Parler mousson ici au Québec c'est comme parler blizzard au Vietnam. Difficile d'imaginer des vents bourrés de neige se trémoussant sous plusieurs degrés sous zéro ; tout comme se placer en situation pluvieuse 24 heures sur 24, semaine après semaine durant quelques mois.
La neige s'accumule, façonne des congères atteignant parfois plusieurs mètres.
Les eaux de pluie, on ne les calcule plus en millimètres mais en centimètres, dévalent les rues, éliminent les obstacles avec cette force aquatique qui lui est propre.
Un blizzard nous arrive occasionnellement durant la saison froide, la mousson ça remplit le temps et l'espace de sa grisaille d'acier à des moments précis de l'année.
Puis... le soleil. L'énergie du soleil replace les choses.
Ces deux poèmes ne se veulent pas descriptifs, plutôt comme le résultat d'observations événementielles ainsi qu'un arrêt obligé sur le temps qui passe.
m o u s s o n
nuages brouillés de grisaille, jour broyé d’humidité
murmures d’anges dans les rues, par ici par là
meurt de soif le cactus dans son aquarium en feu
son immobilité de désert clouée à de chaudes racines
espace rapetissé, distances contractées
l’espace épaissi allonge les distances
suicide d'une araignée pendue au fil de soie
papillon inquiet gondolant entre mur et toit
le temps court vers la pluie, se retient parfois
le vent étend son parasol gris au-dessus de la ville
lentement la rivière frétille, nerveusement
de fines vagues épuisées meurent au quai mâchuré
la libellule guerrière s’amuse à signer la paix
aux chauves-souris qui glissent sur la nuit
le poème cherche ses mots, les puise au fond de l’âme
relève les bonnes couleurs, celles qui nous embrouillent
l’hirondelle dérive au soleil couchant
gosier ouvert, avalant l’espace devant elle
mousson, imperméable saxophone, brosse l’atmosphère
y dépose inexorablement ses notes mouillées
la symphonie du déluge
hurle sous nos pieds
et saigne la mousson du cœur
là, comme un coup d’épée dans l’eau
la lucidité des pierres immobiles
halène tout esprit liquide
une communion, un viatique
dans la sacristie cloîtrée des mois de pluie…
19 avril 201
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le soleil tombe derrière eux
deux hommes
assis l’un près de l’autre devant l’étang, fument
parlent de choses et d’autres sans doute
le bronze du soleil s’écaille derrière eux
deux enfants
se lancent une noix de coco dans la cour ensablé
s’amusent l’un et l’autre à ce jeu banal, mais le leur
les ocres du soleil se désagrègent derrière eux
deux femmes
installées dans une rue passante, cuisent le riz
échange de regards amusés, de propos culinaires
le soleil marron, derrière elles, se délaie
deux jeunes chiens
courent l’un derrière l’autre devant la masure
roulent, se mordent puis s’arrêtent au passage d’un vélo
le soleil fauve tempête derrière eux
deux motos
à l’entrée huileuse d’un garage, grondent, immobiles
des outils garnissent le sol, inutiles pour le moment
le soleil flavescent rouille derrière elles
deux palmiers
enracinés au trottoir depuis si longtemps
chuchotent entre eux d'anciennes balades
le soleil marron, derrière le vent, les traverse
deux cerfs-volants prisonniers des fils électriques
deux volées d’hirondelles affamées sous les nuages
deux couples de chauves-souris en course éperdue
le soleil safran glisse sur eux
le soleil est tombé
eux, demain et après-demain
présents
quand se lèvera le soleil
sachant qu’à nouveau il s’affaissera derrière eux
dans son éternel mouvement binaire
26 avril 2015


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