Aussi difficile d’apercevoir les nuages circuler dans un ciel de nuit que lire dans les yeux d’un homme, d’un homme tête légèrement fléchie, regardant nulle part, à l’intérieur de lui-même peut-être, là où c'est impossible d’y laisser entrer qui que ce soit sans autorisation, sans clef… Il n’y a pas de passe-partout pour cet intérieur qui contient tant de choses campées autant dans le cœur, le cerveau que dans l’âme.
L’effort d’être humain se résumerait-il à mettre de l'ordre dans ce désordre initial de la vie et tous les autres qui, par la suite, chavireront l’ensemble par leurs imprévisibles soubresauts ?
L’effort d’être humain se résumerait-il à mettre de l'ordre dans ce désordre initial de la vie et tous les autres qui, par la suite, chavireront l’ensemble par leurs imprévisibles soubresauts ?
Un battement d’aile de papillon… combien de fois l’a-t-on répété… l’effet papillon à la base du chaos ; selon cette théorie, les conditions initiales sont des éléments pertinents, elles pourraient d’une certaine façon être liées au chaos.
C’est sans doute ce que vit actuellement Gord, installé tout à côté de son frère Don. Tous les deux sont assis sur le balcon de la maison des parents de l’épouse de celui qui revient dans la réserve ojie-crie près de Sault-Sainte-Marie, accompagné de leur mère, Taïma, reposant chez sa sœur.
C’est sans doute ce que vit actuellement Gord, installé tout à côté de son frère Don. Tous les deux sont assis sur le balcon de la maison des parents de l’épouse de celui qui revient dans la réserve ojie-crie près de Sault-Sainte-Marie, accompagné de leur mère, Taïma, reposant chez sa sœur.
Peut-on vraiment reconnaître un intérieur auquel si peu de responsabilités furent attribuées autant pour ses choix, ses dons, ses ruptures qui tout au long de la vie une autre personne en fut le gérant… la gérante ?
Apprendre à s’ouvrir, sans retenue, sans filtre n’est pas donné à tout un chacun. Il faut souvent des années au cours desquelles on retient son souffle, on cherche à expliquer ce qui parfois résiste à la compréhension, inconsciemment à l’affût d’un événement, d’une personne qui nous bousculeront. Alors, un nouveau vocabulaire appelle à être déchiffré, apprivoiser une grammaire inédite, deux étrangers jusque-là qui invitent à décoder une conscience subtilement heurtée par des mouvements intérieurs versatiles, suffisamment pour qu'à la fin nous puissions les laisser s'envoler à l’extérieur.
C’est sans doute ce que vit actuellement Gord, inquiet, ne réussissant pas à prévoir l’étendue des dégâts, si dégâts il y aura, une fois projetées les paroles emprisonnées depuis trop longtemps. Elles accosteront chez un frère dont le calme le fascine et le rassure à la fois, chez Don, héritier de la sagesse d’un père écrasé par les lourds fardeaux que transportait à côté de lui pour mieux les déposer sur ses épaules, une femme aigre et dure.
Apprendre à s’ouvrir, sans retenue, sans filtre n’est pas donné à tout un chacun. Il faut souvent des années au cours desquelles on retient son souffle, on cherche à expliquer ce qui parfois résiste à la compréhension, inconsciemment à l’affût d’un événement, d’une personne qui nous bousculeront. Alors, un nouveau vocabulaire appelle à être déchiffré, apprivoiser une grammaire inédite, deux étrangers jusque-là qui invitent à décoder une conscience subtilement heurtée par des mouvements intérieurs versatiles, suffisamment pour qu'à la fin nous puissions les laisser s'envoler à l’extérieur.
C’est sans doute ce que vit actuellement Gord, inquiet, ne réussissant pas à prévoir l’étendue des dégâts, si dégâts il y aura, une fois projetées les paroles emprisonnées depuis trop longtemps. Elles accosteront chez un frère dont le calme le fascine et le rassure à la fois, chez Don, héritier de la sagesse d’un père écrasé par les lourds fardeaux que transportait à côté de lui pour mieux les déposer sur ses épaules, une femme aigre et dure.
Plusieurs routes différentes permettent d’atteindre le cosmos ; les deux frères semblent en être des exemples patents.
Si Gord avait su. Mais ce n’est qu’après que l’on sait, une fois les choses incrustées dans le temps et l’espace. Et s’il avait su Gord, comment aurait-il réagi ? C’est dans un cul-de-sac qu’il se retrouvait non pas devant un rond-point. Aucune intersection sur une route à sens unique.
