lundi 29 septembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 11

 


    Ojibwée ne bougeait pas. La chienne se tenait au garde-à-vous près de la camionnette bleue après avoir reniflé les pneus et la portière, n’étant pas certaine de reconnaître le jeune homme hésitant à descendre de son véhicule.   
 
- Chelle, retourne vers ta maman, je m’occupe de ce visiteur qui vient sans doute pour un permis de chasse ou de pêche.
- On dirait qu’il a peur de Ojibwée.
- Je vais le rassurer.
 
La fillette court vers la maison alors que Don, caressant la tête de sa chienne, annonce au chauffeur qu’il peut sortir sans crainte.
 
- Tu es le frère de Gord, demande Benoît Saint-Gelais.
- Oui. Il m’a parlé de toi lorsque je suis allé le voir à Sault-Sainte-Marie.
- Sur l’île ?
- Là où la réserve ojie-crie est située.
 
Les deux hommes se toisent. L’un ou l’autre devra lancer la conversation ; Don se dit que cela revient au nouvel-arrivant de le faire, étonné par ce regard d’acier que dégagent les yeux gris métallique du jeune frère de la directrice de l’école primaire des Saints-Innocents dont sa fille lui a parlé de la sévérité de cette femme en fauteuil roulant qui ne se gêne pas, un sourire en coin, pour la surnommer «la petite sauvageonne».
 
Les paroles de Gord lui remontent à l’esprit, celles relatant ce qui a tout à fait l’allure d’agressions sexuelles commises par feu le curé-chanoine de la paroisse. Les confidences de son frère ne précisent pas l’ensemble des détails dont la durée des actes : était-ce depuis plus jeune, depuis la sortie d’un centre pour délinquants fréquenté par Benoît et son retour dans le village des Saints-Innocents. Le garde-forestier devrait en savoir davantage lorsqu’il aura une conversation avec Herman Delage.
 
- Ton frère me doit encore de l’argent, annonça très calmement le chauffeur de la camionnette bleue. Il ne parle pas ma langue et quand je lui ai dit qu’il manquait des sous, il n’a pas compris ou bien il a fait semblant de ne pas comprendre. J’en ai jasé avec Delage qui m’a dit de venir te voir.
- Tu viens pour que je te rembourse ?
- Exact et que je ne peux plus attendre.
- Qu’est-ce qui me dit que c’est la vérité ?
- Moi. J’ai pas hésité à faire le trajet aller-retour en Ontario pour le reconduire, lui et sa femme et une autre fois quand il avait une affaire urgente à régler par ici. C’est Delage qui me l’a demandé. Les deux fois. Il parle la langue de ton frère, le grand Delage.
- Tu sais les voyages de mon frère, j’en suis pas convaincu parce je ne sais pas comment il est parti d’ici et pas au courant qu’il soit revenu par après.
- Il y a trois ans pour le premier, au mois de janvier dernier pour le deuxième voyage. Ça fait quatre transports.
- Bizarre qu’il ne soit pas venu chez nous à ce moment-là.
- J’ai trouvé une place pour qu’il puisse rester durant les quatre cinq jours cet hiver. Avec lui, je ne parle pas. Lui non plus. C’est toujours Delage qui me donne les instructions, puis j’agis.
- Je comprends. Mais tu devras aussi comprendre que j’ai à vérifier tout ça avant d’acquitter la dette, si dette il y a.
- Suis pas menteur.
- C’est pas ce que je dis.
 
À nouveau leurs regards se mettent en position duel. L’un et l’autre scrutant les yeux pour repérer ce qui s’y cache. Rien à voir avec une œillade, un clin d’oeil, les deux hommes se dévisagent sans qu’on puisse être en mesure de déceler quelque intention que ce soit d’un côté comme de l’autre.
 
Finalement et pour éviter de rester sur place plus longtemps, Don rompit l’épreuve de force en déclarant qu’il reviendrait vers lui après avoir éclairci cette affaire si celui-ci lui indiquait l’endroit où il serait possible d’organiser une rencontre.
 
