Annie Poulin
Chapitre 10
La noirceur était tombée depuis un bon moment alors que le groupe se laissa. Comme il est agréable de se sentir en vacances! De savoir que rien ne vous attend! C'est beaucoup dans cet état d'esprit que les Six profitaient de leur première soirée de «liberté».
Rock, lentement, suivait son ombre se profilant à côté de lui. Il la suivait des yeux et se demandait ce que pouvait bien ressentir un géant... sans doute ce qu'il ne sera jamais. Le seul fait d'avoir à rentrer chez lui le rendait nerveux. Il aurait souhaité de pas devoir le faire. Penser que sa mère sera là, le regardera et, sans rien dire lui fera sentir combien elle est malheureuse, ça multipliait son anxiété. Il pressa le pas afin de rejoindre Bob. Au loin, on entendit crier une sirène:
- Une ambulance, dit Rock.
- Ou la police, rétorqua Bob.
- Une ambulance, dit Rock.
- Ou la police, rétorqua Bob.
Entendant ce mot, Joe se mit à regarder autour de lui. Ses yeux n'étaient pas assez grands pour tout voir.
- Ça t'énerve la police, lui dit Mario avec un air moqueur.
- Autant que de t'entendre respirer Ti-Cote.
- Je ne comprends pas pourquoi, Joe, tu réussis toujours à faire grimper le monde, coupa Bob.
- Cé naturel chef, quand chu venu au monde l'docteur m'a opéré pis cé ça qu'ça donné.
- T'as été opéré quand tu étais bébé, interrogea Annie. Pauvre Joe, on dirait que tous les malheurs te sont tombés sur le dos.
- C'est tellement triste, dit Mario, dévisageant Annie pour lui faire comprendre qu'encore une fois elle venait de se faire prendre avec les farces de Joe.
Le bruit de sirène devint un petit écho sonore. Le parc se retrouva loin derrière eux et en passant devant le bar laitier, Caro s'y arrêta pour annoncer à Pit qu'elle ne travaillerait pas de la semaine.
- Ça t'énerve la police, lui dit Mario avec un air moqueur.
- Autant que de t'entendre respirer Ti-Cote.
- Je ne comprends pas pourquoi, Joe, tu réussis toujours à faire grimper le monde, coupa Bob.
- Cé naturel chef, quand chu venu au monde l'docteur m'a opéré pis cé ça qu'ça donné.
- T'as été opéré quand tu étais bébé, interrogea Annie. Pauvre Joe, on dirait que tous les malheurs te sont tombés sur le dos.
- C'est tellement triste, dit Mario, dévisageant Annie pour lui faire comprendre qu'encore une fois elle venait de se faire prendre avec les farces de Joe.
Le bruit de sirène devint un petit écho sonore. Le parc se retrouva loin derrière eux et en passant devant le bar laitier, Caro s'y arrêta pour annoncer à Pit qu'elle ne travaillerait pas de la semaine.
- Il va être en beau maudit, prévut Caro avant d'entrer. Vous ne pouvez pas imaginer une seconde comment il déteste son restautant. Pas une journée ne se passe sans qu'il dise qu'il va le vendre, que ça ne marche pas. Toujours le même discours, j'en ai les oreilles enflées.
- On y va nous autres aussi, avait ajouté Joe. On pourra prendre une p'tite bière d'épinette ben frette pour fêter les vacances.
- On y va nous autres aussi, avait ajouté Joe. On pourra prendre une p'tite bière d'épinette ben frette pour fêter les vacances.
Mais Rock détourna la conversation et l'invitation de Joe, en annonçant qu'il devait entrer, même s'il n'en avait pas le goût.
- Meman attend son tout petit garçon, acheva Joe qui partit à courir évitant d'être apostrophé par Bob ou Mario. Annie le suivit après lui avoir crié de l'attendre. Joe ralentit et se retourna vers elle.
- Meman attend son tout petit garçon, acheva Joe qui partit à courir évitant d'être apostrophé par Bob ou Mario. Annie le suivit après lui avoir crié de l'attendre. Joe ralentit et se retourna vers elle.
