Ce n'est pas encore tout à fait ça. Toutefois, lorsque le mois d'avril se pointe le nez, on sent nettement le changement dans l'air. Le si agréable vent de Saïgon laisse place à un confrère de la famille des ''humides''. Au moment où on s'y attend le moins, une averse vous tombe dessus avec férocité. Ça peut durer quelques secondes ou quelques minutes, le temps de remplir d'eau la chaussée, de voir les trottoirs noyés sous la pluie et, rapidement, élégamment, les motocyclistes s'abriter sous des imperméables-ponchos.
Quelques instants plus tard, j'ose avancer quelque chose se situant entre vingt ou trente minutes, le soleil réapparu, tout redevient sec et l'humidité reprend le haut du pavé.
Tout cela, en avril, se produit trois ou quatre fois par jour. Certains jours, absolument rien. De déluge en désert. Mais, humidité constante. De celle qui vous colle la chemise au corps. Celle qui invite la sueur à tracer de longs sillons sur votre dos. Celle que l'on défie et qui abandonne lorsque vous accélérez le vitesse de la moto.
Et ce soleil si différent. Aussi tropical mais plus arrogant, comme s'il savait très bien que ses heures de règne achevaient, qu'il allait devoir laisser toute la place à l'humidité, à la pluie.
Ce n'est pas la rivière qui s'en plaindra. Que non!
Je n'ai pas encore réussi à bien saisir le système d'irrigation vietnamien qui rend la rivière Saïgon, ce serpent de la grande ville, un jour toute pleine d'eau puis le lendemain, en quasi panne sèche. Un vaste mystère que cette rivière dont la couleur me rappelle toujours celle de la Yamaska avec, pour différence flagrante, ces jacinthes d'eau qui, selon les amis vietnamiens, permettent une aération permanente à la rivière.
Donc, la mousson. Et pas tout à fait encore la mousson. Une sorte d'entre-deux.
Ce que je vous offre aujourd'hui, ce poème titré mousson, se veut un regard aussi sur l'épreuve du frèrot Jacques. Ça sera la mousson pour lui; mousson du corps, mousson du coeur. Je lui dédie... fraternellement.
m o u s
s o n
la grisaille brouille les nuages, l’humidité broie le
jour
dans les rues murmurent des anges, ils ont beaucoup à
s’occuper
pour ici, pour ailleurs
le cactus meurt de
soif dans son aquarium en feu
son immobilité de
désert rivée à ses chaudes racines
l’espace rapetisse, les distances se contractent quand
le cœur saigne
l’espace s’apetisse, les distances s’allongent quand
saigne le cœur
le suicide
de l’araignée pendue au fil de soie
inquiète
le papillon gondolant entre toit et mur
le temps qui
court vers la pluie se retient encore
le vent étend un parasol gris acier au-dessus de la
ville bruyante
la rivière frétille lentement, de fines vagues meurent
au quai, épuisées
la
libellule guerrière s’amuse à faire la paix
aux
chauves-souris qui planent dans la nuit
le poème cherche ses mots, les puise creux au fond de
l’âme
veut relever les bonnes couleurs, dire plus vrai et
plus vrai encore
ce qui tente fébrilement de s’éparpiller dans l’antre
des silences retenus
l’hirondelle
dérive dans le soleil couchant
gosier
ouvert, elle avale l’espace devant elle
la mousson, cet imperméable de saxophone emplit
l’atmosphère
dépose inexorablement ses notes
mouillées sur tout et chacun
sans prendre garde au déluge torrentiel
qu’elle tapisse sous nos pieds
la mousson du cœur saigne, atteint là,
directement, comme un coup d’épée sec
avec la lucidité des pierres immobiles,
seule froideur qui halène l’esprit fluide
communion, viatique tout à la fois dans
la sacristie cloîtrée des mois de pluie…
À la prochaine
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