samedi 11 octobre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 13

 


Benjamin préfère lire à parler. Écouter également. Lorsque Chelle, accompagnée de sa mère, en janvier dernier alors que Don partit pour l’Ontario avec Taïma, traversa le boisé pour passer quelques heures chez Daniel et Jésabelle, ce fut surtout des occasions pour la fillette de perfectionner son apprentissage de la langue française. Elle l’avait mentionné durant le cercle, remerciant Abigaelle pour son aide, mais elle aurait pu également ajouter les parents de Benjamin qui, de son côté, écoutait.
 
Depuis son entrée en classe pré-scolaire, c’est devenu une obsession, il n'attend que le moment où il apprendra l'écriture. Sa mère lui rappelle à l’occasion qu’écrire lui permettra d’adresser à la lune des paroles perpétuelles, qu’il pourra au fil des ans relire et ainsi apprécier les progrès enregistrés. Mais là, maintenant, c’est prendre la parole qu’il se doit de faire et s’exprimer sur le printemps, étant le dernier a avoir levé le doigt. L’éducatrice conjugue différents apprentissages dans une même activité dans une approche ouverte et holistique. Par l’exercice du cercle, c’est la notion du temps qu’elle aborde parallèlement : début de la journée appelé avant-midi, durée de vingt minutes sans limite prescrite pour chacun des locuteurs lors des cercles.
 
- Merci Abigaelle de me donner la parole et à vous tous, les amis, de m’écouter. Je veux d’abord vous dire que parler ce n’est pas ce que j’aime le plus. Chelle a dit que sa maman va donner naissance à une petite sœur ce printemps, eh bien ça sera aussi la même chose pour moi, sauf que ça sera un frère. Et le plus extraordinaire c’est que je vais assister à sa naissance.       Un murmure  se répandit autour du cercle, des regards surpris s’échangeaient. Abigaelle ramena l’attention sur Benjamin en disant qu’elle commentera ce passage une fois l’intervention terminée.     Oui, je sais que c’est à l’hôpital que vous êtes nés, Chelle aussi, mais moi ça été à la maison comme ça le sera pour mon frère. Peut-être qu’au prochain cercle, si Abigaelle le veut, je pourrai raconter comment ça s’est passé.          À nouveau les enfants réagirent, mais le regard de l’éducatrice leur rappela qu’on se doit d’écouter.       On m’a dit que le printemps c’est souvent le moment des naissances. Mon chien, il s’appelle Walden, c’est un garçon eh bien il ne donnera pas naissance à des chiots.      Une autre réaction parmi le groupe et Patrick, le fils de Monsieur le maire se permit de dire : voyons, les garçons ne font pas ça, juste les filles. Abigaelle ferma les yeux, un signe que sa patience s'épuisait.     Donc le printemps pour moi sera mon petit frère, également la lune rose. Au mois d’avril la lune est rose quand elle est pleine, parfois on ne peut pas la voir parce que notre vue en est empêchée par les nuages, mais j’espère de tout mon cœur être capable de la voir. Merci de m’avoir écouté.
 
L’éducatrice demanda aux enfants de fermer les yeux quelques instants avant de retourner chacun à leur place. En avril, il était temps selon elle d'exécuter deux consignes en même. Ce qu’ils firent.
 
Une fois chacun installé, Abigaelle, dans sa conclusion des échanges qui venaient de se dérouler, prit la parole :
- Je vais nous faire écouter une merveilleuse chanson de l'ami Félix Leclerc, elle s’intitule «L’hymne au printemps». Par la suite j’aurai deux mots à dire pour fermer la boucle de notre cercle d’aujourd’hui. 

Elle lança la chanson sur un tourne-disque qui devait certainement dater de quelques années. Le son n’était pas génial, mais tous écoutaient silencieusement.
 
La musique grattée sur la guitare de Félix se promenait partout dans le local, quelques enfants portaient leur regard vers l’extérieur, par les fenêtres que Monsieur le concierge avait nettoyées maintenant qu’il gagnait du temps depuis la participation au ménage de plusieurs locaux.
 
Abigaelle pouvait voir sa maison de l’autre côté de la rue, maison qui lui donnait du fil à retordre depuis les neiges et encore maintenant. Elle allait, pour une fois, devoir faire venir Monsieur Gérard, le mari de la secrétaire Henriette, pour tenter de résoudre le mystère qu'elle nommait plaisamment  «celui de sa maison hantée».

