mercredi 4 janvier 2006

Le soixante-cinquième saut de crapaud

Quoi de mieux, pour entreprendre l'année 2006, que ce merveilleux poème de Charles Vildrac. En fait, il s'agit de celui que j'ai travaillé lors d'un cours de poésie à l'Université de Sherbrooke dans le cadre de mon baccalauréat en pédagogie. Il m'est cher car, par lui, j'ai appris que jamais l'on ne devrait «travailler» un poème mais y plonger afin de découvrir, différemment à chacune des fois, que les images qu'il enferme ne demandent qu'à s'envoler.
Bonne Année 2006 !





SI L’ON GARDAIT…
Charles Vildrac

Si l’on gardait, depuis des temps, des temps
Si l’on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran,
Et les cheveux couleur de feuilles mortes,
Si on les gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tisser les voiles
Qui vont sur la mer,

Il y aurait tant et tant sur la mer,
Tant de cheveux roux, tant de cheveux clairs,
Et tant de cheveux de nuit sans étoiles,
Il y aurait tant de soyeuses voiles
Luisant au soleil, bombant sous le vent,
Que les oiseaux gris qui vont sur la mer,
Que ces grands oiseaux sentiraient souvent
Se poser sur eux,
Les baisers partis de tous ces cheveux,
Baisers qu’on sema sur tous ces cheveux,
Et puis en allés parmi le grand vent…

Si l’on gardait, depuis des temps, des temps,
Si l’on gardait, souples et odorants,
Tous les cheveux des femmes qui sont mortes,
Tous les cheveux blonds, tous les cheveux blancs,
Crinières de nuit, toisons de safran
Et les cheveux couleur de feuilles mortes,
Si on les gardait depuis bien longtemps,
Noués bout à bout pour tordre des cordes,
Afin d’attacher
A de gros anneaux tous les prisonniers
Et qu’on leur permit de se promener
Au bout de leur corde,

Les liens des cheveux seraient longs, si longs,
Qu’en les déroulant du seuil des prisons,
Tous les prisonniers, tous les prisonniers
Pourraient s’en aller
Jusqu’à leur maison…

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