dimanche 21 décembre 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (37) CONTE DE NOËL

Ce texte date du 23 décembre 2005, au tout début de la création du blogue LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON

Les premiers billets avaient pour narrateur un grand-père vivant à l'Anse-au-Griffon, en Gaspésie.

De saut de crapaud en saut de crapaud, une certaine architecture s'est installée, quelque part entre le conte, la fiction et le mémorial.




Conte de Noël

Ce matin-là, un matin d’une éclatante blancheur, appelait notre grand-père vers la grève. Une froidure hivernale à geler la mer. Un vent en provenance du nord soulevait la neige. Aveuglante. Tourbillonnante. À quelques heures de la fête de Noël, journée embellie par la mélancolie, il ne put résister au besoin de remplir ses poumons d’air salin qui, s’infiltrant en lui, s’amusait à ballotter des souvenirs enfouis, à secouer le sépia des images qu’on déballe en cette période de l'année et se redire, une fois de plus, que la vie est belle...

...autant que l’institutrice qui arriva à l’Anse-au-Griffon, la première que le village reçut dans son histoire. Elle portait un prénom prédestiné : Ève.

À l'époque, celle où notre grand-père entra à l’école pour une première fois, et par la suite, la maîtresse d’école demeurait sur les lieux. Je veux dire par là qu’une fois en place, elle risquait d’y demeurer un bon moment. Voilà sans doute l’ancêtre de la sécurité d’emploi. On lui offrait, à titre d’avantage relié à la tâche, la résidence, le bois pour l’hiver et un chèque mensuel, dont je tairai la teneur.

Éve Gaudreau. Grand-père peut encore, si longtemps après, redessiner dans son cœur et à l'intérieur de son âme, la beauté de cette jeune fille provenant d’un tout petit village situé à quelques minutes du sien, Saint-Maurice-de-l’Échouerie. Sa vie durant, lorsqu’elle en parlait, c’est d'un mouvement des lèvres donnant l’impression qu’un baiser s’en dégageait ; elle le nommait L'Échouerie. Une chevelure noire, remontée en toque,  des yeux oscillant entre vert et bleu, un visage si fin, si doux sur lequel les reflets des bougies qu’elle aimait installer un peu partout dans la salle de classe, s’arrêtaient pour y laisser une légère et gracieuse teinte oranger.

Je crois que dès le premier jour notre grand-père tomba follement amoureux de l’institutrice. Se dirigeant vers lui, elle prit sa main et lui assigna une place dans ce local caméléon - la texture des couleurs se transformait selon les saisons - une place qu'il jugea trop éloignée du bureau de l'enseignante. Elle combinait les élèves de manière à ce qu’un ancien prenne en charge un nouveau. Pour les filles qui étaient moins nombreuses, Ève les pairait afin de ne pas froisser les scrupules de la population. Notre grand-père, nouveau dans la classe de Mademoiselle Gaudreau, fut installé à l'arrière, seul dans son banc.

C'était ce septembre avant le Noël dont il sera question.

- Quel est ton prénom?

La voix chatouillait ses oreilles, encore maintenant il sait la faire rejaillir dans sa mémoire parfois faillible. Minuscule tintement, celui du vent accroché aux capteurs de rêves.

- Jean, répondit-il, des larmes dans la voix.
- C’est ton premier jour. Je comprends que tu puisses trouver cela difficile, mais tout ira bien.

Il la vit, de dos, retournant à la table qui lui servira de bureau tout au long de sa carrière. Lorsqu’elle réapparut dans toute sa grâce, lui adressant un sourire comme un envol d’ange, notre grand-père sut que l’école devenait le portail du ciel.

Ève demeura la maîtresse d’école de l’Anse-au-Griffon si longtemps qu’elle aura enseigné à plusieurs générations de petits Gaspésiens. Tous l’aimaient. Tous, mais aucun comme notre grand-père.

Ce qui, entre autres, caractérisait l’enseignante et s’incrusta dans l’âme même de notre grand-père, c’est le rituel du conte qu’elle avait instauré dans sa classe, en fait dans toutes ses classes. Elle racontait avec cette voix chantante d’où sortaient des sons mélodieux, des histoires tellement fantastiques, magiques parfois, que les rêves qui en découlaient, se paraient de couleurs et d’odeurs si vraies que la réalité devenait fade devant elles. C’est le vendredi, quelques minutes avant qu’elle ne laisse partir ses élèves pour un trop long congé selon notre grand-père, qu’elle s’assoyait à sa table, s’éclaircissait la voix avant de littéralement projeter les enfants dans l’imaginaire.

Ce matin-là, à quelques heures de Noël, revint à la mémoire de notre grand-père ce conte qu'elle leur adressa.


- Nous arrivons aux portes de Noël, je vais donc raconter une histoire qui vous suivra un peu comme un cadeau durant toute la période des Fêtes. Avant de commencer, je veux que vous sachiez que les contes reposent toujours sur du solide. On les arrange pour que ça soit beau, mais il y a toujours un fond de vérité. Aussi, celui-ci je ne le lirai pas, je vous le raconte de mémoire puisque c’est dans mon village de l’Échouerie qu'il s'est présenté à nous.

Notre grand-père Jean ne savait trop s’il devait se concentrer sur les paroles qui viendront d’une voix qui le chamboulait ou sur l’histoire. Il se plaça en mode écoute. Il ne fut pas déçu.