Et là, maintenant, dans cette nuit que seuls les échos des aboiements de chiens rassérénèrent, là, maintenant, l’heure de la vérité approche.
- Au risque de te décevoir Don, je veux mettre de la lumière autant sur notre disparition du village des Saints-Innocents que sur les attaques contre l’ours et le coyote. Mais auparavant, je veux savoir ce qu’il en est de leur sort.
- L’ours, retrouvé mort près de la rivière Croche après avoir hanté le village pendant quelques jours, la flèche meurtrière plantée à sa cuisse droite, disparue. Ce sont ma fille et ma femme qui ont découvert le coyote affaissé tout près du lieu où notre père est enseveli, une flèche l’ayant abattu. Il m’a été facile, la récupérant, de l’associer à celle de l’ours et… à la famille de Mae.
- Je ne savais pas ce qui en est. Maintenant je peux te raconter toute l’histoire. Pour cela j’aimerais le faire chez-moi.
- D’accord, allons-y.
Les chiens cessèrent de hurler, se turent complètement une fois les deux frères entrés dans la maison.
Gord s’affaira autour du poêle à bois, le bourra à ras bord malgré une température idéale à l’intérieur, comme si une très longue nuit s'annonçait. Deux bières à la main, il prit place dans son fauteuil tout à côté de la fenêtre qui laissait passer une très légère lueur de lune. Un toast puis sa voix se fit entendre.
- C’est exact que Mae, ma femme, est stérile. Je le savais bien avant notre mariage et tu ne peux imaginer combien de fois notre mère me l’a répété. En fait, plus elle me cassait les oreilles avec ce fait, plus ça raffermissait mon amour pour elle. Nous sommes unis tous les deux et le resterons. Si Taïma choisit de ne pas repartir pour les Saints-Innocents, de demeurer chez notre tante, elle devra accepter de me recevoir accompagné de ma femme à qui elle devra présenter ses excuses et comprendre qu’à partir de maintenant lorsque je viendrai dans la maison familiale que ses parents ont construite, ça sera pour rendre visite à notre tante et qu’elle devra s’isoler dans sa chambre comme elle le fait au Québec. Je ne considère pas cela comme une vengeance, plutôt un réajustement de la réalité, un réalignement des astres si je peux dire.
- Je t’appuie dans cette décision.
- Je n’aurai pas de descendance, toi tu en auras et je t’envie comme tu ne peux l'imaginer.
- Notre deuxième fille naîtra au début du printemps, en avril.
- Elle sera bien accueillie par ses parents, j’ai aucun doute là-dessus. Pour ce qui est maintenant de notre départ précipité il y a trois ans, c’est un peu compliqué mais tu comprendras. Par quel moyen avons-nous pu fuir la maison du bout du rang ? J’avais pour responsabilité alors que toi tu fréquentais l’école des adultes, celle de t’y reconduire, de faire les courses au supermarché, recevoir les regards tordus d’à peu près tout le monde du village et te ramener à la maison. J’avais donc quelques heures libres devant moi, à choisir entre retourner chez nous ou attendre paisiblement que tes cours soient terminés. Sans doute te moqueras-tu de moi, mais plusieurs fois, surtout en hiver ou lorsqu’il pleuvait, je me réfugiais dans l’église de la paroisse. J’entrais par le sous-sol puisque l’entrée principale était barrée. Des femmes y préparaient des activités, un bingo je pense. Elles me jetaient des regards que je ne saurais expliquer, mais ils ne semblaient pas méchants. Pensaient-elles que monter dans la nef de l’église pour un autochtone était un premier pas vers la conversion, je ne le sais pas. De toute façon, comme je ne parle pas leur langue il m'était difficile de leur expliquer la raison de ma présence. J’aimais la quiétude de cette église, l’odeur d’encens encore présente se mêlant à celle des lampions qui scintillaient un peu partout. J’y demeurais, seul, envahi par un calme reposant. Notre mère ne me harcelait pas, ne me regardait pas avec ses yeux qui cherchaient à me déchirer pour mieux me raccommoder sur le patron qu’elle avait elle-même dessiné.
Gord fit une pause alors que Don se laissait distraire par des bruits provenant d’une autre pièce, la chambre à coucher peut-être, où une femme semblait s'être enroulée dans quelques gémissements.
