Il ne fallut pas un dessin subtil pour faire comprendre à Abigaelle que la maman de Benjamin avait ou était sur le point d’accoucher lorsque Chelle lui annonça que son ami n’avait pas pris le bus scolaire ce matin.
- Tout s’est bien passé pour toi qui a l’habitude de voyager avec Benjamin ?
- Il faut que j’apprenne à me débrouiller sans lui, mais j’aime mieux quand il est avec moi. Monsieur Clotaire a été gentil, il m’a proposé de m’asseoir à côté de lui dans le bus et il a caché sa pipe dans sa poche, répondit la fillette ambivalente entre la situation exceptionnelle d’aujourd’hui et la routine habituelle.
- Bravo Chelle, ensemble nous allons annoncer la belle nouvelle aux amis sans oublier de rappeler qu’ils devront faire un peu plus attention à toi aujourd’hui.
Ce matin du 16 avril 1976 surpasse en ensoleillement tout ce qui est advenu depuis la fonte des neiges. Déjà la cour de récréation de l’école primaire des Saints-Innocents a perdu ses attraits d’hiver depuis la corvée collective organisée conjointement par Monsieur le maire - dont les rumeurs, de plus en plus persistantes, qu’il soit intéressé à poser sa candidature lors des élections provinciales prévues pour novembre prochain - et le président de la Commission scolaire pour qui cette école est un objet de fierté, son bijou répète-t-il souvent.
Alors que les bourgeons des érables se tortillent sur eux-mêmes, les vastes terres de Daniel, situées à l’arrière de l’école, se départissent graduellement de leurs dernières flaques de neige fondante. Le père de Benjamin prévoit entreprendre ses travaux préparatoires aux semences d’ici quelques semaines, le temps de s’assurer que les nuits n’apporteront plus des températures favorisant le gel.
De son côté, Don considérait la dernière saison des sucres comme ayant été «bonne» alors que d’autres acériculteurs de la région la classaient parmi les «moyennes». Faut dire que chez les travailleurs agricoles de tout acabit le blâme est facile, n’hésitant pas à critiquer la météo, trop ou pas assez d’eau, trop ou pas assez de soleil, trop ou pas assez de rendement, bref tout n’est jamais entièrement comme ils le souhaiteraient. Était-ce là une raison pour laquelle Monsieur Champigny, propriétaire de la maison louée par Abigaelle, située tout juste en face de l’école, cède par amodiation l’ensemble de ses champs ?
Le printemps arriva le 20 mars 1976 n’hésitant pas à étendre son oeuvre de renaissance autant le jour que la nuit sur tout le territoire environnant le village des Saints-Innocents. Tout comme en mars 1970, année de naissance de Benjamin et de Chelle, 1976 a accueilli Gabrielle, le 10 avril, et aujourd’hui, 16 avril, naîtra Nathanaël.
- Tout s’est bien passé pour toi qui a l’habitude de voyager avec Benjamin ?
- Il faut que j’apprenne à me débrouiller sans lui, mais j’aime mieux quand il est avec moi. Monsieur Clotaire a été gentil, il m’a proposé de m’asseoir à côté de lui dans le bus et il a caché sa pipe dans sa poche, répondit la fillette ambivalente entre la situation exceptionnelle d’aujourd’hui et la routine habituelle.
- Bravo Chelle, ensemble nous allons annoncer la belle nouvelle aux amis sans oublier de rappeler qu’ils devront faire un peu plus attention à toi aujourd’hui.
Ce matin du 16 avril 1976 surpasse en ensoleillement tout ce qui est advenu depuis la fonte des neiges. Déjà la cour de récréation de l’école primaire des Saints-Innocents a perdu ses attraits d’hiver depuis la corvée collective organisée conjointement par Monsieur le maire - dont les rumeurs, de plus en plus persistantes, qu’il soit intéressé à poser sa candidature lors des élections provinciales prévues pour novembre prochain - et le président de la Commission scolaire pour qui cette école est un objet de fierté, son bijou répète-t-il souvent.
Alors que les bourgeons des érables se tortillent sur eux-mêmes, les vastes terres de Daniel, situées à l’arrière de l’école, se départissent graduellement de leurs dernières flaques de neige fondante. Le père de Benjamin prévoit entreprendre ses travaux préparatoires aux semences d’ici quelques semaines, le temps de s’assurer que les nuits n’apporteront plus des températures favorisant le gel.
De son côté, Don considérait la dernière saison des sucres comme ayant été «bonne» alors que d’autres acériculteurs de la région la classaient parmi les «moyennes». Faut dire que chez les travailleurs agricoles de tout acabit le blâme est facile, n’hésitant pas à critiquer la météo, trop ou pas assez d’eau, trop ou pas assez de soleil, trop ou pas assez de rendement, bref tout n’est jamais entièrement comme ils le souhaiteraient. Était-ce là une raison pour laquelle Monsieur Champigny, propriétaire de la maison louée par Abigaelle, située tout juste en face de l’école, cède par amodiation l’ensemble de ses champs ?