- Je vis chez mes parents. Ils sont faciles à trouver, première maison à gauche quand on entre dans le village. Eux, c’est la première et la nouvelle enseignante, c’est la dernière maison avant de sortir du village. Ma sœur est sa directrice à l’école primaire et comme elle est handicapée je la reconduis le matin et la reprends quand sa journée est finie. C'est jamais pareil tous les jours.
- Pas de souci, je saurai bien te trouver quand ça sera le temps.
- N’attends pas trop, ma patience a ses limites.
- Une provocation ?
- Un conseil.
 
Benoît Saint-Gelais remonta dans sa camionnette au moment où Ojibwée, calme depuis que Don l’a sécurisée, se mettait à le suivre jusqu’à la route.
 
*****
 
C’est le premier matin du monde et j’interroge
Homme demeure errante dans le temps
Un nid fait son feu sous la pluie
Une femme enceinte fleurit son seuil
Un arbre tremble de mille paroles
La chaleur enveloppe l’univers
La lumière creuse des sources
Un secret bouge entre la terre et moi.
- GATIEN LAPOINTE
 
Benjamin répétait cet extrait du poème de Gatien Lapointe, PRÉSENCE AU MONDE. Il le répétait autant pour lui-même que pour Jésabelle qui, depuis quelques jours, se repose dans l’attente des premières contractions qui amèneraient son amie Angelle, la sage-femme, à venir l’assister pour l’accouchement prévu autour du 16 avril. Daniel était d'ailleurs parti dans la grande ville afin de la ramener.
 
C’est douillettement installée sur le divan de la grande pièce du rez-de-chaussée, qu’elle écoute rêveusement son fils lui lire des poèmes - il passait de Grandbois à Nelligan pour s’arrêter chez Gatien Lapointe. Pour reposer sa voix, il plaçait le microsillon de Félix Leclerc puis s’installait par terre appuyé au divan alors que sa mère lui ébouriffait les cheveux.
 
- Tu sais Jésa, je ne comprends pas tout ce que je lis, mais souvent il y a une phrase…
- … un vers, Benjamin…
- … oui un vers d’une strophe qui déclenche dans ma tête des images.
- C’est le cadeau que t’offrent les poètes.
- Je me dis parfois que si je rencontrais le poète de qui je lis les poèmes, eh bien je serais timide et lui demanderais pardon de ne pas tout saisir ses mots.
- Le poète serait d’abord honoré de voir un jeune garçon lire ce qu’il a écrit. Il en profiterait certainement pour te rappeler que la poésie ce n’est pas seulement comprendre c’est aussi ressentir.
- Ressentir… Est-ce que c’est comme sentir ?
- Tout à fait, mais avec un autre sens, un de plus que ceux avec lesquels tu observes comme te l’a expliqué Daniel.
- Un sens numéro six ?
- C’est un peu ça, en effet. Celui-là est assez original. Il te permet de comprendre à ta propre façon ce que tu choisis de recevoir.
- C’est pas clair, Jésa.
- Je te donne un exemple. La lune que tu aimes tant…
- … ma perle fabuleuse…
- … oui, ta perle fabuleuse, eh bien tu la vois avec tes yeux, mais lorsque tu lui donnes un autre nom que «la lune» c’est que tu as vu autre chose d’elle que ce que tes yeux ont vu, tu la vois comme une perle... une perle fantastique, extraordinaire, merveilleuse. Personne d’autre que toi la voit ainsi. Dans les faits, elle n’est pas une perle comme celle qu’on retrouve dans une huître. C’est toi qui a choisi de la voir comme ça, de la nommer ainsi. Ce que j’appelle le sixième sens peut aussi être associé à ce que tu sens, entends, goûtes ou ce que tu touches. Ressentir c’est comme sentir à ta manière. Le poète te dirait cela avec des mots meilleurs que les miens.
- Je saisis ce que tu me dis. J’aime ça ressentir les choses.

Le rêveur en lui prit tout l’espace dans la courte distance qui le séparait de sa mère qui ne cessait de caresser son ventre ressemblant à une outre prête à éclater.
 
Walden confortablement couché près du poêle à bois regardait ces deux complices au moment où dans la cour extérieure la camionnette de Daniel arrivait et qu’en sortait la sage-femme portant son petit bagage.
 
