vendredi 4 octobre 2024

Amos OZ

 

Amos Oz







Amos Oz est le nom de plume d’Amos Klausner né à Jérusalem (1939-2008), poète, romancier et essayiste israélien.
 
Professeur de littérature à l’Université Ben Gourion de Beer-Sheva, il est le cofondateur du mouvement La Paix maintenant  et un fervent partisan de la solution d’un double État au conflit israélo-palestinien.
 
C’est dans ce cadre - un possible embrasement au Proche-Orient - que je me suis retourné vers lui afin de mieux saisir les tenants et les aboutissants d’une telle situation.
 
De son livre LES DEUX MORTS DE MA GRAND-MÈRE, un essai publié en 1995, j’ai retiré quelques citations que je vous propose maintenant afin d’alimenter la réflexion à partir des mots de cet apôtre de la paix.

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.    Parlant de la Shoah -
C’est la distorsion du langage qui  a mené à ce meurtre-là. Des générations avant la naissance de Hitler, les auteurs de massacres savaient déjà qu’il faut corrompre les mots avant de corrompre ceux qui les emploient, afin de rendre les gens capables d’assassiner en guise de purification, de nettoyage, de guérison. L’individu qui appelle son ennemi ‘’animal’’, ‘’parasite’’, ‘’pou’’, ‘’bête de proie’’ ou ‘’microbe’’ forme des criminels.
 
.    Nous devons traiter les mots comme des grenades.
 
.   Comment pouvons-nous bénéficier du passé? Que peut encore Auschwitz pour les vivants, en dehors de leur inspirer l’horreur, le chagrin et le silence? Peut-être, entre autres choses, peut-il nous faire prendre conscience sans délai de l’existence du mal. Le mal n’existe pas seulement comme les accidents; ce n’est pas un phénomène social ou bureaucratique impersonnel et sans visage, ni un dinosaure empaillé dans un musée.  Le mal est une option toujours présente, autour de nous et en nous. Les horreurs du préjugé et de la cruauté ne sont pas simplement le résultat de l’affrontement perpétuel entre l’homme de la rue, doux et simple, et le monstrueux establishment politique. Souvent, l’homme de la rue n’est ni doux ni simple. Les sociétés relativement convenables se heurtent constamment à d’autres, qui ont du sang dans les mains. Pour être plus précis, nous devons nous soucier de la fréquente lâcheté d’individus et de sociétés ‘’décents’’ chaque fois qu’ils doivent se mesurer aux oppresseurs impitoyables. Bref, le mal n’est pas ‘’à notre porte’’, il rôde en chacun de nous, parfois habilement déguisé par l’idéalisme et la piété religieuse.
 
. Comment peut-on être humain, c’est-à-dire sceptique, capable d’ambivalence morale, et essayer en même temps de combattre le mal? Comment résister au fanatisme sans devenir soi-même fanatique? Comment combattre pour une noble cause sans devenir un combattant? Comment lutter contre la cruauté sans se laisser contaminer? Comment utiliser l’histoire sans éviter les effets toxiques d’une surdose d’histoire? Il y a quelques années, à Vienne, j’ai vu dans la rue une manifestation d’un groupe d’écologistes, qui protestaient contre les expériences scientifiques sur les cochons d’Inde. Ils portaient des pancartes avec l’image de Jésus entouré de cochons d’Inde martyrisés. Leur slogan était :’’Il les aimait aussi.’’
Peut-être bien, mais certains d’entre eux m’ont paru capables, un jour ou l’autre,    d’abattre des otages pour mettre fin aux souffrances de ces animaux. Le syndrome de l’idéalisme farouche, ou du fanatisme anti-fanatique, doit inspirer de la vigilance aux personnes bien intentionnées, ici, ailleurs, et partout. En tant que conteur et activiste politique, je garde constamment présente à l’esprit l’idée qu’il est assez facile de distinguer le bien du mal. Le véritable défi consiste à identifier différentes nuances de gris; à calibrer le mal et à s’efforcer d’en définir les grandes lignes; à différencier le mal du pire.

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J’achèverai ce billet avec un texte poétique d’Amos Oz tiré de LA TROISIÈME SPHÈRE qui date de 1994, à lire avec en tête la même intention que le précédent.
 
 
Il faut résister à la tentation idiote de croire que l’Histoire finit toujours par punir les méchants.