Le printemps arriva le 20 mars 1976 n’hésitant pas à étendre son oeuvre de renaissance autant le jour que la nuit sur tout le territoire environnant le village des Saints-Innocents. Tout comme en mars 1970, année de naissance de Benjamin et de Chelle, 1976 a accueilli Gabrielle, le 10 avril, et aujourd’hui, 16 avril, naîtra Nathanaël.
*****
- Bon matin Jésabelle, tout se déroulera parfaitement bien, dit Angelle, la sage-femme. Le jour est rayonnant, Daniel et Benjamin sont avec nous. Tu sais bien respirer, te reposer entre deux contractions et à l'image de l’accouchement de la deuxième fille de Aanzhanie, tout se fera sans violence et dans la plus grande quiétude.
- J’ai confiance en toi, mon amie.
- Benjamin, je vais avoir besoin de toi, alors j’aimerais que tu te places à ma gauche. Ton père s’occupe de ta mère, il est habile à le faire.
- Et Walden, demanda Benjamin.
- Tu vois, il a un œil sur nous à partir de son endroit habituel. Il fait partie de la famille, alors il doit y être.
L’ambiance installée, la température, idéale, le soleil qui trace un rectangle de lumière au centre de la grande pièce, en sourdine, la musique préférée de Jésabelle, Mendelsshon bien entendu, l'accoucheuse débute, chuchotant d'une voix soyeuse à l’enfant à naître :
- Nathanaël, nous sommes tous présents pour t’accueillir. Tu es le bienvenu. Tes parents, ton frère et Walden ton chien t’attendent calmement. Ils te font dire de prendre le temps qu’il faut pour laisser ton nid où tu es confortablement installé. Le jour est encore jeune. De ce côté-ci, nous sommes prêts à te rendre la vie agréable.
Angelle massait très doucement, aussi délicatement que cela lui est possible, l’enveloppe extérieur du nid de Nathanaël avec une huile d'amande douce qu'elle a tièdie au préalable. Elle invite Benjamin à l’imiter et dire à son frère les mots que son coeur lui dicte.
- Bonjour mon frère. Est-ce que je parle trop fort ? Angelle lui répond par un sourire l’invitant à poursuivre. Le ventre de notre maman est tellement doux. Tu pourras le constater quand tu seras ici, tu verras que je te dis la vérité. Papa est devant moi, il caresse le visage de Jésa et lui flatte les cheveux. Jésa, c'est le nom de maman que je vais partager avec toi. Viens-t-en, il fait si beau dehors et on a tellement de choses à se raconter. Tu sais, je sais lire et pour toi je vais trouver un poème que je t’apprendrai, si tu le veux.
Plus les minutes avançaient, plus l’atmosphère se modifiait. De nouvelles odeurs s’installaient. Celle située quelque part entre sang et encens oscillait telle une fée dans l'espace.
Le souffle irrégulier de Jésabelle, les affectueux murmures de Daniel, l’assurance que les mains de la sage-femme dégageait, tout cela emplissait Benjamin d’une sorte de béatitude. Il ressentait consciemment que quelque chose au-delà du naturel se déroulait sous ses yeux, au point qu’il devait souvent les étancher pour éviter que ses larmes n'interviennent dans le travail des deux femmes.
Il comprenait, ici et maintenant, ce que rappelait souvent Abigaelle, à savoir qu’agir tout seul est une chose, mais à deux puis à plusieurs cela permet à autre chose de se produire, autre chose perçue différemment par chacun. Lui, il ressentait. Ce mot que Jésabelle lui avait enseigné, le reliant à ce qui nous arrive lorsqu'un poème surpasse nos cinq sens. Oui, il ressentait. Et ce qu’il ressentait si ardemment, c’était l’amour avec lequel tout ce qui se déroule devant se produit ; l’amour comme moteur alimentant plus grand que soi ; l’amour se présentant dans une enveloppe de chair, celle de son frère, dont une partie du moins demeurera à l'intérieur de sa mère, un peu comme une relique reposant sans aucun doute à côté de l'artefact de sa propre enveloppe laissé quelques années auparavant, dans le nid que Jésabelle avait construit pendant des lunes.
- Voilà Jésa, il est avec nous. Je vais le déposer sur ton ventre. Il a tellement hâte de chercher tes yeux.
Dans un geste d’une grâce infinie, la sage-femme remit Nathanaël à celle qui depuis des lunes avait noué un contact intime avec lui jour et nuit.
- Voilà Jésa, il est avec nous. Je vais le déposer sur ton ventre. Il a tellement hâte de chercher tes yeux.
Dans un geste d’une grâce infinie, la sage-femme remit Nathanaël à celle qui depuis des lunes avait noué un contact intime avec lui jour et nuit.
Ce premier échange entre mère et enfant, d’une tendresse indéfinissable, appuyé par le père qui ne pouvait retenir ses larmes, ce premier échange dont Benjamin était témoin restera gravé dans son imaginaire. Angelle se plaça derrière lui, l’entourant de ses bras chaleureux elle susurra à son oreille : « Tu assistes à la réplique exacte de ta naissance.»
S’approchant comme pour compléter le tableau familial, Benjamin dit : «Je nous aime.»
Sans pleurs, sans cris et sans aucune urgence, le nouveau-né zieutait l'environnement avant que son père le sépare de sa mère en rompant le cordon qui l'y reliait.


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