- Les amis, dans sa présentation Benjamin a mentionné tout comme l’a également fait Chelle, qu’ils auront tous les deux un frère et une sœur. Par la plupart d’entre nous, je m’inclus dans le groupe, nos mamans ont accouché, ce qui veut dire mettre au monde un bébé, dans un hôpital, accompagnées par un médecin et des infirmières. Vous savez, mon papa est gynécologue, ce qui veut dire un médecin qui assiste les mamans lorsqu'elles sont prêtes à donner naissance à leur enfant. Ça ne veut pas dire que c’est la seule façon pour un nouveau-né de venir nous rejoindre. Je connais plusieurs mamans qui mettent au monde à la maison, chez elles, avec l’aide d’une sage-femme. Une sage-femme est une personne dont le métier est d’aider les mamans à accoucher, comme le médecin à l’hôpital. Les deux façons sont aussi bonnes l’une que l’autre, c’est le choix de la maman qui doit être respecté. Benjamin a aussi dit qu’il assistera à la naissance de son petit frère. Moi, je suis tellement heureuse pour lui de vivre cette expérience avec ses parents. Avant, même les papas ne pouvaient être présents dans la salle d’accouchement, maintenant ils le peuvent et c’est tant mieux. Parce que le papa a participé à la venue de son enfant, de manière différente parce qu’il n’a pas tout dans son corps ce qu’il faut pour aider l’enfant à grandir. La maman, elle, a tout ce qu’il faut. C’est pour ça que le chien Walden ne peut pas avoir de petits chiots.
 
Patrick, le fils de Monsieur le maire, leva son doigt pour intervenir.
 
- Mes grands-parents ont plusieurs vaches. Certaines vont vêler ce printemps, mais je ne serais pas capable de voir cela. C’est plein de sang et la vache crie très fort.
- Tu sais Patrick, on ne peut pas comparer le vêlage à un accouchement. Il s’agit d’un animal et d’un être humain. Nous, les humains, sommes différents et une naissance n’a pas le même sens que les vaches pour tes grands-parents. Eux, ça fait partie de leur travail, ils doivent les protéger et faire attention à elles car si les vaches n’ont pas de veaux, eh bien elles n’auront pas de lait à donner. Pour les humains, un enfant qui vient au monde n’est pas une partie de notre travail, il est l’image de l’amour d’un papa et d’une maman, d’un homme et d’une femme.
- Je comprends mieux maintenant, dit Chelle dont les yeux s'éclaicirent à la suite de cette explication. Ma chienne Ojibwée est une fille, mais comme elle ne connaît pas de chien garçon, elle ne peut pas devenir une maman.
- Oui Chelle, c'est vrai ce que tu dis. Mais un chien garçon et une chienne fille, ça porte un nom : un mâle pour le chien, femelle pour la chienne.
 
Les élèves suivaient avec attention les propos de leur éducatrice qui, pour éviter de dépasser une ligne qu’elle jugeait infranchissable compte tenu de leur développement psycho-sexuel, s’arrêta sur ces mots.

Elle proposa la nouvelle activité ce qui ne l’empêchait pas de réfléchir à cette question qu’inévitablement elle devra aborder dans le cadre de sa thèse doctorale.

    
 
                                          *****

Et, en cette fin d'après-midi, la pluie se déchaîna alors que Abigaelle frappait à la porte de Madame Saint-Gelais qui eut à peine le temps de refermer un tiroir de son bureau.

mercredi 8 octobre 2025

Citations

    


Il existe mille et un sites sur Internet qui proposent des citations, certaines afin de nous remonter le moral, favoriser le lâcher-prise, équilibrer le yin et le yang, nous permettre de voir la vie de manière positive, etc.

Rarement je m'y arrête, toutefois ils amènent à me poser une question, toujours la même : 

«Toi qui présentes à l'occasion quelques citations, quelle est ton intention ? »

Ma réponse, spontanément : 

« Cela permet un retour à mes cahiers de lecture, retrouver des auteurs qui, à un certain moment de ma vie, ont interrompu ma lecture, m'obligeant à recourir au stylo pour y noter deux phrases, une pensée, cet aphorisme afin d'y réfléchir davantage. »

C'est un peu comme relire un livre en abrégé, retrouver l'émotion mise en exergue à une certaine époque pour la confronter à maintenant. Aussi, plongeant dans ce florilège d'énoncés, tenter de relier des auteurs à d'autres, de toutes cultures, de diverses opinions et de syles disparates.