- Il était une fois, à l’époque où la Gaspésie se trouvait encore isolée du reste du monde, dans le si beau village de l'Échourie, une jeune fille qui ne croyait pas, mais pas du tout que la terre soit ronde. Elle voyait bien, fixant l’horizon au bout de la mer, qu’une courbe s’immobilisait semblant regarder à babord et à tribord. La jeune fille s’amusait à descendre vers la grève tous les jours. Les saisons transformaient ses traces, parfois en de petits trous grands comme des souliers qu’aussitôt la mer remplissait, parfois en des pistes neigeuses s’imprimant derrière elle. Ce matin du 24 décembre, comme à son habitude, marchant dans une neige poudreuse, elle s'immobilisa comme un lièvre au garde-à-vous, distinguant tout au loin, accrochée au bout de l’horizon visible, une sorte d’oiseau qui lui semblait immense. Elle connaissait bien les mouettes et les cormorans de l’été, mais un oiseau de cette stature s’envolant vers les berges enneigées et granuleuses, elle ne pouvait dire exactement ce que c'était. S’approchant de plus en plus, la majesté de ses ailes, la couleur de son plumage et ses griffes acérées, tout inspirait la crainte. Dans un long geste ralenti, il se posa aux pieds de la jeune fille, secoua le frimas que son lent atterrissage avait versé sur lui, telle une poudre farineuse emmêlée à la neige fondante. Ses yeux, des billes d’une noirceur infinie fixaient la spectatrice abasourdie mais qui, aussitôt sentit l’inquiétude se dissiper.

- Je viens du pays rond, dit-il dans un caquetage qu'elle déchiffra facilement, surprise de l’entendre lui parler et de pouvoir si bien le comprendre.
- Mais il n’existe pas ce pays, reprit-elle une fois l'étonnement volatilisé.  
- Si, là-bas, accroché à la ligne d’horizon. Regarde bien, ne te laisse pas distraire par le parallèle des lignes, le perpendiculaire des objets qui s’y dirigent ou toute géométrie essayant de te démontrer que le paysage est un long chemin qui tombe dans le néant, et tu verras le pays rond. On ne peut venir de quelque part qui n'existe pas. J’en reviens. J’y retournerai. S'il m'attend et me reçoit, c'est qu'il existe. 
- Comment puis-je être certaine que tu dis la vérité?
- Tu n’as pas à l’être. Comment es-tu sûre que la porte du vide soit cet horizon qui se profile devant tes yeux, celui que tu viens saluer depuis la grève ? Que devant toi, cet immense invisible à tes yeux, soit la fin de tout et le début de rien ?
- On me l’a dit. À moi, aux autres avant moi et nous le répéterons à ceux qui suivront. Parce que voilà la vérité.
- Laisse-moi te dire. Les grandes vérités qui alimentent ton monde proviennent de légendes imaginées, d’histoires imaginées, de contes imaginés que vous vous transmettez pour combattre la peur. Vous, les humains, avez ce besoin absolu d’immobiliser tout ce qui bouge pour en repérer les dangers. Vous vivez dans une continuelle crainte. Les étoiles ne devraient pas susciter l'inquiétude car elles sont vos ancêtres. Le vent ne devrait pas vous effrayer, il vous apporte des ambassades. Les saisons que vous avez nommées ne servent qu'à situer l'espace et le temps. La nature doit être un miroir reflétant la vie et le rêve. L’horizon, là où se cache le pays rond, une occasion de voir plus loin et plus grand.

L’oiseau poussa sur ses pattes avec une telle ardeur qu’en quelques envolées, la jeune fille le perdit de vue. Pas entièrement, car elle suivait cette tache dans le ciel jusqu’au moment où un minuscule point noir se percha sur l’horizon. 

À ce moment-là, pivotant la tête de gauche à droite, elle s’aperçut que la grève s’étendant vers les villages du côté du soleil levant puis ceux du soleil couchant, était bien petite par rapport à la vastitude s’étendant au bout de ses yeux.

Elle fit quelques pas. S’arrêta. À son grand étonnement, une fleur rouge se hissait de sous la neige. Un 24 décembre ! Sur la grève ! Une fleur ! Miracle ou cadeau abandonné par l’oiseau du pays rond souhaitant lui démontrer que la réalité dépasse ce sur quoi nous nous appuyons pour la définir ? Elle se pencha pour la cueillir afin d’apporter avec elle la preuve de la véracité de son histoire. Mais elle hésita, se disant que les preuves ne servent à rien d’autres qu'à alimenter notre ignorance, à brocarder nos rêves.

Elle lui donna un nom : poinsettia. Enfin, c’est comme ça qu’on l’entendit prononcer de sa bouche, mais en fait elle l’appela le point qui est là… là, pour là-bas.


Ève, l’institutrice, marqua un long moment de silence à la fin de son histoire. Elle promenait un regard sur chacun de ses élèves, s’arrêta dans les yeux envoûtés de notre grand-père. Elle sourit. Leur souhaita de joyeuses fêtes et les laissa partir.

C'est à ce moment-là que notre grand-père entreprit ses longues promenades sur la grève, cherchant quelque part dans les airs tout au fond de l’horizon, un minuscule point noir qui s’approcherait de lui... un poinsettia au bec.

Joyeux Noël.

23 décembre 2005
   

vendredi 19 décembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 27 -




- Je ne désespère pas qu'un jour nous assistions à la venue de transformations fondamentales dans notre système d’éducation. Transformations non pas changements. La volonté politique du gouvernement actuel est gage d’un avenir intéressant, enchaîna Abigaelle.
- Jeanne Lapointe est votre maîtresse de thèse.
- En effet. Elle a beaucoup insisté lors de la rédaction du Rapport Parent sur l'importance de l’enseignement au préscolaire devant être considéré comme l’assise de notre système. Certaines études contemporaines semblent induire que les trois premières années d’un enfant à l’école sont déterminantes pour sa réussite scolaire.
- Elle a parfaitement raison. Je suis convaincu qu’elle vous guide bien dans vos recherches.
- D’abord une littéraire qui a versé ses compétences auprès de nos plus importantes écrivaines. Pensons à Gabrielle Roy, Anne Hébert et Marie-Claire Blais.
- Il vous arrive de discuter littérature avec elle.
- Cette femme possède une culture infinie, chacun de ses propos en sont teintés.
- Ça nous éloigne de notre sujet, malgré que ce soit captivant.
 
Monsieur Granger se leva, retourna à l’intérieur du chalet pour revenir, deux autres bouteilles de bière en main. Reprenant sa place autour de la table extérieure son regard visait loin devant lui.
 
