dimanche 2 novembre 2025
Moby Dick et la sirène
vendredi 31 octobre 2025
Si Nathan avait su... (Partie 2) - 18
- Tout s’est bien passé pour toi qui a l’habitude de voyager avec Benjamin ?
- Il faut que j’apprenne à me débrouiller sans lui, mais j’aime mieux quand il est avec moi. Monsieur Clotaire a été gentil, il m’a proposé de m’asseoir à côté de lui dans le bus et il a caché sa pipe dans sa poche, répondit la fillette ambivalente entre la situation exceptionnelle d’aujourd’hui et la routine habituelle.
- Bravo Chelle, ensemble nous allons annoncer la belle nouvelle aux amis sans oublier de rappeler qu’ils devront faire un peu plus attention à toi aujourd’hui.
Ce matin du 16 avril 1976 surpasse en ensoleillement tout ce qui est advenu depuis la fonte des neiges. Déjà la cour de récréation de l’école primaire des Saints-Innocents a perdu ses attraits d’hiver depuis la corvée collective organisée conjointement par Monsieur le maire - dont les rumeurs, de plus en plus persistantes, qu’il soit intéressé à poser sa candidature lors des élections provinciales prévues pour novembre prochain - et le président de la Commission scolaire pour qui cette école est un objet de fierté, son bijou répète-t-il souvent.
Alors que les bourgeons des érables se tortillent sur eux-mêmes, les vastes terres de Daniel, situées à l’arrière de l’école, se départissent graduellement de leurs dernières flaques de neige fondante. Le père de Benjamin prévoit entreprendre ses travaux préparatoires aux semences d’ici quelques semaines, le temps de s’assurer que les nuits n’apporteront plus des températures favorisant le gel.
De son côté, Don considérait la dernière saison des sucres comme ayant été «bonne» alors que d’autres acériculteurs de la région la classaient parmi les «moyennes». Faut dire que chez les travailleurs agricoles de tout acabit le blâme est facile, n’hésitant pas à critiquer la météo, trop ou pas assez d’eau, trop ou pas assez de soleil, trop ou pas assez de rendement, bref tout n’est jamais entièrement comme ils le souhaiteraient. Était-ce là une raison pour laquelle Monsieur Champigny, propriétaire de la maison louée par Abigaelle, située tout juste en face de l’école, cède par amodiation l’ensemble de ses champs ?
Le printemps arriva le 20 mars 1976 n’hésitant pas à étendre son oeuvre de renaissance autant le jour que la nuit sur tout le territoire environnant le village des Saints-Innocents. Tout comme en mars 1970, année de naissance de Benjamin et de Chelle, 1976 a accueilli Gabrielle, le 10 avril, et aujourd’hui, 16 avril, naîtra Nathanaël.
*****
- Bon matin Jésabelle, tout se déroulera parfaitement bien, dit Angelle, la sage-femme. Le jour est rayonnant, Daniel et Benjamin sont avec nous. Tu sais bien respirer, te reposer entre deux contractions et à l'image de l’accouchement de la deuxième fille de Aanzhanie, tout se fera sans violence et dans la plus grande quiétude.
- J’ai confiance en toi, mon amie.
- Benjamin, je vais avoir besoin de toi, alors j’aimerais que tu te places à ma gauche. Ton père s’occupe de ta mère, il est habile à le faire.
- Et Walden, demanda Benjamin.
- Tu vois, il a un œil sur nous à partir de son endroit habituel. Il fait partie de la famille, alors il doit y être.
L’ambiance installée, la température, idéale, le soleil qui trace un rectangle de lumière au centre de la grande pièce, en sourdine, la musique préférée de Jésabelle, Mendelsshon bien entendu, l'accoucheuse débute, chuchotant d'une voix soyeuse à l’enfant à naître :
- Nathanaël, nous sommes tous présents pour t’accueillir. Tu es le bienvenu. Tes parents, ton frère et Walden ton chien t’attendent calmement. Ils te font dire de prendre le temps qu’il faut pour laisser ton nid où tu es confortablement installé. Le jour est encore jeune. De ce côté-ci, nous sommes prêts à te rendre la vie agréable.