Il y a, cramponné à cet exercice, un facteur culpabilisant qui ne cesse de me tourmenter, à savoir qu'il existe tellement d'écrivains que je n'ai pas lus et que, peut-être, le temps me manquera pour y accéder.

Voilà sans doute la raison pour laquelle les citations d'aujourd'hui partagent, en filigrane, un lien, celui de la vieillesse.




                                            Citations
 
… lorsqu’un homme commence à ressembler à son père c’est qu’il commence à vieillir.
Entre vieux, les vieux sont moins vieux.
Gabriel Garcia Marquez 
 
Ce qui rend les fautes de la vieillesse si tristes, c’est qu’elles sont irréparables.
Talleyrand
 
Si les générations se renouvelaient comme le feuillage des forêts, si elles s’éteignaient l’une après l’autre comme le chant des oiseaux dans les bois, traversaient le monde, comme le navire, l’océan, ou le vent, le désert, acte aveugle et stérile; si l’éternel oubli toujours affamé ne trouvait pas de puissance assez forte pour lui arracher la proie qu’il épie, quelle vanité et quelle désolation serait la vie !
Kierkegaard
 
Vieillir n’est au fond pas autre chose que n’avoir plus peur de son passé.
Stefan Zweig
 
Comme c’est long d’arriver à ce que l’on doit devenir ! D’ailleurs, lorsqu’on y est, c’est déjà le temps d’aller plus loin.
Gabrielle Roy
 
On dirait bien qu'il faille toujours devenir quelqu'un d'autre pour obtenir ce que l'on désire. Et quand on l'a, on ne sait plus très bien ce que ça vaut puisqu'on n'est plus la personne qui le voulait tant.
Dominique Scali
 
Je suis content d’être resté. Il faut partager les périls de ceux avec qui on a passé sa vie.
Pearl Buck
 
Seulement, pour continuer à vivre, je n’ai pas le choix : il y a toujours un moment où, comme mon bon chien, il faut que je prenne à gauche plutôt qu'à droite.
Jean-François Beauchemin
 
Je n’avais pas fait autre chose dans la vie que de mesurer l’élasticité du monde, son inépuisable propension au paradoxe et à la contradiction.
Giuliano Da Empoli
 
… dans la vie et au milieu des autres hommes, la vie que l’on s’invente tous les jours, les hommes auxquels on se lie en se déliant, car j’aime bien me moquer de moi-même et j’ai décidé, me foutre dedans tout le contraire de ce que j’ai décidé, et j’aime perdre mon temps. Aujourd’hui, c’est la seule façon d’être libre.
Blaise Cendras
 
Le vase peut se fendre, vieillir ou se casser, mais il ne changera plus de forme.
Dương Thu Hương
 
Avant de mourir, il me reste encore un peu de temps pour comprendre pourquoi j’ai vécu…
Henning Mankel
 
On ne mesure le vide du temps passé que le jour où l’on existe véritablement. La vie, non les jours qui passent, se résume parfois à un instant, une journée, une semaine ou un mois. On sait qu’on vit parce qu’on souffre, parce que soudain tout compte et parce que ce moment se terminant, le reste de l’existence devient un souvenir qu’on essaie vainement de revivre jusqu’au dernier souffle.
Carlos Ruiz  Zafon
 
À un certain degré d’épuisement, me rappelai-je, la réalité cesse d’être choses et devient parole. À un certain degré de souffrance, la douleur nous laisse voir pleinement la beauté immédiate de chaque instant…
Andreï Makine

 





dimanche 5 octobre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 12





La promesse faite à Benjamin, celle d’assister à la venue au monde de son frère, il en parla dès le lendemain dans le bus scolaire le menant ainsi que Chelle vers l’école.
 
