Haletant, frissonnant et en sueur, Gord bondit du lit, se frotta les yeux comme s’il voulait que le cauchemar qui venait de le réveiller en soit véritablement un, non pas un signe le prévenant des risques encourus s’il continuait à dévoiler les vérités que jusqu’à maintenant il n’avait révélées qu’à son frère Don dont le sommeil ne semblait perturbé par rien au monde.
« De grands oiseaux noirs forment des cercles de feu auxquels un homme nu tente d’échapper.
Lorsqu’il y parvient c’est pour se retrouver en chute libre dans un puits asséché ; ses mains couvertes de glu cherchent à le retenir aux murs suintant d’une fétide humidité nauséabonde et infecte.
Une voix de stentor hurle des insanités dans une langue que l’homme ne connaît pas.
L’écho revient pour mieux se relancer multipliant le vacarme sens dessus dessous.
De la margelle un visage immobile qu’il ne parvient pas à reconnaître grimace de manière sardonique.
Un coyote rouge zieute un ours triste, les deux portent des vêtements liturgiques couverts d’immondices.
Les grands oiseaux noirs reviennent en plus grand nombre encore, défèquent sur des enfants prisonniers, menottés, une neige acidulée les asperge pour calmer leurs hurlements.
L’homme nu ferme les yeux, mais il ne voit que mieux ce visage qui se multiplie, toujours le même, encore. Encore.
Muet, l’homme grelotte de peur.
Cherche à arracher ses mains des murs du puits qui progressivement s’éloigne de lui.
Le temps ne passe plus, il s’éloigne culbutant devant et derrière lui.
Oppressé, il s’étouffe...»
Lorsqu’il y parvient c’est pour se retrouver en chute libre dans un puits asséché ; ses mains couvertes de glu cherchent à le retenir aux murs suintant d’une fétide humidité nauséabonde et infecte.
Une voix de stentor hurle des insanités dans une langue que l’homme ne connaît pas.
L’écho revient pour mieux se relancer multipliant le vacarme sens dessus dessous.
De la margelle un visage immobile qu’il ne parvient pas à reconnaître grimace de manière sardonique.
Un coyote rouge zieute un ours triste, les deux portent des vêtements liturgiques couverts d’immondices.
Les grands oiseaux noirs reviennent en plus grand nombre encore, défèquent sur des enfants prisonniers, menottés, une neige acidulée les asperge pour calmer leurs hurlements.
L’homme nu ferme les yeux, mais il ne voit que mieux ce visage qui se multiplie, toujours le même, encore. Encore.
Muet, l’homme grelotte de peur.
Cherche à arracher ses mains des murs du puits qui progressivement s’éloigne de lui.
Le temps ne passe plus, il s’éloigne culbutant devant et derrière lui.
Oppressé, il s’étouffe...»
Gord ne cherche plus à s’endormir. Mae est calme dans son sommeil. Au salon, Don est assoupi. Dehors, c’est quelque part entre l’aube et l’aurore, lui semble-t-il. La neige a cessé de tomber alors qu’un jappement de chien s’étrangle aussitôt. La réserve est au point mort. Il n’y a que Gord, l’estomac troublé, la vue imparfaite, debout devant la fenêtre de la chambre à coucher, le corps en nage, poings fermés et les oreilles envahies de stridulations comme s’il marchait dans le bois en plein été poursuivi par des insectes avides de sang. D’aveuglants flashs le ramènent à la maison de son père au village des Saints-Innocents. Très courts. Les trajets entre le Québec et Sault-Sainte-Marie. Interminables. Il ne doit plus replonger dans ce maelström nocturne. L’incertitude l’obsède. Oublier ce cauchemar, chercher à en comprendre le sens, entre les deux son cerveau épuisé chavire.
- Tu as mal dormi, lui demande Mae qui, doucement, l’enserre posant la tête sur les épaules de son mari.
- Un cauchemar, répond-t-il.
- Bon ou mauvais présage ?
