J’aime bien le bruit froufroutant des pages que l’on tourne… Ces pages sur lesquelles les mains ont écrit avec un stylo à bille, d’un côté comme de l’autre, et qui donne ce léger craquement tout à fait particulier… Ce cahier no.2 a une longue, une profonde histoire, fort bien installée dans ma vie. Il me fut remis par un groupe d’élèves à la fin d’une année scolaire, celle de la Gaspésie, et daté du 24 juin 1989. On y lit ceci :
Dans ce livre tu écriras,
Ce que ton cœur te dictera.
Pensées d’hier, pensées d’aujourd’hui,
Qui resteront malgré le temps qui fuit.
Écrire pour dire, pour se souvenir,
Écrire en vers ou pour le plaisir,
Écrire pour quoi, écrire pour qui,
Écrire pour toi, pour penser ta vie.
C’est avec joie que nous te l’offrons,
Espérant qu’il te donnera satisfaction.
Nous te souhaitons, de tout notre coeur,
La réalisation de tous tes « p’tits bonheurs ».
Merci pour ta présence, tes attentions
Ta joie de vivre et ta grande compréhension.
Voilà notre souvenir!
Les Bouts en train
Ces élèves l’ont nommé : Mes souvenirs. Ils ne savaient pas que ce cahier allait contenir, au fil du temps, tant et tant de choses, qu’il allait être suivi par quelques autres comme il fut précédé par un premier, plus austère, qui ramassait le fruit de mes lectures. Le numéro 2 serait, aussi, un recueil de citations mais avec un… plus. Comme un journal. Journal que malheureusement j’ai cessé d’écrire. Je le regrette aujourd’hui.
Il contient aussi quelques photos des trois filles, photos scolaires autant du primaire que du secondaire. Comme il a eu 20 ans le 24 juin dernier, on comprendra que certaines font presque offices d’anthologie. Comme il a eu 20 ans le mois dernier, on comprendra qu’il trace un passage bien ciblé dans l’espace et dans le temps.
Le frémissement des page m’amène à…
SIMPLE COMME BONJOUR (Jacques Prévert)
L’amour est clair comme le jour
l’amour et simple comme bonjour
l’amour est nu comme la main
c’est ton amour et le mien
pourquoi parler du grand amour
pourquoi chanter la grande vie?
Notre amour est heureux de vivre
et ça lui suffit.
C’est vrai l’amour est très heureux
et même un peu trop… peut-être
et quand on a fermé la porte
rêve de s’enfuir par la fenêtre
Si notre amour voulait partir
nous ferions tout pour le retenir
que serait notre vie sans lui
une valse lente sans musique
un enfant qui jamais ne rit
un roman que personne ne lit
la mécanique de l’ennui
sans amour sans vie!
Un peu plus loin…
L’ALBATROS (Charles Baudelaire)
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux de mer,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Liassent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Une page de friselis après…
SENSATION (Arthur Rimbaud)
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
Peut-il y avoir agencement de mots aussi beau? Et pourtant ce cahier no. 2 en regorge… Il ne reste que quelques pages à découvrir et nous le ferons ensemble lors du…
Au prochain saut
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