Paul Auster et Marguerite Duras.
Le premier dans L’INVENTION DE LA SOLITUDE.
La deuxième dans ÉCRIRE.
Il et elle s’interrogent sur le geste d’écrire. C’est à une sorte de dialogue que je convie.
PA, ça sera Paul Auster alors que MD, Marguerite Duras.
Voici ce que cela donne.
(MD) Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire.
(PA) Parler au futur, c’est user d’un langage à jamais en avance sur lui-même, à propos d’événements qui ne se sont pas encore produits, pour les assigner au passé, à un «déjà» éternellement retardataire; et dans cet espace entre le discours et l’acte s’ouvre une faille, et quiconque contemple un tel vide, est pris de vertige et se sent basculer dans l’abîme.
(MD) L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
(PA) … on ne peut pas écrire un seul mot sans l’avoir d’abord vu, et avant de trouver le chemin de la page, un mot doit d’abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit de la même façon qu’on vit avec son cœur, son estomac et son cerveau. La mémoire, donc, non tant comme le passé contenu en nous, mais comme la preuve de notre vie dans le présent. Pour qu’un homme soit réellement présent au milieu de son entourage, il faut qu’il ne pense pas à lui-même mais à ce qu’il voit. Pour être là, il faut qu’il s’oublie. Et de cet oubli naît le pouvoir de la mémoire. C’est une façon de vivre son existence sans jamais rien en perdre.
(MD) C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie.
(PA) La mémoire : l’espace dans lequel un événement se produit pour la seconde fois.
(MD) Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
(PA) La mémoire, donc, non tant comme la résurrection d’un passé personnel, que comme une immersion dans celui des autres, c’est-à-dire l’histoire – dont nous sommes à la fois acteurs et témoins, dont nous faisons partie sans en être. Tout se trouve donc à la fois dans sa conscience, comme si chaque élément reflétait la lumière de tous les autres en même temps qu’il émet son propre rayonnement unique et intarissable.
(MD) Écrire c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après – avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi.
(PA) Oui, il est possible que nous ne grandissions pas, que même en vieillissant nous restions les enfants que nous avons été. Nous nous souvenons de nous-mêmes tels que nous étions alors, et ne nous sentons pas différents. C’est nous qui nous sommes faits tels que nous sommes aujourd’hui et, en dépit des années, nous demeurons ce que nous étions. À nos propres yeux, nous ne changeons pas. Le temps nous fait vieillir, mais nous ne changeons pas.
(MD) L’écrit, ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie.
(PA) Dans une œuvre de fiction, on admet l’existence, derrière les mots sur la page, d’une intelligence consciente. Rien de pareil en présence des événements du monde prétendu réel. Dans une histoire inventée, tout est chargé de signification, tandis que l’histoire des faits n’a que celle des faits eux-mêmes.
Si Marguerite Duras et Paul Auster ont réfléchi et écrit sur le geste d’écrire, il serait intéressant de voir le point de vue du lecteur. Qui de mieux placé que Daniel Pennac pour nous en proposer un.
(DP) L’homme construit des maisons parce qu’il est vivant mais il écrit parce qu’il se sait mortel. Il habite en bande parce qu’il est grégaire, mais il lit parce qu’il se sait seul. Cette lecture lui est une compagnie qui ne prend la place d’aucune autre, mais qu’aucune autre compagnie ne saurait remplacer. Elle ne lui offre aucune explication définitive sur son destin mais tisse un réseau serré de connivences entre la vie et lui. Infimes et secrètes connivences qui disent le paradoxal bonheur de vivre alors même qu’elles éclairent l’absurdité tragique de la vie. En sorte que nos raisons de lire sont aussi étranges que nos raisons de vivre. Et nul n’est mandaté pour nous réclamer des comptes sur cette intimité-là.
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
A D A M A N T I N (adjectif)
. qui a la dureté, l’éclat du diamant
. constituant l’émail des dents
B A S A L T E (nom masculin)
. roche éruptive dont la pâte compacte et noire est formée de microlithes avec de grands cristaux de feldspath d’olivine.
- coulée de basalte : lave
C A I L L O U T I S (nom masculin)
. revêtement ou ouvrage de petits cailloux concassés et agglomérés
. (géol.) cailloutis glaciaire : cailloux, graviers et sables charriés par un glacier.
Au prochain saut
Le premier dans L’INVENTION DE LA SOLITUDE.
La deuxième dans ÉCRIRE.
Il et elle s’interrogent sur le geste d’écrire. C’est à une sorte de dialogue que je convie.
PA, ça sera Paul Auster alors que MD, Marguerite Duras.