- Vous savez sans aucun doute, Abigaelle, que  le sujet de conversation lors des rencontres formelles que j’ai avec Mademoiselle Saint-Gelais, porte sur vous. Depuis l’épisode dans lequel j’ai dû intervenir directement, alors que Mademoiselle Germaine, revenue en fauteuil roulant de son terrible accident de voiture, eut réagi fortement à l’ancienne directrice qui l’avait affectée à la bibliothèque. Une guerre féroce, sans merci, s’est déclenchée entre les deux femmes.
- J’imagine un instant que cet affrontement n’avait pas les allures d’une divergence de point de vue sur le fonctionnement de l’école.
- À bout de force, l’ancienne directrice a abdiqué, préférant changer de milieu plutôt que vivre continuellement sous tension. Germaine a toujours été, enfin jusqu’à ce terrible accident, une personne agréable, dévouée, que tout le monde dans le village aimait. De plus, et ce n’est pas à négliger, elle était une très belle jeune fille.
- Elle est devenue alors la nouvelle directrice de l’école des Saints-Innocents.
- Voilà, et le calme est revenu. Son style autoritaire que nous ne lui connaissions pas, nous a surpris au début, mais il aura tout de même permis à l’équipe de vivre dans un climat de sécurité. Tout le village en a été ravi. Personne ne remettait en doute sa façon de gérer l’école et lui manifestait ce respect qu’on attribue aux personnes souffrant d’un handicap.
- Je vois.
- Et vous arrivez. Sans que ce soit votre intention, vous semez le doute dans l’esprit de quelques-unes de nos enseignantes qui travaillent pour nous depuis des années. Jamais la directrice n’intervenait dans les classes. Elle se réserve tout le contrôle sur la discipline générale qui souvent s’étend jusqu’à la vie privée des gens.
- J’appelle cela du caporalisme alors que pour elle c’est une approche d’utilité.  
- On me rapporte que votre style, au premier abord surprenant, en fascine quelques-unes.
- Ne vous trompez pas Monsieur Granger, le fait que je sois présente à l’extérieur pour les récréations du matin et d’après-midi, que je les anime, diminue la tâche de mes consoeurs.
- Je vais vous confier une information qui n’est pas encore révélée, mais qui suscitera du remous. Notre clientèle projetée pour septembre prochain, au niveau de la première année, ne nous permet pas d’ouvrir une classe. Il nous apparaît impensable que le service pré-scolaire ne soit pas offert, nous devons donc envisager une solution pour les huit élèves qui arriveront à la porte de l'élémentaire. La situation se stabilisera lors de l’année scolaire 1977-78. Je vous ai donc convoquée afin de défricher des avenues pouvant régler cette malencontreuse problématique.
- J’en ai discuté déjà avec Mademoiselle la directrice.
- Elle ne m’en pas informé.
- Ma suggestion est la suivante : faire cohabiter le pré-scolaire avec la première année. J’accepterais d’en prendre la responsabilité.
 
Monsieur Granger, stupéfait par les dernières paroles de Abigaelle, se grattait la tête. Manifestement il semblait sous le choc.
 
- Vous me dites en avoir parlé avec Germaine.
- Il y a tout de même un certain temps. Je lui ai proposé cette alternative lorsqu’il est apparu évident que mes élèves ne pouvaient être assez nombreux pour obliger l'ouverture d'une classe.
- Nous avons eu quelques rencontres à ce sujet au bureau de la commission scolaire. Le débat semblait tourner en rond. Personne autour de la table ne réussissant à contourner le problème autrement qu’en faisant voyager ces élèves vers une école du voisinage en mesure de les recevoir. Nous étions à l’étape d’élaborer un plan pour informer les parents. C’est à ce moment précis que Germaine a déposé la suggestion dont vous venez de me parler. La difficulté qu’elle entrevoyait et qui lui apparaissait majeure, c’était d’y affecter une enseignante. Lorsque j’ai avancé l’idée que vous pourriez être cette personne, immédiatement elle a déclaré qu’on ne pouvait l'envisager puisque son rapport à votre sujet, en plus de n’être pas positif, suggérait même un non-renouvellement de votre contrat. Vous savez comme moi qu’une première année d’enseignement ne donne pas illico la permanence, il en faut deux avec mention positive. Un rapport négatif signé par une directrice d’école à la suite d’une première année équivaut automatiquement à un renvoi.
 
Il y eut un profond silence. Deux bouteilles vides suintant quelques gouttes d’eau, immobiles sur une table d’un chalet près d’une rivière ressemblant davantage à un lac, semblaient se dévisager. Abigaelle aurait souhaité qu'à ce moment précis, qu'à nouveau le cri particulier du geai bleu fasse distraction. Il n’en fut rien.
 
- L’essentiel à mon point de vue, Monsieur Granger, c’est de trouver une alternative à cette problématique qui ne pénalise pas les élèves. D’ailleurs, comme vous le dites si bien, ce problème est ponctuel, l’an prochain tout devrait rentrer dans l’ordre.
 
Le président de la commission scolaire se faisait muet. Il regardait l’enseignante, les doigts de sa main gauche tambourinant sur la nappe de dentelle. Qui croire ? La directrice de l’école des Saints-Innocents qu'il connaît depuis des lustres ou cette étrangère qui présente le profil exact de qui doit œuvrer dans l’enseignement.
 
- Veuillez m’attendre un instant.


jeudi 18 décembre 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (36)

L'intérêt que je porte à ce « Projet entre nostalgie et fantaisie... » réside d'abord dans le fait de renouer avec des poèmes - bientôt j'élargirai le panorama en y greffant des textes - qui, pour certains, remontent à très loin. Y apporter des correctifs, ressentir encore l'inspiration et d'une certaine manière les rééxaminer en fonction de deux critères précis : le premier, le lieu de leur conception, le deuxième, la thématique. D'entrée de jeu il me serait facile de les cataloguer à partir du lieu où ils furent créés - Saint-Hyacinthe, Montréal, Vietnam - le climat les caractérisant, mais approfondissant davantage, je découvre - parfois je redécouvre - des atmosphères uniques pour chaque type de poèmes.

