mardi 24 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (9)

Bébé Bao

Rares les occasions où j’entreprends une chronique sans connaître le sujet au départ, avec, indéfini, vague ou encore très précis, un plan partant de son élan de départ et sa conclusion.

C’est le cas aujourd’hui. Après avoir consulté mon cahier de notes noirci dans les cafés, les bus ou au retour d’une promenade - vélo ou moto - dans lequel plus souvent qu’autrement se cachent une impression, une image, parfois des phrases à retravailler me permettant de lancer un billet; trois passages reposent au cahier depuis déjà un bon moment. Je les retranscris afin de pouvoir les commenter par la suite. On verra en cours de route s’il faudra plus d’un billet pour y parvenir.

Le premier

-   Je remarque davantage les corps humains qu’auparavant sans arriver à comprendre comment la nature (ou la génétique) a réussi à doter les Vietnamiens, hommes et femmes, d’une telle allure de jeunesse. Même les personnes âgées me semblent jeunes.



C o m m e n t a i r e


Combien de fois je me suis passé la remarque : s’agit-il du grand frère qui va marchant avec dans les bras un jeune bébé de quelques mois? Pour m’apercevoir qu’il s’agit du père. Ou celle-ci : elle me semble bien jeune pour traîner avec elle ces petits enfants alors que c’est la maman.

Pour les personnes âgées, on leur donnerait cinquante ans; dans les faits, elles ont dépassé la soixantaine depuis un bon moment déjà.

La moyenne d’âge au Vietnam est d’environ 25 ans. C’est autour de la trentaine que les couples se marient. Parents de deux enfants, ça me semble être la règle bien que rien ne les empêche de dépasser ce nombre, la progéniture s’arrête là. Comme la famille est le pivot de la société vietnamienne, plusieurs couples vivent chez les parents, que ce soit l’épouse chez ceux de son mari ou l’inverse. Il ne semble pas y avoir de norme stricte là-dessus mais toutefois c’est assez généralisé.

Dans la note, je dis remarquer davantage les corps humains, que leur éternelle jeunesse surprend. Ils conservent un physique adolescent sur une longue période de temps. Ça se remarque plus chez les hommes, comme s’ils s’arrêtaient de vieillir alors que les filles mûrissent plus rapidement. Leur beauté, chez les deux sexes, peine à s’effacer. Les traits du visage prennent un long moment pour afficher des rides malgré un soleil omniprésent. Il faut dire que les efforts déployés pour s’en protéger relèvent de l’héroïsme.

Il existe au Vietnam 54 ethnies différentes. Elles se départagent équitablement entre le nord et le sud mais il est facile de remarquer les catégories à partir du prototype physique. Du type chinois au type indonésien, toutes les gammes génétiques se déroulent   nous rappelant les influences connues par ce peuple lourdement marqué par les envahissements, les invasions de voisins plus ou moins éloignés qui, une fois installés, métissèrent le peuple vietnamien.

La majeure partie de l’année les Vietnamiens vivent dehors, ça se voit aisément à leur teint. Les femmes se font un devoir d’éviter le soleil, scrupuleuses à conserver une couleur de peau la plus blanche possible. Chez les hommes, ça semble ne pas être une priorité.

Une caractéristique quasi générale que l’on note immédiatement, c’est l’absence d’obésité. Ça surprend car le Vietnamien moyen ne cesse de manger à longueur de journée. L’alimentation asiatique, fort peu grasse, explique certainement le phénomène. Soupes à base de poulet, de porc ou de boeuf, poissons, très peu de pain que l’on remplace par le riz, fruits et légumes composent le menu habituel. On dit des Vietnamiens qu’ils mangent consistant au petit déjeuner, plus léger à l’heure du lunch et de manière frugale au dîner. Je ne vous dis le nombre de collations prises durant le jour! On mange tout le temps et on aime manger. Bien manger.

Une autre particularité qui ajoute à la beauté vietnamienne: le sourire. Autant, alors qu’ils adoptent ce que l’on pourrait appeler une ''poker face'', ils nous semblent mélancoliques ou froids, autant, alors que s’accroche un sourire à leur figure, cela les transforme. Littéralement. Tu les salues, on te répond avec ce sourire illuminé: ta journée est faite. De plus, ils ne se gênent pas pour le faire même avec les étrangers.

