mercredi 1 mars 2006

Le centième saut de crapaud

Louise


Oui, oui, je le sais Louise. Tu n’aimes pas qu’on te dise des choses qui viennent du cœur, préférant les idées, les débats, les échanges musclées desquels émerge l’action.

Tu n’aimes pas recevoir, préférant donner. Même pas prêter, trop simple. Incomplet. Ce qui est à toi appartient aussi aux autres.


Et ce café du matin, essentiel,
celui qui démarre ta journée,
que tu fais dans la quiétude de ton repère
que les papiers et cette odeur du travail emplissent,
Ti-Guidou à côté de toi…


Je sais, Louise, que tu n’aimes pas les entendre tous ces mots que je pourrais utiliser afin de dire combien ta présence est remplissante de spontanéité, de vigueur et d'une si formidable chaleur, alors je te les écris.

Important encore de te les écrire aujourd’hui, 1er mars, journée de ton anniversaire, ces mots qui me viennent avec autant de facilité que de vivre près de toi est une chance que je savoure depuis que j’ai appris à mieux te connaître.

Être ton frère, je le suis depuis un bon moment ; être ton ami, je dois l’avouer, remonte presqu’au début de ma retraite. Nous nous sommes véritablement connus quelques mois après le décès tragique de Monique Wittig, cette admirable auteure pour moi, cette profonde référence pour toi, davantage même.

Tu me l’as offerte par ses bouquins, avec cette pudeur qui te caractérise si bien, je m’en souviens encore, en disant que je devais me faire moi-même une opinion. Tu n’as pas orienté ma lecture, tu l’as plutôt clarifiée et précisée. J’y ai découvert une plume tout simplement admirable, un talent génial et une penseuse hors du commun.

Mais tu sais, Louise, tu réussis à te cacher derrière des textes alors que d’une certaine façon tu en fais partie. Lire Monique Wittig m’aura permis, sans avoir tout saisi - je n’ai pas cette intelligence globalisante que tu possèdes - de découvrir une manière nouvelle d’écrire mais principalement, une autre voie dans la pensée.

Je collectionne dans des cahiers que j’appelle mes « cahiers de lecture » des mots, des phrases, des idées provenant d’auteur(e)s que je croise par le biais du livre. De Monique, je te signale quelques substantifs magnifiques dont je ne connaissais même pas l’existence : « déprécation », « pogrome », « blet/blette », le gigantesque « opoponax », et « buccin».

Cette majestueuse phrase : « On dit à ma soeur, il revient quand, il ne revient pas, mais quand, jamais, alors il est mort, non il n’est pas mort, et où c’est qu’on met les gens qui sont morts, dans un trou, mais ils vont au ciel ?»

Ton engagement total et indéfectible envers son œuvre, comme il ressemble à tout ce que tu entreprends. À mener jusqu’au bout… et un peu plus loin encore.


Et ce vin français,
Beaujolais de nom,
que tu aimes encore plus
lorsqu’il se boit en agréable compagnie,
osera-t-il un jour s’italianiser?


Louise, c’est aujourd’hui le mois de mars, à une semaine de la Journée des femmes que tu te plais à décrier, refusant que l’on enferme la femme dans une boîte à cadeau, qu’on se plaise à lui fermer la gueule au lendemain de ces vingt-quatre heures dont on l’aura artificiellement fardée pour se donner bonne conscience.

Car de la conscience, tu en as. Non pas de celle qui apaise, de celle qui hurle, de celle qui scrute et trouve dans les gestes autant politiques, publics et privés les faussetés et les mensonges. Et tu te lèves, entièrement deboute, le ton haut, vociférant de toutes tes fibres que la vérité est maîtresse et n’a rien à cirer avec la flagornerie.

Tu entraînes avec toi, tu tires et tu déplaces dans le seul but de clarifier. Les choses doivent être claires, assumantes. Les demi-mesures sont des mesures vides. Et le vide est une forme stérile, une absence de la pensée. Exactement là où tu refuses de loger.


Et ces repas,
copieux faut-il le souligner,
comme tu aimes qu’ils soient partagés
dans des circonstances idéales,
celles que tu réussis toujours à rendre...


Louise, ma sœur, mon amie, je veux te remercier d’être près de moi.
J’achèverai par un clin d’œil de Monique :
« Je suis celle qui a le secret de ton nom. Je retiens ses syllabes derrière ma bouche fermée alors même que je voudrais les crier au-dessus de la mer pour qu’elles y tombent s’y engouffrent sombrent. »

Je t’aime… et des poussières,

Jean



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