Joseph se faisait de plus en plus courant d’air. Il se levait pour la traite des vaches. Entrait pour déjeuner. Repartait aux champs. À l’heure fixée par Élisabeth, il se pointait pour le dîner. Courte sieste avant de se lancer dans les travaux que la saison lui dictait. Elle le rejoignait en milieu de journée avec le thé froid et les galettes à la mélasse, au fond de la terre près du boisé. Rentrait pour souper. S’assoyait sur la grande galerie jusqu’au coucher du soleil. Montait se coucher. Dix mots prononcés durant la journée. À peine. Ils prenaient l’allure d’un rapport sur l’état de l’exploitation agricole.
Ils écoutaient la mer au loin, l’un près de l’autre, dans des silences continus et froids. Élisabeth risquait parfois un commentaire parvenant aux oreilles de son homme comme des ordres. Elle voyait à tout. Il le savait.
Dans son âme, Élisabeth espérait la présence de l’enfant à venir. L’hiver entier de sa grossesse, elle ne diminua jamais son rythme effréné. Mars tardait à venir.
Aux premières heures de ce matin du 8 mars, la future mère indiqua à son mari qu’il devait aller quérir la sage-femme. Ça serait pour aujourd’hui. Madame Synnott se pointa en milieu d’avant-midi. L’accouchement fut court. À peine souffrant. Joseph était dehors. Herménégilde naquit après quelques poussées de sa mère. Il serait grand. Elle n’en douta pas un instant après l’avoir vu et serré dans ses bras.
Madame Synnott ramassa tous les linges imbibés de sang et d’eau. Comme à son habitude, elle conserva les restes utérins. Personne ne savait exactement pourquoi. C’était son salaire.
- Il est en bonne santé. Tu n’as qu’à le nourrir et lui donner, tous les jours, une tasse d’eau fraîche. Les enfants ont besoin d’eau. Ton lait est riche. Donne-toi un mois avant de regarder ton mari et tout ira bien.
Cette femme caricaturée en sorcière par le curé pouvait d’un seul regard jeté sur l’enfant et la couleur du sang, vous dessiner le portrait exact du nouveau-né. Elle prédit à Élisabeth un fils solide, vigoureux et surtout facile à élever.
- Nourris-le longtemps. Ne le cajole pas trop et fais attention à ses yeux. Je vois que ce sera là sa faiblesse. Si tu peux lui laver les yeux avec du thé chaud, tous les jours, il te rendra heureux.
Élisabeth fut debout à temps pour préparer le dîner de son homme. Celui-ci, sans rien changer à sa routine, se pointa vers midi. En entrant, l’odeur des femmes répandue dans la maison lui annonça la naissance du premier Lacasse. Un fils. Il savait déjà son prénom, Élisabeth l’avait si souvent répété.
Au milieu de la cuisine, encore plus propre qu’à l’accoutumée, trônait un berceau. Celui que l’on avait rangé au grenier lors de sa naissance, lors de la mort de sa mère et qu’Élisabeth n’avait pas descendu avant que ne se pointe la sage-femme. Un enfant dormait : momie blanche. Ses poings dans de courtes saccades balayaient l’espace restreint du moïse.
Joseph s’en approcha. Se pencha sur le nouveau-né puis vers une Élisabeth aussi fraîche que le jour de ses noces, délivrée d’un ventre encombrant, lui adressant un sourire.
- Je vais aller annoncer son arrivée à mon père.
- On attendra quelques jours, puis on se rendra à Gaspé avec le bébé pour qu’il le bénisse.
- C’est au curé de bénir les enfants.
- Les curés baptisent, ils ne bénissent pas.
Joseph sut que c’est ainsi que cela allait se passer. Il fut surpris de ne pas entendre sa femme parler de sa propre famille. Elle avait certainement ses raisons. Qu’il n’avait pas à savoir.
Élisabeth se dirigea vers Herménégilde, le prit dans ses bras et assise à la table de cuisine, lui donna une tasse d’eau avant de le nourrir à son sein gonflé.
Son mari sortit dans un midi de mars frais et ensoleillé. Inconsciemment, comme le passage d’une hirondelle aux premiers jours du printemps, cet oiseau dont on n’est pas certain que ce soit lui, ferma les yeux, les rouvrit afin de s’assurer que ce fils était vivant et qu’il n’avait pas tué sa mère. Cette mère, sa femme, elle n’allait pas mourir. Pas avant lui, le destin venait de parler dans les cris rauques d’un Herménégilde Lacasse.