Mario synchronisa sa marche à celle de Bob qui semblait soucieux. C'était toujours ainsi lorsqu'incertain que les choses aillent comme il le souhaitait. Relaxer et Bob: deux opposés. Voilà peut-être pourquoi la boxe est un sport qu'il pratique non par goût mais pour se défouler. Sans être physiquement fort, il est toutefois rusé. Durant ses combats, sa défensive est très habile, ce qui lui évite la démolition.
- Ça s'annonce super, lui dit Mario.
- You're reason!
- Saint citron que j'haïs ça quand tu parles anglais. Personne ne comprend. Tu pourrais nous envoyer promener au bout du monde qu'on ne le saurait même pas.
- Prends pas les nerfs. Moi, parler anglais c'est comme si je me retrouvais au Nouveau-Brunswick. Tu ne peux pas savoir comment c'était là-bas! Pas du tout comme ici. Jamais on aurait accepté de filles dans une gang. C'était quasiment secret. Nos activités étaient privées et personne d'autres que ceux de la gang ne pouvaient savoir.
- Pourquoi pas de filles? relança un Mario en complet désaccord avec cette idée.
- Tu sais que dans la ville où on vivait, c'est pas du tout comme à Rodon Pond; pour une fille il y avait quatre garçons. Pour éviter les chicanes, les filles restaient entre elles et la même chose pour les gars.
- C'est l'fun pour les veillées?
- Ça c'est pas pareil. Quand il y avait des veillées, les gangs n'existaient plus. Tu pouvais inviter qui tu voulais et je te jure que des batailles pour les filles, c'est là que ça se passait.
- C'est difficile de déménager? Ça faisait combien de temps que vous restiez à votre ancienne place?
- Annie et moi, on est nés là.
- Et Caro?
- Caro, c'est pas la même chose.
- Pourquoi? On sentait la curiosité chez Mario.
- Mes parents l'ont adoptée à l'âge de 3 ans.
- Je ne le savais pas.
- C'est pas grave, continua Bob. Oui, c'est dur de déménager quand toutes tes activités sont déjà organisées. Prends juste les scouts, c'est pas du tout la même manière là-bas. Pas mal plus bébé, ici. Pas les mêmes âges non plus. Le plus difficile, c'est que mes parents n'aiment pas tellement notre nouvelle ville. Mon père a à peu près le même travail, mais ma mère c'est différent.
- Comment ça?
- Elle a beaucoup plus de responsabilités maintenant et elle est moins à la maison. Mon père, c'est carrément du 9 à 5. Jamais d'heures supplémentaires. Toujours la même routine.
- Pour Caro, comment c'est?
- Qu'est-ce que tu veux dire, Ti-Cote.
- Ben, je veux dire d'être...
- ... d'être quoi?
- Adoptée?
- Tu n'as qu'à lui en parler; c'est pas moi qui peut dire comment elle vit cela.
- You're reason!
- Saint citron que j'haïs ça quand tu parles anglais. Personne ne comprend. Tu pourrais nous envoyer promener au bout du monde qu'on ne le saurait même pas.
- Prends pas les nerfs. Moi, parler anglais c'est comme si je me retrouvais au Nouveau-Brunswick. Tu ne peux pas savoir comment c'était là-bas! Pas du tout comme ici. Jamais on aurait accepté de filles dans une gang. C'était quasiment secret. Nos activités étaient privées et personne d'autres que ceux de la gang ne pouvaient savoir.
- Pourquoi pas de filles? relança un Mario en complet désaccord avec cette idée.
- Tu sais que dans la ville où on vivait, c'est pas du tout comme à Rodon Pond; pour une fille il y avait quatre garçons. Pour éviter les chicanes, les filles restaient entre elles et la même chose pour les gars.
- C'est l'fun pour les veillées?
- Ça c'est pas pareil. Quand il y avait des veillées, les gangs n'existaient plus. Tu pouvais inviter qui tu voulais et je te jure que des batailles pour les filles, c'est là que ça se passait.
- C'est difficile de déménager? Ça faisait combien de temps que vous restiez à votre ancienne place?
- Annie et moi, on est nés là.
- Et Caro?
- Caro, c'est pas la même chose.
