n'as pas bougé d'un millimètre. Comme pour répondre à cette situation que je jugeais inconsciemment comme étant anachronique, je me suis mis à ressentir des douleurs dans tout le corps: le dos me faisait mourir, l'estomac était tout croche, mon bon vieux côlon râlait... La difficulté que j'éprouvais à bien dormir me rendait irritable; heureusement que je vivais cela seul, sinon j'aurais été insupportable pour quiconque.

Il n'y a que quatre jours (et quatre nuits) entre cette bascule et mon départ. Une fois installé dans l'avion, alors que je savais qu'il y en aurait pour plus de douze heures avant d'arriver au Qatar (Doha) et d'y faire une pause d'un autre douze heures, toutes les craintes reliées à ma jambe gauche se sont amplifiées... Tout cela n'aura duré que quelques minutes. Le Boeing 777 grimpé à 38 000 pieds, en pleine nuit, je suis redevenu celui qui partait pour le Vietnam, qui se centrait sur tous les instants de ce voyage. J'étais finalement bien. Je pouvais vivre mon hiver asiatique.

Je passe par-dessus la mauvaise aventure à l'hôtel de Doha et me voici, sortant de l'aéroport Tan Son Nhat d'Ho Chi Minh, légèrement inquiet; mon guide allait-il être là? La première chose qui me frappe, il est 22h 30, satisfait d'avoir organisé le décalage horaire de manière telle qu'en arrivant je ne sois pas déphasé, être en parfait accord avec le temps, la première chose qui me frappe c'est la chaleur. Elle sera omniprésente au cours des quatre prochains mois - à ce moment je ne sais pas encore que mon retour prévu pour le 27 mars sera poussé au 8 mai - omniprésente, jour et nuit, comme une compagne dont on ne peut se séparer, même pour quelques secondes. Une chaleur comme celle-ci, celle de fin de journée, presque de fin de soirée, une chaleur que je ne réussissais pas à distinguer de celles connues à Cuba, au Mexique ou en Floride. Une chaleur qui enveloppe totalement, qui cherche tes points sensibles, les trouvent illico et s'y confinent sans aucune retenue.

Est-ce que la chaleur aura été mon plus grand choc? Non. Je me savais capable , si je me donnais le temps nécessaire, de m'accorder avec elle. Le premier choc d'ordre culturel fut le résultat de cette rencontre avec le guide vietnamien qui était là, avait prévu une bouteille d'eau, était là parce qu'il avait accepté de me servir de guide de voyage, de traducteur d'une langue horriblement compliquée - à la fin de mon séjour je ne sais pas encore compter de 1 à 10 en vietnamien sans avoir recours à mon petit dictionnaire de poche - mais principalement parce qu'il m'apprenait dès mon arrivée (et continuera tout au long des mois à venir) que mes réactions occidentales et les attitudes orientales sont des univers éloignés l'un de l'autre de manière que je ne pouvais bien saisir à ce moment. Le choc fut de constater que lorsque la parole est donnée, on ne revient pas là-dessus; le choc fut de mesurer combien le temps oriental n'a pas la même valeur que le temps occidental - jamais on ne parle de salaire horaire ou quoi que ce soit dans le genre - le temps oriental, c'est vivre sa journée comme si demain n'allait pas venir; le choc fut de devoir immédiatement, sur le champ, lâcher prise et accepter de mettre en action ce que je me disais avant de quitter Montréal: je suis en pays étranger, étranger en pays étranger, venu ici pour vivre le Vietnam des Vietnamiens, alors ça commence maintenant...


Nous étions le 31 décembre 2011, douze heures en avance sur l'heure du Québec, en plein début de nuit, un taxi roulant dans les rues de Saïgon en direction de Cantavil, dans le District 2 et je me disais que chaque mètre franchi, chacun était nouveau, rempli de tellement de choses différentes, de bruits nouveaux, que mon réflexe fut de chercher le ciel pour voir si j'allais y retrouver les mêmes étoiles, la même lune que celle que je surveillais de mon balcon avant de m'envoler.

Ainsi commença mon voyage avec moi-même pour compagnon et m'ouvrant à tous ces autres qui allaient s'y greffer.

À suivre...

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