Cessons de nous comporter comme des enfants et apprenons enfin à gérer une situation provisoire, susceptible de durer encore des années. Les causes réelles de notre impuissance politique ne sont-elles pas à chercher dans notre inaptitude mentale à vivre à long terme, dans notre propension à faire immédiatement le tour de la question en anticipant l’avenir?
 
Existe-t-il une fraction de seconde, un laps de temps infinitésimal où se manifeste l’illumination? La lumière primordiale? Où l’obscurité se déchire et où  ce qui a toujours été opaque et inexplicable s’éclaircit subitement? Où le mot de l’énigme qu’on cherchait laborieusement depuis des années se révèle, sans crier gare, d’une extrême simplicité?
 
Il avait l’impression que ces trois jeunes filles, ainsi que les femmes qu’il avait rencontrées auparavant, y compris sa mère, morte quand il avait dix ans, n’en formaient plus qu’une. Non qu’à ses yeux toutes les femmes fussent identiques, mais en proie à l’illumination intérieure qui l’animait il lui semblait parfois qu’il n’y avait plus aucune différence entre les individus – hommes, femmes ou enfants – sinon, peut-être, sur un plan purement superficiel et éphémère : comme l’eau se transforme en neige, en vapeur, en buée, en glace, en nuage ou en grêle. Ou telles les cloches des monastères ou des églises de campagne qui, tout en possédant un timbre et une résonance propres, ont une finalité identique.
 
Son père avait peut-être raison, finalement :il n’y a pas de carte universelle. Elle n’existe ni n’existera jamais. D’une façon ou d’une autre, chacun doit se repérer dans la forêt en s’aidant des lambeaux de cartes imprécises, quand elles ne sont pas fausses, qu’il les ait reçues en naissant ou qu’il les ait trouvées en route. Bref, tout le monde se trompe. On tourne en rond. On passe du coq à l’âne. On se rencontre par hasard pour se perdre dans le noir, à jamais privé de la plus petite étincelle de lumière.
 
Celui que Dieu a oublié n’est pas perdu pour autant. Au contraire. Il se sent peut-être léger et libre comme un lézard dans le désert. Ce n’est pas l’oubli qui pose problème, c’est la résignation. De la volonté, des regrets, des souvenirs, du désir charnel, de la curiosité, de l’enthousiasme, de la joie, de la générosité, plus rien ne reste. L’âme s’amenuise, tel le vent qui s’apaise sur les collines. La douleur diminue au fil des ans, et avec elle les signes de la vie. Les choses élémentaires, simples, paisibles, celles qu’un enfant contemple avec une stupeur fascinée, les saisons qui passent, un chat qui se faufile dans la cour, une porte en train de tourner sur ses gonds, le cycle de l’éclosion et du flétrissement, la maturation d’un fruit, le bruissement des pins, une colonne de fourmis sur le balcon, le jeu de la lumière dans les vallées et sur les flancs des collines, le halo cernant la lune pâle, une toile d’araignée scintillante de rosée au petit matin, le miracle de la respiration, de la parole, du crépuscule, l’eau qui bout ou qui gèle, un rayon de soleil qui se reflète sur un morceau de verre l’après-midi, voilà les choses que nous avons perdues. Elles ne reviendront pas. Ou, pire, si elles reviennent en clignotant de loin en loin dans notre direction, l’émotion originelle, elle, aura disparu à jamais. Tout s’altère et se brouille. La vie se couvre d’une pellicule de suie …
 
Dans un siècle, vivront ici d’autres hommes, très différents de nous. Des gens raisonnables et réfléchis, qui considéreront nos souffrances d’un œil surpris, circonspect, voire gêné. En attendant, on nous a installés à Jérusalem pour nous en confier la garde. Tâche que nous accomplissons dans la violence, l’obscurantisme et l’injustice. Nous nous humilions les uns les autres, nous nous insultons, nous nous maltraitons, non par méchanceté mais par indolence et pusillanimité. Nous recherchons le bien et faisons le mal. Nous voulons soulager les souffrances et nous les envenimons. Nous rajoutons à la détresse à force de raisonner.
 
« Espèce d’imbécile! Vous n’avez pas encore compris que votre crime est votre châtiment. »



PS:                     

Puis-je espérer que le 7 octobre prochain, date fatidique s'il en est une, sera plus celle d'un espoir de paix que celle d'une recrudescence de la violence ? 

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