lundi 29 juin 2009

Saut: 288


Jean Rouaud


Deux auteurs, aujourd’hui, qui n’ont rien en commun… sauf une qualité de la langue remarquable, un sens de la précision dans l’abstrait, et un goût fort estimable pour l’écriture belle. S’ils se parlaient!

Le premier, un poète. Le second, un romancier. Le deuxième est toujours vivant.


Brise marine (Stéphane Mallarmé)

La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres.

Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres

D’être parmi l’écume inconnue et les cieux!

Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux

Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe

Ô nuits! ni la clarté déserte de ma lampe

Sur le vide papier que la blancheur défend

Et ni la jeune femme allaitant son enfant.

Je partirai! Steamer balançant ta mâture,

Lève l’ancre pour une exotique nature!

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs

Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs!

Et, peut-être, les mâts, invitant les orages

Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages

Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots…

Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots!


Cette combien jolie brise marine m’a fait me rappeler et (heureux crapaud!) retrouver cette citation de Jean Rouaud dans son magnifique roman LE MONDE À PEU PRÈS. La voici, comme si elle souhaitait préciser le chant des matelots…


« Avec cette autre conséquence que les lois élémentaires de la physique s’en trouvent modifiées. Ainsi, le son dans l’univers du myope voyage plus vite que la lumière. C’est à la voix, non au regard, que vous comprenez qu’on s’adresse à vous. C’est la rumeur d’un moteur plus que l’apparition au dernier moment d’une automobile qui vous retient de traverser une rue. Les œillades vous laissent de marbre, une parole caressante vous émeut jusqu’aux larmes. Les rides atténuent et, comme un timbre de voix conserve longtemps son grain de jeunesse, il ne vous apparaît pas que le monde autour de vous soit aussi sensible au vieillissement qu’on le dit.»


Pourquoi ne pas rester un instant avec ce Rouaud? Est-il toujours vendeur de journaux dans un kiosque à Paris? Celui qui écrivait : «Tout n’est pas rose dans la vie d’un saule pleureur.»


Le Goncourt (Les champs d’honneur) en 1990 nous le fait découvrir. Voici d’autres passages retenus par le crapaud.


. Les pensées de plus en plus embrouillées, entièrement tendues, vers le prochain assaut, vous faisiez semblant de réfléchir en regardant à travers les larges fenêtres derrière lesquelles de grands oiseaux blancs aux ailes argentées planaient insouciants et libres, jouaient dans le vent, poussaient de petits cris excités, surfaient sur les courants d’air, s’élevaient à la faveur d’un flux ascendant, s’immobilisaient soudain, plumes vibrantes en équilibre sur le fond bleu du ciel, puis, l’aile inclinée, partaient en glissade avant de disparaître du cadre de la fenêtre, laissant le grand ciel profond sans solution.


. Pour l’heure, cette façon d’enfoncer supérieurement les portes ouvertes, c’est tout ce que vous avez trouvé pour faire passer que ces choses qui arrivent, eh bien, elles vous sont à vous arrivées, enfin pas directement à vous, sinon vous ne seriez pas là pour témoigner, mais à un proche, tellement proche, si peu démêlable de vous-même que vous laissez entendre qu’une partie de vous s’en est allée aussi. Et, bien que vous en repoussiez farouchement l’idée, c’est votre pauvre façon de quémander de la pitié.


. Comme s’il avait passé une vie de repérages dans l’intention de nous baliser le chemin.


. Mais en un clin d’œil le monde visible reprend ses droits : là-haut, aucun visage, nulle empreinte de sourire, pas même une échappée bleue dont le pays est avare et qui, sinon consolerait, du moins permettrait d’éviter cette sensation d’écrasement. Juste des nuages, des masses de nuages, sombres, bas, qui roulent à gros bouillons ou s’étirent comme du coton sale d’ouest en est, lourds des humeurs océanes, progressant par vagues sur plusieurs niveaux, à des vitesses différentes, si bien qu’ils semblent s’engager dans une course folle au-dessus des terres, comme s’ils n’avaient pas envie de s’y attarder, les strates supérieures et inférieures se désolidarisant parfois dans le choix de la direction, les unes optant pour l’orthodromie, les autres pour une route plus au nord, inlassable activité de fuyards, les hordes sauvages de l’Atlantique partant à la conquête du monde, et, la débandade est telle que des filets de brume se détachent des couches les plus basses, comme les éléments faibles, rejetés sur les flancs, d’un troupeau en mouvement, lambeaux de firmament mort qui pendent telles les voiles d’un vaisseau fantôme, flottent au vent, s’accrochent à la cime des arbres, s’effondrent dans le lointain.


. Pendant ce temps, en contrebas, la mer inlassablement lançait ses rouleaux contre les brise-lames de béton, agonisant sur la plage et se retirant dans un frémissement de coquillages pilés avant de revenir à la charge, jamais découragée, toujours grosse de fureurs contenues, le front blanc têtu de la vague partant à nouveau à l’assaut des galets, repoussant la frise d’algues, et marquée par l’effort se repliant sur ses arrières.


. La solitude n’a pas son pareil pour rendre les choses vaines.


. Ce qui signifie que dans ses pensées j’avais tenu, quelques heures, le rôle inespéré de l’espéré.


«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


D I S E R T(adjectif)

. qui parle avec facilité et élégance.

- éloquent.


E N C A L M I N É (adjectif)

. se dit d’un navire à voile immobilise par un temps calme, ou à l’abri.

Au prochain saut

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