La poussière. Certainement l'image qui reste collée à mon esprit lorsque je pense à la Birmanie. Cette poussière, partout. Et peu de vent pour la charrier d'est en ouest.
La poussière de Birmanie, je la comprends mieux le soir alors qu'on ne la voit plus, qu'on ne fait que la sentir, la ressentir. Et le soir, la nuit, il fait obscur. Peu de lumière ni dans les rues de Rangoun ni sur les routes qui mènent vers l'intérieur ou vers le nord. Sans doute le sud n'y échappe pas non plus.
Poussière et obscurité. Cela forge le caractère des gens. Les amène à voir dans le noir, dans le brouillard que devient cette poussière. Voir dans le noir ou dans le brouillard, cette vision déformée de la réalité que mille watts et plus éclabousseraient en plein visage, doit sans doute en résulter au moins deux choses: une vue détériorée en raison des efforts faits pour saisir l'autour de soi; la certitude que la lumière du jour, celle qui s'éclate sous des cieux d'un bleu inouï, de rouille sur les temples, de blanc qui attend un soleil plus bas pour se bleuter un peu, la certitude que le jour et la nuit ne sont pas frère et soeur.
Ce doute dans la dualité, cette hésitation à choisir entre l'un ou l'autre en essayant plutôt de s'y accommoder, s'y adapter ou s'y conformer vit dans la poussière, dans la noirceur ou l'absence de clarté. Et dans un silence qui convient assez bien aux splendeurs bouddhistes.
Tout cela - et certainement plus alors que j'approfondirai ce souvenir imagé de Birmanie - a fait naître ce poème. Y voir Aung San Suu Kyi ne serait pas fortuit mais y voir aussi le peu de Birmanie qu'entre poussière et obscurité, les deux devenant des brouillards hallucinants, j'ai vu, là aussi niche ce souvenir imagé de Birmanie.
poussière
si elle parlait,
bouche poussière
on verrait, fine pellicule grenue
l’inquiétude du soleil levant
feuille piquée de rouge au cœur
mais
elle ne parle pas
baîllonnée par tant de silences
illuminant l’avenir
dans la noirceur du matin
si elle chantait,
veines offertes traînées
par un cheval obscur
dont les sabots sur la pierre
pilonneraient les nuages
mais
elle ne chante pas
les cordes dans sa gorge
usent au fur et à mesure
des mots sans harmonie
la poussière
brouillard de sécheresse
qui étouffe sa voix
philtre filtrant tout
gangrène sa réalité
vint un grand vent
et disparut la poussière
dans un matin sans macule
À la prochaine
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