Une odeur de lavande mêlée à l’eucalyptus embaume la maison, de la cuisine à l’étage. Abigaelle, d’origine australienne, a vécu quelques années à peine au sud de Perth, région où poussent les eucalyptus, ces arbres aux feuilles d’or. Arbre emblématique de l’Australie, il aura toujours accompagné la jeune fille qui, plus jeune déjà, en collectionnait les images pour garnir les murs de sa chambre d’adolescente. Une seule pause, lorsqu’elle fit un transit de quelques semaines à Londres dans le quartier South Kessington, demeurant chez Madame Davidson, dame d’une grande noblesse qui perfectionna sa manière de s’exprimer en anglais et lui enseigna le français qu’elle jugeait indispensable chez une jeune fille bien et surtout qui s’installerait au Québec, dans la grande ville de Montréal où déjà ses parents habitaient.
Un jour viendrait, se disait-elle souvent, où elle retournera goûter directement cette odeur qui, littéralement, ne cesse de la transporter.La maîtresse de poste avait réussi à convaincre ses patrons d’adapter l’horaire selon les différentes saisons. Elle songeait surtout à la période plus obscure, celle qui s’étend de novembre au mois de mars alors que la noirceur vient plus rapidement : elle proposa d’ouvrir le bureau postal plus tard le matin pour le fermer vers 4 heures de l’après-midi, sauf le samedi alors qu’une pancarte affichera FERMÉ dès midi. Rapidement accepté, tous s’y adaptèrent sauf madame Brodeur qui n’allait pas manquer de se plaindre que tous ces changements la perturbaient.
- De bonne heure pour un samedi matin, c’est ainsi que Angelina salua l’éducatrice tout à fait resplendissante dans son costume à l’allure militaire fort peu adapté pour une balade dans la forêt à ce temps de l’année.
- C’est à croire que toutes nos rencontres ont lieu seulement quand j’ai besoin d’un renseignement ou d’un conseil. Cette fois j’ai un service à vous demander : plastifier mon permis de chasse.
- Vous avez donc rencontré Don.
- Ainsi que sa famille, enfin je crois. Chelle et sa mère m’ont tenu compagnie avant l’arrivée du garde-forestier, mais il m’a semblé toutefois qu’une personne se tenait à l’intérieur de la maison, je ne sais trop pourquoi elle ne s’est pas mêlée à nous.
La maîtresse de poste, retenant sa langue, déplaçait quelques enveloppes traînant sur le comptoir. Cette femme en sait beaucoup, c’est évident se disait Abigaelle qui crut nécessaire d’éviter le sujet pour ne pas bousculer celle qu’elle jugeait indispensable à son intégration dans le village des Saints-Innocents.
- Je me prépare pour aller en forêt.
- Tout de même pas vous promener ainsi vêtue. La chasse est commencée et il est plus prudent de se vêtir d’une couleur éclatante.
- Oui, oui, je sais. J’ai tout ce qu’il faut dans ma mini-van. La seule chose qui me manque c’est une carte topographique de la région. Vous savez à quel endroit il serait possible de m’en procurer une ?
- Difficile pour moi de vous informer là-dessus, mais je crois que le grand garçon qui travaille à l’épicerie le pourrait peut-être. C’est le fils des propriétaires. Il revient de l’université à l’occasion pour donner un coup de main à ses parents.
- Merci Angelina, sans vous je serais bien mal prise. Oups ! J’allais oublier mon permis.
- Soyez prudente, la forêt renferme bien des surprises, répondit la dame tout en lui remettant le document plastifié.
- Entre autres.
L'aura de ce samedi du début novembre hésitait entre l’éclatement des lourds nuages qui déverseraient une pluie froide et la dolente nostalgie qui vient après Halloween, fête que tous les enfants du village ainsi que ceux des rangs environnants adorent sans trop en comprendre le sens profond.
Une habitude particulièrement bizarre s’est installée au cours des années dans le village des Saints-Innocents. Le vieux curé nommé chanoine sans doute pour récompenser ses années de services auprès des paroissiens, avait instauré une coutume, celle de célébrer à 5 heures de l’après-midi une messe en hommage aux paroissiens décédés au cours de l’année, suivie d’une visite au cimetière qui jouxte l’église. Certains y virent une réponse religieuse à une activité païenne, celle de Halloween. Pour inciter les paroissiens à y assister, la célébration était gratuite. Toutes les messes célébrées à cette époque, exception faite pour celles du dimanche, devaient être à la charge des fidèles qui les commandaient. D’autres avancèrent l’idée qu’il s’agissait d’un pied de nez aux familles qui, selon le curé chanoine, oubliaient volontairement ou non de se rendre au cimetière nettoyer les monuments ou tout bêtement ne s’y présentaient tout simplement pas. La tradition survit encore maintenant.
L’automne assombrissant les jours et les nuits ainsi que l’humeur de bien des gens retrouvait un peu d’énergie dans la forêt où la chasse régnait en maîtresse souveraine.
Se taire... tout comme sa famille avait appris à le faire depuis leur départ de Sault-Sainte-Marie et leur arrivée ici, dans ce village qui lui fut si longtemps hostile, aujourd’hui indifférent à ce qui pouvait bien se vivre au bout du rang sans numéro, sans nom, sans asphalte. Les papiers officiels sur lesquels la donation du terrain en échange de son entretien contiennent aussi le droit d’y construire une seule maison, de voir à ce qu’elle réponde aux règlements d’hygiène, papiers officiels signés et officialisés par le Ministère fédéral des Affaires indiennes et du Développement du Nord à la fin des années 1950.
La docilité de Don repose principalement sur le fait que s’en prendre à ceux qui ne cessent de se définir comme des «habitants de souche» lui apparaît contre-productif, ce qui lui importe surtout étant d’assurer un avenir sécuritaire aux siens. Misant sur l’usure du temps, des conflits et de la rancune sans fondement, il s’attarde du mieux qu’il le peut à s’intégrer à la vie du village.
Sa fille, Chelle, née dans un hôpital blanc, va maintenant à l’école des blancs, parle leur langue et se confronte à leurs us et coutumes, ce qui lui permettra d’envisager l’avenir avec un certain optimisme.
*****
L’éducatrice entra chez Steinberg en ce samedi matin incertain, se dirigea vers la caissière qui achevait de répondre à une cliente, lorsque derrière elle un éclat de voix la surprit : Mademoiselle Thompson, est-ce bien vous ?
Se retournant, elle fit face à un grand jeune homme qui venait tout juste de l'interpeller…
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