Fernando Savater
Les événements qui entourent la mort nous poussent souvent à «penser sa vie»… C’est le titre du livre d’un philosophe que je classe parmi mes fétiches, le basque espagnol Fernando Savater. En 2000, aux éditions du Seuil, il publiait ces magnifiques réflexions sur la mort et la vie…En voici quelques extraits.
. Bref, ce que nous voulons, ce n’est pas avoir davantage d’informations sur la situation, c’est savoir ce que signifie l’information que nous avons, de quelle manière nous devons l’interpréter et la mettre en relation avec d’autres informations reçues précédemment, ou, en même temps, savoir aussi en quoi cela peut nous permettre d’avoir une vision générale de la réalité dans laquelle nous vivons, de quelle manière nous pouvons et devons nous comporter dans la situation ainsi donnée.
Selon Savater, il existe trois niveaux distincts de compréhension :
« 1) l’information, qui nous présente les faits et les mécanismes primaires de ce qui se passe;
2) la connaissance, qui réfléchit sur l’information reçue, hiérarchise selon sa signification, et cherche des principes généraux pour lui donner un sens;
3) la sagesse, qui relie la connaissance aux options vitales ou aux valeurs que nous pouvons choisir, en tentant de trouver comment mieux vivre en accord avec ce que nous savons.»
. La science aspire à connaître ce qui est et ce qui se passe; la philosophie s’attache à réfléchir sur l’importance qu’a pour nous le fait de savoir ce qui se passe et ce qui est.
. Car qu’est-ce qu’un homme, sinon l’animal qui questionne et qui continuera de questionner au-delà de toute réponse imaginable?
. Une chose est de savoir après avoir pensé et discuté, et une autre, bien différente, est d’adopter les savoirs que personne ne discute pour ne pas avoir à penser. Avant d’arriver à savoir, philosopher est se défendre de ceux qui croient savoir et ne font que répéter les erreurs des autres.
. La mort est fatalement nécessaire (nécessaire = ce qui ne cesse pas, ne cède pas, ce avec quoi aucune transaction, aucun compromis ne sont possibles), irrémédiablement personnelle, perpétuellement imminente, intimement intransférable, solitaire… Celle d’autrui égale douleur; la nôtre égale la peur. Nous mourrons… mais nous ne sommes jamais morts.
. Détester la raison, c’est détester l’humanité, tant la sienne propre que celle des autres, et l’attaquer de façon suicidaire, à l’instar d’un kamikaze…
. En fin de compte, notre vie embrasse des formes de réalité très différentes, et la raison doit nous servir à passer convenablement des unes aux autres.
. Soyons modestes : dire qu’une chose « est vraie » signifie qu’elle est plus vraie que d’autres affirmations concurrentes sur le même sujet, même si cela ne représente pas la vérité absolue.
. Raisonner ne s’apprend pas dans la solitude, mais s’invente dans la communication et l’affrontement avec ses semblables : toute raison est fondamentalement conversation.
. Nous donnons notre opinion aux autres pour qu’ils en débattent et, selon le cas, l’acceptent ou la refusent, et pas simplement pour qu’ils sachent « où nous sommes et ce que nous sommes » . Et il est naturel que toutes les opinions ne soient pas également valables : ont le plus de valeur celles qui ont les meilleurs arguments en leur faveur et celles qui résistent le mieux à l’épreuve du feu des débats, face aux objections qui leur sont opposées.
. Ta tâche est dans l’action, jamais dans ses fruits, n’aie pas pour fin les fruits de l’action et ne t’attache jamais à l’inaction.
. Aussi, fais toujours avec détachement l’Action que tu dois faire; l’homme qui accomplit l’action avec détachement montera toujours plus haut.
Dans ce livre, Savater cite le philosophe Thomas Nagel, professeur de philosophie et de droit à l’Université de New York :
« La philosophie a pour charge principale de questionner et d’éclaircir un certain nombre d’idées très communes que nous utilisons tous les jours sans y penser.
Un historien peut se demander ce qui est arrivé à tel ou tel moment du passé, mais un philosophe demandera : qu’est-ce que le temps?
Un mathématicien peut explorer les relations entre les nombres, mais un philosophe demandera : qu’est-ce qu’un nombre?
Un physicien cherchera de quoi sont faits les atomes ou ce qu’implique la gravité, mais un philosophe demandera : comment pouvons-nous savoir qu’il y a quelque chose en dehors de notre esprit?
Un psychologue peut chercher à comprendre comment les enfants apprennent un langage mais un philosophe demandera : pourquoi un mot signifie-t-il quelque chose?
N’importe qui peut se demander s’il est mal d’entrer au cinéma sans payer, mais un philosophe demandera : pourquoi une action est-elle bonne ou mauvaise? »
entrefilet ... entrefilet ... entrefilet ... entrefilet
1er septembre, date importante pour Achille puisqu’aujourd’hui, la «botte» n’est plus médicalement nécessaire. Je me suis donc dirigé sans botte, ce matin, vers les petites courses obligatoires à quelques pâtés de la maison.
Cruelle réalité!
La vie se départage en gens ordinaires et ceux qui, à l’œil nu, portent une certaine différence, différence que l’œil nu peut aisément reconnaître et facilement nommer…
Personne ne se souvenait que je marchais allègrement à cause de cette botte mais tout de suite elle disparaît, on se met à exiger que j’aille plus vite pour traverser la rue, que j’accélère le pas sur le trottoir encombré, que je ne m’attarde pas à ouvrir la porte de la pharmacie voulant rassurer ma jambe gauche… Non, je ne présentais aucun signe visible à l’œil nu d’une condition différente de la moyenne des gens. J’étais donc… un être normal qui doit faire comme tous les autres…
Il faut - je ne veux pas conclure inopinément ou généraliser – mais il faut lorsqu’on s’aventure dans notre monde être entièrement de ce monde ou bénéficier d’un statut particulier qu’une condition différente impose, et que cela soit d’une évidence qui évite la discussion ou toute autre démonstration… Sinon, ce n’est pas viable…
Je crois que je vais mettre ma botte ce midi alors que je dois affronter le monde rempli de yeux nus...
Au prochain saut
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