Une fois l’enfant nourri et endormi, Élisabeth se remit à l’ouvrage avec une perfection renouvelée.
… à suivre …
Ils écoutaient la mer au loin, l’un près de l’autre, dans des silences continus et froids. Élisabeth risquait parfois un commentaire parvenant aux oreilles de son homme comme des ordres. Elle voyait à tout. Il le savait.
Dans son âme, Élisabeth espérait la présence de l’enfant à venir. L’hiver entier de sa grossesse, elle ne diminua jamais son rythme effréné. Mars tardait à venir.
Aux premières heures de ce matin du 8 mars, la future mère indiqua à son mari qu’il devait aller quérir la sage-femme. Ça serait pour aujourd’hui. Madame Synnott se pointa en milieu d’avant-midi. L’accouchement fut court. À peine souffrant. Joseph était dehors. Herménégilde naquit après quelques poussées de sa mère. Il serait grand. Elle n’en douta pas un instant après l’avoir vu et serré dans ses bras.
Madame Synnott ramassa tous les linges imbibés de sang et d’eau. Comme à son habitude, elle conserva les restes utérins. Personne ne savait exactement pourquoi. C’était son salaire.
- Il est en bonne santé. Tu n’as qu’à le nourrir et lui donner, tous les jours, une tasse d’eau fraîche. Les enfants ont besoin d’eau. Ton lait est riche. Donne-toi un mois avant de regarder ton mari et tout ira bien.
Cette femme caricaturée en sorcière par le curé pouvait d’un seul regard jeté sur l’enfant et la couleur du sang, vous dessiner le portrait exact du nouveau-né. Elle prédit à Élisabeth un fils solide, vigoureux et surtout facile à élever.
- Nourris-le longtemps. Ne le cajole pas trop et fais attention à ses yeux. Je vois que ce sera là sa faiblesse. Si tu peux lui laver les yeux avec du thé chaud, tous les jours, il te rendra heureux.
Élisabeth fut debout à temps pour préparer le dîner de son homme. Celui-ci, sans rien changer à sa routine, se pointa vers midi. En entrant, l’odeur des femmes répandue dans la maison lui annonça la naissance du premier Lacasse. Un fils. Il savait déjà son prénom, Élisabeth l’avait si souvent répété.
Au milieu de la cuisine, encore plus propre qu’à l’accoutumée, trônait un berceau. Celui que l’on avait rangé au grenier lors de sa naissance, lors de la mort de sa mère et qu’Élisabeth n’avait pas descendu avant que ne se pointe la sage-femme. Un enfant dormait : momie blanche. Ses poings dans de courtes saccades balayaient l’espace restreint du moïse.
Joseph s’en approcha. Se pencha sur le nouveau-né puis vers une Élisabeth aussi fraîche que le jour de ses noces, délivrée d’un ventre encombrant, lui adressant un sourire.
- Je vais aller annoncer son arrivée à mon père.
- On attendra quelques jours, puis on se rendra à Gaspé avec le bébé pour qu’il le bénisse.
- C’est au curé de bénir les enfants.
- Les curés baptisent, ils ne bénissent pas.
Joseph sut que c’est ainsi que cela allait se passer. Il fut surpris de ne pas entendre sa femme parler de sa propre famille. Elle avait certainement ses raisons. Qu’il n’avait pas à savoir.
Élisabeth se dirigea vers Herménégilde, le prit dans ses bras et assise à la table de cuisine, lui donna une tasse d’eau avant de le nourrir à son sein gonflé.
Son mari sortit dans un midi de mars frais et ensoleillé. Inconsciemment, comme le passage d’une hirondelle aux premiers jours du printemps, cet oiseau dont on n’est pas certain que ce soit lui, ferma les yeux, les rouvrit afin de s’assurer que ce fils était vivant et qu’il n’avait pas tué sa mère. Cette mère, sa femme, elle n’allait pas mourir. Pas avant lui, le destin venait de parler dans les cris rauques d’un Herménégilde Lacasse.
Une fois l’enfant nourri et endormi, Élisabeth se remit à l’ouvrage avec une perfection renouvelée.
… à suivre …
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