Gord se retourne vers elle, la prend dans ses bras qui, encore, tremblent vigoureusement. Se taire... il y est tellement habitué. Toute sa vie jusqu’à maintenant aura été parsemée de pauses continues, d’envahissements d'un opaque brouillard au point d’être surpris d’entendre sa voix. Son père lui rappelait souvent qu’il devait s’extérioriser, ne pas retenir sa langue comme lui lorsqu’il eut à choisir entre la mer et... leur mère. Capitaine opprimé, nomade marin, devenu sédentaire sur une réserve ojie-crie, acériculteur peu convaincu, mais devant répondre sans relâche aux instructions de sa vindicative épouse… Y a-t-il un lien à établir entre mutisme et bonheur ? À ce chapitre il faut sans doute avancer que les hommes sont moins heureux que les femmes.
Le chuchotis des deux époux aura finalement raison du sommeil de Don qui s'affère à remplir le poêle à bois devenu tiède. Il allait sortir de la maison lorsque Mae s’adressa à lui « je prépare du thé.» Les deux ne se sont pas revus depuis le départ inopiné d’il y a trois ans.
- Comment va ton épouse ?
- La deuxième grossesse est plus difficile que la première, autrement je ne peux pas dire qu’elle se porte mieux en présence de ma mère qu’au moment où tu étais à la maison des Saints-Innocents.
- Tu lui diras que je pense beaucoup à elle… que je m’ennuie. Et Chelle ?
- Début de l’école en septembre dernier. Je crois que sans trouver cela facile, elle s’adapte assez bien au village. Bien sûr, et tu t’en doutes certainement, elle est sujette à bien des désagréments, mais elle est forte.
- Je ne veux pas parler de ma belle-mère, mais j’ai toutefois bien ressenti son arrivée hier. Gord verra à ce que tout se passe correctement si elle demeure sur la réserve quand tu partiras.
- Demain je retourne au Québec et elle ne sera pas du voyage. Mais tu as raison, ton mari saura gérer la situation.
Gord arriva dans la cuisine ragaillardi par une longue douche. De la salle de bain se dégage une grande bouffée chaude.
- On déjeune ?
- Je finis le thé et je vous cuis des œufs dans le sirop d’érable, annonça Mae. Le temps est bon, allez fumer sur le perron.
Ce qu’ils firent.
Le matin est doux pour un jour de janvier.
- Tu me demandais quel emploi j’ai ici sur la réserve. Ça sera sans doute du nouveau pour toi. Tu sais à quel point notre grand-père maternel voyageait à la grandeur du Canada. Il avait des amis partout, mais surtout à l’ouest de l’Ontario car le territoire québécois ne faisait partie de ses périples. Ça m’a d’ailleurs étonné de voir notre père choisir le Québec lorsqu’il a décidé de quitter l’île Whiteship, mais c’est autre chose que peut-être nous comprendrons mieux plus tard.
- Est-ce que tu as choisi de suivre les traces du grand-père ?
- Non, pas du tout.
- Alors ?
- Un contact de celui-ci s’est entretenu avec notre chef de bande, ici sur l’île. L'an dernier il lui a rapporté certaines choses encore inconnues de plusieurs, en fait de presque tous. Parmi ces choses, une l’a troublé : l’affaire des pensionnats.
- Es-tu au courant de cette affaire ?
- Plus que cela. Le chef m’a chargé de suivre ce dossier autant ici que dans les autres réserves ojies-cries. Ça exige beaucoup de temps et comme je suis analphabète, j’agis avec Mae qui a eu la chance de pouvoir apprendre à lire et à écrire. Ses parents y tenaient beaucoup. Ça leur a valu plusieurs critiques de la part de ceux qui défendent les traditions à tout crin répandant des craintes face à l’intrusion des Blancs dans nos affaires. Notre mère, une fois réinstallée dans la réserve, trouvera plusieurs alliés.
- Êtes-vous appelés à voyager à travers le Canada pour documenter votre dossier ?
- L’ouest du pays seulement, il n'y a pas d'ojis-cris dans l'est du Canada.
Don se questionnait, à savoir si «l’affaire des pensionnats» n’allaient pas noyer le poisson, c’est-à-dire détourner l’attention de «l’affaire de l’ours et du coyote».
- Le déjeuner est prêt, annonça Mae.
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