- Pourquoi? On sentait la curiosité chez Mario.
- Mes parents l'ont adoptée à l'âge de 3 ans.
- Je ne le savais pas.
- C'est pas grave, continua Bob. Oui, c'est dur de déménager quand toutes tes activités sont déjà organisées. Prends juste les scouts, c'est pas du tout la même manière là-bas. Pas mal plus bébé, ici. Pas les mêmes âges non plus. Le plus difficile, c'est que mes parents n'aiment pas tellement notre nouvelle ville. Mon père a à peu près le même travail, mais ma mère c'est différent.
- Comment ça?
- Elle a beaucoup plus de responsabilités maintenant et elle est moins à la maison. Mon père, c'est carrément du 9 à 5. Jamais d'heures supplémentaires. Toujours la même routine.
- Pour Caro, comment c'est?
- Qu'est-ce que tu veux dire, Ti-Cote.
- Ben, je veux dire d'être...
- ... d'être quoi?
- Adoptée?
- Tu n'as qu'à lui en parler; c'est pas moi qui peut dire comment elle vit cela.
Mario paraissait songeur, lui d'habitude si enjoué. C'est vrai que depuis le soir de la fin d'août, le soir des journaux passés avec Rock, celui de la rencontre avec les Poulin, les choses ont bien changé pour lui. Ses parents ne se sont jamais vraiment occupés de lui. Sa mère fait partie d'un groupe de bénévoles et est toujours partie donner un coup de main à celui-ci ou celle-là. N'étant presque jamais à la maison, elle souhaitait que Mario donne de sérieux coups de main pour l'entretien de la maison et autour. Au début, tout cela le fatiguait pas mal mais à la longue il apprit qu'en faisant ce qu'on lui demandait sans rouspéter, presqu'avec le sourire, on lui donnait tout ce qu'il voulait, sauf du temps.
C'est dans la rue et beaucoup avec Rock qu'il a grandi sans trop en vouloir à ses parents. Son père est un sportif... à sa manière. Il ne manque jamais un match de hockey ou de baseball... à la télévision. Il suit tous les tournois qui ont lieu dans la région à titre de président de l'Association des Collectionneurs de «Pins» du Québec. Il faut le voir quand il se présente aux tournois avec son chapeau rempli de «pins». Il porte aussi une veste pleine de «pins» qui doit sûrement peser trente kilos.
Mario se souvient que son père aurait toujours souhaité qu'il joue au hockey dans des équipes organisées, mais lui n'a jamais été intéressé, voulant faire plus qu'une seule activité. C'est sans doute de son père qu'il tient le goût des collections. Le vieil argent étant pour lui une véritable passion comme les «pins» chez son père.
- Je trouve ça dur de parler à Caro, reprit Mario.
- Pourquoi? interrogea Bob.
- Je sais pas.
- Tu le sauras peut-être un jour, en attendant il va falloir que tu te concentres sur les préparatifs du camp sauvage.
- Je me sauve. Dis aux autres que je ne vais pas au bar laitier. Salut, Bob.
- Salut, Mario.
- Pourquoi? interrogea Bob.
- Je sais pas.
- Tu le sauras peut-être un jour, en attendant il va falloir que tu te concentres sur les préparatifs du camp sauvage.
- Je me sauve. Dis aux autres que je ne vais pas au bar laitier. Salut, Bob.
- Salut, Mario.
Bob se mit à courir afin de rejoindre Annie et Joe qui arrivaient chez Pit.
Chapitre 11
Le bar laitier était ouvert à l'année, voilà sans doute sa principale caractéristique. On pourrait dire aussi que les lumières sont ouvertes à l'année de sorte qu'il y en avait toujours une ou deux qui ne fonctionnaient plus. La grande vitrine, sur laquelle se détachaient les mots Chez Pit, était toujours sale comme si les gens qui passaient devant s'amusaient à y mettre leurs mains pour regarder à l'intérieur si quelqu'un, par hasard, s'y trouvait.
À part la gang des Six - beaucoup parce que Caro y travaillait occasionnellement - pas beaucoup d'autres clients. Son propriétaire, un bonhomme tellement désagréable chialant après tout le monde, se demandait comment il se faisait que son commerce ne fonctionnait pas.
