mercredi 3 février 2021

Otium # 4

 


De la folie à la foi

 

Que m’évoque cette petite fiole, sortie du congélateur, emplie de son liquide salvateur à la stabilité fragile ? Cette fiole et son contenant représentent une réalité que, depuis ma verte naïveté, j’aurais franchement cru impossible, voire inimaginable : ce choc planétaire, cette hécatombe universelle, ce monstre économique à l’arrêt forcé !

Si j’agite le mot fiole, à la manière dont je pourrais mélanger son contenu, voilà que j’obtiens un autre mot : folie. En effet, ce contenant — aussi miraculeuse que fut la rapide création de son produit —, ne concrétise-t-il pas l’aboutissement d’un cycle de folie ? En admettant que la folie se définisse comme « un ensemble de comportements jugés et qualifiés d’anormaux », ne pouvons-nous pas reconnaitre que nous en étions là ? Notre « va tout » capitaliste obsédé jusqu’à l’obnubilation par la poursuite aveugle des profits n’a-t-il pas fini par faire dérailler le système, en bafouant les rythmes de base du vivant ? Sourds aux signaux d’alarme clignotant sur tous les fronts — santé physique, équilibre mental, homéostasie environnementale — nous fallait-il que ce coup de matraque nous fût asséné pour qu’enfin nous sortions de notre aveuglement volontaire, de notre indifférente frénésie ?

Si j’agite encore la fiole, laissant s’écouler un peu de son contenu et tomber une lettre de sa forme, je me retrouve avec le mot fiel. Oui, je déplore le fiel, ce caractère de l’inculte qui s’est insidieusement instillé dans nos rapports à l’autre, dans nos échanges interpersonnels et dans nos modes de communication. Je me désole de tout ce fiel qui transite par les impulsions lumineuses des réseaux sociaux et qui vient s’étaler sur les écrans de nos solitudes. Peut-on espérer que cette fiole, dans la mise à l’arrêt qu’elle représente et dans l’obligation de compassion qu’elle impose, puisse asséner un sifflant soufflet à tout ce fiel ?

Laissons tomber encore quelques gouttes du précieux sérum et une autre lettre du mot dans lequel il est contenu, pour reprendre un fil. Il est urgent de couper l’ancien fil ! Il nous faut désirer que cette pandémie marque une réelle rupture, une remise en question fondamentale d’un système qui en fin de compte se montre si chancelant, creusant toujours davantage l’écart dans la répartition des richesses, accentuant les fractures sociales, la surchauffe planétaire, la montée des extrémismes. Il faut espérer la rupture de ce fil conducteur délétère, et nous atteler sans tarder à la construction d’un nouveau lien, d’un liant plus lumineux.

Ce qui nous amène à agiter les dernières lettres du mot, avant d’en injecter la balance du contenu dans nos chairs. Que reste-t-il ? Un mot aux consonances surannées pour certains, mais si nécessaire en ces temps : le mot foi. Foi dans la possibilité d’une vitalité renouvelée, foi en notre capacité d’amorcer une reprise fondée sur des priorités collectives redéfinies. Montrons-nous capables d’insuffler de l’oxygène à nos emplois du temps.  De nous contenter de moins. D’habiter davantage notre présence à la beauté du monde, aux présences singulières de nos pairs. De troquer notre obsession des valeurs boursières pour des valeurs plus humanistes.  D’adoucir notre parole. De réenchanter notre regard. De prendre soin du vivant vulnérable.

Alors la fiole et son sérum, en ayant permis de freiner une allure insoutenable, en ayant forcé des solidarités improbables, en ayant remis les pendules à l’heure, prendront un précieux sens. 

Claire (février 2021)

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L’AIGUILLE DANS LA BOTTE DE FOIN

Qui aurait pu parier qu’en moins d’une année après son apparition, la médecine arriverait à mettre au point un vaccin pour prémunir l’humanité d’un virus mortel pour les humains et le rendre si rapidement accessible. Il faudra désormais parler non pas de « chercher » mais bien de « trouver une aiguille dans la botte de foin ».

L’humanité, par ce virus, pouvait n’en tenir qu’à un fil; voilà qu’elle tient maintenant à une aiguille, salvatrice. Il faut avoir été exposé à ce type de vulnérabilité où tout peut se jouer par le hasard ou la bonne fortune, pour s’émerveiller de cette réponse humaine à ce défi de la nature. Alors que j’avais à peine dix ans, dans un Québec où les soins de santé étaient le privilège des plus fortunés, j’ai été frappé non pas par un virus, mais pire, par une bactérie : le streptocoque beta hémolytique. Dans mon cas elle s’est transformée en rhumatisme articulaire aigu pouvant causer une cardite rhumatismale et se transformer en sténose de la valvule mitrale du cœur.