À titre d'exemple, celui-ci date de 2008, écrit à Montréal, certainement installé devant la grande fenêtre donnant sur la ruelle - les ruelles m'ont beaucoup inspiré dans la majesté montréalaise, les ayant marchées durant plus de sept ans - y attendant le gros chat jaune, le petit chien jappeur dont la propriétaire, continuellement, jappait plus fort que lui pour le rappeler alors qu'il ne cessait de s'éloigner ; les oiseaux, ces gros oiseaux noirs que craignaient les autres à qui je lançais des morceaux de pain qu'ils ne pouvaient rarement s'accaparer ; les écureuils, que j'ai continuellement collationnés à des rats diurnes, mais avec une queue frisée en permanente, s'amusant, par leurs habitudes dévastatrices, à tout ronger autour d'eux, auront réussi à me les faire détester.

Ce poème, donc,  je me souviens très bien qu'il dissipa la neige dans ma ruelle, autorisa un astronaute à y déambuler suivi par deux corbeaux. Je le relis et retrouve à nouveau cette recherche qui m'habitait à l'époque, à savoir si au bout de la dernière ruelle existant en ce bas monde, il y avait autre chose, de plus... de moins... quelque chose comme autre chose !
 




                   un astronaute, des corbeaux… au loin

un astronaute marche dans la ruelle
il parle tout seul
dans sa main asséchée

une bouteille d’eau de l’au-delà
il bat la mesure… militaire
un pas appelant l’autre


au loin… deux corbeaux le suivent

 

l’apesanteur pèse lourd aux talons astronautes
se colle au bitume automnal
comme de la glue martienne

du sable rouge accroché à sa ceinture scaphandre
aspire les trous noirs de l’univers 
comme des aimants dépolarisés


au loin… deux corbeaux le poursuivent


au bruit qui taraude une clôture, sursaute l’astronaute,
de muettes comètes s’y pendent, accrochées à l’envers,
radieuses de leurs promesses aériennes

elles charrient des vents stellaires étourdissants
alors que s’enfuient deux oiseaux d’acétylène


de loin… deux corbeaux lui survivent


un télescope inversé dans son inutile bagage
tintinnabule aux talons de l’astronaute
au fond de la ruelle hébétée, il fixe des yeux


ces hordes désaccordées de corbeaux accumulés
ont embrouillé son chemin, long azimut perdu


deux corbeaux, pierres de lune, 
s’immobilisèrent
deux corbeaux solaires 
s’éclipséerent de la bande…
et de loin…
s’approchèrent de l’astronef

 

22 décembre 2008




lundi 15 décembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 26 -

 


La rencontre aura lieu dans un endroit totalement inconnu d'Abigaelle. Henriette, le plus discrètement du monde, lui avait remis une enveloppe dans laquelle étaient précisés la date, le lieu et l’heure du rendez-vous fixé par Monsieur Granger, le président de la commission scolaire, précisant que tout devait se faire dans la plus complète discrétion.
 
Le lundi 31 mai, un plan tracé à la main, une route longeant la rivière Croche, Abigaelle arrive devant un chalet parfaitement dissimulé derrière une haie de buissons touffus, de sorte qu’il eut fallu véritablement savoir qu’une habitation y était construite pour y accéder. Il était 16 heures. 30 minutes avant l’heure prévue.
 
Le président de la commission scolaire, debout sur un balcon encombré de pots de grès dans lesquels diverses sortes de plantes respiraient paisiblement l’air de fin d’après-midi, l’attendait. Elle eut beau chercher, elle ne réussissait pas à toutes les identifier.
 
- Mademoiselle Thompson, merci de répondre à mon invitation.
- Monsieur Granger, vous m’invitez dans un coin de la région dont j’ignorais complètement l’existence.
- Vous n’êtes pas la seule. Allons, venez vous asseoir sur la terrasse derrière.
 
Abigaelle fut éblouie par la beauté du paysage qui s’offrait à elle. La galerie donnait sur la rivière qui lui apparût si large, si longue, rien à voir avec les endroits où elle allait taquiner le poisson. Une rivière ressemblant à un lac.

                                            
 
- Je vous offre quelque chose à boire ?
- Ce que vous prenez m’ira bien.
- Ça sera une bière.
 
Monsieur Granger entra à l’intérieur de ce chalet rendu irréel du fait de son éloignement du village. Il revint, deux bouteilles, deux verres qu’il déposa sur la table couverte d’une nappe de dentelle.
 
- Vous vous demandez sans doute quel sujet vaut cette singulière invitation et la raison pour laquelle je ne vous ai pas convoquée au bureau-chef de la commission scolaire.
- En effet je me pose la question, présumant qu’il s’agit de l’organisation scolaire pour l’an prochain.
- C’est une partie de ce que je considère comme l’ordre du jour.
- Alors c’est une rencontre officielle ?
- Oui et non.
 
Les deux trinquèrent sans porter de toast. Déposant son verre, le président de la commission scolaire y alla d’une question.
 
- Comment analysez-vous cette première année dans le monde de l’enseignement, qu'en retenez-vous ? J'ajouterais une sous-question, qu'en est-il de votre adaptation dans un patelin qui n'a rien à voir avec la grande ville ?
- Je croyais que le bilan devait se faire auprès de la directrice de l’école.
- Elle vous convoquera pour un exercice similaire, si elle le juge nécessaire.
- Je dois vous dire tout de go qu’un bilan avec vous sera fort différent de celui que j’aurais à établir devant Mademoiselle Saint-Gelais.
- Je n’en doute absolument pas.
 
Dans le silence qui enveloppa les derniers mots de Monsieur Granger, un superbe cri d’oiseau le brisa. Un geai bleu, probablement. Un cri pouvant rappeler la symbolique de cet oiseau, l’intrépidité et la protection. Abigaelle ne connaissait pas cet oiseau bleu. On lui avait dit qu’ici dans la province de Québec, c’est un oiseau rare et qu’il fallait interpréter sa présence comme une bonne augure. S’accrocha à ce sens, elle ressentit un sentiment profond, celui de pouvoir s’exprimer sans crainte.
 