- Et oui mon Benjamin, ton frère frappe à la porte. Il devrait poindre son nez cette semaine. Qu’est-ce que tu dirais d’être avec nous pour son arrivée ?
- Oh! Oui je veux y être.
- Avec Daniel on s’organise pour que tu y sois.
 
Angelle entra, Benjamin courut vers elle qui l’enlaça tendrement.     J’ai pensé t’apporter un livre, lui dit-elle. La poétesse s’appelle Anne Hébert.


- Ça sera la première que je connaîtrai, les autres sont des messieurs.
- Elle est la cousine d’un de ceux que tu lis déjà, Hector de Saint-Denys-Garneau.
- Merci Angelle. Merci.
 
Jésabelle se levait, péniblement il faut l’avouer, rejoignit les deux arrivants qui constatèrent à la voir que la femme en gésine resplendissait, ce qui dans le regard de Daniel signifiait qu’elle était prête.

W A L D E N


vendredi 26 septembre 2025

1202e billet... VAGUE

Certains poèmes mûrissent lentement, 
serait-ce par manque de soleil... 
manque d'eau de pluie... peut-être, 
et flânent quelque part, 
inertie figée dans une patiente attente. 
        
            De sorte que, y revenant, 
le secouant un peu à nouveau, 
selon le temps voué à ce retour, 
une rencontre se refait, pas aussi naturelle 
qu'on serait porté à le croire.

Ce n'est plus le même que l'on découvre. 
C'est un poème dans un poème gigogne...
Mûri, dégageant de nouvelles odeurs, 
parfois même des parfums fricotés 
inconsciemment sans doute.

            C'est beaucoup le cas pour celui-ci, 
il flotte, s'accroche autour du mot «Vague». 
Un mot qui se reçoit, formidablement coopératif, 
un mot qui repousse la solitude, 
un mot solidaire armé de profonde abnégation.




Il y a toujours


Il y a toujours
                            (et partout) 
une vague s’écrasant sur la berge
sans qu’on sache d’où elle vient,
                            (où elle ira)
peut-être
 
Certains la verront ressac impénitent et vagabond,
d’autres lui parleront quelques inoubliables instants
 
Le sable cherche à la retenir, 
les coquillages de mer, aussi,
mais la vague n’est pas une aigrette
un immense  et fragile panache
projetant ses jets d’eau
elle se déchire vaguement des autres vagues



Il y a toujours
                            (et partout) 
une vague s’écrasant sur la berge
sans qu’on sache d’où elle vient,
                            (où elle ira)
peut-être
 
Vague que vague nous cherchons une berge
pour délier d’un futur présent l’absent passé
nos pas de bipèdes inconscients
deviennent traces et pistes
qu’une vague machinalement s’amuse à rouler



Il y a toujours
                            (et partout) 
une vague s’écrasant sur la berge
sans qu’on sache d’où elle vient,
                            (où elle ira)
peut-être
 
La vague se perd dans l’univers des vagues
illustre inconnue parmi les inconnues
électron libre circulant autour de rien
puis disparait là où elle ira




mercredi 24 septembre 2025

Ode au QUÉBEC.

Je vous offre ce poème de mon Ami Daniel Cyr, 
une ode au Québec.  
Lui qui sait coudre les mots sur un tissu qu'encore certains qualifient de «démodé», 
Daniel-le-poète ranime en nous le goût du vrai, 
celui qui nous habille depuis longtemps 
sans jamais s'avérer vétuste.   



 Le Québec
++++++++++

    La Terre


Ô vaste continent que l’aube illumine,

Terre de pins géants, de rivières divines,

De rochers éclatants qui défient les orages,

Et d’érables en feu qui rougissent les âges.

Ton fleuve Saint-Laurent, tel un bras de géant,

S’avance dans la mer, éternel et vivant ;

Il recueille au passage mille sources limpides,

Et porte dans ses flots les rêves intrépides.

Montagnes orgueilleuses, plaines aux blés dorés,

Forêts aux vents glacés, lacs bleus et révérés,

Tout chante un hymne immense au voyageur qui passe,

Et dit : « Ici s’étend l’éternelle audace. »


    Le Peuple


Sur ce sol rude et fort s’élève une nation,

Tissée de patience et de tradition.