Quel a été alors pour moi l’aiguille dans la botte de foin? En fait, ce fut une aiguille à trois facettes. Tout d’abord il y avait l’existence depuis peu de la pénicilline, seul médicament pouvant contrer ce type de bactérie. Deuxièmement, et ce fut déterminant pour la suite de mon traitement : la présence miraculeuse du premier cardiologue à exercer dans la petite ville de Saint-Hyacinthe à la fin des années 1950.

Et finalement, l’élément décisif pour que j’aie accès aux soins : la fortune de mon grand-père maternel qui a déboursé d’avance les dollars nécessaires afin que je sois hospitalisé, les hôpitaux étant, à cette époque, privés et les soins, très chers.

L’hospitalisation a été ma première expérience de confinement total; la première semaine, j’étais alité 24 heures sur 24, ne pouvant me lever que pour aller à la toilette. Pour un enfant de 10 ans, cela peut sembler une expérience éprouvante. Ce n’est pas le souvenir que j’en ai. J’y ai appris le plaisir simple de regarder un oiseau venir me saluer chaque matin à la fenêtre; le délice de me faire laver par une gentille infirmière (c’était probablement une préposée, je ne faisais pas la différence). C’était la joie d’attendre puis de voir arriver mon père vers l’heure du midi, m’amenant tantôt une revue de Spirou, tantôt un magazine d’animaux sauvages; j’en fis plus tard une collection.

Puis ce confinement s’est transformé en un genre de couvre-feu; je pouvais marcher, mais aller dormir très tôt. De toutes façons, j’étais fatigué, ma maladie me prenant beaucoup de mon énergie. Et sublime plaisir : pouvoir ne lire que mes Bob Morane et mes Spirou au lieu de faire des mathématiques.

Cette année de confinement s’est terminé par un sublime voyage sur la ferme de mes oncles à Gentilly; un voyage qui fut finalement un instructif stage en agriculture. J’y ai alors appris toutes les notions essentielles de la production laitière.

Cette expérience de mon enfance aura sculpté ma personnalité en m’offrant précocement une certaine maturité: la patience et la contemplation de la nature me donnent aujourd’hui les qualités de base pour vivre le confinement de la pandémie actuelle avec sérénité.


Si je reviens à cette aiguille salvatrice, un certain nombre de conditions ont aussi permis qu’elle advienne. Tout d’abord, la nature particulière de ce vaccin a été intuitionnée, par Katalin Kariko, une biochimiste hongroise qui a eu le génie de s’intéresser non pas à l’ADN des virus, mais à l’ARN messager.

Son acharnement à étudier l’ARN messager lui a valu sa titularisation de professeure à l’université de Pennsylvanie. Et c’est donc à son entêtement que la virologie a viré de bord la façon de concevoir les vaccins : au lieu d’inoculer l’ADN du virus en nous infectant, c’est une vaccination par l’ARN messager qui conduit nos cellules à fabriquer elles-mêmes de l'antigène en grandes quantités. C’est donc grâce à elle que les chercheurs contemporains ont pu inventer l’aimant assez puissant et précis pour trouver la fameuse aiguille dans cette botte de foin virale qui nous assaille.

Souhaitons que cette nouvelle thérapeutique permette à l’humanité de faire face aux futures pandémies dont nous ne serons jamais à l’abri tant que notre espèce ne diminuera pas sa pression sur les ressources de la planète. À moins que comme dans le cas de ce jeune garçon de 10 ans qui a su se former une maturité à travers sa maladie d’enfance, le genre humain sorte de cette pandémie avec un peu de sagesse et, surtout de modestie face aux autres espèces de cette planète.

Pierre (février 2021)

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Ici Radio-Monde

(Radio-Monde)  

- Bonjour mesdames et messieurs, bienvenue sur Radio-Monde. Dans le cadre de nos grandes entrevues, il me fait plaisir de recevoir monsieur Joshua Barnes, reporter globe-trotter. Bon retour au pays, monsieur Barnes. 

(Joshua Barnes )

- Merci et salutations à tous vos auditeurs et auditrices. 

(R-M) - Vous revenez tout juste d’un long périple qui vous a mené à travers le monde ?

 (JB) - En effet, je rentre au pays après voir parcouru une bonne partie des États-Unis, de l’Europe ainsi que certains pays d’Asie.

 (R-M) - Vous avez traversé toutes ces contrées avec pour objectif de couvrir des événements en lien avec la pandémie due à la covid-19. Qu’en retenez-vous ?