- Salut Pit, lui dit Caro en entrant, se doutant bien que les autres allaient suivre dans pas grand temps. Ce qui, en effet, ne tarda pas car quelques minutes après, Pit, de son air découragé, laissa tomber:
- Non, c'est pas vrai, pas encore cet espèce de grand efflanqué qui vient salir mes cendriers. Sa voix de tonneau résonna dans la place vide.
- Ben oui mon cher monsieur Pit du bar laitier ouvert à l'année, c'est le fort aimable et combien charmant Joe Belleau, le tombeur de femmes et surtout, surtout... le plus grand buveur de bière d'épinette frette d'la ville... pour vous nuire, énonça de manière presque théâtrale un Joe se dirigeant vers l'endroit habituel.
- Non, c'est pas vrai, pas encore cet espèce de grand efflanqué qui vient salir mes cendriers. Sa voix de tonneau résonna dans la place vide.
- Ben oui mon cher monsieur Pit du bar laitier ouvert à l'année, c'est le fort aimable et combien charmant Joe Belleau, le tombeur de femmes et surtout, surtout... le plus grand buveur de bière d'épinette frette d'la ville... pour vous nuire, énonça de manière presque théâtrale un Joe se dirigeant vers l'endroit habituel.
Annie se mit à courir pour réussir à s'asseoir à côté de lui qui fit partir le cendrier d'une pichenotte bien placée.
- Pit, je suis venue te dire que je ne pourrai pas travailler en fin de semaine; je pars en vacances avec mes amis, annonça Caro accoudée au comptoir du restaurtant sali par des traces de ketcup et de sel.
- Et c'est moi-même qui devrai trouver une remplaçante, j'imagine.
- Je vais m'en occuper, Pit, autrement je ne suis pas certaine que...
- Compte pas sur moé, lui lança Joe, les jambes allongées sur la chaise en face de lui et une Annie presqu'enroulée autour de son cou.
- Pit, je suis venue te dire que je ne pourrai pas travailler en fin de semaine; je pars en vacances avec mes amis, annonça Caro accoudée au comptoir du restaurtant sali par des traces de ketcup et de sel.
- Et c'est moi-même qui devrai trouver une remplaçante, j'imagine.
- Je vais m'en occuper, Pit, autrement je ne suis pas certaine que...
- Compte pas sur moé, lui lança Joe, les jambes allongées sur la chaise en face de lui et une Annie presqu'enroulée autour de son cou.
Pendant que les paroles allaient et venaient entre Joe et Pit, s'arrêtant quelques secondes à Caro, Bob entra et commanda une bière d'épinette.
- Le juke-box, interrogea Joe, c'est pas pour c't'été, mon Pit?
- Jamais le grand, tu vas venir me casser les oreilles avec ta musique électrique ou je sais pas quoi.
- Du Ozzie mon Pit, ça te décrasserait les oreilles, dangereux!!!
- Jamais le grand, tu vas venir me casser les oreilles avec ta musique électrique ou je sais pas quoi.
- Du Ozzie mon Pit, ça te décrasserait les oreilles, dangereux!!!
Annie pleurait de rire à voir Pit tenter d'avoir le dernier mot avec Joe: peine perdue. Dans le fond, Pit, malgré sa continuelle face de boeuf, une fois les jeunes assis à leur continuelle même table, leurs bouteilles et parfois une grosse frite, il les laissait jaser. Il interdisait toute fois à Caro de les rejoindre lorsqu'elle portait le tablier du bar laitier. Il exigeait d'elle qu'elle soit derrière le comptoir ou bien encore à promener la vadrouille.
- Cré Pit, continua Joe, on dirait que lorsqu'on vient, y se demande pourquoi y a ouvert son foutu bar laitier. Il devrait être vidangeur, ça lui irait mieux.
Caro ayant achevé sa conversation avec Pit, revint vers le fond de la salle, sa paye à la main.
- Bonne paye, Caro?
- Tu sais, Joe, je travaille seulement pour me dire que la vie n'est pas toute gagnée d'avance ou toute faite par les autres.