Le paysan qui sème, l’ouvrier qui bâtit,

L’artiste qui façonne un chant clair et hardi,

Tous portent dans leurs mains la force d’un héritage,

Et dans leurs cœurs ardents l’éclat d’un grand courage.

Le drapeau fleurdelisé, sur ce ciel azuré,

Rassemble les enfants qu’un même amour a liés.

De la France lointaine ils tiennent la mémoire,

Mais c’est d’ici, du pays, que jaillit leur vraie gloire.

Peuple fier et tenace, au rire franc et pur,

Tu gardes dans tes yeux la lueur de l’azur.


    La Langue


Ô langue des poètes, noble et claire flamme,

Nourrie de mille voix, consolant mille âmes,

C’est toi qui nous unis, toi qui nous rends égaux,

Dans le tumulte immense des peuples et des mots.

Dans les marchés bruyants, dans les écoles neuves,

Dans les chants des enfants qui longent les fleuves,

Résonne ton éclat, ta lumière fidèle,

Unissant dans l’instant l’ouvrier et la belle.

Langue des troubadours, héritée du passé,

Mais ouverte au futur, prête à tout embrasser,

Tu portes dans ton sein la promesse sacrée

Qu’aucun vent étranger ne saurait profaner.


    L’Ouverture au Monde


Mais ce peuple enraciné n’est point solitaire ;

Il tend vers l’univers un regard solidaire.

De l’Afrique en fête aux confins de l’Orient,

Le monde a semé là ses enfants éclatants.

Chaque visage est neuf, chaque accent est lumière,

Et tous forment ensemble une même bannière.

Les peuples réunis, sous l’étoile du Nord,

Trouvent en ce Québec un abri et un port.

Ô terre d’espérance, ô jardin de l’humanité,

Tu portes à ton front la clarté de la liberté.

Tu es le cri vibrant d’une fraternité neuve,

Un chant qui se déploie de la montagne au fleuve.


    Épilogue


Québec, noble flambeau dressé dans la tempête,

Ton nom roule au loin, que la mer le répète.

Patrie aux mille voix, fière et hospitalière,

Tu es à la fois racine et lumière.





dimanche 21 septembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 10


Nous voici en avril. Début avril.

1976…

 … à quelques jours de l’accouchement de Jésabelle ainsi que celui de Aanzhini, l’épouse de Don. 

Celui-ci confortablement installé sur son balcon, Ojibwée à ses pieds qui renifle l’air printanier, fume la cigarette qu’il s’est paresseusement roulée et dont les volutes s’évadent vers le boisé-cimetière où reposent les restes de son père Gordon et dans lequel, maintenant, l’esprit de Taïma réside depuis la mort du coyote.

Il se remémore la route du retour, celle de janvier dernier, route du retour qui nous semble toujours plus courte que celle qui nous a menés là d'où nous revenons. À rebours, elle s’avère différente, à tout le moins contrastée. Parti dans un but précis, revenu avec davantage de questions à élucider que lors de son  départ il revoit les images des événements qui se sont développés depuis ce temps jusqu’à maintenant dans ce vernal avril. 

De l’hiver au printemps en quelques semaines... de la neige de février, celle de mars propice à l’entaillage des érables. Aux Saints-Innocents Don applique le même protocole, le même rite qu’à Sault-Sainte-Marie. Lui, dans ce Québec qui prend de plus en plus l’odeur des élections, alors qu'en Ontario, personne de la famille de Gordon ne s’affaire à cette tâche ancestrale. 

Il avait quitté sa femme enceinte et sa fille, les ayant confiées aux bons soins de Daniel et Jésabelle enceinte elle aussi, pour les y retrouver, ayant beaucoup à raconter sur ces trois jours passés en compagnie de son frère Gord et sa femme Mae, de sa tante «la sœur de Taïma» et Taïma qu’il a larguée sur l’Île Whiteship pour y achever sa vie dans une chambre-cellule au rez-de-chaussée de la maison familiale.
 
Il aura roulé sur cette interminable route, la 17, pour, dès son arrivée, pourchasser les braconniers dans la forêt autour du village et s’entretenir le plus rapidement possible avec son responsable au Ministère du Tourisme, de la chasse et de la Pêche afin de clarifier l’affaire de l’ours. 

