dimanche 5 janvier 2025

Si Nathan avait su... (16) Revu et corrigé


                                

Jésabelle profita du trajet les ramenant à la maison au bout du rang pour partager avec Daniel les paroles que l’ancêtre ojie-crie lui avait adressées relativement à sa grossesse alors que les femmes se trouvaient à l’intérieur de la maison.

- Cette femme est d’une clairvoyance tout à fait surprenante. Ce qu’elle a dit au sujet de Benjamin et auparavant sur son frère qui naîtra à la date indiquée par Angelle, mi-avril, même période à laquelle la femme de Don doit également accoucher, tout ce qu’elle a dit correspond. Bélier-Dragon, sur un chemin de vie 7, voilà tout ce que je savais avant de recevoir les paroles de la mère de Don. Ce deuxième ne ressemblera pas à son frère aîné, a-t-elle dit, il sera toujours hanté par le dilemme entre le bien et le mal. Difficile de suivre sa propre voie, celle de la liberté ; malgré sa clairvoyance, sa confiance en lui souvent mise à l’épreuve, il nous sera difficile de saisir son type d’intelligence. Davantage chariot que bolide, il transportera les problèmes des autres sans pour autant être en mesure de bien les définir et à la limite s’en désintéressera totalement. Tout comme son frère, il sera un solitaire. Elle a même ajouté un solitaire chronique.
- Particulier quand même que Benjamin et Chelle soient du même âge tout comme le seront les deux qui s’en viennent, dit Daniel.
- Une deuxième fille pour l’épouse de Don, ce qui a semblé tracasser l’ancêtre sans pour autant en dire plus. Sa bru devra maintenant adopter un prénom comme le veut la tradition des Ojis-Cris. Elle m’a demandé de lui en suggérer quelques-uns pour ne pas se voir obligée de prendre celui de l’ancêtre, car… Un silence s’est installé entre nous à l’intérieur de cette maison qui dégage tellement de bonnes odeurs sans que je réussisse à toutes les nommer. Des odeurs d’herbes fraîchement coupées. Dans la cave aux murs de pierres et au plancher de terre dont il m’est difficile de dire la couleur, nous y sommes descendus afin d’être plus à l’aise pour jaser et ne pas réveiller l’ancêtre ; l’humidité ambiante dégage là aussi des senteurs multiples. Ça chasse les mauvais esprits, m’a-t-elle dit avec dans les yeux comme un doute assez flagrant.

La journée aura été longue pour Benjamin qui quitte rarement la maison du bout du rang. Walden avait couru derrière la camionnette lorsqu’ils partirent, maintenant il ne cesse de manifester sa joie de les voir revenus. 
 
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La fin du mois d’août s’installe, le début des classes approche à grands pas. Un document pendu à la boîte postale en précisait les modalités dont une principalement, à savoir qu’un bus se présentera chaque matin aux alentours de 7 heures 30 afin de prendre Benjamin pour le reconduire à l’école du village des Saints-Innocents. Lorsque le service de transport scolaire sera interrompu, les responsables de l'école avertiront les parents à l'avance. Il sera inscrit dans la seule classe dite «maternelle» gérée par une éducatrice nouvellement engagée, une demoiselle Abigaelle - c’est ainsi qu’on pouvait le lire sur la feuille sans qu’il n’y soit précisé s’il s’agissait d’un prénom ou d’un nom de famille. La feuille contenait également la liste des fournitures scolaires qu’il devait se procurer avant la rentrée prévue pour le vendredi 29 août. Finalement, la liste des activités à l'horaire de la première journée ainsi qu’une invitation à tous les parents d’accompagner leur enfant.


                                      
 
Jésabelle, après avoir lu à voix haute les renseignements qu’elle vient d’obtenir, demande à Benjamin de faire de même. Lecture faite, il dit que l’école sera plus intéressante qu’il ne le croyait au départ puisque Chelle fera partie de son groupe. Cela le rassure, mais davantage le fait que sa nouvelle amie ojie-crie, craignant d’être seule dans le bus, l'y retrouvera et pourront être complices dans la cour d’école. 

Ni la fillette ni le gamin n'ont manifesté un enthousiasme exagéré à l’idée de quitter leur environnement du bout du rang pour se retrouver en territoire inconnu que, sans le dire à haute voix, leurs parents imaginaient hostile.