- J'comprendrai jamais comment vous faites pour parler de même, reprit Joe tout en calant d'un seul coup la moitié de sa bouteille et lâchant vers Pit un cri qui faillit l'ébouillanter dans son eau de vaisselle, une grosse frite, mon Pit.
- Mon huile est frette, pas de frites le grand, répondit Pit avec l'impression d'avoir clouer le bec à Joe.
- Très bien, très bien monsieur Pit. La prochaine fois on ira prendre un verre ailleurs et vous serez tu seul dans vot' bar à souffrir de pas toute nous voir, lança Joe avec un air qu'il voulait malheureux. S'tu ben dit, ça?
- Quelle heure?, demanda Bob.
- Onze heures, mais ce n'est pas encore le temps d'entrer, poussa Annie en même temps que sa bouteille vers Joe ainsi qu'une cigarette comme pour ne pas partir tout de suite.
- Dans cinq minutes, reprit Bob. Demain est une journée chargée. J'aimerais que toi et Caro pensiez à la bouffe pour la semaine.
- C'est ça, nous les filles, c'est à la bouffe qu'on nous occupe, s'offusqua Annie.
- Ben oui, dit Joe. À part ça, cé bon à quoi les filles?
- Y a-t-il des choses que t'aimerais manger, Joe? s'enquit Annie, les yeux roulant sur eux-mêmes.
- Tu sais moé, j'mange toujours la même chose: sandwich à n'importe quoi ou ben des hot dogs ou des hamburgers. Tu mélanges tout ça, pis cé ben correct.
- Sérieux Joe?, relança une Annie qui ne savait plus s'il s'amusait d'elle.
- Annie, nous verrons cela demain. Caro ajouta que sa journée d'olympiades l'avait fatiguée et qu'elle souhaitait rentrer maintenant.
Les quatre saluèrent Pit, chacun à sa manière. Une fois sortis, en une fraction de seconde, les lumières du bar laitier ouvert à l'année s'éteignirent.
- Bonne paye, Caro?
- Tu sais, Joe, je travaille seulement pour me dire que la vie n'est pas toute gagnée d'avance ou toute faite par les autres.
- J'comprendrai jamais comment vous faites pour parler de même, reprit Joe tout en calant d'un seul coup la moitié de sa bouteille et lâchant vers Pit un cri qui faillit l'ébouillanter dans son eau de vaisselle, une grosse frite, mon Pit.
- Mon huile est frette, pas de frites le grand, répondit Pit avec l'impression d'avoir clouer le bec à Joe.
- Très bien, très bien monsieur Pit. La prochaine fois on ira prendre un verre ailleurs et vous serez tu seul dans vot' bar à souffrir de pas toute nous voir, lança Joe avec un air qu'il voulait malheureux. S'tu ben dit, ça?
- Quelle heure?, demanda Bob.
- Onze heures, mais ce n'est pas encore le temps d'entrer, poussa Annie en même temps que sa bouteille vers Joe ainsi qu'une cigarette comme pour ne pas partir tout de suite.
- Dans cinq minutes, reprit Bob. Demain est une journée chargée. J'aimerais que toi et Caro pensiez à la bouffe pour la semaine.
- C'est ça, nous les filles, c'est à la bouffe qu'on nous occupe, s'offusqua Annie.
- Ben oui, dit Joe. À part ça, cé bon à quoi les filles?
- Y a-t-il des choses que t'aimerais manger, Joe? s'enquit Annie, les yeux roulant sur eux-mêmes.
- Tu sais moé, j'mange toujours la même chose: sandwich à n'importe quoi ou ben des hot dogs ou des hamburgers. Tu mélanges tout ça, pis cé ben correct.
- Sérieux Joe?, relança une Annie qui ne savait plus s'il s'amusait d'elle.
- Annie, nous verrons cela demain. Caro ajouta que sa journée d'olympiades l'avait fatiguée et qu'elle souhaitait rentrer maintenant.
Les quatre saluèrent Pit, chacun à sa manière. Une fois sortis, en une fraction de seconde, les lumières du bar laitier ouvert à l'année s'éteignirent.