En avril, son vade-mecum de garde-forestier est moins chargé qu'à automne, il peut ainsi consacrer plus de temps à mettre de l'ordre dans sa tête, revoir certaines positions vissées comme des intouchables depuis longtemps, dont son implication dans la société des Saints-Innocents qu'il juge être une responsabilité prioritaire. 

Puis...

... éclaircir les dessous de la mort du curé-chanoine de la paroisse décédé lors de la tragédie de l’ours ; s'empresser de mieux connaître l'enseignante de Chelle qui revêt une importance capitale pour sa fille ; fréquenter Daniel et Jésabelle de façon plus régulière ; finalement, à la suite de la recommandation de son frère Gord, entrer en contact puis établir une relation solide avec Herman Delage qui servirait de pont entre son frère et lui.

S'ajoute à ce plan d'action le fait de se concentrer entièrement sur les préparatifs entourant la naissance de sa deuxième fille bien qu'encore sidéré par les révélations que Daniel et Jésabelle lui ont transmises à son retour de l'Ontario, lui révélant cette étrange histoire. 

La femme qui aura bientôt son propre nom, celui qu’elle a déjà choisi et que Don a accepté, Aanzhini, aurait proposé un échange, à la naissance de leurs nouveaux-nés, ce qui permettrait ainsi aux deux couples de se retrouver avec une fille et un garçon. Cette nouvelle pour le moins stupéfiante l’a littéralement assommé. Médusé, il reçut de sa femme cette explication qui déchirait à nouveau et de manière violente une plaie non cicatrisée. Elle voulait offrir un garçon à son mari dans le but, précisa-t-elle, que sa belle-mère, enfin, puisse se taire, cesser de l’accuser de ne pas participer à la descendance mâle des ojis-cris. 

Il y songeait encore en cet après-midi ensolleillé de printemps, y décelant toutefois une preuve d'amour de la part d'une Aanzhini troublée par les manoeuvres cruelles de Taïma.
 

Sa mémoire roule entre janvier et avril ; y revient ce  pacte scellé, fondé sur la maturation de la fraternité avec Gord qui lui annoncera que son épouse Mae, libérée des maléfices de sa belle-mère, est enceinte.
 
Sur son balcon, l'odeur du soleil avive l'environnement, il est distrait par l’arrivée du bus scolaire déposant Chelle qui court bras ouverts en direction de son père talonnée par sa chienne Ojibwée.
 
- C’est bientôt le bébé, dit-elle encore essoufflée. À chaque jour je pense que c’est aujourd’hui que maman nous apportera ma soeur.
- Très bientôt, ma fille. J'aime bien que tu m'en parles tous les jours. Une soeur tout comme un frère c'est  important dans notre vie.
- Benjamin, lui, aura un frère.
- Vous êtes si l’un près de l’autre qu’on vous croirait sœur et frère.
- Non papa, Benjamin sera mon mari. On se l’ait promis. Juré pour la vie.
 
Don la prit dans ses bras, l’embrassa et ne put s’empêcher de lui demander si elle s’ennuyait de sa grand-mère.
 
- Non. Des fois je pense à elle, surtout quand je reviens de l’école et qu'elle m'obligeait à aller dans le boisé, tout près de la tombe de grand-papa Gordon. Est-ce que je la reverrai un jour ?
- Je ne crois pas qu’elle songe à revenir chez nous. Tu sais, elle a beaucoup souffert lorsque nous avons quitté l’Île Whiteship avec Gordon. Ça lui a été très difficile d’apprécier la vie par ici. Trop différent de ce à quoi elle était habituée.
- Je ne comprenais pas tout ce qu’elle racontait, je faisais semblant pour ne pas la chagriner.
- Il y a des choses qu’on comprend seulement quand on est plus vieux.
- Toi aussi c’est comme ça ?
- Oh! Oui. J’en apprends tous les jours et souvent ce me surprend comme tu ne peux pas l’imaginer.
- Mademoiselle Abigaelle dit des choses qui ressemblent à ce que tu viens de dire.
- Tu l’aimes beaucoup cette Abigaelle.
- C’est la meilleure personne au monde après maman et toi, Benjamin et ses parents.
- Profite bien de tout ce qu’elle t’enseigne.
- Là c’est le printemps et bientôt, lorsque l’été va arriver, l’école sera terminée. Je serai ensuite en première année. Je souhaite que l’institutrice que j’aurai soit aussi gentille que Abigaelle. Aussi, que Benjamin et moi nous soyons dans la même classe.
- Il y a de fortes chances, vous n’êtes pas très nombreux à passer en première année.
- Patrick, tu sais le fils de Monsieur le maire, a dit qu’on pourrait changer d’école, aller dans une autre paroisse parce que nous ne sommes pas assez nombreux.
- On attendra les événements avant de nous énerver.
- Mais Monsieur le maire, c’est encore Patrick qui l’a dit, eh bien il doit devenir le député après les élections.
- Tu en sais des choses.
 
