Au contraire de l’utopie, la dystopie «fait le récit d’une société imaginaire ou impossible à vivre, pleine de défauts et dont le modèle ne doit pas être imité.» La suite de poèmes lancée par L’OISEAU (20 avril 2024) a suscité plusieurs commentaires très pertinents. Je les résume ainsi : certains lecteurs ont vu, un instant, que j’étais dans la dystopie et que j’allais vers une nouvelle façon de dire le monde à la suite du cataclysme provoqué par cet oiseau de proie :
« Ce fut la mort, l’imprévisible mort qui s’est abattue
ne laissant aucune chance, elle n’en laissera jamais
transportera, installera son périmètre secret
autour d’une autre vie… sans qu’on ne l’est vu».
On m’a aussi cité ces vers qualifiés de pessimistes en lien avec la destruction qu’annonce L’OISEAU :
« C’est la mort harnachant le vide, trônant fiévreusement au-dessus d’une faille.
La mort, aussi vieille qu’elle-même, plus avide qu’elle-même, si tant elle-même
que les regroupés puis disparus ont passé le relais aux autres, ceux qui viendront
devant une autre maisonnette blanche, bâtie à l’identique, avertie de se décolorer
quand passera un oiseau de proie ayant délimité son territoire de chasse, de mort…»
Le poème suivant … immortel … conjugué au futur semble donner un peu d’espoir alors que L’ÉTENDUE BLANCHE a paru davantage inquiétant du fait qu’il «s’écrit à l’encre blanche» et qu’à la fin «un point noir éclôt…».
Dans EN MARCHE… ON NE SAIT OÙ et ET SE LÈVE UN VENT FULGURANT, puis NOUS NE SOMMES PLUS SEULS apparaissent couleurs, sons et les êtres humains. C’est peut-être ici que l’idée que l’on fuyait la dystopie a pu naître chez les lecteurs(trices) ou encore dans leur imaginaire cherchant à interpréter, à donner un sens à la suite de ces poèmes. Surgit finalement ET SI , poème hypothétique, spéculatif voire conjectural qui assure la continuation de cette série. Et puis, je pourrais dire finalement, cette suite de ET SI qui, sans marcher entièrement dans des sentiers surréalistes, risque tout de même de s’y aventurer à pas de loup.
Je propose cette clé. Elle n’est sûrement pas unique. On peut fort bien lire tout cela comme s’il s’agissait de l’écriture miroir qui projetterait le tout à l’intérieur d’un être dépressif doucement mais résolument actif à poursuivre une démarche personnelle. À vous de choisir…
*********************************************************************
(puis) Et si…
les erreurs de la nature n’étaient que des vengeances ... et si la logique d’un coup s’égarait … et si nous oubliions ce qui était, ce qui a été, ce qui fut pour mieux centrer nos pas … et si le hasard devenait l’avenir réel … et si les arbres, des génuflexions au pied du ciel … et si rien ne nous inquiétait, encore moins les souvenirs d’un passé révolu … et si nous nous connaissions mieux que nous-mêmes … et si nous n’acceptions de vivre que de nuit et cela tous les matins … et si se reconnaître prenait le sens de connaître … et si nous n’avions en nous aucune aptitude pour la guerre … et si nous revêtions nos uniformes de paix …
PAUSE
… et si nous devions définir les choses qu’au moment de les voir… et si les couleurs ne signifiaient rien … et si les sons s’imbriquaient aux mots, eux-mêmes emmêlés autour de fragiles colonnes lexicales … et si les odeurs nous rappelaient celle de l’eau … et si les enfants n’apprenaient qu’à le demeurer … et si d’immenses tempêtes de silence s’abattaient sur nous … et si nous écoutions le silence pour mieux irriguer notre cerveau … et si les fleurs se mariaient aux oiseaux … et si nous avions perdu ce qui nous tenait à coeur … et si la violence, soeur siamoise de la peur, devenait un agir arrêté … et si le temps s’étirait et s’étirait encore sans rien perturber … et si le carmin du ciel demeurait beau …
PAUSE
… et si le blanc de l’horizon n’était perceptible qu’à l’oeil nu … et si les failles de nos vies se refermaient … et si nous en arrivions à n’être que nous … et si nous marchions la main dans la main … et si l’amour s’appelait l’ AMOUR … et si les rencontres devenaient des occasions … et si nous n’avions plus la mémoire des futilités … et si nos ancêtres nous souriaient … et si la Crète tout d’un coup réapparaissait dans le goût des olives noires … et si beau temps mauvais temps nous étions euphoriques … et si les nouveaux médicaments n’étaient plus disponibles … et si notre regard se faisait autiste … et si partir n’avait aucun but … et si on arrivait à définitivement démolir les tours de Babel … et si les frontières se confondaient entre elles …
PAUSE
… et si mentir se confessait debout devant l’éternité … et si l’infini devenait un havresac de mensonges … et si nous ne nous interrogions plus sur la mort … et si elle se cachait dans les astres … et si nous ne pouvions y parvenir … et si nous savions que là quelqu’un vit sans chercher à rejoindre d’autres quelques-uns vivant ailleurs dans d’autres astres qui ne cherchent pas à en rejoindre d’autres … et si la hantise du retour d’un oiseau de proie ne nous collait plus à la peau … et si on savait ce qui se dira demain parce qu’hier nous l’avons répété … et si nous ne donnions pas de nom aux pays qui empliront le nouvel espace … et si la solitude n’avait aucun prix … et si les romans n’avaient plus de fin, moins de morale … et si les intrigues ne nous intriguaient plus … et si les poèmes sortaient de terre après l’avoir ensemencée … et si l’espoir n’était que du conditionnel …
PAUSE
… et si nous pouvions tourner les pages d’anciennes vies …
(puis) - (alors)
ton nom je ne l’oublierais plus
écrit là où l’oubli n’a plus sa place
exactement là où jamais je ne l’oublierai
j’ai encore trop à oublier
trop à ne plus me souvenir
je ne conserve que du maintenant
j’aurai épuisé
le vent pour complice
les anciens surplus de vide
il est là celui qui écrit
partageant avec elle
les mots au sens renouvelé…
FIN
Aucun commentaire:
Publier un commentaire