Il faisait très doux. Joe, déambulant à côté de Bob, les suivait sans trop s'en rendre compte. Il aimait cette rue. Surtout la magnifique maison des Poulin. Les lampadaires faisaient des trous de lumière sur les trottoirs et l'air de cette nuit d'été, parmi les premières, sentait bon. Caro respirait à pleins poumons comme pour se charger d'énergie.
- Salut, leur lança Joe alors que Bob et ses deux soeurs entraient chez eux.
- Salut, leur lança Joe alors que Bob et ses deux soeurs entraient chez eux.
De l'extérieur, Joe put voir de clarté dans deux ou trois pièces de cette immense maison.
Chapitre 12
Joe fumait une cigarette bien asis sur le trottoir face à la maison des Poulin. Mario était rentré chez lui depuis un bon moment. Ce ne fut que le lendemain matin qu'il trouva sur la table de la cuisine ce billet de ses parents lui annonçant qu'ils étaient partis dans un chalet sur la côté américaine avec des amis de l'association des collectionneurs de son père. Sa mère lui avait laissé de l'argent dans une enveloppe, lui rappleait aussi de ne pas oublier la haie avant de partir.
Mario sauta dans la douche, puis au lit. Une bonne partie de la nuit, il refera le tour de tout ce qu'il devait faire, se rappelant de passer à la banque afin de récupérer les économies de la gang. Il ne réussit à s'endormir qu'au petit matin...
Peu avant, Rock, sans faire aucun petit bruit, était entré dans sa chambre puis s'était couché. Quelques minutes plus tard, sa mère ouvrit la porte de la chambre de son fils, lui dit qu'elle allait l'aider à faire ses bagages. Au fond de lui-même, Rock pensa que ceci signifiait qu'elle avait oublié, un peu du moins, les événements de la journée. Lui avait-elle pardonné? Il ne pouvait en être certain.
Joe se leva pour se diriger vers l'arrière de la grande maison. Le chien du voisin se mit à japper. Joe le connaissait bien, sachant qu'il hurlait lorsqu'il sentait quelqu'un rôder à cent mètres et moins. Il se jeta par terre contre la haie afin que cette alarme animale ne réveilla tout le quartier. Il savait très bien où se trouvait la chambre de Caro et, s'il le fallait, s'y rendrait à quatre pattes.
Annie, seule dans la chambre, remit son baladeur à ses oreilles. Un jour, les membres de la gang exigèrent qu'elle n'y soit pas continuellement branchée; ce qui la choqua. Depuis cette altercation, elle ne le portait que pour le jogging, jamais plus au parc.
Pour écouter de la musique, c'est le super système de son, propriété de Rock qu'on prenait. Il l'avait reçu en cadeau de Noël de la part de sa mère pour qu'il puisse écouter les grands airs d'opéra, le genre de musique qu'il adore.
Les écouteurs bien installés à ses oreilles, Annie dansait tout en se déshabillant. Elle analysait son profil dans la glace du miroir et se disait:
- Qu'est-ce que qu'il faudrait que je fasse pour que Joe soit juste à moi? Je ne peux pas m'arrêter de penser à lui... tellement beau... tellement grand... tellement musclé....tellement drôle... tellement...
- Qu'est-ce que qu'il faudrait que je fasse pour que Joe soit juste à moi? Je ne peux pas m'arrêter de penser à lui... tellement beau... tellement grand... tellement musclé....tellement drôle... tellement...
Se déhanchant au rythme de ses «tellement», elle fit face au poster de James Dean: « C'est vrai que Joe lui ressemble: deux rebelles à leur manière!»
Malgré les écouteurs, Annie entendit hurler le chien du voisin. Elle se dirigea vers la fenêtre qu'elle ouvrit pour jeter un coup d'oeil aux alentours. Rien. Ses yeux se portèrent vers le ciel étoilé où il lui sembla reconnaître le nom de Joe transcrit parmi les astres...
Écrasé, Joe vit bien s'ouvrir la fenêtre de la chambre d'Annie. Il retint son souffle, ne voulant pas être pris et devoir partir.
Une fois le chien calmé, la fenêtre refermée, Joe se leva pour se diriger vers le lieu qu'il connaissait très bien.