- Toi, sais-tu quand ta maman doit mettre au monde ta sœur ?
- Papa m’a dit que ça serait à la nouvelle lune.
- Elle en fait des choses ma perle fabuleuse.
- Oh! Oui. Quand elle sera apparue dix fois, toute pleine, ça voudra dire que maman videra son ventre. Mais moi je n’y serai pas. Elle ira à l’hôpital des Blancs comme le disait ma grand-mère qui est maintenant partie chez ses frères et sœurs en Ontario.
- Une grand-mère ! Chanceuse, la mienne, celle qui est la maman de Daniel est morte et la deuxième, celle de Jésabelle, je ne la connais pas. Ne l’ai jamais vue.
- Peut-être que les traditions qui nous viennent des ancêtres, c’est plus important pour nous que pour vous.
- Peut-être, répondit le garçon, les yeux balayant le vague qui défilait devant lui.
- Tu sais comment les bébés entrent dans le ventre des mamans, demanda Chelle qui interrompit la rêverie de Benjamin.
- Je ne sais pas comment ils entrent mais je vais voir comment ils sortent.
- Si moi je suis chanceuse d’avoir une grand-mère, toi tu es chanceux de pouvoir être là quand ton frère arrivera.
- Je vais demander à Jésabelle comment elle a fait pour qu’un bébé pousse en elle.
- Tu me diras ?
- Promis.
 
La cour d’école, de plus en plus, enlevait ses habits d’hiver. Les bandes qui servaient pour les activités sportives seront ôtées puis repeintes bientôt, quand Monsieur le maire et le président de la commission scolaire auront assez de bras pour soutenir le travail de Nicéphore Cloutier, l’unique employé des services municipaux.
 
Le bus retardataire déposa les deux enfants des rangs éloignés, ceux qui sont, on le sait, sans entretien en toute saison. La surveillante les accueillit avec un sourire de circonstance, difficile à dire s’il provenait d’elle ou des attibuts de sa charge de travail.
- Allez, allez, Abigaelle vous attend. N’oubliez pas de nettoyer vos pieds avant d’entrer, madame la directrice ne veut pas que son école se salisse.
 
À ces mots, le fauteuil roulant de madame Saint-Gelais s’avance vers l’entrée. Elle les dévisage sans sourire et sans les saluer :
- Encore en retard ce matin, dit-elle d’une voix plus nasale qu’à l’habitude     Chelle lui répondit du tac au tac :
- Ce n’est pas nous qui sommes au volant du bus. Parlez plutôt à monsieur Clotaire.
- La petite sauvageonne devient arrogante et impolie, en plus.
 
Au même moment, Abigalle sortait de son local et leur lança :
- Venez les amis, j’attendais que vous soyez avec nous pour lancer la journée     Puis s’adressant à sa supérieure, l’avertit qu’elle aurait à s’entretenir avec elle en fin de journée. N’écoutant pas la réplique, elle se dirigea, encadrée par les deux enfants près de leur casier dans lequel ils déposèrent leurs effets.
 
Benjamin avait un message pour elle, il lui remit le bout de papier qui le contenait. Après l’avoir lu, elle le remercia et dit qu’elle y donnerait suite.
 
L’enseignante avait pour habitude, à chaque début de journée, de rassembler ses élèves en cercle autour d’elle qui, de plus en plus au fil des mois, se resserrait, afin de discuter d’un sujet différent à chacune des occasions. Ce matin, le groupe allait jaser du printemps, de ce qu’il représentait pour chacun d’eux. Elle savait qu’en définissant un peu trop le thème cela risquait de leur induire des idées. Elle se plaisait à nommer «philosophie» ce moment matinal lui permettant de mieux saisir ce qui trottait dans la tête de ses protégés.

Lorsqu’elle installa l'activité en janvier dernier, Abigaelle savait que ça deviendrait, avec le temps, un espace de bouillonnement d'idées. Disciple de Piaget, le cercle serait une occasion de développer le langage sachant qu’à cet âge l’enfant peut penser à ses gestes sans avoir besoin de les réaliser dans la réalité et cela immédiatement. Toujours égocentrique, ayant du mal à comprendre que d’autres puissent ne pas avoir les mêmes pensées que lui, le grand pédagogue croit que l’enfant est en mesure de mettre en place certaines théories de l’esprit.
 
Abigaelle, lors de la première rencontre avec les parents des enfants à la fin du mois de septembre n’avait pas jugé bon de leur présenter cet élément d’apprentissage, consciente qu’à ce moment-là leur intérêt tournait principalement autour de l’adaptation à une nouvelle vie, à leur sécurité et leur bien-être. Janvier lui apparût le moment idéal surtout que le premier cercle avait pour thématique les vacances de Noël et le Jour de l’An. Et ce fut un succès. Tout comme les petits changements apportés à la routine quotidienne, le fait de diminuer sensiblement le temps prescrit pour la sieste d’après-midi, les habituer à laisser leur local d’une propreté impeccable afin de donner un coup de main à Monsieur le concierge. Celui-ci, d’ailleurs, entra dans le jeu et lança une compétition à travers l’ensemble des classes de l’école, récompensant d’un trophée qu’il appelait le «balai d’or» remis au groupe qui laisserait à leur départ un local irréprochable. Ce qui lui valut de la part de Madame Saint-Gelais une réprimande :   C’est votre tâche, non pas celle des élèves.    Elle eut un mouvement de recul lorsqu’il répondit que l’idée lui avait été suggérée par l’enseignante du pré-scolaire. 