 (JB) - En janvier 2020, au tout début de ce que l’on peut appeler la nouvelle du siècle, j’étais en Chine. Lorsque le bruit court à l’effet que quelque chose d’inhabituel se passe à Wuhan, tous les journalistes sont invités à quitter le pays. J’ai profité d’un vol vers la France pour ensuite traverser en Angleterre et me retrouver finalement aux États-Unis, constatant que la pandémie voyageait plus rapidement que moi.

Devant la difficulté à obtenir des informations vérifiables, tous les journalistes cherchent à jouer autant du coude que de leurs contacts afin d’en apprendre davantage, mais chacun de nous se retrouve devant un mutisme complet, personne ne peut nous informer de manière convenable. Le modus vivendi habituel du travail journalistique complètement perturbé, chacun doit se rabattre sur les réseaux sociaux devenus les nouveaux canaux d’information, avec tout ce que cela implique de faussetés, d’inexactitudes ou d’affabulations.  

En très peu de temps, vous y retrouviez des spécialistes en virologie et en infectiologie sans aucune connaissance médicale, alors que les chercheurs et les médecins admettaient être face à un virus d’une ampleur dont il leur était impossible d’en mesurer l’étendue.

Des politicologues amateurs, souvent emmêlés dans des discours dont ils ne comprennent rien ni d’Ève ni d’Adam, construisant des échafaudages politico-économiques pour le moins ahurissants.

Un autre phénomène prend de l’ampleur et n’est pas à négliger, que celui des amateurs de complots qui, disent-ils, avaient tout vu venir et que les événements par leur caractère universel ne font que renforcer les idées que des groupes organisés sont actuellement à l’oeuvre afin d’étendre leur hégémonie sur le monde quand il ne s’agit tout simplement pas d’eugénisme ou de régulation de la population planétaire.

 (R-M) - Tout ce fatras est difficile à départager.

 (JB) - Sans repartir au tout début de la pandémie - je vous rappelle qu’il existe encore bien des gens qui n’y croient pas - je préférerais me concentrer sur le cas du vaccin qui reproduit ce qui est advenu lors de l’épisode des masques (utiles ou pas), des différents types de confinements (efficaces ou pas) ou tout autre information en provenance surtout de l’OMS qui parfois se contredisaient les unes les autres.

 (R-M) - Avez-vous été vacciné ?

 (JB) - Non, je ne fais pas partie de ceux qui doivent le recevoir en priorité. Ce vaccin - sans tenir compte des divers laboratoires pharmaceutiques qui y ont travaillé et continuent encore maintenant - se veut le point culminant des multiples campagnes de protection sanitaire. Toutes les personnes que j’ai rencontrées et interrogées, cela depuis le début de la pandémie, sont unanimes pour dire que la solution à ce grave problème de santé se trouve dans l’arrivée d’un vaccin efficace et dont les effets puissent s’étirer dans le temps.

(R-M) - Ces gens, étroitement liés au monde médical et à celui de la recherche, ont-ils ressenti de la pression qu’elle soit politique ou médiatique ?

 (JB) - Cela ne fait aucun doute, mais ce que je retiens principalement c’est à quel point la pensée magique joue dans cette histoire : les pro-vaccins y voient une panacée alors que pour les anti-vaccins, il s’agit d’un complot d’envergure planétaire. Il se développe ce que j’appellerai le principe de la médaille, c’est-à-dire qu’il n’existe  que le recto et le verso, l’endroit ou l’envers, plus aucune autre possibilité ou nuance alors chaque adepte se veut porteur d’une  inébranlable vérité qu’il érige en dogme infaillible.

 (R-M) - Cette pandémie semble être une occasion rêvée pour les partisans des théories du complot de partager leur point de vue, n’est-ce-pas, monsieur Barnes ?

 (JB) - Dans mon travail, principalement cette fois-ci, alors que j’ai eu l’occasion de me retrouver sur trois continents différents, chacun étant frappé de plein fouet par le coronavirus, j’en suis arrivé à un début de conclusion : il faudra plus qu’un vaccin pour éradiquer ce virus qui s’infiltre en nous directement par la covid-19 et indirectement par les décisions, parfois incohérentes, des gouvernements cherchant à minimiser les effets d’un illustre inconnu se cachant dans l’invisibilité.

Comme les informations relatives aux avancées scientifiques reliées à la compréhension du virus et aux moyens de le contrecarrer doivent s’adapter, parfois dans des temps infiniment courts, à une découverte qui américaine, qui européenne, qui asiatique, l’idée que seul un vaccin peut nous faire sortir de cette crise mondiale obtient la cote A+.

 (R-M) - Croyez-vous que cela soit général sur l’ensemble de la planète ?