- Ce n’est pas un beau cri que celui de cet oiseau. Son éclatement bref semble dire ou indiquer qu'il faille se protéger ou que, déjà, la protection nous enveloppe, dit-elle, déposant son verre sur la table.
- Ce geai bleu, étrangement, règne sur cet espace qui, lorsque j’en suis devenu propriétaire ne recelait que des grives, des hirondelles bleues et la nuit, une chouette au hululement énigmatique.
- Vous êtes amateur d’oiseaux ?
- Ne déviez pas la conversation, l’ornithologie ne fait pas partie de l’ordre du jour.
- Je reviens alors à votre question. Cette première année d’enseignement aura été remplie de consolation auprès de mes huit élèves pour qui je me suis dépensée sans compter. Ils ont progressé comme êtres humains ainsi qu'acquis des habiletés qui feront d'eux d'excellents élèves du primaire.
- On m’a souvent rappelé que vous les définissiez comme des élèves du pré-scolaire et que le mot «maternelle» vous répugnait.
- Vous savez, tout comme moi, que ces classes doivent être étiquetées du vocable «pré-scolaire».
- Vous avez parfaitement raison et, sans doute, avez-vous constaté la résistance de notre milieu aux changements. N’êtes-vous pas, d’ailleurs, de l’école Montesorri ?
- Je me classe plutôt parmi les éclectiques. J’apprécie beaucoup la théorie des talents que propage la pédagogie ouverte, mais c’est encore à l’état embryonnaire. Actuellement je me réfère principalement à Jean Piaget, le constructiviste.
- J’imagine que le personnel en poste à l’école se situe à des lieux de vos préoccupations.
- Modifier des comportements, des attitudes ou des croyances, cela exige du temps.
- Également la volonté intrinsèque de changer.
- J’avoue que la directrice actuelle n’est pas tout à fait dans cette ligne de pensée. Nous avons eu, elle et moi, certains accrochages allant même jusqu’à des affrontements, mais je m’en suis toujours tenu à respecter mes limites, à installer clairement et franchement une ligne rouge, à savoir que jamais les enfants ne doivent être traités d’une façon qui puisse nuire à leur évolution.
 
Monsieur Granger se frottait le menton, un peu comme s’il souhaitait enchaîner sur les propos de Abigaelle. Il se retenait toutefois afin de laisser tout l’espace de parole à l’enseignante afin qu'elle puisse avancer dans l’élaboration de son bilan.
 
- Intéressant ce que vous me dites. Intelligente, vous percevez bien que plusieurs, sinon tous les échanges entre vous deux ont rebondi à mes oreilles.
- Ce qui, en rien, n’aurait modifié mon argumentation.
- Je m’en suis rendu compte assez rapidement. D’ailleurs, lorsque le ministre de l’Éducation m’a parlé de vous, me suggérant de vous embaucher, il m’avait prévenu que votre caractère pouvait, disait-il... s'avérer audacieux, hardi même.
- La relation avec Monsieur le ministre est vraiment un autre sujet, mais lorsqu’il m’a proposé un poste dans une commission scolaire dirigée par un président ouvert aux nouveaux courants pédagogiques, s’alignant sur la modernité dans la gestion administrative des écoles, je me suis laissé tenter malgré le fait que les Saints-Innocents soit éloigné de l’université Laval où j’ai entrepris mon doctorat.
- Je vous considère comme un atout important dans notre organisation. Il y a une sous-question à la principale, que retenez-vous de votre intégration au village ?
 
Abigaelle scrutait le visage de cet homme dans la soixantaine ; pouvait-elle demeurer à l’aise avec ce qu’elle souhaitait lui raconter tout en cherchant à en apprendre sur son influence dans le village des Saints-Innocents.

Elle reprit la parole.

vendredi 12 décembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 25 -

                           



Non. Difficile à dénombrer les fois que Abigaelle se le répétait à la suite du départ de Monsieur Champigny qui, c’est du moins l’idée qui restait collée dans sa tête, qui lui avait raconté de bien belles histoires auxquelles elle ne croyait tout simplement pas.
 
Humidité ! Aucun problème, un déshumidificateur allait tout régler ! Allons donc ! Passons tout droit pour la pensée magique ! 

Cette situation est-elle nouvelle ? Récente ? Monsieur Saint-Gelais, en charge de l’entretien de la maison, n'a-t-il pas été conscient, au moins une fois, de la présence de ces odeurs ?
 
Il faut croire qu’une interrogation soit une pente glissante : on y accumule de la vitesse si on ne parvient pas à  freiner. Ce propriétaire vit-il en Floride seulement l’hiver ? Le fait d’avoir exigé qu’elle dépose les paiements de son loyer directement à la poste, aux mains de Angelina qui, avait-il dit « allait assurer le suivi » serait-ce un indice que cet éloignement puisse s’étirer sur plusieurs mois ? Ne lui avait-il pas signifié qu’elle pouvait communiquer avec lui en cas d’urgence à partir d’un numéro de téléphone avec fonction 1-800, c’est-à-dire un appel sans frais. Ce qu’elle fit au début du printemps ; la réponse fut qu’il verrait à s’occuper de cette fâcheuse situation à son retour, devancé en raison du décès de Monsieur Delage. Devancé ? 
 
De quelle nature cette relation avec l’ancien propriétaire du Steinberg ? Y aurait-il eu collusion entre Champigny, Saint-Gelais et Delage ? Si oui, de quel genre ? À quel moment donné ? Depuis quand ?
 
Trop d’éléments échappaient à sa compréhension pour le moment. Il lui fallait davantage de faits vérifiables afin d’éclaircir tout cela.  Pour y arriver Abigaelle devra creuser dans l’histoire de ce village afin de démêler les écheveaux, découvrir le fil d’alliage. Elle envisage en parler à la personne en qui sa confiance demeure inébranlable, la postière.
 
