mardi 24 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (9)

Bébé Bao

Rares les occasions où j’entreprends une chronique sans connaître le sujet au départ, avec, indéfini, vague ou encore très précis, un plan partant de son élan de départ et sa conclusion.

C’est le cas aujourd’hui. Après avoir consulté mon cahier de notes noirci dans les cafés, les bus ou au retour d’une promenade - vélo ou moto - dans lequel plus souvent qu’autrement se cachent une impression, une image, parfois des phrases à retravailler me permettant de lancer un billet; trois passages reposent au cahier depuis déjà un bon moment. Je les retranscris afin de pouvoir les commenter par la suite. On verra en cours de route s’il faudra plus d’un billet pour y parvenir.

Le premier

-   Je remarque davantage les corps humains qu’auparavant sans arriver à comprendre comment la nature (ou la génétique) a réussi à doter les Vietnamiens, hommes et femmes, d’une telle allure de jeunesse. Même les personnes âgées me semblent jeunes.



C o m m e n t a i r e


Combien de fois je me suis passé la remarque : s’agit-il du grand frère qui va marchant avec dans les bras un jeune bébé de quelques mois? Pour m’apercevoir qu’il s’agit du père. Ou celle-ci : elle me semble bien jeune pour traîner avec elle ces petits enfants alors que c’est la maman.

Pour les personnes âgées, on leur donnerait cinquante ans; dans les faits, elles ont dépassé la soixantaine depuis un bon moment déjà.

La moyenne d’âge au Vietnam est d’environ 25 ans. C’est autour de la trentaine que les couples se marient. Parents de deux enfants, ça me semble être la règle bien que rien ne les empêche de dépasser ce nombre, la progéniture s’arrête là. Comme la famille est le pivot de la société vietnamienne, plusieurs couples vivent chez les parents, que ce soit l’épouse chez ceux de son mari ou l’inverse. Il ne semble pas y avoir de norme stricte là-dessus mais toutefois c’est assez généralisé.

Dans la note, je dis remarquer davantage les corps humains, que leur éternelle jeunesse surprend. Ils conservent un physique adolescent sur une longue période de temps. Ça se remarque plus chez les hommes, comme s’ils s’arrêtaient de vieillir alors que les filles mûrissent plus rapidement. Leur beauté, chez les deux sexes, peine à s’effacer. Les traits du visage prennent un long moment pour afficher des rides malgré un soleil omniprésent. Il faut dire que les efforts déployés pour s’en protéger relèvent de l’héroïsme.

Il existe au Vietnam 54 ethnies différentes. Elles se départagent équitablement entre le nord et le sud mais il est facile de remarquer les catégories à partir du prototype physique. Du type chinois au type indonésien, toutes les gammes génétiques se déroulent   nous rappelant les influences connues par ce peuple lourdement marqué par les envahissements, les invasions de voisins plus ou moins éloignés qui, une fois installés, métissèrent le peuple vietnamien.

La majeure partie de l’année les Vietnamiens vivent dehors, ça se voit aisément à leur teint. Les femmes se font un devoir d’éviter le soleil, scrupuleuses à conserver une couleur de peau la plus blanche possible. Chez les hommes, ça semble ne pas être une priorité.

Une caractéristique quasi générale que l’on note immédiatement, c’est l’absence d’obésité. Ça surprend car le Vietnamien moyen ne cesse de manger à longueur de journée. L’alimentation asiatique, fort peu grasse, explique certainement le phénomène. Soupes à base de poulet, de porc ou de boeuf, poissons, très peu de pain que l’on remplace par le riz, fruits et légumes composent le menu habituel. On dit des Vietnamiens qu’ils mangent consistant au petit déjeuner, plus léger à l’heure du lunch et de manière frugale au dîner. Je ne vous dis le nombre de collations prises durant le jour! On mange tout le temps et on aime manger. Bien manger.