 
- Je vous rappelle les règles du jeu. Si tu parles c’est que tu veux qu’on t’écoute, alors tu écoutes quand un ami parle. Tu lèves ton doigt et je te dirai quand viendra ton tour de prendre la parole. Aujourd’hui, c’est le printemps.

Elle leur demanda de fermer les yeux quelques courts instants, puis l’activité démarra.
 
- Patrick, c’est à toi de parler.
- Moi le printemps…
- Excuse mon garçon, tu as oublié de me remercier pour t’avoir donné la parole et invité les amis à t’écouter. Reprends.
- Merci Abigaelle et je vous invite à écouter ce que j'ai à dire. Le printemps, pour moi, c’est…
 
Et le fils de Monsieur le maire s’élança à la manière d’un candidat à un poste électoral, présentant sa perception de la nouvelle saison comme une occasion de se réunir pour rendre le village plus propre que jamais.
 
- Merci Patrick, ton propos était vraiment intéressant, n’est-ce pas les amis ? Tous hochèrent de la tête, attendant que la parole soit attribuée à quelqu’un d’autre ayant manifesté son intérêt en levant le doigt.     Chelle, c’est à toi de nous présenter ta vision sur la nouvelle saison.
- Merci Abigaelle et les amis je suis heureuse de savoir que vous allez m’écouter. Le printemps c’est deux choses pour moi. La première c’est que bientôt, peut-être même cette semaine, je vais recevoir un beau cadeau de ma mère. Oui, une petite soeur à qui on n’a pas encore trouvé de nom. Je ne la connais pas mais souvent, le soir avant d’aller dans ma chambre pour dormir, je lui parle en collant ma bouche sur le ventre gonflé de maman. Parfois elle donne de petits coups à l’intérieur, je crois qu’elle veut me dire «allo». La deuxième, c’est mon père qui m’a dit que maintenant je suis capable de mieux parler une nouvelle langue, celle de Abigaelle. Il m'a dit que c'est comme une nouvelle saison. Merci Abigaelle, tu m’as beaucoup aidée à apprendre ta langue et celle de mes amis ici dans la classe pré-scolaire. Vous avez été gentils, pas tous, pas tout le temps, de ne pas trop rire de mes erreurs, maintenant, comme le dit papa, je parle comme si je sortais de l'hiver pour entrer dans le printemps, mais que je dois aussi garder ma langue ojibwée bien présente en moi.
 
Pour une rare fois depuis le début de l’année scolaire, les autres élèves de la classe de Chelle l’applaudirent. 
 
- Maintenant à toi Benjamin.



lundi 29 septembre 2025

Si Nathan avait su... (Partie 2) - 11

 


    Ojibwée ne bougeait pas. La chienne se tenait au garde-à-vous près de la camionnette bleue après avoir reniflé les pneus et la portière, n’étant pas certaine de reconnaître le jeune homme hésitant à descendre de son véhicule.   
 
- Chelle, retourne vers ta maman, je m’occupe de ce visiteur qui vient sans doute pour un permis de chasse ou de pêche.
- On dirait qu’il a peur de Ojibwée.
- Je vais le rassurer.
 
La fillette court vers la maison alors que Don, caressant la tête de sa chienne, annonce au chauffeur qu’il peut sortir sans crainte.
 
- Tu es le frère de Gord, demande Benoît Saint-Gelais.
- Oui. Il m’a parlé de toi lorsque je suis allé le voir à Sault-Sainte-Marie.
- Sur l’île ?
- Là où la réserve ojie-crie est située.
 
Les deux hommes se toisent. L’un ou l’autre devra lancer la conversation ; Don se dit que cela revient au nouvel-arrivant de le faire, étonné par ce regard d’acier que dégagent les yeux gris métallique du jeune frère de la directrice de l’école primaire des Saints-Innocents dont sa fille lui a parlé de la sévérité de cette femme en fauteuil roulant qui ne se gêne pas, un sourire en coin, pour la surnommer «la petite sauvageonne».
 