 
- Je serai dans le bus quand il ramassera Chelle ? demande un Benjamin légèrement soucieux.
- Sans être absolument certain, si je tiens compte de l’heure qu'on t'a donnée, du trajet à effectuer, ça serait logique qu’on vienne d’abord ici pour ensuite se rendre chez nos amis ojis-cris, répondit Daniel.
- Ça serait idéal, Chelle craint de se retrouver seule dans le bus.
- Tu seras son protecteur, avança Daniel qui ne décelait aucune inquiétude dans les yeux de son fils qui déguerpissait avec Walden, ses livres bien tassés sur lui.
 
Le jour s’achève, le soleil ayant pris l’habitude de se coucher plus tôt. Les parents entreprirent d’accélérer la transition de la nuit vers le jour pour qu’à l’entrée des classes Benjamin soit en mesure de bien vivre sa nouvelle routine. Ils se répétaient combien cet enfant répondait convenablement à leurs exigences et maintenait un rythme d’adaptation qu’ils s'expliquaient par ses contacts avec leur chien Walden, la lune, sa «perle fabuleuse» et son poète Alain Grandbois, devenu un fétiche. Maintenant riche de plusieurs nouveaux livres, son esprit et son imagination allaient pouvoir vadrouiller dans plusieurs univers différents.

 

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 La vie allait changer en profondeur pour les deux 5 ans qui entreprendront leur parcours scolaire, elle et lui qui, jamais auparavant, ne furent mêlés à d’autres enfants, d’autres adultes sauf ceux formant une famille dans les deux cas on ne peut plus singulières

Pour Jésabelle qui allait maintenant pouvoir se centrer davantage, tout comme son amie ojie-crie, sur une grossesse d’automne et d’hiver pour éclore au début du printemps. 

Pour Daniel aussi, envahi de plus en plus par le travail, mais qui appréciait le contact avec d’autres excommuniés vivant en périphérie du village tout comme leurs demeures situées chacune au bout d’un rang parallèle, aboutissant à un cul-de-sac.

Pour la famille ojie-crie, Chelle, nouvelle venue dans un milieu qui les maudissait depuis leur arrivée, tête haute comme le lui suggérait son père Don, devra s’imposer dans un monde qu’elle ne connaissait absolument pas. 

Que dire de sa mère qui, un peu avant la naissance de sa seconde fille, aura à se nommer elle-même sinon le patronyme de l’ancêtre lui serait donné d’office. Elle comptait sur Jésabelle, cette femme totalement à l’opposé d’elle-même, mieux affranchie et qui élevait ce fils premier de manière originale, unique, nullement attachée à des traditions folkloriques comme celles dont l'avait assujettie l'ancêtre, la même qui avait banni la famille de son autre fils, Gord. Une fois celle-ci partie, elle demeurera dans la maison familiale avec Don, partageant l’espace d’une épouse choquée par le départ de sa belle-soeur qui, bien involontairement, lui laissait dans la tête mille et un doutes, mille et une interrogations, et nourris par une rancœur dont elle ne réussissait pas à se débarrasser complètement.
 
Tout cela nourrira un mois d’août de moins en moins pluvieux, apportant des nuits plus fraîches, plus étoilées et une lune dont la présence réjouissait Benjamin malgré le fait que vers les 20 heures, le soleil s’étant caché, il pouvait, quelques minutes encore, s’installer dans le solarium, la regarder, lui lire quelques vers d’Alain Grandbois:
                        De grands arbres d’ancêtres tombaient sur nous
                                Il y avait des moments solennels
                                Où nous étions portés par l’ombre
                                Où nous étions tous tués par les genoux
                                Notre douleur n’égalait pas
                                Les instances nourries de larmes involontaires
                                Les ombres voilaient nos visages
                                Nos pieds nus saignaient sur l’arête du rocher
                                Et le nouveau jour nous tendait son piège
                                Sous les ogives des hauts cèdres
 
 
*****
 
- Bonjour, vous êtes bien Mademoiselle Abigaelle ?
- Monsieur le Président de la Commission scolaire m’a suggéré de vous rencontrer pour louer un appartement dans le village.
- Oui, oui, il m’a effectivement avisé de votre besoin. J’ai justement quelque chose de libre qui pourrait vous plaire. De plus c’est juste en face de l’école primaire. C’est bien là que vous allez enseigner?
- Exactement. Allons-y.



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