Don se sent davantage en confiance à l’arrivée de ce deuxième accouchement dans l’hôpital des Blancs. Il y a cinq ans, la situation était différente. La maison au bout du rang sans entretien en toute saison comptait plus de résidents. Depuis, son père est décédé, sa mère Taïma, retournée en Ontario sur la réserve ojie-crie qui recevait, trois ans auparavant, son frère aîné Gord et son épouse Mae.
Aujourd’hui, il revenait de chez ses amis Daniel et Jésabelle après leur avoir demandé d'accueillir Chelle à son retour de l’école car il partait pour l’hôpital, Aanzheni étant prête à accoucher.
L’assurance-maladie du Québec avait conclu une entente avec les autorités canadiennes responsables de la loi sur les Indiens, ce qui permit à la famille de Don de bénéficier des services de santé pour toute sa famille, entente à laquelle Taïma refusa d’adhérer interdisant qu’on y ajoute le nom de son mari.
En route vers la grande ville, au milieu de l’après-midi, il s’arrêta à l’école afin d’aviser Abigaelle du changement dans l’horaire du transport, ce qui lui valut un regard torve de la part de la directrice trop lente pour intercepter le papa de Chelle qui repartit rejoindre son épouse confortablement installée dans la camionnette, sans jamais manifester sa présence auprès de Madame Saint-Gelais.
*****
- Je vous prends quelques minutes seulement.
- Je vous écoute, dit-elle sans lui proposer un siège.
- La problématique ne se présente pas pour le moment, mais on la soulèvera bientôt quand viendra le temps d'organiser la composition des groupes d’élèves pour la prochaine année scolaire.
- Soyez plus précise mademoiselle.
- Le pré-scolaire devient de plus en plus une préoccupation majeure au ministère de l’Éducation. Le ministre Cloutier lui-même surveille personnellement l'évolution de ce dossier. Notre école pourrait représenter une situation unique dans la province. Les huit enfants avec lesquels nous travaillons actuellement passeront en première année à la prochaine rentrée scolaire. Sans savoir à combien s’établira la clientèle pour l’an prochain, je me questionne sur les services à mettre en place afin de répondre au nombre peu élevé d’élèves.
- Vous avez raison, nous discutons actuellement avec les responsables de l’organisation scolaire. Ce que je détiens comme information indique que les prévisions tournent autour de dix élèves pour la classe de maternelle.
- Cette classe du préscolaire, je parle de la présente, pourrait donc fournir un nombre d'élèves en-dessous de ce qui est exigé pour ouvrir un groupe de première année. N’est-ce pas ?
- Vous comprenez que huit élèves, eh bien ce n’est pas suffisant. À moins qu'il s'en ajoute d'ici l'été, ce qui me surprendrait au plus haut point, il faudra alors envisager autre chose.
- Comme un déménagement d’école ?
- C’est une hypothèse.
- Une éventualité?
- Je ne saurais préciser cela pour le moment.
- Alors, dans vos réflexions, je souhaite proposer une avenue. Les huit élèves de cette année auxquels on ajouterait la probable dizaine de l’an prochain cela pourrait constituer une classe multi-âge. Nous aurions ainsi 18 élèves dans un groupe préscolaire et première année. J’accepterais de les prendre en charge.
Madame Saint-Gelais recula son fauteuil roulant de quelques centimètres scrutant le regard de l’éducatrice qui la dévisageait sans baisser les yeux.
- C’est peu conventionnel comme solution, dit-elle.
- En effet, mais pédagogiquement acceptable.
Les rencontres entre ces deux femmes tournaient rapidement à l’affrontement. Leurs arguments ne reposant jamais sur les mêmes principes, voire les mêmes valeurs. Dans ces courts instants de silence passager devenant d’une lourdeur étouffante, chacune cherchait un nouveau souffle, un nouvel angle d’attaque. Rien ne peut concilier leurs points de vue. La directrice, pour une xième fois, comme si elle n'avait pas autre chose à dire, lui répète les bases sur lesquelles son principe de réalité s’appuie, ce à quoi Abigaelle, dans une riposte cinglante, lui lance que cela n’est qu’entrave à l’initiative et à l’action. Ceci mettait souvent fin à l’entretien.
- Avant que vous ne sortiez de mon bureau, j’apprécierais que vous signifiez au père de Chelle que mon école n’est pas un endroit où on entre sans vergogne. J’ai trouvé son attitude un peu sauvage cet après-midi lorsqu’il s’est dirigé vers votre local sans s’arrêter à mon bureau.
*****
- Tu restes à souper avec nous. Bravo!
La fillette n’a guère le temps de répondre que Jésabelle, ralentie par sa démarche de canard et suivie par Walden, s’approche pour les amener à la maison.
- Ta maman est partie à l’hôpital avec papa. Il y a de fortes chances que ta petite sœur se présente le bout de nez d’ici quelques heures.
Les larmes aux yeux, Chelle serre les mains offertes par Benjamin et sa mère.
Elle entre fièrement chez sa deuxième famille.
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