Les paroles de Gord lui remontent à l’esprit, celles relatant ce qui a tout à fait l’allure d’agressions sexuelles commises par feu le curé-chanoine de la paroisse. Les confidences de son frère ne précisent pas l’ensemble des détails dont la durée des actes : était-ce depuis plus jeune, depuis la sortie d’un centre pour délinquants fréquenté par Benoît et son retour dans le village des Saints-Innocents. Le garde-forestier devrait en savoir davantage lorsqu’il aura une conversation avec Herman Delage.
 
- Ton frère me doit encore de l’argent, annonça très calmement le chauffeur de la camionnette bleue. Il ne parle pas ma langue et quand je lui ai dit qu’il manquait des sous, il n’a pas compris ou bien il a fait semblant de ne pas comprendre. J’en ai jasé avec Delage qui m’a dit de venir te voir.
- Tu viens pour que je te rembourse ?
- Exact et que je ne peux plus attendre.
- Qu’est-ce qui me dit que c’est la vérité ?
- Moi. J’ai pas hésité à faire le trajet aller-retour en Ontario pour le reconduire, lui et sa femme et une autre fois quand il avait une affaire urgente à régler par ici. C’est Delage qui me l’a demandé. Les deux fois. Il parle la langue de ton frère, le grand Delage.
- Tu sais les voyages de mon frère, j’en suis pas convaincu parce je ne sais pas comment il est parti d’ici et pas au courant qu’il soit revenu par après.
- Il y a trois ans pour le premier, au mois de janvier dernier pour le deuxième voyage. Ça fait quatre transports.
- Bizarre qu’il ne soit pas venu chez nous à ce moment-là.
- J’ai trouvé une place pour qu’il puisse rester durant les quatre cinq jours cet hiver. Avec lui, je ne parle pas. Lui non plus. C’est toujours Delage qui me donne les instructions, puis j’agis.
- Je comprends. Mais tu devras aussi comprendre que j’ai à vérifier tout ça avant d’acquitter la dette, si dette il y a.
- Suis pas menteur.
- C’est pas ce que je dis.
 
À nouveau leurs regards se mettent en position duel. L’un et l’autre scrutant les yeux pour repérer ce qui s’y cache. Rien à voir avec une œillade, un clin d’oeil, les deux hommes se dévisagent sans qu’on puisse être en mesure de déceler quelque intention que ce soit d’un côté comme de l’autre.
 
Finalement et pour éviter de rester sur place plus longtemps, Don rompit l’épreuve de force en déclarant qu’il reviendrait vers lui après avoir éclairci cette affaire si celui-ci lui indiquait l’endroit où il serait possible d’organiser une rencontre.
 
- Je vis chez mes parents. Ils sont faciles à trouver, première maison à gauche quand on entre dans le village. Eux, c’est la première et la nouvelle enseignante, c’est la dernière maison avant de sortir du village. Ma sœur est sa directrice à l’école primaire et comme elle est handicapée je la reconduis le matin et la reprends quand sa journée est finie. C'est jamais pareil tous les jours.
- Pas de souci, je saurai bien te trouver quand ça sera le temps.
- N’attends pas trop, ma patience a ses limites.
- Une provocation ?
- Un conseil.
 
Benoît Saint-Gelais remonta dans sa camionnette au moment où Ojibwée, calme depuis que Don l’a sécurisée, se mettait à le suivre jusqu’à la route.
 
*****
 
C’est le premier matin du monde et j’interroge
Homme demeure errante dans le temps
Un nid fait son feu sous la pluie
Une femme enceinte fleurit son seuil
Un arbre tremble de mille paroles
La chaleur enveloppe l’univers
La lumière creuse des sources
Un secret bouge entre la terre et moi.
- GATIEN LAPOINTE
 
Benjamin répétait cet extrait du poème de Gatien Lapointe, PRÉSENCE AU MONDE. Il le répétait autant pour lui-même que pour Jésabelle qui, depuis quelques jours, se repose dans l’attente des premières contractions qui amèneraient son amie Angelle, la sage-femme, à venir l’assister pour l’accouchement prévu autour du 16 avril. Daniel était d'ailleurs parti dans la grande ville afin de la ramener.
 
C’est douillettement installée sur le divan de la grande pièce du rez-de-chaussée, qu’elle écoute rêveusement son fils lui lire des poèmes - il passait de Grandbois à Nelligan pour s’arrêter chez Gatien Lapointe. Pour reposer sa voix, il plaçait le microsillon de Félix Leclerc puis s’installait par terre appuyé au divan alors que sa mère lui ébouriffait les cheveux.
 
