Je recueille les écrits qui ont rapport à Nathan, ce soir, d'autres qui suivront, sachant qu’ils n’ont pas d’âge et que cela n’a aucune espèce d’importance. Ils voyageront dans le temps, le remonteront, s'attarderont ici, là. Ce sera un peu comme ouvrir son cahier personnel dans lequel Nathan aurait griffonné sur chacune des pages quelques événements, circonstances ou inquiétudes peut-être, lancer le tout en l'air et, toutes échevelées, les rassembler avant de les lire, comme ça tout bonnement…
Tout personnage est un fatras de je ne sais trop combien de visages, de caractères imprimés dans l’imaginaire de l’auteur qui se permet de les fusionner. Créer un personnage est une tâche fascinante. Un détail physique ou psychologique, un tic, un accent, tout ce qui peut le définir, le rendre vivant et permettre au lecteur de le distinguer parmi les autres. Cela me rappelle la formidable expérience vécue avec des élèves ayant des problèmes d’apprentissage, résumons-les par des difficultés à lire et à écrire, à qui j’ai proposé d’écrire un roman. Nous avions dix mois pour y arriver. Septembre à juin. Le produit qui en est sorti s’intitule UNE HISTOIRE QUI NE DEVAIT PAS AVOIR DE FIN - pour les curieux, cherchez sur le blogue, vous le trouverez quelque part dans son intégralité. Beaucoup de personnages sont nés, formidablement bien individués et actifs dans ce récit que je qualifierais «d'aventures pour la jeunesse». Un élève, prenant le micro lors du lancement du livre, dit et cela m’a tellement ému : «Je n’ai dans ma vie lu qu’un livre, celui que j’ai écrit.» Pure merveille démontrant, bien que l'échantillon soit embryonnaire, qu’écrire c’est l’acte initial à la lecture. Je ne sais trop qui est Nathan. Dans ce que vous lirez lorsque enfin je cesserai de jacasser, il deviendra un jeune homme conscient de sa réalité et devant l’affronter. Ce sont des extraits de ce qu’il a nommé «mon diary», hétéroclites et épars jusqu’au moment où un véritable narrateur ramassera tout cela depuis le début et en fera quelque chose de cohérent. Le premier texte porte un titre : Nathan, l’oreille collée au plancher. Le voici. J’y reviendrai une fois que vous l’aurez lu ou relu.
Nathan, l’oreille collée au plancher.
( À l’instar de plusieurs prénoms, celui-ci s’avère être le diminutif provenant d’une dérivation, celle de Nathanaël. Lorsque ce garçon vint au monde, il y a de cela vingt ans ou plus, la grande majorité des habitants du village des Saints Innocents où ses parents vivent s’interrogèrent sur la raison pour laquelle on gratifiait cet enfant d’un tel prénom, aussi étranger que bizarre et tellement pas catholique. Mais cette famille aura toujours été atypique, au point qu’elle fut, non pas évitée, mais ignorée de leur communauté. )
Les premières semaines tanguaient entre merveille et découverte, également s'attarder à la tâche parfois difficile de l'adaptation à la vie commune, aux petites habitudes de l’autre jusque là ignorées. L’amour excusant tout, ils surent passer outre à quelques désagréments dont ils apprirent tant bien que mal à se moquer après les avoir intégrés.
Les parents d’Isabelle craignaient un peu cette organisation précipitamment entendue, ne se gênant pas pour lui prodiguer des conseils qui tombèrent dans l’oreille d’une sourde. Elle connaît Nathan depuis le début de leurs années à l’école secondaire et partir loin de la maison pour vivre avec lui n’a jamais paru préoccupant, bien au contraire, exaltant. Cette jeune fille alerte, déterminée, est réaliste dans l’élaboration de ses objectifs ainsi que sur les moyens à prendre pour y arriver. Le premier aura toujours été celui de quitter son village qui l'ennuie profondément, l’isolant de tout ce qui l'intéresse. La ville l’a toujours excitée, attirée. C'est là que se trouve la vraie vie, se disait-elle.
À l’inverse, Nathan, jeune homme introverti cultivant le silence depuis toujours, son village et surtout le grenier de la maison paternelle devenu son refuge lui convenait parfaitement.
En fin de journée, alors que les deux étudiants rentrent à la maison, le premier geste aura toujours été de remplir l’endroit de musique, dont une en particulier, celle que Nathan cherche à retrouver en plaquant son oreille au plancher. Pour lui, ces notes échappées d’un violon et d’un violoncelle se sont avérées d'abord un formidable déclencheur et maintenant une cinglante cicatrice.