Une autre particularité qui ajoute à la beauté vietnamienne: le sourire. Autant, alors qu’ils adoptent ce que l’on pourrait appeler une ''poker face'', ils nous semblent mélancoliques ou froids, autant, alors que s’accroche un sourire à leur figure, cela les transforme. Littéralement. Tu les salues, on te répond avec ce sourire illuminé: ta journée est faite. De plus, ils ne se gênent pas pour le faire même avec les étrangers.

Je remarque également que de plus en plus de jeunes, parfois même de fort jeunes Vietnamiens, portent des verres. Est-ce dû aux rayons du soleil ou encore au faible éclairage qui devient obligatoire dès 18 heures? Je ne peux le dire mais c’est tout à fait remarquable.

Le Vietnam est un beau, très beau pays; s’ajoute, en prime, ce charme, cette grâce et cette élégance des gens. Magnifique.



Le deuxième

-  La fausseté des croyances non scientifiques fait qu’elles deviennent vraies. Si on n’observe pas ces croyances et qu’un malheur se présente, cela les renforce. Si on l’observe et qu’un malheur ne se présente pas, cela les renforce également. Mais on ne se pose la question : si on les observe et qu’un malheur se présente malgré tout, est-ce que cela signifie qu’elles étaient fausses? On répliquera que ce malheur est dû à un mauvais génie.



C o m m e n t a i r e


On entre ici au plus profond de la culture vietnamienne, toute remplie de légendes, de poésie, de mythes qui rendent ce peuple dont l’histoire remonte à plus de deux mille ans, à la fois énigmatique, secret, sibyllin.

Les Vietnamiens sont superstitieux. Énormément. Énumérer leurs superstitions exigerait beaucoup de temps. Il faudrait voir en profondeur les diverses influences qui, à diverses époques de l’histoire de ce pays, ont façonné leurs traditions, leur mode de vie. Le confucianisme, le taoïsme représentent deux des grands pôles ayant eu de l’ascendant sur la vie vietnamienne et dont les stigmates sont toujours présentes dans le tissu social du pays. Les légendes nombreuses et variées auront forgé une intelligence collective pivotant entre croyance et naïveté. Le fait aussi que le système d’éducation n’a pas toujours été aussi développé qu’il l’est maintenant peut aider à mieux comprendre.

Un autre élément s’ajoute au décor et il est de taille. Plus de 80% de la population vit toujours en zone rurale et pratique l’agriculture, l’industrie première au Vietnam. Le modernisme ou la modernité, ou les deux à la fois, n’imprègnent l’ensemble de la société que depuis fort peu de temps de sorte que leur influence commence à peine à se faire ressentir.

Tout cela réuni fait  que les superstitions accaparent encore l’esprit du Vietnamien.

Prenons un exemple qui se situe à fort petite échelle mais illustrera tout de même la place de la magie, de cette assurance bien ancrée dans les moeurs que les traditions ont fait leur preuve et qu’il n’y a aucune raison logique pour en modifier les pourtours.

Lisa, ma grande amie de Saïgon, vient de mettre au monde son deuxième enfant. Une petite fille (Bao) née le jour du Têt 2015. Avant l’accouchement, alors que Lisa me demandait comment les grossesses de me filles s’étaient déroulées et que je les lui racontais, je ne pouvais imaginer à quel point ici, au Vietnam, ça ne ressemble en rien à nos… disons… façons de faire.

Pendant la grossesse, la future maman ne doit pas manger n’importe quoi. Les aliments sont considérés comme chauds, froids ou neutres, non pas en fonction de leur température ou selon qu’ils sont plus ou moins épicés, mais en fonction de leur nature intrinsèque, telle qu’elle est perçue. Par exemple la papaye est un aliment « froid » qu’il faut éviter pendant la grossesse ainsi que le concombre car ces aliments « froids » augmentent les risques de fausse-couches. On recommande de consommer beaucoup d’eau et de chair de noix de coco, parce que c’est bon pour le bébé et le futur lait de la mère.

La façon de s’habiller de la future maman est également très importante. Il est tout à fait courant pour une jeune femme vietnamienne enceinte d'à peine quelques semaines d’arborer fièrement une magnifique robe montgolfière, symbole de l’heureux événement qu’elle souhaite faire connaître à la terre entière. En portant des robes amples, le ventre a ainsi la place de s’arrondir confortablement pour accueillir le bébé et lui permettre de grandir normalement.

