Téléporté. Voici le mot exact, celui qui circonscrit le plus exactement le concept de «choc culturel»: se retrouver téléporté. Douze fuseaux horaires plus loin dans un univers chauffé à 30 degrés Celcius jour et nuit, avec autour de soi, des gens qui parlent une autre langue, qui vivent - et je le constaterai tout au long de ces quatre mois - qui vivent selon la théorie de la simplicité volontaire. Vraiment, téléporté correspond tout à fait à ce que je ressens. Ces gens tellement jeunes - on dit que la moyenne d'âge tourne autour de 22/23 ans - accueillants, charmants, curieux, sages et philosophes. De vieilles âmes! Et qui se laissent découvrir à la condition de prendre le temps, de respecter les limites individuelles et d'écouter tout autant qu'ils écoutent. J'oubliais, sans doute l'essentiel, de ne pas être dans le jugement.
Le choc culturel est d'autant important du fait que très peu de similitudes entre leur façon de vivre et mon occidentale se rejoignent si l'on examine cela d'un point de vue objectif. Objectivement, quand tu arrives ailleurs, les questions auxquelles tu attends des réponses sont de l'ordre des besoins essentiels: la nourriture, la qualité de l'eau, la propreté, l'hygiène, etc. Viennent par la suite la sécurité, l'organisation quotidienne, le transport, le ce-qu'il-faut-et-ne-faut-pas-dire, tout ce que je peux résumer par le mot a d a p t a t i o n ... S'adapter à une nouvelle civilisation et à soi-même...
Faisons un petit résumé:
le premier mois aura été celui de l'installation et de l'adaptation;
le deuxième, celui de l'acclimatation;
le troisième, celui de la prise de possession;
le quatrième, le dernier, celui de la constatation et de la prégnance.
Je ne reviendrai pas sur tous les événements qui sont survenus, tous les déplacements, sans doute les avez-vous suivis sur le blogue au fur et à mesure qu'ils se déroulaient et s'y inscrivaient de façon hebdomadaire, non, je veux simplement et avec une certaine distance maintenant, les examiner à partir des transformations que je vivais au jour le jour, de mois en mois. Je garde en tête que je suis en pays communiste, que mes lectures préparatoires ont installé dans mon esprit une certaine manière de regarder, de voir, que l'organisation de base (appartement, transport, guide, etc.) a été prévue depuis un certain temps, que mon planning est ouvert mais comporte des incontournables, que je serai en contact avec la famille et les amis par SKYPE et le blogue... je garde surtout en tête que je voyage avec moi-même, ce moi-même qui accepte de découvrir et de se laisser surprendre.
Voici pour les bagages.
Avant de me lancer dans la première des quatre périodes, celle de l'installation et de l'adaptation, je veux dire quelques phrases sur la langue. Sans trop élaborer, seulement dire que j'ai vécu quatre mois en anglais, moi qui ne maîtrise pas cette langue disons... fluidement... Penser en français, traduire en anglais, sentir que c'est reçu à partir d'un anglais approximatif puis traduit en vietnamien et finalement retourné en anglais... cela a occasionné parfois des malentendus et des quiproquos amusants. Comment dire la beauté de la langue vietnamienne, son côté si agréable à l'oreille? Tout est en tonalités, du grave à l'aigu au guttural. Des nuances que je ne réussissais pas à bien percevoir mais que mon guide me signalait entre le Sud (autour de Saïgon), le Centre (autour de Hué) et le Nord (autour de Hanoï) ne m'ont pas fait déchanter: cette langue sera restée harmonique pour mon oreille occidentale. J'ai apprécié que lors de soirées au restaurant ou dans les cafés, les amis vietnamiens qui pouvaient s'exprimer en anglais le faisaient gentiment en ma présence. En aucune occasion j'ai pu converser en français avec qui que ce soit. Cette langue a presque complètement disparu du paysage vietnamien, du moins de celui dans lequel j'ai été plongé.
Je voulais lire des auteurs vietnamiens et, si possible, rencontrer les artisans de la nouvelle poésie vietnamienne. C'est auprès de LA LIBRAIRIE FRANÇAISE à Saïgon et de ma «pusheuse» de livres que mes efforts furent tentés. Pas trop de bons résultats. J'ai lu, un «must», KIM-VÂN-KIEÛ de Nguyên Du, ce long poème racontant l'histoire d'une belle et jeune fille qui jure fidélité à un garçon mais qui se doit, par fidélité au confucianisme, sauver son père en devenant courtisane. Ce poème que tous les Vietnamiens ont lu et lisent encore, permet de mieux saisir l'âme de ce peuple. Également, l'écrivaine Duong Thu Huong maintenant exilée en France s'étant permis de critiquer le régime. Son livre de toute beauté, dans lequel on sent l'influence de Kim-Vân-Kiêu, TERRE DES OUBLIS, est une merveille. Dans les deux cas c'est à des traductions que j'ai eu recours pour entrer en contact avec la littérature vietnamienne. L'actuelle, selon la libraire française, se cherche un peu et tente de se dégager des nostalgies passées.
Nostalgie. Je me disais qu'une des premières choses que je souhaitais faire à mon arrivée à Saïgon était de regarder le ciel, d'imaginer entendre le bruit des hélicoptères d'APOCALYPSE NOW ou l'atmosphère de FULL METAL JACKET. Voir de visu tout ce que la télévision à l'époque de la guerre du Vietnam nous transmettait quotidiennement. Voir comment un peuple aussi éprouvé s'est relevé, mesurer son niveau de résilience. La réponse me parviendra quelques jours plus tard alors que je visitais le Musée des Souvenirs de Guerre. D'une salle à l'autre et au rythme des horreurs que l'on offre à nos yeux, présentées comme autant d'hommages au peuple et de propagande au gouvernement, je revoyais tout cela, avec mes yeux d'occidental, un peu coupable, comme porteur d'excuses, celles que ces tortionnaires étrangers n'ont jamais assumées. Au même moment, mes deux collègues vietnamiens, étudiants universitaires, déambulaient rapidement d'exhibit en exhibit comme si cela ne les aurait pas touchés, émus. Ils me dirent, à la fin de la visite, que le passé est passé, qu'il faut regarder devant, se plaindre ne change rien mais que c'est un devoir pour tout Vietnamien de conserver vivant le souvenir et le courage de ceux et celles qui vécurent ces horreurs. J'aurai ressenti la même chose lors de ma visite à la prison sur l'île de Phu Quoc, prison dont peu de Vietnamiens sont sortis vivants et où la torture pouvait dépasser les limites de la cruaté humaine.
Je savais dès lors qu'à la nostalgie je devais substituer les découvertes et les émerveillements. Pour cela, il fallait se lancer, ce que je voulais faire en bon occidental que je suis. Il aura fallu que l'on me retienne, qu'on me fasse comprendre que rien ne pressait, qu'il fallait d'abord m'adapter à mon nouvel environnement. Le fait que mon guide présente une certaine forme d'allergie au soleil aura permis qu'une bonne partie du mois de janvier, si j'exclus les journées passée à la mer, se déroulait du milieu de la journée jusqu'au début de la nuit. Si certains jours s'annonçaient plus nuageux, nous pouvions nous hasarder de jour. De plus, les jeudi et vendredi, mon guide me laissait seul comme un grand jeune homme puisqu'il avait cours à l'Université.
Voyons ce qui me reste de la période de l'installation et de l'adaptation.
À la prochaine
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