…la suite… …siawa’si…
Le goût et l’appel pour les promenades sur la grave s'enracinèrent chez notre grand-père, à cette époque : celle de son ami mi’kmaw Paqsi’ma, qui ne dura que trop peu longtemps malgré le fait qu’elle s’étendit sur quelques saisons. Le temps de voir tant de choses d’un autre œil, à-travers, non plus par l’œil. Une vague ne devint plus identique à une autre. Les nuages ne répondent plus qu’à un seul nom. Le vent, l’entendre d’une manière différente. Ne plus s’abriter lorsque tombe la pluie. Écouter les nuances dans le chant du coyote, et les trouver belles. Craindre et respecter l’ours. S’amuser à imiter les saumons. Suivre dans l’air les traces des oiseaux. Tout prit un nom. Nommer, telle est sûrement la grande leçon de cette époque.
La langue peut créer d’artificielles distances entre les humains. Le problème est parfois que celui-ci veuille l’imposer à l’autre; l’autre s’y pliant tel un esclave. Mais lorsque des êtres nomment les mêmes choses de façons différentes et que la même réalité soit circonscrite; qu’en plus, d’un premier vers un deuxième, on en arrive à se répéter dans les mots de l’autre, s’installe alors une incroyable magie donnant aux éléments une dimension irréductible.
Lorsque Sa’n (Jean en mi’kmaw, le prénom de notre grand-père) se reconnaissait quand Simon (Paqsi’ma en mi’kmawi’simk) s’adressait à lui, ils regardaient devant eux, alors l’enchantement des langues entremêlées donnait au réel une nouvelle dimension. Ils se comprirent, toujours, car ils s'entendaient nommer les choses, d’abord, les sentiments par la suite et finalement, surent que la vie les surpasse.
Nous entrions en février (apiknajit, le mois de la neige aveuglante). Monsieur Épelgiiag décida de retourner vers son installation, leur wikoum miraculeusement épargné. Lorsqu’il quitta le village, il offrit à Émile ses bras et son cœur pour aider à la reconstruction. Cette aide ne serait pas de trop. Lors de la première réunion que dirigea fort maladroitement le maire Léo, il fut décidé non pas de former un comité, mais une équipe d’action. On muta le maire à des tâches administratives, le mandatant pour qu’il s’occupe des représentations nécessaires auprès des autorités politiques afin qu’une aide adéquate leur soit octroyée. Le chantier allait devoir se mettre en branle immédiatement. La coutume qui voulait qu’on ne construise rien en hiver, allait devoir se ranger sur le côté. L’urgence de la tâche s’imposait.
Entre-temps, chacun et chacune avaient réussi à se trouver un asile. On se serrait les coudes, on s’entassait dans les quelques dernières maisons qui sentaient encore la fumée. Raconter ces magnifiques échanges qu’imposa la situation, l’entraide transformée en des occasions de mieux se connaître, de tout partager, enfin le peu que cela pouvait dire pour chacun mais immense pour la collectivité, c’est un peu raconter ce que devinrent ces villageois et leurs descendants. On ne peut pas vivre dans l’intimité des uns et des autres, sans y imprimer un peu de soi, mais aussi abandonner quelques petits tics personnels, quelques façons de faire. Il n’y a qu’à penser aux soirées qui devinrent des nuitées au cours desquelles les conversations alors que d’autres jouaient aux cartes, permirent de modifier du tout au tout les perceptions que jadis on entretenait sur celui-ci ou celle-là. La parole, cette fée du langage, était à l’honneur. On inventa même un nouveau mot : la parlotte. Il est dans le dictionnaire, allez voir.
Madame Aldège, la responsable des dames de Sainte-Anne, n’était pas une femme de tous les défauts. Elle, il faut lui donner cela, était une cuisinière hors pair. Son grave problème avait toujours été dans les proportions. Continuellement, elle accumulait des « restes » parce que sa cuisine, en plus de se faire à l’œil, aurait pu nourrir une armée. Durant ce temps-là, aucun reste. Tout y passait et elle était heureuse. Certains l’ont vu sourire, ce qui n’était pas sa première caractéristique.
Lorsqu’elle apprit la signification des paroles de madame Épelgiag, celles qui furent prononcées dans l’église alors qu’elle finissait de nourrir son bébé (le petit Su’lia’n, William en français), d’aucune manière sa haine pour la famille wi’kmaw ne se dissipa. Madame Aldège ne pouvait tout simplement pas envisager de métisser ses habitudes avec eux. Ni celles de la paroisse.
Comme elle fut heureuse de les voir partir par la même route qu’ils prirent pour venir : celle à l’orée du bois. Consciente toutefois de l’apport du père Épelgiag, envisager, un tant soit peu, de partager le même air qu’eux, représentait un impossible effort pour elle.
Ils étaient plusieurs, dont Ève Gaudreau, à déplorer que le village n’ait pu les retenir. Mais, fièrement, aussi droit que la flèche tracée dans la neige à leur arrivéeet les menant à l’Anse-au-Griffon, la famille mi’kmaw partit.