De son côté, Bob repassait dans sa tête les étapes de l'organisation bien étendu dans son lit. Un peu comme un général traçant le programme d'une bataille, lui, c'était principalement le camp sauvage qui retenait son attention.
Joe s'approcha de la fenêtre du sous-sol.
La poignée de porte de la chambre de Caro tourna sur elle-même... Caro se leva... Elle sentit monter en elle une peur qu'elle connaissait parfaitement bien... Sa respiration devint mouvementée... Ses yeux clignaient... Rapidement, elle enfila une grande chemise de nuit puis s'éloigna de la porte qui, lentement, s'ouvrit...
Le père de Caro entra. Il referma derrière lui... Fixa sa fille droit dans les yeux... Elle eut tout juste le temps de prendre son oreiller qu'elle plaqua contre sa poitrine.
- Ce sera long, une semaine, dit monsieur Poulin.
- Non, pas ce soir, supplia Caro.
Le père s'approcha d'elle, dans cette chambre que seule une lampe de chevet éclairait. Il tendit les bras vers la taille de Caro, l'attirant vers lui...
- Non, pas ce soir, supplia Caro.
Le père s'approcha d'elle, dans cette chambre que seule une lampe de chevet éclairait. Il tendit les bras vers la taille de Caro, l'attirant vers lui...
C'est à ce moment précis, qu'on entendit frapper à la fenêtre. Caro y tourna les yeux et aperçut Joe, les yeux plissés, cherchant à voir ce qui se passait à l'intérieur. Tout de go, monsieur Poulin rebroussa chemin et sortit de la chambre de sa fille à la vitesse de l'éclair.
Caro ouvrit la fenêtre:
- Veux-tu me dire qu'est-ce que tu fais là?
- J'attends l'autobus, ironisa un Joe aussi surpris qu'elle.
- Pas de farce, Joe.
- Je voulais t'dire bonne nuit.
- Bonne nuit, Joe. Tu t'en vas maintenant.
Elle referma la fenêtre puis tomba sur son lit. Toute la nuit, elle fut hantée par la visite de son père qui était loin d'être la première.
- Veux-tu me dire qu'est-ce que tu fais là?
- J'attends l'autobus, ironisa un Joe aussi surpris qu'elle.
- Pas de farce, Joe.
- Je voulais t'dire bonne nuit.
- Bonne nuit, Joe. Tu t'en vas maintenant.
Elle referma la fenêtre puis tomba sur son lit. Toute la nuit, elle fut hantée par la visite de son père qui était loin d'être la première.
Joe sortit de la cour en lâchant un grand cri au chien du voisin qui n'osa pas répondre.
Caro pleura. Doucement. Ses larmes tombèrent sur son journal intime qu'elle venait tout juste de récupérer. Elle le cachait sous son matelas une fois qu'elle avait achevé d'y déposer le récit des événements de sa journée. Une clef était nécessaire pour l'ouvrir. Clef qu'elle conservait sur elle.
Caro prit son crayon et entreprit son voyage personnel sur les lignes de son journal qu'elle avait entrepris, il y avait plus de cinq ans, maintenant. Les visites nocturnes de son père, alors qu'elle venait tout juste d'avoir dix ans, au Nouveau-Brunswick en plus d'avoir changé sa vie, se retrouvaient - et dans le détail - imprimées dans les pages de ce journal que personne au monde ne connaissait l'existence, tout comme son trop lourd secret. Combien de fois aurait-elle aimé en parler à Pamy? Mais il y a des choses qu'on ne peut dire, même à sa meilleure amie.
Ce soir, elle écrivit que pour la première fois, une autre personne semblait avoir découvert les raisons incitant son père à entrer dans sa chambre... C'était Joe. Ce Joe que Caro trouvait tellement tête en l'air. Mais avait-il vraiment vu ou perçu quelque chose? Pourrait-il soupçonner quoi que ce soit? Joe...
Elle écrivit pendant plus d'une heure, avant de replacer son journal sous le matelas. Cacha la clef dans le fond de ses souliers. Ferma la lampe. Tenta de s'endormir. La dernière fois qu'elle examina les chiffres de son réveille-matin, il était 3 heures, le mercredi 22 juin.
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