Je remarque également que de plus en plus de jeunes, parfois même de fort jeunes Vietnamiens, portent des verres. Est-ce dû aux rayons du soleil ou encore au faible éclairage qui devient obligatoire dès 18 heures? Je ne peux le dire mais c’est tout à fait remarquable.

Le Vietnam est un beau, très beau pays; s’ajoute, en prime, ce charme, cette grâce et cette élégance des gens. Magnifique.



Le deuxième

-  La fausseté des croyances non scientifiques fait qu’elles deviennent vraies. Si on n’observe pas ces croyances et qu’un malheur se présente, cela les renforce. Si on l’observe et qu’un malheur ne se présente pas, cela les renforce également. Mais on ne se pose la question : si on les observe et qu’un malheur se présente malgré tout, est-ce que cela signifie qu’elles étaient fausses? On répliquera que ce malheur est dû à un mauvais génie.



C o m m e n t a i r e


On entre ici au plus profond de la culture vietnamienne, toute remplie de légendes, de poésie, de mythes qui rendent ce peuple dont l’histoire remonte à plus de deux mille ans, à la fois énigmatique, secret, sibyllin.

Les Vietnamiens sont superstitieux. Énormément. Énumérer leurs superstitions exigerait beaucoup de temps. Il faudrait voir en profondeur les diverses influences qui, à diverses époques de l’histoire de ce pays, ont façonné leurs traditions, leur mode de vie. Le confucianisme, le taoïsme représentent deux des grands pôles ayant eu de l’ascendant sur la vie vietnamienne et dont les stigmates sont toujours présentes dans le tissu social du pays. Les légendes nombreuses et variées auront forgé une intelligence collective pivotant entre croyance et naïveté. Le fait aussi que le système d’éducation n’a pas toujours été aussi développé qu’il l’est maintenant peut aider à mieux comprendre.

Un autre élément s’ajoute au décor et il est de taille. Plus de 80% de la population vit toujours en zone rurale et pratique l’agriculture, l’industrie première au Vietnam. Le modernisme ou la modernité, ou les deux à la fois, n’imprègnent l’ensemble de la société que depuis fort peu de temps de sorte que leur influence commence à peine à se faire ressentir.

Tout cela réuni fait  que les superstitions accaparent encore l’esprit du Vietnamien.

Prenons un exemple qui se situe à fort petite échelle mais illustrera tout de même la place de la magie, de cette assurance bien ancrée dans les moeurs que les traditions ont fait leur preuve et qu’il n’y a aucune raison logique pour en modifier les pourtours.

Lisa, ma grande amie de Saïgon, vient de mettre au monde son deuxième enfant. Une petite fille (Bao) née le jour du Têt 2015. Avant l’accouchement, alors que Lisa me demandait comment les grossesses de me filles s’étaient déroulées et que je les lui racontais, je ne pouvais imaginer à quel point ici, au Vietnam, ça ne ressemble en rien à nos… disons… façons de faire.

Pendant la grossesse, la future maman ne doit pas manger n’importe quoi. Les aliments sont considérés comme chauds, froids ou neutres, non pas en fonction de leur température ou selon qu’ils sont plus ou moins épicés, mais en fonction de leur nature intrinsèque, telle qu’elle est perçue. Par exemple la papaye est un aliment « froid » qu’il faut éviter pendant la grossesse ainsi que le concombre car ces aliments « froids » augmentent les risques de fausse-couches. On recommande de consommer beaucoup d’eau et de chair de noix de coco, parce que c’est bon pour le bébé et le futur lait de la mère.

La façon de s’habiller de la future maman est également très importante. Il est tout à fait courant pour une jeune femme vietnamienne enceinte d'à peine quelques semaines d’arborer fièrement une magnifique robe montgolfière, symbole de l’heureux événement qu’elle souhaite faire connaître à la terre entière. En portant des robes amples, le ventre a ainsi la place de s’arrondir confortablement pour accueillir le bébé et lui permettre de grandir normalement.

Après l’accouchement, les femmes vietnamiennes suivent et respectent une série de règles traditionnelles. On considère que l’accouchement enlève à la femme chaleur, sang et souffle de vie. On pense donc que pendant le premier mois du post-partum, les femmes sont très vulnérables au froid, au vent et à la magie. Pour corriger ce déséquilibre, la femme qui vient d’accoucher doit donc rester à la maison, éviter les courants d’air, renoncer à prendre des bains, ne pas se laver les cheveux, s’habiller chaudement et, s’il lui faut quitter le lit, marcher à très petits pas.