Sa vie ne ressemble plus maintenant à ce qu’elle était au départ du village, à son arrivée dans la Métropole. Il découvrait la difficulté de s'ajuster à l’exubérance de sa compagne, sa soif continuelle de nouveautés, lui si solitaire, si fade, si quelconque.
Cette musique porte un nom : My life is going on. Elle suscite chez lui une réflexion sur le projet de parfaire ses études le contraignant à s’installer dans un nouvel environnement, loin de sa routine qu’il chérissait, peut-être davantage qu’il ne l’imaginait au départ, et surtout, le fait de mutualiser sa vie à celle d’Isabelle. Chez elle, cette musique lui permit de réaliser que vivre avec Nathan s'avérait une tâche beaucoup plus ardue qu'elle s'y attendait. Quoiqu’on fasse, la vie continue lui martelait quotidiennement cette musique ; elle continue du fait qu’elle a débuté. Le destin, comme s’il s’agissait d’un guide, propose des routes inconnues, parfois inquiétantes. Lesquelles ? Exigent-t-elles d’être suivies aveuglément, sans s’interroger, sans comprendre ?
Nathan, l’oreille fichée au plancher, perçoit la vibration des cordes, le jaillissement de la musique. S’interroge-t-il sur la suite des choses qui ont fatalement une suite tout comme cette musique qui ne cesse de le hanter ?
Demain, il prendra le bus, en route vers son village, persuadé qu’y revenir lui permettra de s’approprier une partie du chemin parcouru depuis la fin du mois d’août, l’occasion de défricher celui ou ceux qui se présentent maintenant que cet hiver frileux et figé engourdit la ville, l’insensibilise.
( Il leur fallut prendre position, choisir la destination commune afin de poursuivre leurs études post-secondaires. Pour elle, le choix était clair, la création artistique par le biais de l’info-graphisme, pour cela Montréal proposait des options adaptées à son ambition. Pour lui, un CEGEP offrant une mise à jour académique accompagné de cours en électromécanique. C’est quelque part en février qu’ils optèrent pour Montréal ; en avril, ils annoncèrent la nouvelle aux parents et se mirent en chasse d'un logement; en juin, ils louèrent cet espace tout près du métro Berri-UQAM presque en plein coeur du centre-ville. Ils emménageront à la fin de l’été. )
Lorsque les parents de Nathan avancèrent l’idée de réaménager une partie de la maison ancestrale, le benjamin, celui qui aujourd’hui retrouve son village sous une neige épaisse, renoue avec cette route étroite tellement qu’une seule voiture peut y circuler, avait demandé que dans sa chambre dans le grenier, on y installe plusieurs fenêtres dans le plus de directions possibles. Ceci permettrait au soleil de s’y refléter à longueur de journée, à la lune de s’y mirer à sa guise et lui de pouvoir s’isoler sans complètement disparaître. Idée singulière pour quelqu'un qui cherche à socialiser, argumenta sa mère. Je ne suis pas sociable et ne cherche pas non plus à le devenir. Il prit possession de son antre comme l'appelait sa mère, dès son entrée à l’école secondaire à la suite d’une effroyable tragédie ayant démolie la famille.
Remettre les pendules à l’heure, tenter, aussi, de saisir ce qui s’entremêle dans les notes obsédantes de cette musique continuellement présente dans sa tête, puis, ouvrir l’enveloppe qu’Isabelle a déposée devant sa porte quelques jours avant qu’il ne décide de revenir dans sa tanière, comme s’il s’agissait d’une retraite. Nathan s’installa sur son lit, mit en marche le baladeur, accorda quelques secondes à la musique avant de plonger dans la lecture du message de celle qu’il vient de quitter.
Notre musique, la nôtre, même après ton départ, me ramène à toi... Nous étions violon et violoncelle en tempo lento... En profonde hésitation... Retour en avant, puis du sur-place... Une continuité se cherchant dans ses nombreux hiatus... Il est difficile d’être entièrement en communion avec une autre personne... Installer deux destinés pour qu’elles cherchent, ensemble, une même direction... Cette musique, la nôtre, malgré ton départ, me raccroche à toi... Nous étions violon et violoncelle, maintenant qui serons-nous ? Et la vie continue...
Nathan écoutait le silence qui invariablement suit la fin de toute musique. Est-ce que ma vie continue ?