Est-ce l’hiver? Ou encore un innommable besoin intrinsèque de chaleur qui s’installe sur les centimètres de neige et de froid qui nous amènent à voir dans les catastrophes naturelles, celles de janvier ou de février, des allures encore plus dramatiques? Ou un effet déformant que la lunette du temps nous impose?
Grand-père, homme de silence s’il en est un, ne peut oublier les affres qui atterrèrent la région lors du grand incendie de l'Anse-au-Griffon. Tous et chacun sauront retourner à leurs souvenirs afin d’y déceler un événement provoqué par un verglas, une tempête d’eau ou de neige, événement marquant pour soi puis la collectivité. On se souvient, on se rappelle où nous étions, ce que nous faisions, comment cela nous fit chavirer le cœur et bouleversa notre rapport aux autres. Car un sinistre, quelque soit sa nature, provoque toujours un transport de l’âme vers ailleurs.
Vous me direz qu’un incendie n’a rien d’une catastrophe naturelle. À première vue vous auriez raison. Mais celui qui détruisit la quasi-totalité du village de l’Anse-au-Griffon en fut un. De taille.
Nous étions à la fin janvier. L’année importe peu maintenant, ce qui demeure se situant davantage dans ce que devinrent les gens à la suite de cette hécatombe à nulle autre pareille. N’oublions pas que ce qui nous frappe, au-delà de son aspect accidentel, est toujours plus fort que tout autre sinistre que l’on nous raconte.
La grippe espagnole, qui n’avait d’espagnol que le nom, rapportée au pays par les soldats de retour de la première guerre mondiale, fit des ravages qui encore aujourd’hui servent de référence. C’est à croire que la misère se mesure au nombre de pertes encourues. Pour elle, on parle de millions de personnes. Pour l’incendie en question, quelques-uns à peine. Quelques-uns…
Cette histoire ne fit pas les manchettes. Elle permit toutefois de jauger l’étanchéité de la solidarité humaine à petite échelle, celle d’un village gaspésien en plein cœur d’un hiver rigoureux, sans merci quant aux chutes de neige, à la paralysie générale qu’il instilla dans la population et qu’un feu, mais alors là on parle d’un feu de première classe, secoua de plein fouet en une fin d’après-midi qu’encore aujourd’hui le calendrier se souvient.
Grand-père, homme de silence s’il en est un, ne peut oublier les affres qui atterrèrent la région lors du grand incendie de l'Anse-au-Griffon. Tous et chacun sauront retourner à leurs souvenirs afin d’y déceler un événement provoqué par un verglas, une tempête d’eau ou de neige, événement marquant pour soi puis la collectivité. On se souvient, on se rappelle où nous étions, ce que nous faisions, comment cela nous fit chavirer le cœur et bouleversa notre rapport aux autres. Car un sinistre, quelque soit sa nature, provoque toujours un transport de l’âme vers ailleurs.
Vous me direz qu’un incendie n’a rien d’une catastrophe naturelle. À première vue vous auriez raison. Mais celui qui détruisit la quasi-totalité du village de l’Anse-au-Griffon en fut un. De taille.
Nous étions à la fin janvier. L’année importe peu maintenant, ce qui demeure se situant davantage dans ce que devinrent les gens à la suite de cette hécatombe à nulle autre pareille. N’oublions pas que ce qui nous frappe, au-delà de son aspect accidentel, est toujours plus fort que tout autre sinistre que l’on nous raconte.
La grippe espagnole, qui n’avait d’espagnol que le nom, rapportée au pays par les soldats de retour de la première guerre mondiale, fit des ravages qui encore aujourd’hui servent de référence. C’est à croire que la misère se mesure au nombre de pertes encourues. Pour elle, on parle de millions de personnes. Pour l’incendie en question, quelques-uns à peine. Quelques-uns…
Cette histoire ne fit pas les manchettes. Elle permit toutefois de jauger l’étanchéité de la solidarité humaine à petite échelle, celle d’un village gaspésien en plein cœur d’un hiver rigoureux, sans merci quant aux chutes de neige, à la paralysie générale qu’il instilla dans la population et qu’un feu, mais alors là on parle d’un feu de première classe, secoua de plein fouet en une fin d’après-midi qu’encore aujourd’hui le calendrier se souvient.
Grand-père assumait la responsabilité de déblayer les entrées de la petite école du rang. Celle où Ève Gaudreau enseignait. Celle pour qui grand-père entretenait une si profonde affection. L’institutrice comptait sur lui afin qu’il entre le bois, celui fourni par la commission scolaire, chauffant l’immeuble et réchauffant l’atmosphère dans laquelle vivait une trentaine d’enfants heureux d’y être, heureux d’apprendre.
Il reprenait la route vers la maison, une fois sa tâche qui en n’était pas une lui, tellement le bonheur d’étirer de quelques instants les moments de présence auprès de l’institutrice représentaient pour lui un privilège dont il n’aurait su se passer. Nous étions donc à la fin du mois de janvier. Le jour recommençait tout doucement à grafigner sur des noirceurs implacables, celle du matin et celle de la fin d’après-midi. C’était un jeudi. Longtemps ce jeudi portera le nom de «jeudi du feu». Il sifflotait, son sac d’école en cuir bien accroché au dos, ses mitaines de laine encore mouillées et porteuses de petits glaçons colorés de bran de scie. Plus il avançait dans une neige grinçante, plus l’odeur du vent se remplissait, vaguement au début, jusqu’à devenir suffocante par la suite, d’exhalaisons propres aux incendies. D’instinct il se retourna vers l’école. Tout paraissait normal. Devant lui, les couleurs s’emmêlaient rapidement dans une boucane blanche, beige puis noire.
Il prit les jambes à son cou. Arriva tout près du village de l’Anse-au-Griffon. Il faut signaler que l’école du village il eut mieux fallu la surnommer l’école des villages. En effet, malgré qu’elle fût située à Cap-des-Rosiers, les enfants de l’Anse-au-Griffon d’où devait grand-père, la fréquentaient également. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que le magasin général brûlait comme si en plein cœur d’un feu de camp on l’y eut déposé. De loin encore, il pouvait remarquer que les gens, impuissants, attroupés devant ce qui bientôt deviendrait des ruines, dans des postures immobiles, que la froidure du temps n’inquiétait plus, se tenaient debout dans un silence que seule la crépitation du brasier enterrait.
Certains recherchaient Émile, le marchand général, d’autres, revenus du presbytère où ils convainquirent le curé Boudreau de faire retentir le tocsin, constatèrent que le vent du large, celui qui ne demande de permission à personne pour charrier aussi loin qu’il le veut tout ce qui ose se lever devant lui, s’infiltrant par les fenêtres éclatées, transportait des flammèches rouges vers les maisons d’en face. En aussi peu de temps qu’il fallut pour le constater, la maison d’Aldège, puis celle du capitaine Carbonneau grésillaient à leur tour. On assistait à un spectacle horrible. Il fallut que les gens, et de toute urgence, quittent les lieux, l’incendie cherchant à les encercler.
Grand-père, stupéfait, les jambes maintenant coupées et les yeux en larmes, insuffisantes toutefois pour éteindre quoi que ce soit, eut peur.
...à suivre...
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