Une fois rentrée à la maison, la jeune maman ne doit pas recevoir de visites pendant le premier mois qui suit son accouchement, en fait jusqu’à la réapparition de ses règles. Pendant cette période de confinement, elle est l’objet de soins attentifs de la part de son entourage, notamment sa mère, afin qu’elle reprenne progressivement les forces perdues lors de l’enfantement et n’a pratiquement aucun contact avec son mari.

Pour reprendre des forces et améliorer la qualité de son lait, elle doit se reposer au maximum, surtout ne pas sortir. Elle se remet à marcher progressivement, petit à petit, pour ne pas que son utérus « tombe de son corps ». On place sous son lit des charbons ardents, pour ne pas que son corps se refroidisse et qu’elle tombe malade, et pour aider également l’utérus à se remettre en place. Les premiers temps du retour à la maison, sa mère lui enduit le corps d’onguents faits à base de plantes, destinés à lui redonner des forces. Elle doit manger des aliments jugés « chauds » et éviter ceux qui sont vus comme « froids ». Dans les aliments « chauds » on trouve : alcool de riz, poulet, porc, gingembre, sel, poivre noir, riz bouilli et thé chinois. Il faut éviter les fruits et les légumes crus, plus particulièrement les épinards, les haricots, la pastèque, la salade, le citron, la banane ainsi que les aliments gras. Le fait d’éviter les aliments « froids » permet à la mère de protéger son nourrisson contre la diarrhée, la toux et le rhume, les propriétés de ces aliments étant directement transférées au nourrisson par le lait maternel. La soupe au chou, aux carottes, au chou-fleur et aux patates est vue comme un mets qui favorise la production de lait.

Il est courant et préférable au Vietnam d’offrir à une jeune maman vietnamienne pour son bébé des vêtements qui ont déjà été portés, de préférence par un bébé facile et en bonne santé ; ainsi ces vêtements sont emprunts du caractère du bébé précédent et en feront bénéficier le nouveau-né. De plus, des nouveaux habits pourraient rendre jaloux les mauvais esprits qui pour se venger pourraient rendre le bébé malade. Anecdote amusante : il n’est pas bon de laver les vêtements de votre bébé dans une machine à laver, cela peut donner le tournis et des malaises au bébé…

Au Vietnam, une coutume veut que très tôt, à la naissance, le bébé reçoive au poignet un fil en général tressé. Ce symbole d’attachement a plusieurs significations dans un pays où la mortalité infantile est encore grande. Il est important, en effet, qu’à la naissance le fil rattache l’esprit au corps afin de démarrer l’existence en une seule entité. En général, on considère l’esprit comme le résultat d’une réincarnation qui trouve sa forme dans le corps du bébé qui s’est construit à partir du corps de la mère au long de la grossesse. L’évolution de cette tradition se modernise dorénavant avec les gourmettes en or comme cadeaux, avec le nom gravé ou à graver.

Pendant les premiers mois de son existence, le visage du bébé est caressé, massé, ainsi que tout son corps avec une douce fermeté. Ce massage permet d’affermir ses muscles et de les coller aux os et à la peau, afin de ''mettre en harmonie les parties molles et dures avec leur enveloppe''.



Voilà qui explique que j’aie pu prendre dans mes bras bébé Bao qu’après un mois et sa maman Lisa puisse venir à la maison que dans deux autres mois…


À suivre

samedi 21 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (8)




Vous finirez bien par penser que je passe toutes mes journées dans les cafés. Ce n'est pas tout à fait le cas mais j'y suis assez régulièrement. À mon arrivée en octobre dernier, m'apercevant que le Riverside café était devenu un immense parc de stationnement, je suis mis à recherche d'un nouvel endroit - si possible près de la rivière - par la même occasion j'en ai découvert plusieurs. Ce n'est pas cela qui manque à Saïgon. Le café, tout comme le bistro français, est devenu au fil du temps l'endroit de prédilection pour les rencontres. Au restaurant, surtout à l'heure du lunch, on ne reste pas longtemps; on mange et on s'en va. Le café, tout autre affaire.