Le goût et l’appel pour les promenades sur la grave s'enracinèrent chez notre grand-père, à cette époque : celle de son ami mi’kmaw Paqsi’ma, qui ne dura que trop peu longtemps malgré le fait qu’elle s’étendit sur quelques saisons. Le temps de voir tant de choses d’un autre œil, à-travers, non plus par l’œil. Une vague ne devint plus identique à une autre. Les nuages ne répondent plus qu’à un seul nom. Le vent, l’entendre d’une manière différente. Ne plus s’abriter lorsque tombe la pluie. Écouter les nuances dans le chant du coyote, et les trouver belles. Craindre et respecter l’ours. S’amuser à imiter les saumons. Suivre dans l’air les traces des oiseaux. Tout prit un nom. Nommer, telle est sûrement la grande leçon de cette époque.
La langue peut créer d’artificielles distances entre les humains. Le problème est parfois que celui-ci veuille l’imposer à l’autre; l’autre s’y pliant tel un esclave. Mais lorsque des êtres nomment les mêmes choses de façons différentes et que la même réalité soit circonscrite; qu’en plus, d’un premier vers un deuxième, on en arrive à se répéter dans les mots de l’autre, s’installe alors une incroyable magie donnant aux éléments une dimension irréductible.
Lorsque Sa’n (Jean en mi’kmaw, le prénom de notre grand-père) se reconnaissait quand Simon (Paqsi’ma en mi’kmawi’simk) s’adressait à lui, ils regardaient devant eux, alors l’enchantement des langues entremêlées donnait au réel une nouvelle dimension. Ils se comprirent, toujours, car ils s'entendaient nommer les choses, d’abord, les sentiments par la suite et finalement, surent que la vie les surpasse.
Nous entrions en février (apiknajit, le mois de la neige aveuglante). Monsieur Épelgiiag décida de retourner vers son installation, leur wikoum miraculeusement épargné. Lorsqu’il quitta le village, il offrit à Émile ses bras et son cœur pour aider à la reconstruction. Cette aide ne serait pas de trop. Lors de la première réunion que dirigea fort maladroitement le maire Léo, il fut décidé non pas de former un comité, mais une équipe d’action. On muta le maire à des tâches administratives, le mandatant pour qu’il s’occupe des représentations nécessaires auprès des autorités politiques afin qu’une aide adéquate leur soit octroyée. Le chantier allait devoir se mettre en branle immédiatement. La coutume qui voulait qu’on ne construise rien en hiver, allait devoir se ranger sur le côté. L’urgence de la tâche s’imposait.
Entre-temps, chacun et chacune avaient réussi à se trouver un asile. On se serrait les coudes, on s’entassait dans les quelques dernières maisons qui sentaient encore la fumée. Raconter ces magnifiques échanges qu’imposa la situation, l’entraide transformée en des occasions de mieux se connaître, de tout partager, enfin le peu que cela pouvait dire pour chacun mais immense pour la collectivité, c’est un peu raconter ce que devinrent ces villageois et leurs descendants. On ne peut pas vivre dans l’intimité des uns et des autres, sans y imprimer un peu de soi, mais aussi abandonner quelques petits tics personnels, quelques façons de faire. Il n’y a qu’à penser aux soirées qui devinrent des nuitées au cours desquelles les conversations alors que d’autres jouaient aux cartes, permirent de modifier du tout au tout les perceptions que jadis on entretenait sur celui-ci ou celle-là. La parole, cette fée du langage, était à l’honneur. On inventa même un nouveau mot : la parlotte. Il est dans le dictionnaire, allez voir.
Madame Aldège, la responsable des dames de Sainte-Anne, n’était pas une femme de tous les défauts. Elle, il faut lui donner cela, était une cuisinière hors pair. Son grave problème avait toujours été dans les proportions. Continuellement, elle accumulait des « restes » parce que sa cuisine, en plus de se faire à l’œil, aurait pu nourrir une armée. Durant ce temps-là, aucun reste. Tout y passait et elle était heureuse. Certains l’ont vu sourire, ce qui n’était pas sa première caractéristique.
Lorsqu’elle apprit la signification des paroles de madame Épelgiag, celles qui furent prononcées dans l’église alors qu’elle finissait de nourrir son bébé (le petit Su’lia’n, William en français), d’aucune manière sa haine pour la famille wi’kmaw ne se dissipa. Madame Aldège ne pouvait tout simplement pas envisager de métisser ses habitudes avec eux. Ni celles de la paroisse.
Comme elle fut heureuse de les voir partir par la même route qu’ils prirent pour venir : celle à l’orée du bois. Consciente toutefois de l’apport du père Épelgiag, envisager, un tant soit peu, de partager le même air qu’eux, représentait un impossible effort pour elle.
Ils étaient plusieurs, dont Ève Gaudreau, à déplorer que le village n’ait pu les retenir. Mais, fièrement, aussi droit que la flèche tracée dans la neige à leur arrivéeet les menant à l’Anse-au-Griffon, la famille mi’kmaw partit.
Dans l’âme de grand-père, ces dos tournés ne pouvaient qu’être le début de quelque chose.
…à suivre… …nmu’ltes…
1 commentaire:
Comme j'aimerais que nous parlions des autochtones que nous avons eu la chance de rencontrer.
Une gaspésienne qui est passée par le Grand Nord...
Publier un commentaire