Courant vers la route, Ojibwée mit fin à la sérieuse conversation père-fille. Une camionnette stationnait dans la cour. Bleue sur une couche de neige fondante.






vendredi 19 septembre 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (30)

Deux poèmes écrits en terre québécoise, l'esprit encore au Vietnam pour le premier, le second bien incrusté ici.

 

ils jouent
 
missiles, roquettes et bombes pour musique ambiante
on a équipé les enfants d'arcs, de flèches
ni complainte ni berceuse 
dans la bouche des mères veuves
que des étoiles noires le jour, des soleils mats la nuit
 
les enfants ont armé les arcs, acéré leurs flèches
de leurs bras, de leurs mains bleuies d’ecchymoses
virevoltent des pluies froides de poussière
au-dessus du caducée des linceuls
mais ils jouent
 
les enfants portent des maillots rouges numérotés
comme les footballeurs à la télé
un concerto de Mendelsshon enserre le terrain vague
de la nostalgie des couchers de soleil
alors que les enfants épicènes jouent
 
des machines de guerre, d’acier et de rouille
tachent l’horizon de leurs longues épées fumantes
alors que roule un ballon antipersonnel
sur le cimetière bouillonnant des derniers coups de pelle
quand jouent les enfants épicènes
 
sans casque, tête offerte aux tirs, aux corners
sur cet espace que limite le crachat des tyrans
les enfants courent derrière d’autres enfants
qui, eux, savent déjà le résultat de ce manège
qu'une sirène annonce la partie jouée d’avance
et les enfants qui restent, ballon de chair sous le bras,
aveuglés, minés et inquiets marchent au bout du champ
que le jour semblable à hier a rapetissé


 6 septembre 2014
457
 
 

 
l’air est à la neige
 
une enveloppe de silence imprègne les champs
des ombres grattent les épis de maïs couchés
dans les champs reposent les oiseaux migrateurs
 
les cris voyageurs du convoi routier
se taisent dans la langueur froide du temps
qui envahit le village somnolent
 
les oiseaux de passage scarifient le sol
alors que l’air est à la neige
 
 
sur leur voie de partance ils tracent
au plancher froid de la saison rouge
des pistes, des empreintes d’espérance
 
que savent-ils, ces migrateurs longanimes,
pour ainsi reprendre à grand coups d’ailes
ces kilomètres cousus aux points cardinaux ?
 
les oiseaux de passage éventent le temps
alors que l’air est à la neige
 
 
ces sirènes d’automne garées où bouillonne le soleil
toujours frémissantes de voyages,
brisent le mystère des nuages
 
ici, un geai bleu crieur les regarde
immobile sur son sapin trémulant
le cœur stationnaire et envieux
 
là, les arbres devenus branches s’agitent
des mésanges volent dans les couleurs usées
indifférentes au départ des nomades
 
partir sur le dos des migrateurs
alors que l’air est à la neige

28 octobre 2014
462

mardi 16 septembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 9

 


    Deux frères que tout éloignait, que tout rassemble maintenant, marchent sur la terre natale. Direction, ce pont surplombant la rivière Sainte-Marie, lieu d'une  partie de leur jeunesse. Durant les mois d'été, revenus sur l'île, ces rapprochements furent sans doute les seules véritables occasions pour eux deux de vivre côte à côte dans le nid douillet que leur tante aux multiples talents bichonnait.