Les Vietnamiens, bien que fidèles à leur café adorent en découvrir de nouveaux qui poussent comme des champignons. En faire le décompte ou le dénombrement tiendrait de l'exploit.

Pour sûr, on retrouve les grandes chaînes mais surtout de petits endroits, certains même n'offrent que quelques sièges, pour la majorité à l'extérieur.

La qualité de ce que l'on y présente est certainement le premier critère de choix. Le cà phê sữa, un café frappé avec glaçons et lait condensé, figure en tête de liste. Le Song Thanh, dans le District 7, là où je me retrouve le plus souvent, en a un excellent et pas dispendieux du tout. Plus vous approchez du centre-ville, du District 1, plus on constate que le prix varie, à la hausse évidemment.

Le café, lieu de rencontre, de repos - certains disposent de hamacs pour la sieste - accorde au ''voyeur'' que je suis des situations intéressantes: couples qui se nouent ou se dénouent, amis qui s'amusent et rient ensemble, lecteurs de journaux, et j'en passe. 

Voilà pour les cafés. Les restaurants, c'est autre chose. Deux types: les restaurants où l'on sert de la cuisine de rue (la meilleure qui soit) et les autres de type européen - j'entends par là, le style de restauration auquel nous sommes habitués -  Toute la gamme s'y retrouve, de très peu d'étoiles jusqu'aux 5 *****.

Cette semaine, j'attendais mon ami Olivier - ce formidable photographe/vidéaste  français - de retour d'un périple à Bali. Nous avions beaucoup à nous raconter. Rendez-vous au restaurant THE REFINERY qu'il m'a fait découvrir l'an dernier.

Mon attention fut captée par un bonhomme qui, café sur café, semblait attendre quelqu'un. Il ne cessait d'interroger sa montre, le regard continuellement dirigé vers l'entrée. Lorsqu'une dame faisait son apparition, il levait les yeux pour tout de suite les replonger dans sa tasse blanche que le garçon remplissait au fur et à mesure. Il m'est devenu évident que l'espérée n'allait pas se présentait. 

Cela a fait germer cet envoi que je vous présente aujourd'hui.


elle ne sera pas venue


son amour pour elle est mort au cours de ce banquet solitaire
table d’acajou, sièges en skaï, serveur germano-italien

l’heure, confirmée, le menu, recherché
un ventilateur au-dessus accroché

par les portes demeurées ouvertes s’engouffre la mauvaise personne
malgré un sourire affriolant

le soleil lovait les tentures chinoises en camaïeu
les couverts japonais s’impatientaient
aux cafés succédaient le café

elle n’est pas venue malgré  
bruits des conversations
allers- retours du vent

n’est pas venue au banquet solitaire



son amour pour lui avait éclos une nuit de janvier
festin hivernal

il serait assis à la table
celle en acajou avec sièges en skaï
et le serveur germano-italien s’agiterait

l’heure convenait tout comme le menu du soir
que le ventilateur rafraîchissait

les portes se seraient ouvertes, ne s’y engouffrerait pas
précédée de son sourire affriolant

les tentures chinoises, les mêmes
les couverts japonais, les mêmes
il aura bu un café, plusieurs cafés


elle ne sera pas venue
conversations sourdes, allers et venues du vent

ne sera pas venue au banquet des anges



Mon ami Olivier est arrivé. De Bali en Vietnam, nous avons profité de quelques belles heures. Pour sa part, le type a quitté le restaurant. Seul. Peut-être triste et malheureux.

À la prochaine

dimanche 15 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (7)


     Les odeurs, par je ne sais trop quelle magie ou déformation cérébrale, ont toujours et encore eu sur moi une influence immense. Il m'est impossible de bien saisir les choses et les gens sans d'abord les sentir. Sentir pour mieux ressentir.

Je me souviens avoir écrit dans un des premiers billets vietnamiens que j'allais bientôt tenter de décrire les odeurs du pays. De ce pays. Il m'aura donc fallu plus de trois ans avant de m'y mettre.

Des gens avec qui je discute du Vietnam, qu'ils y soient venus ou pas encore, me demandent continuellement ce que ça sent ici, La ville, la campagne... un peu de pudeur ou de retenue les empêchant sans doute de placer dans la nomenclature, les gens.

Il est évident que le climat tropical joue beaucoup sur les effluves, que le soleil perpétuellement présent s'avère un catalyseur important. La présence, à Saïgon du moins, de la rivière qui serpente à travers la ville et de ce vent léger mais sempiternellement là, joue sur les odeurs et leur transport.