Elle partagea le reste de ce dimanche entre l’écriture de sa thèse doctorale et le peaufinement d’une stratégie visant à désentortiller l'affaire de la maison qu’elle louait et connaître les diverses ramifications passées et présentes tissant l’histoire du village qui, de jour en jour, la captivait davantage.
 
Elle crut prudent de ne pas partager ses intentions avec Herman Delage, n’étant pas absolument certaine que son père, d’une manière ou d’une autre, ne fut mêlé ou associé au duo Champigny-Saint-Gelais. 

La présence de l’épouse Champigny aux funérailles de la veille, alors qu’elle a pour habitude de revenir aux Saints-Innocents qu'au début de l’été et pour quelques semaines seulement, l’intriguait tout autant. 

Sans être adepte des romans policiers, elle leur avait tout de même consacré plusieurs heures de lecture durant son adolescence. Sa mère lui offrait régulièrement les œuvres de Agatha Christie malgré le fait qu'elle soit davantage friande de John Le Carré, auteur britannique de romans d’espionnage. Lors de son court séjour à Londres, elle avait pu assister au lancement de la réédition du livre dont elle conserve un vibrant souvenir, L’espion venu du nord.
 
Concentrée sur son travail universitaire, Abigaelle ne pouvait s’empêcher de réfléchir à ces foutues odeurs, moins agaçantes à l’étage où est installé son aire de travail. Son bulbe rachidien dont la mission est d’analyser et interpréter les odeurs lui jouait-il des tours ? Monsieur Champigny avait bien décelé des «odeurs insoutenables» en remontant de la cave, mais ne s’en était pas plaint lorsqu’il raconta ses histoires du village, installé dans la cuisine. Il l'avait interrogée strictement sur leur possible présence à l’étage. Pas plus.

Du côté de Monsieur Gérard, quand il lui avait révélé que ces odeurs étaient perceptibles dans la cave, sans doute liées à un problème d'écoulement d'eau, il ne glissa aucun mot de ce qui pouvait en être au rez-de-chaussée où, avec Henriette son épouse, il avait dîné l'automne dernier et encore moins à l’étage, l’espace où il avait grimpé le fameux sofa. Le problème ne se situait aucunement dans ses fosses nasales parfaitement intactes selon le médecin qu’elle avait consulté.
 
Un mauvais tour de son imagination ? Ces odeurs relèvent-t-elles d’événements survenus alors qu’elle vivait en Australie, à proximité des eucalyptus ? De Londres, alors ? Ou des universités montréalaise et québécoise ? Tout cela bouillonnait dans son esprit, la distrayait, l’éloignant de la tâche qu’elle souhaitait voir progresser.
 
À cela s’ajoutait le fait que le président de la commission scolaire lui avait fait savoir, par Henriette la secrétaire de l’école, qu’il souhaitait la rencontrer le plus rapidement possible quelque part avant le début du mois de juin. Abigaelle se doutait que l’organisation scolaire de la prochaine année pouvait en être le sujet. Quelque chose d’autre, peut-être ?
 
Finalement, elle quitta son bureau, déposa un disque sur la console, s’installa sur le grand sofa, se disant qu’un moment de détente ne pouvait lui être qu'utile.

*****

                     


- Saint-Gelais, va falloir que tu retiennes ton garnement de fils, ses gaffes deviennent de plus en plus énervantes.
- Qu’est-ce qu’il a encore commis comme niaiserie, questionna le vieil homme après s’être assuré que personne dans la maison puisse l’entendre.
- Des menaces à ma locataire.
- Lui comme moi on n’aime pas tellement les étrangers dans le village, surtout qu’en plus tu lui loues la maison.
- J’ai été quasiment obligé.
- Obligé ? Par qui ?
 
Monsieur Champigny, mal à l’aise, un peu comme s’il devait dévoiler un secret qu’il aurait préféré taire, se râcla la gorge avant de reprendre la parole.
 
- Le gars de la commission scolaire. 
- Granger ?
- Ouais ! Le supposé propriétaire des terrains avant la vente officielle par la municipalité : celui sur lequel l’école primaire est construite et celui sur lequel repose ma maison.
- Ça fait quand même plusieurs années cette histoire.
- Exactement. Tu te souviens du départ…
- … de l’espèce d’énergumène qui avait construit deux maisons pareilles…
- … oui, lui. À l'époque, Granger avait déposé une offre de rachat, mais comme la municipalité n’avait toujours pas reçu de réponse à la suite de l’avis l'invitant à payer les arriérés de taxes, il est devenu, par je ne sais trop quelle entourloupette, légataire, en attendant que tout débloque. C’est à ce moment-là qu’une erreur de notre innocent de notaire est survenue.
- Erreur ?
- Lorsqu’il a reçu le mandat de procéder à la vente des deux maisons, celle du rang sans nom qui a été achetée par la famille Cloutier et la mienne, l’homme de loi, incompétent comme c’est pas possible, a rédigé les deux actes de vente dans lesquels il avait inscrit sur chacun que le terrain n'en faisait pas partie.
- Autrement dit le gars de la commission scolaire ramasse deux terrains sans avoir eu à verser une cenne.
- Il y a mieux. Les deux terrains, dans les faits, n’étaient qu’un seul.
- C’est vrai qu’à ce moment-là, la rue Principale ne débouchait pas sur la route nationale.
- Ce qui fait que j’ai acheté une maison sans terrain. Lui, le gars de la commission scolaire, avait exigé plusieurs mois avant que de légataire il soit considéré comme propriétaire. Pour éviter sans doute les ragots, faciliter l'affaire et répondre à un besoin de la population, il promit que le terrain en face de ma maison serait vendu pas cher à la commission scolaire pour qu’on y construise une école. Il a fait inscrire dans l'acte d'achat qu'il accordait un droit acquis seulement pour la maison, celle que j'ai finalement achetée sans tout lire, surtout les petits caractères en bas des pages. Il aurait dit que c'était une façon d'éviter qu’on la démolisse pour laisser le terrain vacant. Il recevait la deuxième, celle du rang qui n'avait à peu près pas de terrain et que les Cloutier ont achetée, il la récupérait en raison d'une clause hypothécaire un peu embrouillée. Tout cela a été l'oeuvre du notaire peu concentré ou très astucieux.
- Quelle affaire !
- Je me retrouve donc avec une maison construite sur le terrain qui appartient à un autre. Même affaire pour Cloutier, mais j'ai entendu dire qu'une entente aurait été conclue entre le fils Cloutier et Granger. C'est à voir.
 
