dimanche 1 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (4)



























La Librairie française de Saïgon offre à ses clients des livres seconds yeux. Une fois choisis, sur une balance typiquement vietnamienne, on les pèse et on vous indique le prix, le tarif au kilo ne varie pas d'une année à l'autre.

Je m'y arrête toujours pour le plaisir de saluer la libraire fort gentille qui actuellement lit, je devrais dire savoure, le dernier Joseph Boyden DANS LE GRAND CERCLE DU MONDE auquel nous avons accordé quelques minutes de discussion.

Également pour jeter un coup d'oeil sur les nouveautés qui ont réussi à se rendre jusqu'ici et avec un retard assez important, mais principalement pour les livres d'occasion. J'y fais habituellement de belles découvertes tout comme je puis saluer des livres que j'y ai laissés l'an dernier ou auparavant.

À Saïgon, je ne lis que des auteurs qui m'étaient jusqu'à ce jour d'illustres inconnus ou, encore, des auteurs célèbres chez qui je n'ai pas eu encore le bonheur d'entrer en contact. J'ajoute toujours un ou deux titres d'auteurs vietnamiens qui ont l'autorisation d'être visibles aux yeux de la censure gouvernementale.

La dernière fois, scrutant les rayons, mon attention s'arrête sur MOBY DICK, de Herman Melvile. Au toucher, il m'apparut tout de suite que cet exemplaire a passé l'âge de l'édition moderne, que plusieurs mains l'avaient feuilleté, plusieurs yeux s'y étaient attardés. En fait ce MOBY DICK suscita ma curiosité. 

On m'aurait posé la question suivante: à quand remonte la première lecture de ce livre mythique, instantanément j'aurais répondu... à si longtemps que je ne pourrais citer que deux personnages, j'exclus la baleine blanche bien entendu: le capitaine Achad et le narrateur Ismaël. Pour sûr, la conclusion de ce roman d'aventure est demeurée imprimer à ma mémoire.

J'ai l'habitude de sentir les livres en faisant dérouler leurs pages sous mon nez. Selon ce qui s'en dégage, cet indice m'incite ou pas à le garder. Je ne les conserve pas longtemps les livres. Je n'ai pas de bibliothèque bien garnie. Après avoir communié avec lui, je le laisse se reposer, allant le revoir et me raconter ce qu'il contient et surtout ce qu'il m'a fait vivre. Parfois, souvent même, je me dis qu'il faut le refiler à celui-ci ou à celle-là; ainsi, le livre ne revient pas et risque de se retrouver dans, j'espère, une foule d'autres mains.

-  ceci n'est pas un message subliminal adressé à tous ceux et toutes à qui j'ai offert un livre et qu'ils (elles) ont oublié de me le rendre  -  ceci n'est pas un message subliminal adressé à tous ceux et à toutes celles à qui j'ai offert un livre et qu'ils (elles) ont oublié de me le rendre  -


Alors le MOBY DICK, je l'ai apporté avec les autres. Relu. Avec, je crois, autant d'émerveillement qu'à l'époque adolescente de la première lecture.

Je ne sais pas si vous et moi nous nous ressemblons, mais j'ai très peu de souvenir des livres de lecture obligatoire qu'à l'école on nous proposait, avec la petite carte sur laquelle on retrouvait les questions auxquelles il fallait répondre une fois la... corvée... achevée. Rien ne nous pistait sur la manière de lire, ce qu'on devait savoir avant la lecture et comment suivre une intrigue sans tomber dans tous les pièges posés ça et là par l'auteur afin de nous égarer de l'essentiel. Surtout: rien, mais absolument rien, sur ce qui nous restait, opinions ou commentaires ou questions en suspens... Régurgiter des réponses fermées, sans doute aidantes pour une correction rapide et une remise de note, sèche comme peuvent l'être les chiffres.

J'ai donc relu MOBY DICK, roman d'aventures d'un autre siècle. L'enchantement, de nouveau.

Je n'ai pas rempli une petite carte, mais plutôt écrit ce poème que je jette sur l'océan espérant qu'il vous rejoigne.


à la Moby Dick


le long des océans, le sang coulait, 
étouffante ivresse de l’inconscient
le long des océans, le sang coagulait
impassible sous un soleil païen

sans scrupules s’avançaient les années meurtrières
sans remords s’envolaient les nuages silencieux
de la nostalgie jusqu’à sa débâcle

sourd aux réalités , ces dominos de l’ennui,
il regardait, immuable, les choses maritimes
ensevelies dans une obscure torpeur
sous l’infinie couleur du ciel

toujours il répétait  les mêmes perfidies
enterrées comme de vieilles reliques
que le nitrate d’argent des songes 
ne réussissait pas à revivifier

il regardait la mort face à face
inexorablement  la soutenait de son regard
que violaient les militaires du temps 
comme des succubes échevelés

en aval et en amont
coulait le sang
le catafalque liquide s’inonde
de l’immuabilité sauvage des mots abstraits 

l’équipage du Péquod l’escortait




Il y a beaucoup de choses que vous ignorez. Les objets qui nous entourent, les objets visibles, ne sont que masques de carton. Mais, dans chaque événement, dans l’acte indiscutable de la vie, il y a de l’inconnu, un inconnu qui raisonne, alors que le masque, lui, ne raisonne pas. Et l’homme ne peut frapper qu’à travers le masque! Comment un prisonnier pourrait-il s’évader de sa cellule sans percer la muraille? Eh bien, la baleine blanche, c’est cette muraille. Voilà pourquoi je veux la détruire! Parfois il m’arrive de penser que, derrière elle, derrière cette muraille, derrière ce masque de carton, il n’y a rien. N’importe! Moby Dick m’obsède. Je vous en elle une force qui m’injurie, une cruauté insondable.  L’insondable, c’est là ce que je hais, ce que je veux atteindre! Ne, me dites pas qu’en m’acharnant sur Moby Dick je commets un péché. J’anéantirais aussi bien le soleil s’il m’injuriait. Car, ce que le soleil peut faire, je sais que je peux le faire moi aussi!
Herman Melvile

À la prochaine

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