Il ne faut pas non plus oublier l'abondance des marchés qui ouvrent tôt le matin et ferment à la tombée de la nuit, de même que la cuisine de rue souvent fricotée sur barbecue qui à elle seule peut vous avaler illico un échappement de fumée d'une moto.

Les rues sont le lieu privilégié des Vietnamiens. On y vit du matin au soir. Les maisons, ces lieux ouverts à tous les regards, ne fermeront leurs volets que pour la nuit. C'est d'ailleurs un des sujets le plus discuté actuellement par les autorités des villes: comment moderniser la ville sans toucher à la rue, sans transformer les habitudes millénaires de ce peuple qui l'habite, se l'accapare en entier. Du beau travail pour les urbanistes.

Les odeurs, donc. Elles se mélangent aux couleurs qui elles vont varier selon les heures du jour. J'ai tenté, sans succès je l'avoue, de décrire ce révélateur du pays, m'apercevant que je ne faisais qu'une pâle description de la splendeur de sa présence, de la force de son importance.

Je me suis donc dit qu'un poème pourrait mieux y parvenir, en autant qu'il puisse trouver cette fluidité ambiante.

Je vous l'offre donc, conscient de son imperfection.



ce pays


matins furieusement doux    
couleur pêche et pamplemousse

les odeurs du matin se répandent
arômes charriées par le vent

le bruit comme un ensemble de silences

jours chauds comme un citron doré
mûrissant d’heure  en heure

les odeurs du jour brassent les essences
que le soleil cuit sur place

le bruit comme un ensemble de silences

soirs comme café froid
que la table resquille

les odeurs du soir dans les lauriers rouges
au gingembre s’attache la citronnelle

le bruit comme un ensemble de silences

nuits froides dans leur fusain
dessinent des ombres roses

comme des odeurs de lune pure
les nuits se tortillent, fantômes ductiles

le bruit comme un ensemble de silences
de ce pays



À la prochaine

lundi 9 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (6)



                 


Je viens tout juste de terminer la lecture du roman JADE de Michel Tauriac. Il situe l'intrigue de son livre au Vietnam lors de la guerre contre les Américains. En deux temps. Le premier tout juste avant la signature de la déclaration de paix de Paris; la deuxième, en 1975 alors que le Sud-Vietnam, envahi par les forces armées du Nord, capitulera.

En quelques mots, Tauriac raconte l'histoire d'un journaliste français à sa première rencontre avec le peuple vietnamien, carrément engagé du côté sud-vietnamien. Le coup de foudre pour Jade, une jeune vietnamienne travaillant pour l'ambassade américaine, sera automatique, dès sa descente d'avion.

Cette jeune fille (elle a environ vingt ans) serait l'amoureuse ou l'amante d'un autre journaliste, plus âgé, un vieil habitué du pays et de la guerre. Elle lui en fera voir de toutes les couleurs sur le plan émotionnel tout comme elle sera l'image d'un peuple, d'une ville (Saïgon) dont il découvrira à ses côtés les habitudes, les traditions, les contours et les pourtours de cette civilisation asiatique.

Un livre fort bien écrit, en raison de la précision des faits que l'auteur relate et la douce poésie de son style. Les comparaisons sont d'une élégance et d'une efficacité remarquables. Ses descriptions de la ville des années 1970 me font voir à quel point Saïgon a changé. Je serais porté à dire, pour le mieux. Toutefois, la résilience des Vietnamiens est fort bien décrite.

Pourquoi j'aborde, d'entrée de jeu, ce titre? Il introduit le poème que je vous offre aujourd'hui. Un poème sur la rencontre d'une jeune fille et d'un jeune homme réunis dans un café, alors que ça semble être une ultime rencontre. J'ai imagé les bruits ambiants à partir des bruits de la sirène; rien à voir sans doute avec les flacs-flacs des hélicoptères, les explosions des bombes, les cris des apprentis mourants qui enrobent le roman pour le rendre réaliste dans toute sa tristesse et son impuissance. J'ai croisé ce jeune couple dans un café. J'y étais déjà lorsqu'ils s'y présentent. Elle, belle comme le matin vietnamien; Lui, inquiet et maladroit. Mais je vous laisse vous faire une idée.

