Si Nathan avait su |
Il y a si longtemps. Long de temps. Je pose mon verre de Morgon sur la table que j’ai achetée et placée tout à côté de mon ordinateur installé dans le lieu que je fréquente le plus depuis quelques années - depuis ma retraite en fait. Il m’aura fallu déranger un peu le recueil de poèmes, celui qui m’accompagne depuis belle lurette. Long de temps. Il s’agit des Poésies complètes de Saint-Denys-Garneau, ce poète qui m’a vraiment, mais alors là vraiment fait comprendre ce qu'’est la poésie. Cela pourrait se comparer à l’expérience d’un enfant qui goûte aux champignons pour la première fois alors qu’il n’avait, auparavant, mangé que des patates et des carottes. Lorsque le rouge qui s’appelle Morgon rejoint ma tête, il supplie mes mains de s’installer au clavier. D’écrire. On m’a toujours dit qu’écrire n’était réservé qu’aux écrivains. J’y ai cru. Longtemps. Très longtemps. Mais j’ai dévié de cette route lorsqu’un jour une vieille dame, cousine-germaine de ma grand-mère maternelle, femme moderne pour son époque non pas seulement parce qu’elle fumait et que, devenue veuve assez jeune et orpheline d’un fils décédé à la fin de son adolescence en raison d’une presque consanguinité (union d’un oncle avec sa nièce) elle se retrouva avec un important pactole la rendant indépendante, du moins financièrement. Elle fut la première à lire mes poèmes de douze ans. S’y intéressant, elle m’offrit un magnifique livret, je me souviens, il était vert à bordure dorée, un signet rouge au centre. Je devais le remplir de mes … oeuvres. Elle les commentait avec tellement de chaleur et d’affection que la poésie qui devait alors m’être qu’un échappatoire devint rapidement un lieu que je me suis mis à habiter. J’y logeais cherchant à mieux l’aménager. Cette cousine m’offrait des recueils de poèmes devant, selon ses dires, m’aider à mieux écrire, à m’inspirer. Mais je ne savais pas écrire. Je n’étais pas inspiré. Les alexandrins que je pondais, par chance, ont disparu avec le livre vert à bordure dorée et signet rouge. Un jour, alors que je lui parlais d’un type de poésie tellement, mais tellement loin de ce qu’elle m’offrait, il y eut entre nous une profonde remise en question, de l’ordre du spirituel, du religieux devrais-je plutôt dire. Marie Noël, Octave Crémazie, Louis Fréchette qu’elle m’incitait à lire et à imiter, je les trouvais, honnêtement, plutôt ennuyants. Je passais à Rimbaud, Verlaine, Baudelaire et Saint-Denys-Garneau. Je lisais ces poètes à la porte de l’adolescence. Ils me chaviraient l’âme. Nelligan semblait à ce moment-là plus fréquentable que les poètes maudits de France, mais sans trop savoir pourquoi il ne répondait pas à qui j’étais. On murmurait autour de moi que les poètes étaient des êtres bizarres, destinés à un avenir débouchant sur la folie sous toutes sortes de formes. Ce que maintenant je regrette amèrement, c’est de ne pas avoir eu à cette époque un guide qui eut pu à la fois me conseiller et surtout me centrer sur les oeuvres davantage que sur l’aspect «people» entourant leurs vies. On disait : Nelligan est fou, Rimbaud et Verlaine sont des invertis (le mot homosexuel n’était pas utilisé pour les définir, le terme «gay» n’existait pas) et Baudelaire, un drogué. Je cherchai conseil auprès de mon paternel qui me dirigea vers les mêmes références que la cousine-germaine de ma grand-mère. Un seul m'aura intéressé et j'en reparlerai sans doute, il s'agit de Charles Guil et son Cap Éternité. Mon père a toujours eu la triste habitude de régler rapidement, trop parfois, les questions qui lui étaient adressées en soufflant dessus, espérant les voir s’envoler en fumée ou en dirigeant les interrogations vers un autre sujet. Ce qui ne fut pas nécessairement désolant puisqu’il nous inscrivit à la Maison Columbia, section des disques classiques. J’avais donc à m’auto-guider… Et c’est Hector de Saint-Denys-Garneau qui fut - et encore maintenant - le poète qui m’obligeait à fermer les yeux à chacun de ses vers, à chacune de ses éblouissantes métaphores, à tous ses poèmes fracassant la poésie traditionnelle. Écrire en vers libres ce n’était pas de la poésie, plutôt de l’hétérodoxie. Mais Hector m’y amena tout d’un coup et jamais plus j’allais le regretter. Alors que mon verre de Morgon s’achève, que tout doucement le soir descend, qu’un léger vent se faufile par la fenêtre alors qu’un magnifique concerto pour violon de Mendelssohn m’emplit de bonheur, je réalise que le temps passe vite. Que Saint-Denys-Garneau est mort. Que je suis devenu vieux. Très vieux même. Il ne reste que peu de choses de celui qui, un jour, décida de signer ses poèmes d’un pseudonyme : Herman Delage. J’ai souvent, entre l’enfance et l’âge adulte, joué avec les noms. À titre d’exemple, autour de l’âge de dix ans j’avais décidé que mes deux frères et moi étions devenus des Anderson. Cela m’amusait beaucoup parce qu’il devenait possible pour moi de leur créer un monde, leur faire vivre des aventures desquelles ils sortaient en héros gigantesques adulés par tous et chacun. Le souvenir que j’ai encore vivant à mon esprit est celui-ci : nous étions des fils de titan, d’invincibles coureurs des villes, de solides redresseurs de mauvaises situations, trois valeureux protecteurs de la veuve et de l’orphelin ne reculant devant aucune catastrophe autant matérielle que celle pouvant se présenter aux êtres qui nous étaient chers, même les autres. Maintenant que je fouille dans des textes partiellement publiés ou volontairement enfermés dans ce que je nomme mon laboratoire, j’en découvre quelques-uns qui me serviront pour avancer dans ce nouveau projet que j’intitulerai : SI NATHAN AVAIT SU. J’aurais pu aussi le nommer SI HERMAN AVAIT SU. Mais il faut choisir et c’est Nathan qui l’emporte. Y a-t-il une raison précise? Deux, en fait. La première parce qu’un des écrivains qui aura également bousculé ma manière de voir le monde, André Gide, a opté pour Nathanaël afin de s’adresser à nous dans l’initiatique oeuvre que représente Les nourritures terrestres. La seconde, alors qu’en compagnie de mon frère Pierre et ma belle-soeur Claire nous nous adonnions à partager des textes à partir d’un même thème, cette activité devenue notre otium, Nathan s’est présenté me permettant de développer une thématique et en même temps, créer un personnage. J’aime, non j’adore créer des personnages. DEP (roman que j’ai publié au Vietnam en 2019) m’a permis de satisfaire cette passion. Dans ces prochains billets, je succomberai à nouveau à cet emportement. Évidemment, je broderai entre réalité et fiction, installerai autour de mon verre de Morgon une espèce de mise en scène dont plusieurs éléments puisés à même mon passé sont encore présents à ma mémoire.
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