 (JB) - Chacun a son agenda. J’entends par “chacun”, les gouvernements, les médicaux, les journalistes des différents médias et le virus lui-même. Mais nous nous apercevons que cela va plus loin qu’une simple réponse à la pandémie par une vaccination qui, de toute façon, ne pourra se faire sur l’ensemble de la planète. Trop d’intérêts et trop d’argent sont en jeu.

 (R-M) - Vous ne croyez pas à une collaboration universelle afin que tous les pays, pauvres et riches, puissent bénéficier de ce vaccin ?

 (JB) - Difficile de répondre catégoriquement à cette question, mais nous  possédons des exemples de la frilosité de plusieurs pays du monde à venir au secours ou en aide lorsque des catastrophes, des désastres ou des calamités s’abattent sur certaines régions du globe. En lieu et place, je vous soumets une hypothèse qui m’a été fournie par un chercheur isolé dans le fin fond des États-Unis.

Si ce virus, sans prendre en compte son lieu d’origine et de sa possible transmission par un quelconque animal plus ou moins sauvage, n’était qu’une manière pour notre environnement de se protéger des actions - le mot “exactions “ serait peut-être plus approprié - que l’homme, dans son étourderie fonctionnelle, s’emploie pour détruire son propre milieu de vie ! Il ne serait pas strictement qu’un message, mais plutôt un avertissement. Ce vieux chercheur, tel un loup solitaire, nous prévient que progressivement et de manière exponentielle, des mutations que l’on nomme “variants “ pourraient être suivis par d’autres de plus en plus coriaces voire délétères.

Mais, et j’y reviens une autre fois, la pensée magique entretenue par l’être humain le porte à mettre ses espoirs dans un vaccin ou tout succédané - en Russie on vient de proposer un yogourt contenant un sérum capable de détruire le coronavirus - et d’attendre que tout soit derrière lui afin de reprendre ses activités comme si rien ne s’était produit, exactement au même endroit, celui de la fin de l’année 2019, et sur les mêmes bases qui furent les siennes avant l’arrivée du coronavirus.

Ce chercheur au fin fond des États-Unis ne perçoit pas l’homme comme un être qui apprend de ses erreurs. Pour lui, elles doivent être réparées et perçues comme des barrières ; que cette pause, cette halte que le coronavirus installe, devrait être vue comme une barricade devant son égocentrisme. Pour lui, le vaccin nous empêchera de mener à fond cette réflexion qu’il juge essentielle.

 (R-M) - Monsieur Barnes, vous revenez chez-vous après avoir traversé trois continents, cherchant à informer les auditeurs de Radio-Monde sur les méfaits de cette pandémie. À la fin de cette entrevue, pourriez-vous nous dire si vous êtes parvenu à une conclusion ?

 (JB) - L’homme a besoin d’être rassuré, son cerveau doit obligatoirement obtenir des explications. Cela est exact, mais cette fois elles aggravent ses angoisses. Cette pandémie a sur-multiplié les anxiétés, permis à des théoriciens de tout acabit de proposer des solutions qui, un peu comme le vaccin, lui permettraient d’évacuer son anxiété.

Ils sont légion ces théories dont les bases ne reposent sur rien ou sur du surnaturel. Il semble que les différentes religions actuellement dénombrables sur le globe ont vu leurs fidèles augmenter ; que les vendeurs de rêves ou de médicaments miraculeux font des affaires d’or ; que certains politiciens profitent de la situation pour écraser leurs adversaires ou avilir les peuples en leur retirant des libertés fondamentales ; que les problèmes de santé mentale se sont accrus, surtout dans les riches sociétés occidentales  la pandémie fait le plus de dégâts ; que l’égoïsme prime sur l’altruisme ; que tous les réfractaires aux mesures plus ou moins imposées ne savent plus trop à quel saint se vouer, car les complotistes ou conspirationnistes ont épuisé leurs réserves d’arguties parfois délirantes depuis que ce qu’ils avaient prédit ne se réalise pas, mais que ce qui se passe actuellement fait partie intégrante d’un plan global qui ne tardera pas à se réaliser.

Toutefois, cette pandémie peut permettre à la génération actuelle de s’inscrire dans le grand livre de l’histoire moderne, celui du XXIième siècle, l’invitant à pousser son regard un peu plus loin que le bout de ses pieds.

J’achèverai en citant l’expression “d’effet papillon“ qui résume une métaphore concernant le phénomène fondamental de sensibilité aux conditions initiales de la théorie du chaos. On doit la formulation exacte à Edward Lorenz qui l’énonçait ainsi en 1972 : “ Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? “

(R-M)  - Merci monsieur Barnes pour cet entretien. Vous écoutiez Radio-Monde.  À la prochaine.

 

Jean (février 2021)

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