                                                           sirène


à l’écho, la sirène de l’ambulance emmêle ses bruits

Elle - sur son passage on se retourne -
ne Le veut pas assis devant Elle
les mains gantées, Elle - obliquement on La regarde -
s’assoit devant Lui

Il ne saisit pas les élans de l’âme

Elle - on guette sa voix –
L’aimait, Il La dévisage
deux regards différents, brumeux, englués
dans de trop vieilles et pugnaces habitudes

comment aimer alors que l’amour est intouchable

dans l’écho, la sirène de l’ambulance noie ses bruits

près de l’étang ombragé de la rizière horizontale
deux hérons en uniforme blanc s’éloignent du jour

Elle - on dévisage sa main -
sait la force de ses yeux
lui, la fragilité du regard

la salle parfumée de paroles sèches
pousse des couleurs inconnues aux présences nocturnes

comment écouter quand se taisent les mots

sous l’écho, les bruits étouffés de la sirène se perdent

Lui, dans le joug de ses chaînes caméléon
Elle - on fouille son odeur -
fraîche jeunesse d’oiseau de Junon

un courant d’air passe soulevant l’ao daï garance
leurs yeux appontèrent au même endroit
alors qu’un carillon assourdit les rides de la table
où leurs mains tracent des estafilades

comment parler quand les élytres du silence nous enveloppe



Elle, douce aïade - on L’imprime dans nos yeux -
Lui marqué d’empreintes ocelées
dans l’écho s’emmêlent, se noient
s’étouffent dans l’écho
puis se perdent




À la prochaine

mercredi 4 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (5)




La dernière publication ( elle est en route ) aurait dû se retrouver sous la rubrique des chroniques mais comme elle revêtait un caractère particulier et qu’en plus m’avait pris un temps assez long pour en arriver à son terme, j’ai préféré lui donner une place unique; les chroniques sont surtout des impressions, des humeurs autour d’un thème spécifique ou plus général.

L’histoire (imaginée) de Dep voulait aborder quelques traditions ou coutumes vietnamiennes que souvent, bien malgré moi, s’offrent à ma vue. Celles qui sont relatées dans ce récit sont véridiques, font partie du quotidien des gens.

Aujourd’hui, dans cette chronique, je vous ferai part de ce qui se passe durant la période du Têt (Têt Nguyên Dan) qui s’étend sur une dizaine de jours. C'est le Nouvel An et l'annonce de l'arrivée du printemps. Sa date change dune année à l'autre en fonction de la lune. La meilleure comparaison, celle qui facilite mieux la compréhension, serait de l’ordre des vacances de la période s’étendant entre Noël et après le Jour de l’An chez nous. C’est sur l’air de Ngày Tết quê em (Hymne Vietnamien du Têt - Nouvel An Lunaire) que la période sera lancée. On l’entend dans tous les lieux publics.

J'utiliserai Saïgon pour exemple, sachant très bien que selon les villes, les villages, que l'on soit au sud, au centre ou au nord d'importantes variantes se manifestent. Cette Saïgon qui ne ressemble plus du tout à la grande ville active et bruyante à laquelle on est habitué en-dehors de cette période. Le calme qui s’empare d’elle malgré le fait qu’une foule d’activités s’y déroulent fait que les rues sont quasi vides de motocyclettes, qu’une importante partie de sa population retourne vers les ''hometowns''. Des trains, des bus et des vols supplémentaires se rajoutent à ceux qui habituellement permettent de rejoindre le Centre et le Nord du Vietnam.

Les familles retrouvent leurs familles. Les magasins ferment pour une bonne part d’entre eux. Les restaurants de rue ouverts se comptent par dizaines et non plus par centaines. Les prix augmentent, il va sans dire.

Cette grande fête, ce renouveau alors qu’un animal fétiche laisse la place à un
autre (cette année la CHÈVRE remplace le CHEVAL) recouvre les gens et la ville d’une atmosphère de joie et d’échanges. Les enfants recevront de la part 
des plus âgés, parents et grands-parents leur enveloppe rouge dans laquelle on aura glissé quelques billets de VD (Vietnamese Dong) afin de leur souhaiter la chance et les meilleurs vœux. Plusieurs autres s’échangeront la même enveloppe (li xi) pour appeler la prospérité, la ''lucky money''. 