Après l’accouchement, les femmes vietnamiennes suivent et respectent une série de règles traditionnelles. On considère que l’accouchement enlève à la femme chaleur, sang et souffle de vie. On pense donc que pendant le premier mois du post-partum, les femmes sont très vulnérables au froid, au vent et à la magie. Pour corriger ce déséquilibre, la femme qui vient d’accoucher doit donc rester à la maison, éviter les courants d’air, renoncer à prendre des bains, ne pas se laver les cheveux, s’habiller chaudement et, s’il lui faut quitter le lit, marcher à très petits pas.

Une fois rentrée à la maison, la jeune maman ne doit pas recevoir de visites pendant le premier mois qui suit son accouchement, en fait jusqu’à la réapparition de ses règles. Pendant cette période de confinement, elle est l’objet de soins attentifs de la part de son entourage, notamment sa mère, afin qu’elle reprenne progressivement les forces perdues lors de l’enfantement et n’a pratiquement aucun contact avec son mari.

Pour reprendre des forces et améliorer la qualité de son lait, elle doit se reposer au maximum, surtout ne pas sortir. Elle se remet à marcher progressivement, petit à petit, pour ne pas que son utérus « tombe de son corps ». On place sous son lit des charbons ardents, pour ne pas que son corps se refroidisse et qu’elle tombe malade, et pour aider également l’utérus à se remettre en place. Les premiers temps du retour à la maison, sa mère lui enduit le corps d’onguents faits à base de plantes, destinés à lui redonner des forces. Elle doit manger des aliments jugés « chauds » et éviter ceux qui sont vus comme « froids ». Dans les aliments « chauds » on trouve : alcool de riz, poulet, porc, gingembre, sel, poivre noir, riz bouilli et thé chinois. Il faut éviter les fruits et les légumes crus, plus particulièrement les épinards, les haricots, la pastèque, la salade, le citron, la banane ainsi que les aliments gras. Le fait d’éviter les aliments « froids » permet à la mère de protéger son nourrisson contre la diarrhée, la toux et le rhume, les propriétés de ces aliments étant directement transférées au nourrisson par le lait maternel. La soupe au chou, aux carottes, au chou-fleur et aux patates est vue comme un mets qui favorise la production de lait.

Il est courant et préférable au Vietnam d’offrir à une jeune maman vietnamienne pour son bébé des vêtements qui ont déjà été portés, de préférence par un bébé facile et en bonne santé ; ainsi ces vêtements sont emprunts du caractère du bébé précédent et en feront bénéficier le nouveau-né. De plus, des nouveaux habits pourraient rendre jaloux les mauvais esprits qui pour se venger pourraient rendre le bébé malade. Anecdote amusante : il n’est pas bon de laver les vêtements de votre bébé dans une machine à laver, cela peut donner le tournis et des malaises au bébé…

Au Vietnam, une coutume veut que très tôt, à la naissance, le bébé reçoive au poignet un fil en général tressé. Ce symbole d’attachement a plusieurs significations dans un pays où la mortalité infantile est encore grande. Il est important, en effet, qu’à la naissance le fil rattache l’esprit au corps afin de démarrer l’existence en une seule entité. En général, on considère l’esprit comme le résultat d’une réincarnation qui trouve sa forme dans le corps du bébé qui s’est construit à partir du corps de la mère au long de la grossesse. L’évolution de cette tradition se modernise dorénavant avec les gourmettes en or comme cadeaux, avec le nom gravé ou à graver.

Pendant les premiers mois de son existence, le visage du bébé est caressé, massé, ainsi que tout son corps avec une douce fermeté. Ce massage permet d’affermir ses muscles et de les coller aux os et à la peau, afin de ''mettre en harmonie les parties molles et dures avec leur enveloppe''.



Voilà qui explique que j’aie pu prendre dans mes bras bébé Bao qu’après un mois et sa maman Lisa puisse venir à la maison que dans deux autres mois…


À suivre

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