Les deux hommes, face à face, semblaient s'interroger. Pourquoi le type de la commission scolaire, le président Granger, avait-il «obligé» Monsieur Champigny d’accepter de louer la maison à cette nouvelle enseignante ? Quel est le contenu de l'entente liant Daniel Cloutier et le propriétaire des terrains ?
 
Problèmes à élucider...

mardi 9 décembre 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (35)

 


sapin
 
il vivait seul, ce sapin,
au cœur d’une plaine plus étendue encore 
que l’horizon qu’il coupait en son centre,
ombrageant le sol de sa forme 
imparfaitement triangulaire
il piquait le ciel en étendant ses longs doigts d’épines
 
il se voyait à travers son regard résineux
gigantesque pin, baobab colossal
abandonnant, enfouis à ses pieds,
mille éperons aiguisés que charriait le vent rougissant
 
parmi le silence alentour, seul, ses bras écartés, crucifiés,
porteurs de nids d’oiseaux de proie,
le sapin au tronc enceint de ravins sauvages
fixait en permanence les destinés coriaces
 
arbre aux ramures solides, fluides, 
des vagues sur l’écorce du temps
il redoute la solitude, 
celle des attentes rabâchées,
des mots ensevelis dans les trous du vent, 
ce briseur d’immobilité, 
celle qui cravache, qui éteint les espoirs 
funèbres d’un sapin
rêvant du baobab qu’il aurait pu être
du pin qu’il ne sera jamais, peut-être... 
 
28 juin 2015







traînée d’oiseaux migrateurs
 
 
une traînée d’oiseaux migrateurs
longue flèche de cris stridents
fend la rivière de nuages fonçant vers ailleurs
 
-          ce qu’ils voient…
 
des égratignures de glaciers
stigmates à leurs griffes
refroidissent le ciel, éclaircissent vents et pluies
 
-          ce qu’ils voient ne semble pas…
 
une traînée d’oiseaux migrateurs
éternelle signature du temps au-dessus de nous
charrie parcelles par parcelles du soleil vers le soleil
 
-          ce qu’ils voient ne semble pas les arrêter…
 
leurs ventres blanchis pareils aux ours de nos polarités
glissent plus loin encore que l’horizon de nos yeux
autant de points scintillants nord sud au-dessus de nous
 
-          ce qu’ils voient ne semble pas les arrêter 
             malgré tout…
 
une traînée d’oiseaux migrateurs
nomades connus retrouvant les sillons de la lune
signes du passage des odeurs automnales, de printemps
 
-        ce qu’ils voient ne semble pas les arrêter                                    malgré tous les murs…
 
leurs yeux fixes comme des convois en fuite
tracent des chemins, noircissent le bleu du ciel
abattent les frontières
 
       ce qu’ils voient ne semble pas les arrêter
            malgré tous les murs que nous dressons…
 
 
7 octobre 2015
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lundi 8 décembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 24 -



Le propriétaire de la maison louée par Abigaelle, située juste en face de l’école primaire des Saints-Innocents, à l’extrémité sud du village, dernière habitation sise sur la rue Principale, à quelques centaines de mètres de la route nationale, celle qui mène vers la grande ville, Monsieur Champigny s’y présenta comme il l’avait signifié à sa locataire dans les minutes qui suivirent l’appel téléphonique de celle-ci, un appel bref et courtois mais qui mettait clairement sur la table le problème - ou les problèmes - que celle-ci rencontrait en-dehors de la saison froide et que Monsieur Gérard n’arrivait pas à résoudre.
 
Il faisait beau en ce dimanche après-midi de mai ; s'avérerait-il gage d'une solution aux désagréments olfactifs submergeant la maison ? 

L’incident survenu avec le conducteur de la camionnette bleue avait ravivé le malaise que lui avaient inoculé Daniel et Don lors du déjeuner, au lendemain des funérailles du père de Herman Delage. Des questions mijotaient dans son esprit. 

Quel lien unit Benoît Saint-Gelais à son propriétaire ? Pourquoi l’a-t-il menacée si elle continuait à répandre 
« toutes sortes d’affaires au sujet de cette maison » ? 
Comment expliquer la provenance de ces odeurs fétides disparaissant à la fin de l’automne pour réapparaître sitôt la chaleur venue ? 
Pour quelle raison tout le monde qu’elle connaît dans le village désigne son propriétaire qu'à partir de son nom de famille, jamais Monsieur Champigny ? 
Pourquoi cette maison est-elle demeurée si longtemps inhabitée puis, subitement, en septembre dernier, la lui louer avec ce sourire aux lèvres dont elle a encore mémoire, un sourire sardonique ?
 
À ces questions s’ajoutaient quelques faits précis qu'inconsciemment elle avait glissés sous le tapis : 
« Les informations que vous me donnez, je peux les vérifier auprès de la personne que vous me référez ? » 
« C’est le président de la commission scolaire qui vous recommande à moi. » 
« Attendez mon retour et je verrai ce qu’il faudra faire avec cette situation. »
 
Pour sûr, dans le village des Saints-Innocents, les nouvelles voyagent rapidement, se transforment ou s’étirent devenant de merveilleux sujets à rumeurs. La location de cette maison fut d'abord reçue comme une formidable surprise. La louer à une inconnue provenant de la grande ville, une jeune femme, seule, propriétaire d’une Westfalia orange, symbole mythique chez les hippies du temps, enseignante, chasseuse, pêcheuse, étudiante à l'université Laval de Québec et qui semble ne pas du tout s'entendre avec Mademoiselle Saint-Gelais, la directrice de l'école.
 