- Tu sais Jésa, je ne comprends pas tout ce que je lis, mais souvent il y a une phrase…
- … un vers, Benjamin…
- … oui un vers d’une strophe qui déclenche dans ma tête des images.
- C’est le cadeau que t’offrent les poètes.
- Je me dis parfois que si je rencontrais le poète de qui je lis les poèmes, eh bien je serais timide et lui demanderais pardon de ne pas tout saisir ses mots.
- Le poète serait d’abord honoré de voir un jeune garçon lire ce qu’il a écrit. Il en profiterait certainement pour te rappeler que la poésie ce n’est pas seulement comprendre c’est aussi ressentir.
- Ressentir… Est-ce que c’est comme sentir ?
- Tout à fait, mais avec un autre sens, un de plus que ceux avec lesquels tu observes comme te l’a expliqué Daniel.
- Un sens numéro six ?
- C’est un peu ça, en effet. Celui-là est assez original. Il te permet de comprendre à ta propre façon ce que tu choisis de recevoir.
- C’est pas clair, Jésa.
- Je te donne un exemple. La lune que tu aimes tant…
- … ma perle fabuleuse…
- … oui, ta perle fabuleuse, eh bien tu la vois avec tes yeux, mais lorsque tu lui donnes un autre nom que «la lune» c’est que tu as vu autre chose d’elle que ce que tes yeux ont vu, tu la vois comme une perle... une perle fantastique, extraordinaire, merveilleuse. Personne d’autre que toi la voit ainsi. Dans les faits, elle n’est pas une perle comme celle qu’on retrouve dans une huître. C’est toi qui a choisi de la voir comme ça, de la nommer ainsi. Ce que j’appelle le sixième sens peut aussi être associé à ce que tu sens, entends, goûtes ou ce que tu touches. Ressentir c’est comme sentir à ta manière. Le poète te dirait cela avec des mots meilleurs que les miens.
- Je saisis ce que tu me dis. J’aime ça ressentir les choses.

Le rêveur en lui prit tout l’espace dans la courte distance qui le séparait de sa mère qui ne cessait de caresser son ventre ressemblant à une outre prête à éclater.
 
Walden confortablement couché près du poêle à bois regardait ces deux complices au moment où dans la cour extérieure la camionnette de Daniel arrivait et qu’en sortait la sage-femme portant son petit bagage.
 
- Et oui mon Benjamin, ton frère frappe à la porte. Il devrait poindre son nez cette semaine. Qu’est-ce que tu dirais d’être avec nous pour son arrivée ?
- Oh! Oui je veux y être.
- Avec Daniel on s’organise pour que tu y sois.
 
Angelle entra, Benjamin courut vers elle qui l’enlaça tendrement.     J’ai pensé t’apporter un livre, lui dit-elle. La poétesse s’appelle Anne Hébert.


- Ça sera la première que je connaîtrai, les autres sont des messieurs.
- Elle est la cousine d’un de ceux que tu lis déjà, Hector de Saint-Denys-Garneau.
- Merci Angelle. Merci.
 
Jésabelle se levait, péniblement il faut l’avouer, rejoignit les deux arrivants qui constatèrent à la voir que la femme en gésine resplendissait, ce qui dans le regard de Daniel signifiait qu’elle était prête.

W A L D E N


vendredi 26 septembre 2025

1202e billet... VAGUE

Certains poèmes mûrissent lentement, 
serait-ce par manque de soleil... 
manque d'eau de pluie... peut-être, 
et flânent quelque part, 
inertie figée dans une patiente attente. 
        
            De sorte que, y revenant, 
le secouant un peu à nouveau, 
selon le temps voué à ce retour, 
une rencontre se refait, pas aussi naturelle 
qu'on serait porté à le croire.

Ce n'est plus le même que l'on découvre. 
C'est un poème dans un poème gigogne...
Mûri, dégageant de nouvelles odeurs, 
parfois même des parfums fricotés 
inconsciemment sans doute.

            C'est beaucoup le cas pour celui-ci, 
il flotte, s'accroche autour du mot «Vague». 
Un mot qui se reçoit, formidablement coopératif, 
un mot qui repousse la solitude, 
un mot solidaire armé de profonde abnégation.




