Y a-t-il encore une odeur d’incendie en vous? Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais cette histoire, un peu comme celle du fantôme de l’Anse-au-Griffon, celle de Clémence et Philip, que notre grand-père nous a permis de vivre, eh! bien m’amène, vous vous en doutiez sûrement, à la poésie.
Je vous propose deux poèmes aujourd’hui qui, vous le verrez, ont un lien avec ce drame que vécut notre collectivité gaspésienne.
Le premier, de Victor Hugo, est tiré de LA LÉGENDE DES SIÈCLES et porte le titre de: À L'HOMME
C’est parce que je roule en moi ces choses sombres,
C’est parce que je vois l’aube dans les décombres,
Sur les trônes le mal, sur les autels la nuit,
Bravant tout ce qui règne, aimant tout ce qui souffre,
J’interroge l’abîme, étant moi-même gouffre;
C’est parce que je suis parfois, mage inclément,
Sachant que la clarté trompe et que la nuit ment,
Tenté de reprocher aux cieux visionnaires
Leur crachement d’éclairs et leur toux de tonnerres;
C’est parce que mon cœur, qui cherche son chemin,
N’accepte le divin qu’autant qu’il est humain;
C’est à cause de tous ces songes formidables
Que je m’en vais, sinistre, aux lieux inabordables,
Au bord des mers, au haut des monts, au fond des bois.
Là, j’entends mieux crier l’âme humaine aux abois;
Là, je suis pénétré plus avant par l’idée
Terrible, et cependant de rayons inondée.
Méditer, c’est le grand devoir mystérieux;
Les rêves dans nos cœurs s’ouvrent comme des yeux;
Je rêve et je médite, et c’est pourquoi j’habite,
Comme celui qui guette une lueur subite,
Le désert, et non pas les villes; c’est pourquoi,
Sauvage serviteur du droit contre la loi,
Laissant derrière moi les molles cités pleines
De femmes et de fleurs qui mêlent leurs haleines,
Et les palais remplis de rires, de festins,
De danses, de plaisirs, de feux jamais éteints,
Je fuis, et je préfère à toute cette fête
La rive du torrent farouche, où le prophète
Vient boire dans le creux de sa main en été,
Pendant que le lion boit de l’autre côté.
Le deuxième, À MONSIEUR A.L.. a été écrit à peu près à la même époque par Marceline Desbordes-Valmore.
Quand le sang inondait cette ville éperdue,
Quand la bombe et le plomb balayant chaque rue,
Excitaient les sanglots des tocsins effrayés,
Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,
Étreignait dans ses nœuds les enfants et les pères,
Refoulés sous leurs toits par les feux militaires,
J’étais là : J’écoutais mourir la ville en flammes;
J’assistais vive et morte au départ de ces âmes,
Que le plomb déchirait et séparait des corps,
Fête affreuse où tintaient de funèbres accords :
Les clochers haletants, les tambours et les balles;
Les derniers cris du sang répandu sur les dalles;
C’était hideux à voir: et toutefois mes yeux
Se collaient à la vitre et cherchaient par les cieux,
Si quelque âme visible en quittant sa demeure,
Planait sanglante encor sur ce monde qui pleure;
J’écoutais si mon nom, vibrant dans quelque adieu,
N’excitait point ma vie à se sauver vers Dieu :
Mais le nid qui pleurait! Mais le soldat farouche,
Ilote, outrepassant son horrible devoir.
Tuant jusqu’à l’enfant qui regardait sans voir,
Et rougissant le lait encor chaud dans sa bouche…
Oh! devinez pourquoi dans ces jours étouffants,
J’ai retenu mon vol aux cris de mes enfants :
Devinez! devinez dans cette horreur suprême,
Pourquoi, libre de fuir sous le brûlant baptême,
Mon âme qui pliait dans mon corps à genoux,
Brava toutes ces morts qu’on inventait pour nous!
Savez-vous que c’est grand tout un peuple qui crie!
Savez-vous que c’est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses sœurs la lointaine pitié,
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Écrasée au galop de la guerre civile!
Savez-vous que c’est froid le linceul d’une ville!
Et qu’en nous revoyant debout sur quelques seuils
Nous n’avions plus d’accents pour lamenter nos deuils!
Au-delà du magnifique!
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