    Deux frères qui furent à même de constater à quel point cette femme se distinguait de Taïma, leur mère naturelle, autant par la démonstration toujours humble de ses talents - tout ce qu’elle touche se transforme en beauté - que ce soit dans le potager, son jardin de fleurs bigarrées, ses créations vestimentaires pour les femmes de la réserve et plusieurs autres de tout horizon qui venaient profiter de sa grande habileté, son bon goût ainsi que ses conseils teintés de sagesse, d'une bonté légendaire, et au-dessus de tout, cette ouverture à l'écoute afin de bien  comprendre, silencieusement toujours, le contenu de l’âme de chacun et chacune. Pour ses neveux, si différents l'un de l'autre,  elle choisissait les mots justes, les leur servait autour de sa table garnie de plats inoubliables. Jamais elle n’aura insisté pour qu’ils lui confient ce dont ils ne voulaient pas partager, mais l’empathie naturelle qui est sienne lui permet de décoder les non-dits enclavés autour de leurs parcimonieuses paroles.
 
Elle avait refusé de se nommer, respectant à la lettre la tradition ojibwée, passant sa vie sous le patronyme de la «sœur de Taïma». Du décès de son amoureux parti à la guerre dès le début de celle-ci, en 1939, alors même que le Canada n'y était pas encore engagé, lui, jugeant que sa présence dans les forces armées canadiennes représentait une occasion d’en revenir plus tôt, la tante en aura cruellement souffert, ensevelissant son chagrin pour éviter le déluge de paroles hargneuses d'une sœur accusant le soldat volontaire de violer la tradition ojie-crie, celle de ne jamais s’intégrer à la civilisation blanche que les ancêtres jugeaient néfastes à leur autonomie, dangereuses pour leur survie comme groupe autochtone ayant racine sur les terres canadiennes.
 
    Deux frères qui s’arrêtent sur le pont, roulent une cigarette, décidés à ce qu'éclatent les secrets sapant leur fraternité, que soient éclaircis les récents événements pour lesquels Don s’est déplacé du village des Saints-Innocents à l’Île Whiteship.
 
- Tu repars ce soir, demanda Gord.
- Cette nuit, après avoir nettoyé mon esprit des troubles qui y ont pris place dans et autour de l’autre maison familiale, celle du Québec.
- Tu repartiras la conscience en paix, tout comme moi je resterai ici l’âme soulagée. Écoute bien ce que j’ai à dire, c'est la suite de mes révélations au sujet de Taïma dont il me sera inconcevable à partir de maintenant d’appeler notre mère..
 
    Deux frères quittent le pont comme on quitte un musée, l’âme ayant suffisamment récolté de cette énergie émergeant du passé pour se propulser vers l’avenir. Ils se mirent en marche sur ce sentier menant à la rivière. 

Gord, après une longue inspiration, débuta son récit.
 