Les repas traditionnels (autour principalement du ban trung,         ce gâteau de riz gluant, de fèves et 
de porc) vont se multiplier.





Sur le coup de minuit, c’est l’heure du feu d’artifice       


précédé par des explosions de pétards    un peu partout, l’objectif étant de chasser les mauvais esprits. On croirait voir courir des feux follets à travers rues et ruelles. L’énervement des enfants n’a d’égal que celui des chiens tentant d’attraper au passage ces petits éclats couleur feu.

C’est avec la formule « phúc lộc thọ » que les Vietnamiens s’offrent leurs vœux de bonne année : bonheur, prospérité, longévité. Ils auront déjà fait leur visite à la pagode 

Les Vietnamiens sont d’importants consommateurs de bière et cette période est propice à de bonnes beuveries. Ils joueront aux cartes (tu sac) parfois des nuits entières. Les heures sont à la réjouissance et on n’oublie pas que le lendemain est congé. D’ailleurs pour la grande majorité d’entre eux, ça sera les uniques vacances annuelles.

On ne regarde pas à la dépense. Il est d’ailleurs de coutume d’acheter un article important : un morceau de linge ou un électroménager manquant. 


Sans oublier de fleurirde manière inimaginable la maison et l’autel des ancêtres. Car on ne les oublie pas, surtout si on souhaite leur protection pour l’année nouvelle. Un plat de fruits ornera la table.

Si on pense à la famille et aux ancêtres,   on n’en oublie pas pour autant les voisins. Ils font partie intégrante de la vie et les saluer, les inviter pour un apéritif ou un dîner est de rigueur. Une croyance veut que la première personne qui se présente chez vous le jour du Têt peut s’avérer un bon ou un mauvais présage. Pour contourner cette croyance, le maître de la maison aura pris la précaution de sortir de chez-lui un peu avant minuit et d'y revenir rapidement afin d'être le premier; ou encore d'inviter quelqu'un qui aura connu une chance exceptionnelle il y a peu de temps à se présenter.

Vivre le Têt au Vietnam est l’occasion de mieux saisir l’âme de ce peuple.




Je me rappelle avec beaucoup de bonheur l’an dernier alors que j’ai été invité dans le delta du Mékong dans la famille d’une amie de YoYo. J’y avais été reçu de manière inimaginable tout comme ce fut le cas cette année chez les propriétaires du café Song Thanh dans le District 7, café où je me retrouve deux ou trois fois par semaine afin d’écrire ce blogue.




À la prochaine.





























dimanche 1 mars 2015

Les chroniques de Saïgon (4)



























La Librairie française de Saïgon offre à ses clients des livres seconds yeux. Une fois choisis, sur une balance typiquement vietnamienne, on les pèse et on vous indique le prix, le tarif au kilo ne varie pas d'une année à l'autre.

Je m'y arrête toujours pour le plaisir de saluer la libraire fort gentille qui actuellement lit, je devrais dire savoure, le dernier Joseph Boyden DANS LE GRAND CERCLE DU MONDE auquel nous avons accordé quelques minutes de discussion.

Également pour jeter un coup d'oeil sur les nouveautés qui ont réussi à se rendre jusqu'ici et avec un retard assez important, mais principalement pour les livres d'occasion. J'y fais habituellement de belles découvertes tout comme je puis saluer des livres que j'y ai laissés l'an dernier ou auparavant.

À Saïgon, je ne lis que des auteurs qui m'étaient jusqu'à ce jour d'illustres inconnus ou, encore, des auteurs célèbres chez qui je n'ai pas eu encore le bonheur d'entrer en contact. J'ajoute toujours un ou deux titres d'auteurs vietnamiens qui ont l'autorisation d'être visibles aux yeux de la censure gouvernementale.

La dernière fois, scrutant les rayons, mon attention s'arrête sur MOBY DICK, de Herman Melvile. Au toucher, il m'apparut tout de suite que cet exemplaire a passé l'âge de l'édition moderne, que plusieurs mains l'avaient feuilleté, plusieurs yeux s'y étaient attardés. En fait ce MOBY DICK suscita ma curiosité. 

On m'aurait posé la question suivante: à quand remonte la première lecture de ce livre mythique, instantanément j'aurais répondu... à si longtemps que je ne pourrais citer que deux personnages, j'exclus la baleine blanche bien entendu: le capitaine Achad et le narrateur Ismaël. Pour sûr, la conclusion de ce roman d'aventure est demeurée imprimer à ma mémoire.

