dimanche 19 avril 2015

Les chroniques de Saïgon (12)



Ce n'est pas encore tout à fait ça. Toutefois, lorsque le mois d'avril se pointe le nez, on sent nettement le changement dans l'air. Le si agréable vent de Saïgon laisse place à un confrère de la famille des ''humides''. Au moment où on s'y attend le moins, une averse vous tombe dessus avec férocité. Ça peut durer quelques secondes ou quelques minutes, le temps de remplir d'eau la chaussée, de voir les trottoirs noyés sous la pluie et, rapidement, élégamment, les motocyclistes s'abriter sous des imperméables-ponchos.

Quelques instants plus tard, j'ose avancer quelque chose se situant entre vingt ou trente minutes, le soleil réapparu, tout redevient sec et l'humidité reprend le haut du pavé.

Tout cela, en avril, se produit trois ou quatre fois par jour. Certains jours, absolument rien. De déluge en désert. Mais, humidité constante. De celle qui vous colle la chemise au corps. Celle qui invite la sueur à tracer de longs sillons sur votre dos. Celle que l'on défie et qui abandonne lorsque vous accélérez le vitesse de la moto.

Et ce soleil si différent. Aussi tropical mais plus arrogant, comme s'il savait très bien que ses heures de règne achevaient, qu'il allait devoir laisser toute la place à l'humidité, à la pluie.

Ce n'est pas la rivière qui s'en plaindra. Que non! 

Je n'ai pas encore réussi à bien saisir le système d'irrigation vietnamien qui rend la rivière Saïgon, ce serpent de la grande ville, un jour toute pleine d'eau puis le lendemain, en quasi panne sèche. Un vaste mystère que cette rivière dont la couleur me rappelle toujours celle de la Yamaska avec, pour différence flagrante, ces jacinthes d'eau qui, selon les amis vietnamiens, permettent une aération permanente à la rivière.

Donc, la mousson. Et pas tout à fait encore la mousson. Une sorte d'entre-deux.
Ce que je vous offre aujourd'hui, ce poème titré mousson, se veut un regard aussi sur l'épreuve du frèrot Jacques. Ça sera la mousson pour lui; mousson du corps, mousson du coeur. Je lui dédie... fraternellement.




m o u s s o n

la grisaille brouille les nuages, l’humidité broie le jour
dans les rues murmurent des anges, ils ont beaucoup à s’occuper
pour ici, pour ailleurs

                                       le cactus meurt de soif dans son aquarium en feu
                                       son immobilité de désert rivée à ses chaudes racines



l’espace rapetisse, les distances se contractent quand le cœur saigne
l’espace s’apetisse, les distances s’allongent quand saigne le cœur

le suicide de l’araignée pendue au fil de soie
inquiète le papillon gondolant entre toit et mur



le temps  qui court vers la pluie se retient encore
le vent étend un parasol gris acier au-dessus de la ville bruyante
la rivière frétille lentement, de fines vagues meurent au quai, épuisées


la libellule guerrière s’amuse à faire la paix
aux chauves-souris qui planent dans la nuit



le poème cherche ses mots, les puise creux au fond de l’âme
veut relever les bonnes couleurs, dire plus vrai et plus vrai encore
ce qui tente fébrilement de s’éparpiller dans l’antre des silences retenus

         
l’hirondelle dérive dans le soleil couchant
gosier ouvert, elle avale l’espace devant elle


la mousson, cet imperméable de saxophone emplit l’atmosphère
dépose inexorablement ses notes mouillées sur tout et chacun
sans prendre garde au déluge torrentiel qu’elle tapisse sous nos pieds


la mousson du cœur saigne, atteint là, directement, comme un coup d’épée sec
avec la lucidité des pierres immobiles, seule froideur qui halène l’esprit fluide
communion, viatique tout à la fois dans la sacristie cloîtrée des mois de pluie…


À la prochaine

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