Une semaine après...
Il faut bien continuer.
À la porte du trois centième saut, celui qui m'obsède tout comme le deux centième le fit, j'avais besoin de boucler la boucle. Les funérailles de Fleurette au cours desquelles nous fûmes tous et toutes «évangélinisés» par la présence de l'absente, la voix de Louise, celle de Monique, puis Christiane, Pierre, la voix chantante et unique de Madeleine, Françoise et finalement Sylvie, alors que Jacques vaquait dans l'autre salle à tout préparer pour la réception...
L'agencement des photos anciennes par Sylvie Durocher et les photos actuelles de Roger...
Les fleurs de Claudette au nom de Gérard, les petits-enfants émus et les arrière-petits-enfants qui couraient puis s'arrêtaient...
La vidéo que Laurent enregistrait et Julien invitant les gens au portable sur lequel Fleurette nous faisait sourire...
Et la grande visite de Bromptonville et de Gentilly, oncles et tantes, cousins et cousines...
Les voisins et les essentielles voisines de Fleurette alors qu'elle vivait à Douville... les amis réconfortants dans leur chaleureuse présence...
J'avais besoin de boucler la boucle.
Je le ferai en songeant à mes frères et soeurs, comme moi orphelins de père et mère, en vous faisant partager un grand poème, il est de Suzanne Paradis, celle que l'on surnomme la Marie Noël québécoise.
Il s'intitule: POUR LES ENFANTS DES MORTS. Non, il n'est pas triste, on ne peut pas être triste lorsqu'on est enfant de Fleurette, il est tout juste un peu nostalgique.
POUR LES ENFANTS DES MORTS
Ce fut un héritage et ce fut une étoile
les promesses parlaient leur langue maternelle
les beaux cerceaux vibrants remontaient les collines
et les feux éclataient en danses grandioses
Le dimanche à plat dans les roses
embaumait la place au soleil
le dimanche a marqué les choses
On ne parlera pas aux livres des mémoires
de l'ombre au trèfle usé par la chute des mains
la gloire incendiait les yeux des bouffons noirs
et des géants veillaient sur le sommeil des fleurs
Et le dimanche était en route
par des chemins moitié secrets
c'est le dimanche qu'on écoute
Ce fut un songe, un songe aux pommiers écarlates
et les chevaux rentraient des nuits sous les mélèzes
des chants de cloche sourds émanaient des villages
et des vieux prédisaient les lointaines tempêtes
Et le dimanche aux frais visages
courait avec les beaux enfants
et le dimanche avait leurs âges
Ce fut un ballet de silhouettes menues
le silence ronflait sur les trétaux de bois
avec leurs habits verts dansaient au son des flûtes
les enfants dont les yeux épuisaient l'avenir
Et le dimanche à la voix blanche
passait tout bas entre leurs pas
et le dimanche était dimanche
Quand les vents s'étiraient sur les jardins de pierre
et les volants épars de leur robe de jeu
des ombres jaillissaient et fleurissaient multiples
comme des pluies chargées de commencer les fleuves
Le dimanche épousait le monde
aux joncs de mousse et d'églantine
le dimanche épousait le monde
Ce fut un continent de voyageuses îles
tout ce qui l'habitait avait connu l'histoire,
les hommes et leurs champs, la paroi de l'aurore
levaient au coeur du blé leur moisson millénaire
Le dimanche a pris nom de l'aube
quand la plus belle ivraie trouva
la couleur du pain et du bois
Quand ils ont incliné le versant des montagnes
et jeté le grand fleuve aux quatre morts des lacs
les ponts ont traversé d'un roc ouvert à l'autre
avec la légèreté d'une passerelle
Et dimanche on voyait partir
les caravelles et les voiles
dimanche on pouvait toujours fuir
Ce fut un tremblement à broyer les espaces
une fin d'Amérique à frontières fermées
personne n'en eut vent au-delà de la grève
à l'abri des forêts ce fut une mort folle
Et dimanche couvrait la plage
dans les cailloux et les roseaux
dimanche et ses joies de village
Pour les enfants des morts on racontait les choses
les bergers présidaient le massacre des loups
les grands deuils d'animaux dans leurs rites souvages
que les peupliers même ont oubliés... Pas nous
Le dimanche au soleil de fête
- quand les enfants s'en sont allés -
le dimanche est parti en tête
Depuis on a perdu la piste dessinée
sous les départs lointains la trace inachevée
et les temps et les corps et les yeux ont changé
à tel point que le vent n'ose plus les surprendre
et le dimanche au coeur de chien
sans loi ni maître et sans absence
et le dimanche n'est plus rien.
Au prochain saut
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