Si Gord avait su. Mais ce n’est qu’après que l’on sait, une fois les choses incrustées dans le temps et l’espace. Et s’il avait su Gord, comment aurait-il réagi ? C’est dans un cul-de-sac qu’il se retrouvait non pas devant un rond-point. Aucune intersection sur une route à sens unique.
Et là, maintenant, dans cette nuit que seuls les échos des aboiements de chiens rassérénèrent, là, maintenant, l’heure de la vérité approche.
- Au risque de te décevoir Don, je veux mettre de la lumière autant sur notre disparition du village des Saints-Innocents que sur les attaques contre l’ours et le coyote. Mais auparavant, je veux savoir ce qu’il en est de leur sort.
- L’ours, retrouvé mort près de la rivière Croche après avoir hanté le village pendant quelques jours, la flèche meurtrière plantée à sa cuisse droite, disparue. Ce sont ma fille et ma femme qui ont découvert le coyote affaissé tout près du lieu où notre père est enseveli, une flèche l’ayant abattu. Il m’a été facile, la récupérant, de l’associer à celle de l’ours et… à la famille de Mae.
- Je ne savais pas ce qui en est. Maintenant je peux te raconter toute l’histoire. Pour cela j’aimerais le faire chez-moi.
- D’accord, allons-y.
Les chiens cessèrent de hurler, se turent complètement une fois les deux frères entrés dans la maison.
Gord s’affaira autour du poêle à bois, le bourra à ras bord malgré une température idéale à l’intérieur, comme si une très longue nuit s'annonçait. Deux bières à la main, il prit place dans son fauteuil tout à côté de la fenêtre qui laissait passer une très légère lueur de lune. Un toast puis sa voix se fit entendre.
- C’est exact que Mae, ma femme, est stérile. Je le savais bien avant notre mariage et tu ne peux imaginer combien de fois notre mère me l’a répété. En fait, plus elle me cassait les oreilles avec ce fait, plus ça raffermissait mon amour pour elle. Nous sommes unis tous les deux et le resterons. Si Taïma choisit de ne pas repartir pour les Saints-Innocents, de demeurer chez notre tante, elle devra accepter de me recevoir accompagné de ma femme à qui elle devra présenter ses excuses et comprendre qu’à partir de maintenant lorsque je viendrai dans la maison familiale que ses parents ont construite, ça sera pour rendre visite à notre tante et qu’elle devra s’isoler dans sa chambre comme elle le fait au Québec. Je ne considère pas cela comme une vengeance, plutôt un réajustement de la réalité, un réalignement des astres si je peux dire.
- Je t’appuie dans cette décision.
- Je n’aurai pas de descendance, toi tu en auras et je t’envie comme tu ne peux l'imaginer.
- Notre deuxième fille naîtra au début du printemps, en avril.
- Elle sera bien accueillie par ses parents, j’ai aucun doute là-dessus. Pour ce qui est maintenant de notre départ précipité il y a trois ans, c’est un peu compliqué mais tu comprendras. Par quel moyen avons-nous pu fuir la maison du bout du rang ? J’avais pour responsabilité alors que toi tu fréquentais l’école des adultes, celle de t’y reconduire, de faire les courses au supermarché, recevoir les regards tordus d’à peu près tout le monde du village et te ramener à la maison. J’avais donc quelques heures libres devant moi, à choisir entre retourner chez nous ou attendre paisiblement que tes cours soient terminés. Sans doute te moqueras-tu de moi, mais plusieurs fois, surtout en hiver ou lorsqu’il pleuvait, je me réfugiais dans l’église de la paroisse. J’entrais par le sous-sol puisque l’entrée principale était barrée. Des femmes y préparaient des activités, un bingo je pense. Elles me jetaient des regards que je ne saurais expliquer, mais ils ne semblaient pas méchants. Pensaient-elles que monter dans la nef de l’église pour un autochtone était un premier pas vers la conversion, je ne le sais pas. De toute façon, comme je ne parle pas leur langue il m'était difficile de leur expliquer la raison de ma présence. J’aimais la quiétude de cette église, l’odeur d’encens encore présente se mêlant à celle des lampions qui scintillaient un peu partout. J’y demeurais, seul, envahi par un calme reposant. Notre mère ne me harcelait pas, ne me regardait pas avec ses yeux qui cherchaient à me déchirer pour mieux me raccommoder sur le patron qu’elle avait elle-même dessiné.
Gord fit une pause alors que Don se laissait distraire par des bruits provenant d’une autre pièce, la chambre à coucher peut-être, où une femme semblait s'être enroulée dans quelques gémissements.
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