mardi 30 janvier 2007

Le cent quarante-neuvième saut de crapaud



Le crapaud a reçu, la semaine dernière, un courriel de sa fille Catherine, la mère d'Émile, Léa et Arthur. Je fus extrêmement touché par la qualité du texte réussissant à bien transmettre l'intensité du moment. Par la magie de l'écriture aussi; celle qui permet d'évacuer les peines, les inquiétudes et les petits riens, croit-on, mais qui installent au fond de soi une sorte de couche de non-dit ayant la malencontreuse tendance à durcir ou à devenir réfractaire aux énergies créatrices.

Le voici.

" Il arrive toujours vers la même heure, entre 22h30 et 23h00. Par contre, il s'infiltre doucement car il est sournois. Ça débute par un léger trouble du sommeil de mon grand garçon. Tranquillement, on sent qu'il chasse sans pitié les rêves de l'enfant. La respiration d'Émile devient légèrement plus bruyante.

Un ronflement espère-t-on? …sachant très bien nos espoirs vains dès que la toux creuse et profonde se fait entendre.

Alors une alarme retentit dans ma tête: il faut étouffer cette toux, l'empêcher de continuer. L'enfant commence à pleurer et se soumet aux multiples traitements que je lui administre : sirop, pastilles, tylenol, verre d'eau en succession folle. Je prie pour que cesse la toux.

Moment d'accalmie avant la tempête? La dose de tylenol a-t-elle assommée assez fort pour qu'il s'endorme les bronches ouvertes? Je retiens mon souffle en fixant l'horloge.

Quelques minutes plus tard, c'est lui. Il est bien là, enclenchant la panique dans les yeux d'Émile qui deviennent creux et violacés comme ceux du paternel. Je revêts instantanément mon habit de combat qui se trouve à être ma robe de chambre dans l'empressement. Les pompes déjà armées, je passe au bronchodilatateur, aux stéroïdes, je veux ouvrir les bronches, l'empêcher d'étouffer.

Moment d'accalmie. Ai-je trop attendu? Mon redoutable adversaire se nourrit de la peur d'Émile pour le suffoquer davantage. "Doucement mon homme, on respire doucement". Ma voix se veut la plus basse possible, tentant de forcer l'enfant à cesser de tousser pour m'entendre. Mais le stratagème ne leurre pas l'ennemi. L'air commence à manquer, trop de toussements et pas assez de répits pour reprendre son souffle. Je commence à manquer d'air pour lui.

Je dois sortir ma dernière carte. Si j'attends trop longtemps, elle ne sera plus valide. J'enroule mon trésor dans ma couette de duvet, je nous enfile rapidement des bas de laine roses abandonnés sur le plancher et en une fraction de seconde nous nous retrouvons sur la terrasse enneigée, juste devant le thermomètre extérieur affichant -23 degrés. Le vent me transperce instantanément les os. Je vérifie si tous les membres du paquet sont à l'intérieur de la couette.

L'attente. L'air glacé pénètre dans ses bronches. La panique s'apaise sous l'effet du vent froid s'engouffrant dans les poumons d'Émile. Un léger engourdissement s'installe. L'attente. Plus les minutes filent, plus les bronches s'ouvrent. J'ai froid. Mes mains endurcies par le froid peinent à retenir mon paquet qui s'alourdit de sommeil. Je ne peux crier triomphe, ma bouche est gelée. J'attends. Il est sournois le croup. "


On ressent l'inquiétude devant l'ennemi, l'assurance chez celle qui le combattra, la confiance chez l'enfant (Émile) s'en remettant à sa mère et la douce victoire à vingt-trois degrés sous zéro.

Comme il est rassurant de recevoir par la suite, en réponse au courriel de Catherine, celui de Loïse, celle signera affectueusement b.m., sans doute pour "belle-mère"...


Le voici.


" Très chère b
Je te lis du café internet de Tremblant...tout en respirant difficilement moi-même suite à ton histoire que ne sonne que trop véridique ! Quel ennemi redoutable que ce croup! Ton histoire ravive des souvenirs du père du jeune homme dont il est question.

Qu'est-ce que je te disais avant-hier....quand les hommes sont loin, que nous sommes les gardiennes du foyer patri-matri-familiale, il arrive toujours des péripéties pour nous énerver.

J'espère que ça va mieux aujourd'hui. Je vais t'appeler. Encourage-toi en te disant que le croup passe vers 5 ans....

Je t'embrasse,
Ta b.m."


Tout cela est trop beau que rien d'autre ne s'y ajoute.

Les complicités de mères procèdent de l'enchantement...

À bientôt


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