dimanche 28 janvier 2007

Le cent quarante-huitième saut de crapaud


28 janvier.


Il y a de ces dates qui ne s'effacent jamais de la mémoire. C'est peut-être cela l'âme... une date rappelant quelqu'un!


Il aurait eu quatre-vingt-sept ans aujourd'hui. Au moment d'écrire ces lignes, il m'est facile de dénombrer ceux et celles qui ont une pensée vers lui. Ce lui, ce mari, ce père et grand-père, Gérard.


Hier, je me disais que j'allais lui offrir ce texte. Ce matin, face au clavier qui pianote sous mes doigts, j'ai son image bien vivante à ma mémoire, au coeur. Je le revois, debout devant la fenêtre, attendant que nous arrivions. Avec Gérard, nous sommes ceux et celles qui arrivent. Toujours impatient, combien son besoin de nos présences était grand!


Manier le passé et le présent m'est diffcile. Je le ressens tellement... fleur de lys au coeur de l'hiver. Celui avec qui tout était perpétuellement nouveau. Même ses habitudes, la plus intense demeurant celle de nous espérer. Il en inventait de ces prétextes pour nous réunir! Et nous marchions là-dedans peu importe le temps, peu importe l'occasion. Tout était motif à réunion, à rassemblement pour cette "phratrie" à laquelle il a donné son nom.


Dire jusqu'où, Gérard, tu as marqué à l'encre indélébile du crayon qui fut ton outil de travail fétiche, marqué chacun et chacune d'entre nous, tes enfants premiers, les petits-enfants par la suite et par contumace les trois petits-petits-enfants que tu n'auras pas connus mais qui, eux, ont déjà tellement entendu parler de toi, l'illustre patriarche au coeur d'or, c'est beaucoup manquer de mots.


Tu es né en hiver et mort en été. À l'automne de ta vie, encore tu faisais jaillir le printemps dans nos espérances, celles d'un avenir à exécuter à force d'amour et de solidité. Ta foi était grande, se situait toujours dans cette profonde certitude que lorsque des gens vont dans le même sens, rien ne saurait les arrêter. Tu nous galvanisais tellement dans ces croyances mille fois répétées et entretenues que rien au monde ne saurait freiner l'immuable force de l'engagement envers une cause qui nous tient à coeur. Quelle qu'elle soit! Tu ne jugeais jamais, tu encourageais. Tu ne doutais jamais des gestes posés, tu les supportais.


Tu fus un père mais d'abord un homme inébranlable dans tes convictions. Comment nous surprendre de ce que nous sommes tous et toutes devenus. À ta ressemblance, les six enfants puis les sept petits-enfants et finalement, pour le moment du moins, les trois arrière-petits-enfants, sommes ta descendance et, s'en souvenant aujourd'hui, affirmons le demeurer à jamais.


Lors de tes funérailles, mon frère Pierre, digne et fier, s'est levé dans cette église de Douville, a marché, touchant au passage ton cercueil, et a lu ce texte que tu m'as inspiré. Je lui en suis reconnaissant d'avoir réussi à dire ces mots avec tout le panache nécessaire pour qu'ils résonnent à ce moment-là, et encore aujourd'hui. Le voici, une nouvelle fois redit.


" Comment écrire sur un homme qui fut notre père, celui qui vécut dans le plus profond silence de ses sentiments personnels, celui qui consacra toute sa vie à faire bleu et blanc autour de lui.


Tous, d'ici et d'ailleurs, de cette assemblée à toutes celles auxquelles il a participé, animées, provoquées et perpétuées, il nous vient à l'esprit un mot, une image, une parole de Gérard. Il nous reste maintenant à conserver dans notre mémoire ce qu'il avait de plus vivant et de plus précieux, ces moments qui nous le rendent aujourd'hui... immortel.


C'était un homme du Québec, ce fut un homme qui arpenta toutes les routes laurentiennes avec au coeur cette rage du pays que nous lui devons maintenant.
Encore je l'entends nous dire en février 1992:"Je ne peux pas partir avant d'avoir vu le pays." Il l'avait sur la peau ce pays bleu et blanc, il le cultivait jour après jour en fouillant l'actualité, en analysant systématiquement chacun des gestes aussi minimes fussent-ils de nos dirigeants, conservant bien en avant l'azimut de sa vie: le Québec libre.


Ce qu'il fut également: un homme libre. Qui aura payé cher cette différence que déjà, à l'âge où nous apprenions à lire et à écrire, lui, couché sous les grands chênes d'Arthabaska, il lisait LE DEVOIR.


Il a toujours lu LE DEVOIR et il nous le faisait lire parce qu'au moins, si nous ne suivions pas les traces de pas qu'il imprimait solidement jusqu'aux limites de l'horizon visible, LE DEVOIR nourrirait notre esprit et notre coeur.


Ce coeur qu'il avait, il était bleu et blanc. Ce coeur, il l'a toujours laissé aux autres, à toutes celles et à tous ceux qu'il aimait, et ils sont légion, que ce soit en terre québécoise ou française. Ce coeur d'où une générosité indicible fusait, aura été le dernier organe à le laisser parce qu'il en avait besoin, il en avait toujours besoin pour les autres.


Gérard, c'est un coeur et une mémoire fantastique. Aucun détail ne lui échappait, aucun événement ne pouvait passer inaperçu et ce fut principalement remarquable pour les affaires familiales auxquelles il est venu si tard... Que ce soit ses petits-enfants, ces sept merveilles du monde comme il se plaisait à le répéter... Que ce soit pour ses enfants que notre mère a réussi à garder autour avec une exceptionnelle persévérance, comblant ainsi l'absence que chacun à notre manière nous avons sentie... Que ce soit pour son père et sa mère qui sont venus le chercher samedi dernier... Que ce soit pour ses frères et ses soeurs qu'il a aimé retrouver dans la cuisine de Gentilly comme il le fit la veille de son ultime entrée à l'Hôtel-Dieu de Montréal... Que ce soit pour tous ses beaux-frères et belles-soeurs. ses innombrables amis et acolytes du mouvement nationaliste...


Un coeur, une mémoire, mais Gérard, pour nous et tous ses voisins de Saint-Hyacinthe, ce sera celui qui tôt, très tôt le matin, partait prendre l'autobus... celui qui le menait à Montréal. Souvent, et il ne le disait pas, cet homme était fatigué, les nuages s'alourdissaient au-dessus de lui et il avait peine à voir le bleu et le blanc au bout de son itinéraire. La maladie le guettait au bout de sa carrière, au début de sa retraite qui n'en fut jamais une, finalement.


Cet homme qui montait, qui descendait de l'autobus ramenait chez lui, avec son cortège de fatigues, des espérances combien nourrissantes sur ce que le Québec souhaitait.


Il aura eu deux familles... en bleu et en blanc.


Mon cher Gérard, c'est à ton tour de te laisser parler d'amour.


Si jamais vous voyez un vieil homme descendre d'un autobus, appelez-nous, c'est peut-être lui qui revient."


Les funérailles de Gérard eurent lieu le mercredi 12 juillet 1995.


Il y aura bientôt douze ans de cela. L'âge de Laurent. Et ce matin, je me demande comment il se fait que nous ne soyons pas à Douville, dans la maison familiale, à te regarder, te rappelant ce que si peu souvent nous t'avons dit: je t'aime.


Aucun commentaire:

Parfois... mon âme

                                                                                                          parfois Parfois mon âme se met à...