Il y a toujours


Il y a toujours
                            (et partout) 
une vague s’écrasant sur la berge
sans qu’on sache d’où elle vient,
                            (où elle ira)
peut-être
 
Certains la verront ressac impénitent et vagabond,
d’autres lui parleront quelques inoubliables instants
 
Le sable cherche à la retenir, 
les coquillages de mer, aussi,
mais la vague n’est pas une aigrette
un immense  et fragile panache
projetant ses jets d’eau
elle se déchire vaguement des autres vagues



Il y a toujours
                            (et partout) 
une vague s’écrasant sur la berge
sans qu’on sache d’où elle vient,
                            (où elle ira)
peut-être
 
Vague que vague nous cherchons une berge
pour délier d’un futur présent l’absent passé
nos pas de bipèdes inconscients
deviennent traces et pistes
qu’une vague machinalement s’amuse à rouler



Il y a toujours
                            (et partout) 
une vague s’écrasant sur la berge
sans qu’on sache d’où elle vient,
                            (où elle ira)
peut-être
 
La vague se perd dans l’univers des vagues
illustre inconnue parmi les inconnues
électron libre circulant autour de rien
puis disparait là où elle ira




mercredi 24 septembre 2025

Ode au QUÉBEC.

Je vous offre ce poème de mon Ami Daniel Cyr, 
une ode au Québec.  
Lui qui sait coudre les mots sur un tissu qu'encore certains qualifient de «démodé», 
Daniel-le-poète ranime en nous le goût du vrai, 
celui qui nous habille depuis longtemps 
sans jamais s'avérer vétuste.   



 Le Québec
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    La Terre


Ô vaste continent que l’aube illumine,

Terre de pins géants, de rivières divines,

De rochers éclatants qui défient les orages,

Et d’érables en feu qui rougissent les âges.

Ton fleuve Saint-Laurent, tel un bras de géant,

S’avance dans la mer, éternel et vivant ;

Il recueille au passage mille sources limpides,

Et porte dans ses flots les rêves intrépides.

Montagnes orgueilleuses, plaines aux blés dorés,

Forêts aux vents glacés, lacs bleus et révérés,

Tout chante un hymne immense au voyageur qui passe,

Et dit : « Ici s’étend l’éternelle audace. »


    Le Peuple


Sur ce sol rude et fort s’élève une nation,

Tissée de patience et de tradition.

Le paysan qui sème, l’ouvrier qui bâtit,

L’artiste qui façonne un chant clair et hardi,

Tous portent dans leurs mains la force d’un héritage,

Et dans leurs cœurs ardents l’éclat d’un grand courage.

Le drapeau fleurdelisé, sur ce ciel azuré,

Rassemble les enfants qu’un même amour a liés.

De la France lointaine ils tiennent la mémoire,

Mais c’est d’ici, du pays, que jaillit leur vraie gloire.

Peuple fier et tenace, au rire franc et pur,

Tu gardes dans tes yeux la lueur de l’azur.


    La Langue


Ô langue des poètes, noble et claire flamme,

Nourrie de mille voix, consolant mille âmes,

C’est toi qui nous unis, toi qui nous rends égaux,

Dans le tumulte immense des peuples et des mots.

Dans les marchés bruyants, dans les écoles neuves,

Dans les chants des enfants qui longent les fleuves,

Résonne ton éclat, ta lumière fidèle,

Unissant dans l’instant l’ouvrier et la belle.

Langue des troubadours, héritée du passé,

Mais ouverte au futur, prête à tout embrasser,

Tu portes dans ton sein la promesse sacrée

Qu’aucun vent étranger ne saurait profaner.


    L’Ouverture au Monde


Mais ce peuple enraciné n’est point solitaire ;

Il tend vers l’univers un regard solidaire.

De l’Afrique en fête aux confins de l’Orient,

Le monde a semé là ses enfants éclatants.

Chaque visage est neuf, chaque accent est lumière,

Et tous forment ensemble une même bannière.

Les peuples réunis, sous l’étoile du Nord,

Trouvent en ce Québec un abri et un port.

Ô terre d’espérance, ô jardin de l’humanité,

Tu portes à ton front la clarté de la liberté.

Tu es le cri vibrant d’une fraternité neuve,

Un chant qui se déploie de la montagne au fleuve.


    Épilogue


Québec, noble flambeau dressé dans la tempête,

Ton nom roule au loin, que la mer le répète.

Patrie aux mille voix, fière et hospitalière,

Tu es à la fois racine et lumière.





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