J'ai l'habitude de sentir les livres en faisant dérouler leurs pages sous mon nez. Selon ce qui s'en dégage, cet indice m'incite ou pas à le garder. Je ne les conserve pas longtemps les livres. Je n'ai pas de bibliothèque bien garnie. Après avoir communié avec lui, je le laisse se reposer, allant le revoir et me raconter ce qu'il contient et surtout ce qu'il m'a fait vivre. Parfois, souvent même, je me dis qu'il faut le refiler à celui-ci ou à celle-là; ainsi, le livre ne revient pas et risque de se retrouver dans, j'espère, une foule d'autres mains.

-  ceci n'est pas un message subliminal adressé à tous ceux et toutes à qui j'ai offert un livre et qu'ils (elles) ont oublié de me le rendre  -  ceci n'est pas un message subliminal adressé à tous ceux et à toutes celles à qui j'ai offert un livre et qu'ils (elles) ont oublié de me le rendre  -


Alors le MOBY DICK, je l'ai apporté avec les autres. Relu. Avec, je crois, autant d'émerveillement qu'à l'époque adolescente de la première lecture.

Je ne sais pas si vous et moi nous nous ressemblons, mais j'ai très peu de souvenir des livres de lecture obligatoire qu'à l'école on nous proposait, avec la petite carte sur laquelle on retrouvait les questions auxquelles il fallait répondre une fois la... corvée... achevée. Rien ne nous pistait sur la manière de lire, ce qu'on devait savoir avant la lecture et comment suivre une intrigue sans tomber dans tous les pièges posés ça et là par l'auteur afin de nous égarer de l'essentiel. Surtout: rien, mais absolument rien, sur ce qui nous restait, opinions ou commentaires ou questions en suspens... Régurgiter des réponses fermées, sans doute aidantes pour une correction rapide et une remise de note, sèche comme peuvent l'être les chiffres.

J'ai donc relu MOBY DICK, roman d'aventures d'un autre siècle. L'enchantement, de nouveau.

Je n'ai pas rempli une petite carte, mais plutôt écrit ce poème que je jette sur l'océan espérant qu'il vous rejoigne.


à la Moby Dick


le long des océans, le sang coulait, 
étouffante ivresse de l’inconscient
le long des océans, le sang coagulait
impassible sous un soleil païen

sans scrupules s’avançaient les années meurtrières
sans remords s’envolaient les nuages silencieux
de la nostalgie jusqu’à sa débâcle

sourd aux réalités , ces dominos de l’ennui,
il regardait, immuable, les choses maritimes
ensevelies dans une obscure torpeur
sous l’infinie couleur du ciel

toujours il répétait  les mêmes perfidies
enterrées comme de vieilles reliques
que le nitrate d’argent des songes 
ne réussissait pas à revivifier

il regardait la mort face à face
inexorablement  la soutenait de son regard
que violaient les militaires du temps 
comme des succubes échevelés

en aval et en amont
coulait le sang
le catafalque liquide s’inonde
de l’immuabilité sauvage des mots abstraits 

l’équipage du Péquod l’escortait




Il y a beaucoup de choses que vous ignorez. Les objets qui nous entourent, les objets visibles, ne sont que masques de carton. Mais, dans chaque événement, dans l’acte indiscutable de la vie, il y a de l’inconnu, un inconnu qui raisonne, alors que le masque, lui, ne raisonne pas. Et l’homme ne peut frapper qu’à travers le masque! Comment un prisonnier pourrait-il s’évader de sa cellule sans percer la muraille? Eh bien, la baleine blanche, c’est cette muraille. Voilà pourquoi je veux la détruire! Parfois il m’arrive de penser que, derrière elle, derrière cette muraille, derrière ce masque de carton, il n’y a rien. N’importe! Moby Dick m’obsède. Je vous en elle une force qui m’injurie, une cruauté insondable.  L’insondable, c’est là ce que je hais, ce que je veux atteindre! Ne, me dites pas qu’en m’acharnant sur Moby Dick je commets un péché. J’anéantirais aussi bien le soleil s’il m’injuriait. Car, ce que le soleil peut faire, je sais que je peux le faire moi aussi!
Herman Melvile

À la prochaine

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