À un certain moment l’entretien de l’extérieur avait été confié à Benoît Saint-Gelais, le fils de celui que tous considèrent comme l’associé de Monsieur Champigny, une tâche qu’il négligera assez rapidement et que le père dut ajouter aux autres.

*****

Alors que Monsieur Champigny jetait un coup d’oeil rapide à l’aménagement intérieur de sa locatrice pour ensuite se diriger dans la chambre à coucher, là où à l’intérieur de la garde-robe se trouve l’ouverture menant à la cave, Abigaelle, dans sa cuisine, attendait, perplexe, que celui-ci remonte pour qu’enfin elle sache ce qui en était de ces odeurs fortement présentes dans la maison malgré les fenêtres ouvertes.
 
Le propriétaire revint :
- En effet, c’est plutôt insoutenable. Est-ce aussi présent à l’étage ?
- Plus dilué je pourrais dire.
- Bon. Est-ce que vous utilisez la cave pour entreposer quelque chose ?
- Je n’y suis jamais descendue. Le dernier qui a osé affronter ce barrage d’odeurs, c’est Monsieur Gérard…
- … le mari de Henriette, la secrétaire de l’école…
- … exactement et il a donné sa langue au chat.
- Bon. Il m’apparaît important de vous informer sur certains détails qui ne résoudront sans doute pas le problème, mais qui pourraient nous être utiles. 
- Je vous écoute Monsieur Champigny. Assoyez-vous.
 
Il ne fut pas long à se lancer dans des explications remontant à la date de construction de la maison, son abandon ex abrupto - le terme qu'utilisa le notaire à l'époque - par le premier propriétaire, celui qui en avait tracé les plans et l'a bâtie, la vente en 1960, date à laquelle il l'avait achetée. 

La municipalité des Saints-Innocents avaient mis en demeure le constructeur de cette maison ainsi que celle au bout du rang sans nom - les deux immeubles lui étant attitrés - de payer les arriérés des taxes sinon de se voir contraint de les laisser à la discrétion de la municipalité pour qu'elle voit à les revendre au plus offrant.  Il y eut une coquille dans l'acte de reprise, le notaire avait oublié d'y ajouter les terrains sur lesquels elles étaient érigées, ce qui posa un sérieux problème pour celle du village puisque celle du rang n'était pas inscrite au cadastre de la municipalité. N’ayant jamais donné suite à cet avis, la maison du rang sans nom fut vendue aux parents de Daniel alors que Monsieur Champigny s’accaparait de celle-ci. « Une question d’impôts. » insista-t-il. D’année en année il la faisait rénover et entretenir par Monsieur Saint-Gelais, un habile artisan avec qui il faisait des affaires. Ces affaires - officiellement - se résumaient à louer leurs terres à de grosses compagnies agricoles qui les exploitent - des plantations de maïs. 
 
- J’ai bien tenté d’incorporer ces derniers temps le fils Saint-Gelais, mais comme la plupart de ses tentatives à travailler, mon invitation ajoutée à celle de son père n’a rien produit de positif. C’est un sacré garnement ce bonhomme-là.
- Puisque vous soulevez son nom, seriez-vous en mesure d’expliquer l’intervention… disons... pour le moins agressante à mon égard cet après-midi ?
- Agression ?
 
Abigaelle lui raconta l’incident sans mentionner l’intervention indirecte de Don.
 
- La seule chose que je peux vous dire est de vous tenir loin de cet énergumène. Je crois que tout à chacun du village, à un moment donné, a cru qu'en l’aidant cela pourrait lui permettre de se prendre en mains. Même notre ancien curé a fait des efforts, c'est certainement lui qui aura été le plus constant. Dieu ait son âme !

Abigaelle recevait ces paroles avec circonspection, les enregistrant quand même dans sa mémoire. Toutefois, rien encore semblait se diriger vers une solution, à tout le moins une explication de son problème. Elle le lui mentionna.
 
- C’est certain que cette maison, malgré que j’aie toujours pris soin de la maintenir en bonne condition, a souffert de l’humidité. Vous savez que je passe la majeure partie de l’hiver en Floride avec ma femme. D’ailleurs, j’ai moi-même été agréablement surpris qu’elle soit venue assister aux funérailles de Monsieur Delage, alors qu’elle a l’habitude d'être ici quelques semaines seulement, en juillet de chaque année. Donc, ce qui m’apparaît comme une évidence dans le problème de cette maison, c’est un surcroît d’humidité accumulée avec les années. Je vais consulter un spécialiste qui me suggérera sans doute d’installer un déshumidificateur dans la cave. Vous ne voyez pas d’objection à ce qu’un fil électrique se promène dans votre chambre à coucher et qu’en conséquence la facture d’électricité soit un peu majorée.
- Pas du tout, ce qui m’importe c’est que ces odeurs s’estompent le plus rapidement possible.
- Bon. Je m’en occupe. Je vais vérifier auprès de Saint-Gelais au sujet de la fosse sceptique. Il a parfois des trous de mémoire. Permettez-moi un petit conseil avant de vous quitter.
- J’écoute.
- Ce village peut apparaître tranquille à première vue, mais il possède sa face cachée, ses secrets, certains datent d'il y a longtemps.
- Votre conseil ?
- Évitez de trop parler. On dit souvent que les murs ont des oreilles, mais ici les oreilles sont partout, souvent même là où on ne s’y attend pas. Au revoir Mademoiselle Abigaelle.
- Merci pour votre intervention.
- Bon. J’oubliais. Comme vous aurez probablement une augmentation de votre facture d’électricité en raison d’une surconsommation imprévue, le coût du loyer sera le même pour l’an prochain, si vous demeurez ici, bien entendu.
- Je n’ai pas l’intention de quitter. Vos propos ont aiguisé ma curiosité.
 
Il sembla à Abigaelle que les odeurs s’étaient légèrement masquées.



Projet entre nostalgie et fantaisie... (37) CONTE DE NOËL

Ce texte date du 23 décembre 2005, au tout début de la création du blogue LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON .  Les premiers billets avaient pour ...