dimanche 26 octobre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 17



Abigaelle prépara le thé alors que Henriette plaçait un appel téléphonique chez elle afin de demander à Gérard, son mari, de venir la prendre non pas à l’école, mais juste en face dans la maison au mystère quasi insoluble. 

Les mauvaises odeurs, le brave cultivateur les avait signalées à la locataire dès le mois d’août alors qu’elle emménageait ; croyant que la fosse sceptique en était la cause, une fois l’hiver bien installé, tout disparaîtrait. Maintenant que le printemps règne en maître absolu, il n’était pas surpris que le problème décrit par Abigaelle comme de plus en plus ennuyeux à la limite du tolérable réapparaisse. Monsieur Champigny, propriétaire de la maison, sera de retour de son hiver passé en Floride d’ici quelques semaines, mais il fallait absolument faire quelque chose d'ici là, pas seulement laisser les fenêtres ouvertes et faire brûler de l’encens à odeur d’eucalyptus.
 
- Gérard arrive dans quelques minutes, annonça Henriette.     Je ne pense pas que nous soyons plus avancés qu’avant cet hiver.
- Ce que je trouve curieux, enchaîna Abigaelle, c’est que ça augmente de manière régulière. À Pâques je suis allée à Québec, y suis restée quatre jours et je t’avoue Henriette qu’à mon retour, ouvrant la porte d’entrée j’ai eu comme l’impression qu’un corps en décomposition avait profité de mon absence pour étendre son odeur dans toute la cuisine. De mon bureau, en haut, c’est presque, je dis bien presque, correct.
- Mon Dieu ! Abigaelle tu me donnes la chair de poule.
- C’est une impression pas un fait que je constate avec mon nez. Parfois je souhaiterais vivre avec une sinusite.
- Tiens, j’entends le vieux camion de Gérard qui arrive.
 

Abigaelle hésitait, allait-elle raconter à Henriette ses deux rendez-vous chez le médecin, le premier quelques jours avant Noël ? Celui-ci, en réponse à ses inquiétudes quant aux odeurs qui se manifestaient dans sa maison depuis son arrivée et le fait qu’elles se soient dissipées une fois les neiges venues, avança l’hypothèse de la parosmie, un trouble olfactif caractérisé par une distorsion sensorielle. Les odeurs et parfois les goûts sont perçus de manière erronée, généralement désagréable. Cela peut survenir soudainement. Des senteurs familières comme celles du café ou du chocolat évoqueront des odeurs de brûlé ou d’essence. L’eau peut rappeler l’oeuf pourri. Même un pain fraîchement cuit peut être ressenti comme écrasant et nauséabond. Il lui suggéra de prendre un second rendez-vous au printemps, afin de vérifier l'évolution des symptômes. Un examen médical complet pourrait être de mise à la même occasion.
  
                            
 
Il avait eu lieu un soir de cette semaine. Le médecin reçoit ses patients seulement en soirée puisque les journées sont consacrées à sa clinique située dans un village voisin. Abigaelle avait demandé à la secrétaire médicale de lui céduler le dernier rendez-vous, ne souhaitant pas être vue et reconnue par d’autres patients qui, possiblement, la connaissent. De plus en plus familiarisée aux habitudes villageoises qui s’appuient souvent sur les racontars, les rumeurs, elle voulait absolument éviter que cette rencontre devienne un sujet public.
 
- Alors, ces odeurs ? Le médecin feuilletait son dossier s’arrêtant sur les antécédents de sa nouvelle patiente.
- Comme je vous le disais lors de notre première rencontre, cet hiver elles ont disparues à 80%.
- Donc, elles sont toujours présentes.
- Maintenant, elles atteignent les 100%.
- Je vois à votre dossier que vous enseignez à l’école primaire des Saints-Innocents. Sur votre lieu de travail, elles vous assaillent ?
- Absolument pas.
- Vous m’avez dit que le propriétaire verrait à examiner plus en détails cette affaire.
- Lorsqu’il sera de retour de son hiver en Floride. Lorsque j’ai pu lui parler au téléphone, il ne semblait pas comprendre la situation et n’a pas répondu clairement à ma proposition de faire venir un spécialiste.
- Puisque la problématique est situationnelle, je vous invite à attendre les résultats des investigations faites sur la maison, avant de considérer autre chose. Évidemment, il y a une fosse sceptique ?
- Oui, il s’agit d’une maison ancestrale.
-D'accord. Si vous voulez prendre place sur la table d’examen, je vais procéder à une consultation gynécologique.
 
Abigaelle revint chez elle ce soir-là quelque peu bousculée par les paroles du médecin. Rapidement et sans en expliquer la source, il s’aperçut que sa patiente avait subi un avortement. Il voulut en savoir davantage puisque le nom de famille Thompson  lui rappelait quelqu'un. Il osa lui demander s’il y avait un lien de parenté entre le célèbre gynécologue australien Thompson, un associé très proche du docteur Morgentaler et si ce médecin avait pratiqué l’arrêt de grossesse. Ce à quoi elle répondit qu’il s’agissait bien de son père, mais qu’il n’était pas au courant de cette situation, Morgentaler non plus.
 
Le médecin lui rappela que la loi interdisait cette pratique, alors que depuis 1975, en France, Simone Veil avait fait adopter la loi sur l’IVG. Abigaelle vit dans les yeux de l’omnipraticien que nous étions bougrement en retard dans ce domaine.
 
Il précisa que son examen, bien que sommaire, lui laissait croire que l’avortement avait été pratiqué dans des conditions minimalistes et qu’un risque d’infertilité pourrait en résulter. Si elle souhaitait consulter un gynécologue pour en avoir le cœur net, il pourrait la recommander à un confrère, à moins qu’elle veuille en parler avec son père. Sa réponse fut immédiate. Non aux deux propositions.
 

 
Gérard remonte de la cave, essoufflé et surtout complètement dépassé par ce cas devenu une intrigue.

- Ça dépasse mes connaissances. J’ai pensé au début, vous vous en souvenez Abigaelle je vous le disais le jour qu’on est venu déposer le sofa, c’est de l’eau qui s’infiltre quelque part sans pouvoir s'évacuer, alors ça pourrit le bois, mais la charpente ne semble pas attaquée et je ne vois aucune trace de flaques d’eau ou de moisissure sur les murs qui se formeraient en entrant je ne sais pas trop où. Un mystère. Aux neiges… en tout cas, j’ai beau m’arracher les cheveux, ceux qui me restent, il me semble que la petite odeur de l’été avait un peu diminué. Mais tu constates que depuis les journées printanières, eh bien elles reviennent. Champigny, il dit quoi ? Sais-tu quand il revient ?
- Il n’a pas été précis sur ces deux questions, mais assurément au printemps. Les semences devraient le ramener au village.
- Les semences dis-tu, ça fait des années qu’il loue ses terres à une grosse compagnie de la grande ville.
- D’ailleurs, ajouta Henriette, ça fait pas mal jaser au village. Lui et les Saint-Gelais... des beaux spécimens. Un regard complice entre elle et Gérard intrigua la locataire de la maison ancestrale.

 
Abigaelle salue le couple avec lequel elle partage souvent ses temps libres, répondant qu’elle accepte l’invitation à souper pour le vendredi suivant, 16 avril, sans savoir que Nathanaël viendra au monde ce jour-là.  





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