- Je suis l’assassin. J’ai abattu l’ours noir qui m’a surpris alors que je faisais un arrêt au cimetière en chemin vers le boisé près de la maison de notre père. J’avais une flèche. Une seule, tu as raison. Fabriquée par un membre de la famille de Mae. Destinée à atteindre le cœur de Taïma. Plusieurs mois avant de quitter le Québec pour revenir sur l’île, elle m’avait fait jurer sur la tombe de notre père que si un jour j’étais convaincu au plus profond de mon âme, catégorique dans mon esprit que je n’allais pas poursuivre sa trace, elle exigea de moi un serment... celui de lui enlever la vie. Une flèche en plein coeur. Ça m’avait troublé au point de chercher une manière subtile de m’enfuir, de revenir sur l’île sachant qu’elle n’y remettrait plus jamais les pieds. Quitter les Saints-Innocents, c’était couper le cordon qu’elle avait enroulé autour de ma vie, une agrafe qui m’étouffait. Il fallait trouver un transport puisque tu n’étais pas une option. C’est par Herman Delage qui a convaincu Benoît Saint-Gelais - je me doute bien avec quels arguments - de nous ramener ici, Mae et moi. J’ai toujours gardé contact avec ce grand étudiant à l’université. Il continue à beaucoup m’aider, surtout actuellement dans le dossier des pensionnats. Tu ne peux imaginer à quel point ce type sait des choses. L’affaire du curé en est une, mais aussi celle de l’agression de son père. Si tu as une chance de jaser avec lui, il te surprendra avec les informations sur ces deux affaires qui impliquent Benoît de très près. Il m’a également parlé de l’arrivée à l’école primaire des Saints-Innocents d’une nouvelle enseignante qui aurait été mêlée aux événements du FLQ. Te rappelles-tu cette histoire de double enlèvement ?
- Comment dont si je me rappelle. La nouvelle enseignante est celle de Chelle, ma fille.
- Herman pourra aussi t’en dire sur cette paroisse qui dissimule bien des secrets… Mais laisse-moi achever l’affaire de l’ours et du coyote.
- Vas-y.
- Cet automne j’ai pris une décision importante, celle de répondre à la demande persistante de notre grand chef de bande, soit m’engager à temps plein dans l’affaire des pensionnats. Mae et moi demeurerons donc ici tout en voyageant à travers les provinces de l’ouest canadien. C’est là que la promesse envers Taïma s’est imposé à moi. Ma femme était d’accord à ce que je la respecte en autant que tout soit organisé de manière à ce que cela ne nous cause aucun ennui. Par Herman, j’ai pu revenir au village conduit par Benoît qui m’a trouvé un endroit où loger durant mon séjour, sans penser que ça allait être plus long que prévu. Les deux premières journées, caché dans le boisé près de la tombe de notre père, j’épiais vos habitudes, les tiennes, celles de ta femme et Chelle, sans réussir à trouver un moment au cours duquel Taïma se retrouvait dans mon champ de vision. Le jour trois, la neige commençait à tomber, un Benoît colérique a exigé de moi que je fasse la peau de Monsieur le curé. Il m’a demandé d’attendre près du cimetière que le prêtre sorte de son presbytère pour lui décocher ma flèche pendant qu’il y marchait, sans le frapper à mort mais suffisamment pour qu’il se voit dans l’obligation de quitter la paroisse pour suivre une convalescence loin de lui. Ça n’a pas fonctionné comme prévu. Un ours noir s’est approché dans mon dos et j’ai dû tirer sur lui pour éviter l'assaut. Son hibernation n’était sans doute pas vraiment commencée à ce que j’ai pu constater. Atteint à la cuisse, il est tombé pendant que je m’enfuyais. Aucun témoin, j'en suis certain, n'a assité à la scène. Benoît s’est emporté après l’attentat manqué, mais moi je songeais à la flèche perdue. C’est le lendemain ou le surlendemain que l’ours s’est écroulé près de la rivière et que j’ai pu recouvrer ma flèche. La mort du curé, c’est Benoît qui me l’a apprise quand il est venu me reconduire sur l’île, sans préciser exactement les circonstances. Herman pourra t’en dire plus que moi. Revenu près de ta maison, accroupi dans ma cache temporaire, le coyote s’est pointé. Je l’ai tué. Je n’avais plus besoin d’en faire plus, à mes yeux Taïma venait de mourir sauvée par la mort du coyote. Voilà. C’est ainsi que tout s’est passé.
 
Don sentait en lui quelque chose comme cet étrange sentiment que l’on éprouve lorsque le mot «Fin» s’affiche sur le grand écran d’un cinéma, qu’on s’interroge encore sur ce qui vient de se dérouler devant soi. Une énigme qui se dévoile nous laisse pantois, rassuré également par ce qui corrige des perceptions souvent imaginaires devenues, maintenant, des faits rectifiant les données que notre intelligence a tenté de déchiffrer.
 
Les épaules de Gord lui apparurent, soudainement, plus légères, un vent dissipait l'oppressant brouillard enveloppant son cerveau depuis trop d'années. Conclure ces événements ainsi que tous les antécédents lui permettrait maintenant de s'occuper à autre chose. 
 
    Deux frères devenus silencieux regardaient leurs pas s'avancer dans ce sentier à la sortie du pont, longeant la rivière qui ne réussissait pas à se couvrir de glace, gazouillant au même rythme que le son des oiseaux confortablement installés sur les branches dénudées des érables.
 
    Deux frères sur une même longueur d’onde, deux frères qu’une nouvelle complicité réunissait.  





Moby Dick et la sirène

                                                   à la Moby Dick   au  loin sur l'océan, coulait le sang l’ivresse de l’inconscient l’é...