lundi 4 juin 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (27)


Chapitre 63


À leur retour au Domaine du Rêve, trois couples, différents des équipes formées par Bob pour le voyage sur le pouce, étaient constitués: Annie et Rock ne se laissaient plus depuis le voyage dans la boîte du camion de monsieur McCrimmon et même un peu auparavant, lorsque Joe les avait quittés pour la rencontre au sommet avec le Maître. Mis à part les offres de cigarettes que la jeunne fille dirigeait vers le grand bien occupé avec son bébé raton laveur et cette cicatrice à l'avant-bras, les deux, sans se parler, profitaient d'une nouvelle présence pas du tout déplaisante.

Avant d'entrer dans sa tente, elle dit à Rock:
- Tu ne vas pas m'espionner, ce soir?
- Non, mais ...
- Mais quoi?
- Je veux te dire que j'ai hâte à demain.
- Et pourquoi?
- Pour te revoir.
- C'est gentil, Rock. Bonne nuit.

Rock laissant Annie alla s'asseoir sous un arbre, écoutait battre son coeur jusqu'au moment où il entendit marcher derrière lui. Annie revenait:
- Je vais fumer une dernière cigarette.
- Veux-tu que j'aille chercher Joe?
- Pourquoi?
- Pour que tu lui en offres une.
- Bien non, voyons.

Ils demeurèrent ainsi, longtemps sans rien dire, dans un silence rempli de mille paroles possibles. Le petit regardait la jeune fille, il la trouvait tellement belle. Jamais il n'aurait même imaginé qu'elle puises se retrouver assise auprès de lui, si près que leurs coudes se touchaient.

- Là c'est vrai, je vais me coucher.
- Bonne nuit, Annie.
Elle s'approcha de lui, l'embrassa. Rock en eut la souffle coupé.

Plus loin, le deuxième couple se retrouvait, encore en grande conversation. La déception tout à fait perceptible sur le visage de Bob, Mario la respectait. La déconfiture du camp sauvage et à un autre niveau, les révélations de Caro sur l'attitude de leur père envers elle, c'en était beaucoup trop pour ce chef qui avait perdu tous ses galons. Il écrivait sur le sable, avec une longue branche, des mots que tout de suite après il effaçait.

- Tu ne devrais pas réagir comme ça.
- Et je devrais réagir comment, tu penses? J'ai foutu la merde dans notre projet; j'ai été incapable de saisir ce qui nous arrivait; je n'ai jamais vu ce qui se passait à la maison... tout ça parce que j'étais enveloppé par-dessus la tête avec mes propres affaires. Ce qui se passe autour de moi, c'est trop loin...
- Bob, ce projet c'était la moitié de ta vie comme Raccoon pour Joe, la même affaire.
- On dirait que ce que je pense, il faut absolument que ça se déroule de même dans la vraie vie. Il n'y a pas de place pour l'erreur ou l'imprévu. Tout doit être super organisé, au quart de tour.
- Et quand ça s'écrase...
- ... je m'écrase avec. C'est simple. Je me croyais un bon chef... Celui qui peut conduire les autres... Je me rends compte que je ne peux même pas me conduite moi-même...
- Tu t'en rends compte, c'est très bien.
- Un peu tard... J'ai failli faire mourir tout le monde avec mes étourderies...
- Et si tout ça, c'était l'effet de ton imagination?
- Tu ris de moi, Mario.
- Non, absolument pas. Si tu te fiais à ton imagination et à ton intuition, peut-être que ...
- ... que je serais heureux?
- Ça c'est l'affaire de chacun.

Lorsque la conversation bifurquait soit côté bonheur ou côté malheur, Mario se sentait comme pris, cherchait un moyen élégant de parler d'autre chose. Bob ne s'en était pas rendu compte - un jour peut-être, entrera-t-il en contact avec l'empathie, mais pour le moment ça ne lui était pas encore possible - regardait le firmament comme à la recherche d'une idée, d'un projet ou d'un rêve dans lequel il redeviendrait ce chef qu'il souhaitait véritablement être.
- Bonne nuit.
- Merci, Mario, pour tout ce que tu as fait.

Ce dernier se leva, prit la route de sa tente, celle des Villeneuve qu'une certaine magie avait réparée. Rock n'étant pas encore entré, il décida de marcher un peu. Il n'a jamais aimé se coucher le premier et surtout, il s'endort toujours si tard.

Mario évita de croiser Caro et Joe - couple numéro trois - immobiles tout près de la grosse roche d'où Raccoon était apparue, il y avait trois jours déjà.

- Connais-tu la chanson de Marjo qui parle des chats sauvages?
- À part Ozzie, j'connais pas grand chose.
- Je trouve qu'elle vous va très bien, à Raccoon et toi.

Caro fredonna la chanson. Elle disait qu'il ne faut pas apprivoiser, qu'il ne faut pas emprisonner les chats sauvages. Des mots qui allèrent directement au coeur de ce maître, cette mère ou ce frère... Il y avait quelques instants à peine, Raccoon avait retrouvé son chemin une fois revenue à cet endroit où Joe l'avait ramassée. Elle avait grimpé sur la roche, s'était retournée vers le grand, puis, lentement, au ralenti comme un rêve s'évanouit au bout de nos bras balafrés, elle prit le bois, cette porte qui la ramenait chez elle.

Le cri de Joe fut tellement fort que les voisins avertirent monsieur Gagnon qui accourut aussi vite qu'il le pouvait, mais le bébé raton laveur, Raccoon pour les intimes, avait choisi son destin, celui de l'animal sauvage.

Caro sentait l'immense malheur qui habitait Joe:
- Avoir su qu'ça finira d'même, j'aura jama dû la sortir d'sa maison.
- Non, Joe. Tu ne sais pas ce que tu dis. On n'a pas le droit de garder ce qui ne veut pas rester, encore moins le prendre de force. La liberté, c'est ce qu'il y a de plus important.
- Libre pis tu seul...
- Libre avant tout de choisir ce qui est bon pour soi.

Caro passa son bras autour des épaules du grand qui se sentit tout à coup tellement petit, tellement seul, alors que le raton laveur l'avait abandonné.

- Moé j'voula pas la lâcher. Pourquoi qu'à m'a lâché?
- Depuis le début, elle préparait son départ. Tu ne dois pas lui reprocher de vouloir te ressembler.
- Comment?
- Libre, Joe. Libre de retrouver ce qui la fera grandir. Ce n'est pas accroché dans les bras de quelqu'un que l'on apprend qui on doit être.
- Y a ton nom, Caro, dans celui de Raccoon.
- T'es gentil, Joe. C'est quoi cette blessure à ton bras?
- Oh! rien... rien... une égratignure...

Les deux repartirent vers les tentes, se tenant par la main. Ils remarquèrent Mario marchant vers il ne savait où. Il sera le dernier à revenir à l'emplacement.

Tout près d'une tente-roulotte, il découvrit une pièce monnaie par terre. À l'endos, un aigle à deux têtes avec des griffes gigantesques portant des objets pouvant ressembler à des outils. Un ruban sur lequel, une fois revenu chez lui, il lira avec sa loupe: stryling vo lin pouf. Cette nuit-là, Mario s'endormit plus tard qu'à l'habitude...
F I N



Aucun commentaire:

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...