Voici ce que cela donne.
(MD) Il y a une folie d’écrire qui est en soi-même, une folie d’écrire furieuse mais ce n’est pas pour cela qu’on est dans la folie. Au contraire.
(PA) Parler au futur, c’est user d’un langage à jamais en avance sur lui-même, à propos d’événements qui ne se sont pas encore produits, pour les assigner au passé, à un «déjà» éternellement retardataire; et dans cet espace entre le discours et l’acte s’ouvre une faille, et quiconque contemple un tel vide, est pris de vertige et se sent basculer dans l’abîme.
(MD) L’écriture c’est l’inconnu. Avant d’écrire on ne sait rien de ce qu’on va écrire. Et en toute lucidité.
(PA) … on ne peut pas écrire un seul mot sans l’avoir d’abord vu, et avant de trouver le chemin de la page, un mot doit d’abord avoir fait partie du corps, présence physique avec laquelle on vit de la même façon qu’on vit avec son cœur, son estomac et son cerveau. La mémoire, donc, non tant comme le passé contenu en nous, mais comme la preuve de notre vie dans le présent. Pour qu’un homme soit réellement présent au milieu de son entourage, il faut qu’il ne pense pas à lui-même mais à ce qu’il voit. Pour être là, il faut qu’il s’oublie. Et de cet oubli naît le pouvoir de la mémoire. C’est une façon de vivre son existence sans jamais rien en perdre.
(MD) C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps. Ce n’est même pas une réflexion, écrire, c’est une sorte de faculté qu’on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d’une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d’en perdre la vie.
(PA) La mémoire : l’espace dans lequel un événement se produit pour la seconde fois.
(MD) Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais. Ce ne serait pas la peine.
(PA) La mémoire, donc, non tant comme la résurrection d’un passé personnel, que comme une immersion dans celui des autres, c’est-à-dire l’histoire – dont nous sommes à la fois acteurs et témoins, dont nous faisons partie sans en être. Tout se trouve donc à la fois dans sa conscience, comme si chaque élément reflétait la lumière de tous les autres en même temps qu’il émet son propre rayonnement unique et intarissable.
(MD) Écrire c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait – on ne le sait qu’après – avant, c’est la question la plus dangereuse que l’on puisse se poser. Mais c’est la plus courante aussi.
(PA) Oui, il est possible que nous ne grandissions pas, que même en vieillissant nous restions les enfants que nous avons été. Nous nous souvenons de nous-mêmes tels que nous étions alors, et ne nous sentons pas différents. C’est nous qui nous sommes faits tels que nous sommes aujourd’hui et, en dépit des années, nous demeurons ce que nous étions. À nos propres yeux, nous ne changeons pas. Le temps nous fait vieillir, mais nous ne changeons pas.
(MD) L’écrit, ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est de l’encre, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie.
(PA) Dans une œuvre de fiction, on admet l’existence, derrière les mots sur la page, d’une intelligence consciente. Rien de pareil en présence des événements du monde prétendu réel. Dans une histoire inventée, tout est chargé de signification, tandis que l’histoire des faits n’a que celle des faits eux-mêmes.
Si Marguerite Duras et Paul Auster ont réfléchi et écrit sur le geste d’écrire, il serait intéressant de voir le point de vue du lecteur. Qui de mieux placé que Daniel Pennac pour nous en proposer un.
(DP) L’homme construit des maisons parce qu’il est vivant mais il écrit parce qu’il se sait mortel. Il habite en bande parce qu’il est grégaire, mais il lit parce qu’il se sait seul. Cette lecture lui est une compagnie qui ne prend la place d’aucune autre, mais qu’aucune autre compagnie ne saurait remplacer. Elle ne lui offre aucune explication définitive sur son destin mais tisse un réseau serré de connivences entre la vie et lui. Infimes et secrètes connivences qui disent le paradoxal bonheur de vivre alors même qu’elles éclairent l’absurdité tragique de la vie. En sorte que nos raisons de lire sont aussi étranges que nos raisons de vivre. Et nul n’est mandaté pour nous réclamer des comptes sur cette intimité-là.
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
A D A M A N T I N (adjectif)
. qui a la dureté, l’éclat du diamant
. constituant l’émail des dents
B A S A L T E (nom masculin)
. roche éruptive dont la pâte compacte et noire est formée de microlithes avec de grands cristaux de feldspath d’olivine.
- coulée de basalte : lave
C A I L L O U T I S (nom masculin)
. revêtement ou ouvrage de petits cailloux concassés et agglomérés
. (géol.) cailloutis glaciaire : cailloux, graviers et sables charriés par un glacier.
Au prochain saut
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