Angelle massait très doucement, aussi délicatement que cela lui est possible, l’enveloppe extérieur du nid de Nathanaël avec une huile d'amande douce qu'elle a tièdie au préalable. Elle invite Benjamin à l’imiter et dire à son frère les mots que son coeur lui dicte.
- Bonjour mon frère. Est-ce que je parle trop fort ? Angelle lui répond par un sourire l’invitant à poursuivre. Le ventre de notre maman est tellement doux. Tu pourras le constater quand tu seras ici, tu verras que je te dis la vérité. Papa est devant moi, il caresse le visage de Jésa et lui flatte les cheveux. Jésa, c'est le nom de maman que je vais partager avec toi. Viens-t-en, il fait si beau dehors et on a tellement de choses à se raconter. Tu sais, je sais lire et pour toi je vais trouver un poème que je t’apprendrai, si tu le veux.
Plus les minutes avançaient, plus l’atmosphère se modifiait. De nouvelles odeurs s’installaient. Celle située quelque part entre sang et encens oscillait telle une fée dans l'espace.
Le souffle irrégulier de Jésabelle, les affectueux murmures de Daniel, l’assurance que les mains de la sage-femme dégageait, tout cela emplissait Benjamin d’une sorte de béatitude. Il ressentait consciemment que quelque chose au-delà du naturel se déroulait sous ses yeux, au point qu’il devait souvent les étancher pour éviter que ses larmes n'interviennent dans le travail des deux femmes.
- Voilà Jésa, il est avec nous. Je vais le déposer sur ton ventre. Il a tellement hâte de chercher tes yeux.
Dans un geste d’une grâce infinie, la sage-femme remit Nathanaël à celle qui depuis des lunes avait noué un contact intime avec lui jour et nuit.
S’approchant comme pour compléter le tableau familial, Benjamin dit : «Je nous aime.»
dimanche 26 octobre 2025
Si Nathan avait su... (Partie 2) - 17
- Gérard arrive dans quelques minutes, annonça Henriette. Je ne pense pas que nous soyons plus avancés qu’avant cet hiver.
- Ce que je trouve curieux, enchaîna Abigaelle, c’est que ça augmente de manière régulière. À Pâques je suis allée à Québec, y suis restée quatre jours et je t’avoue Henriette qu’à mon retour, ouvrant la porte d’entrée j’ai eu comme l’impression qu’un corps en décomposition avait profité de mon absence pour étendre son odeur dans toute la cuisine. De mon bureau, en haut, c’est presque, je dis bien presque, correct.
- Mon Dieu ! Abigaelle tu me donnes la chair de poule.
- C’est une impression pas un fait que je constate avec mon nez. Parfois je souhaiterais vivre avec une sinusite.
- Tiens, j’entends le vieux camion de Gérard qui arrive.

Il avait eu lieu un soir de cette semaine. Le médecin reçoit ses patients seulement en soirée puisque les journées sont consacrées à sa clinique située dans un village voisin. Abigaelle avait demandé à la secrétaire médicale de lui céduler le dernier rendez-vous, ne souhaitant pas être vue et reconnue par d’autres patients qui, possiblement, la connaissent. De plus en plus familiarisée aux habitudes villageoises qui s’appuient souvent sur les racontars, les rumeurs, elle voulait absolument éviter que cette rencontre devienne un sujet public.
- Alors, ces odeurs ? Le médecin feuilletait son dossier s’arrêtant sur les antécédents de sa nouvelle patiente.
- Comme je vous le disais lors de notre première rencontre, cet hiver elles ont disparues à 80%.
- Donc, elles sont toujours présentes.
- Maintenant, elles atteignent les 100%.
- Je vois à votre dossier que vous enseignez à l’école primaire des Saints-Innocents. Sur votre lieu de travail, elles vous assaillent ?
- Absolument pas.
- Vous m’avez dit que le propriétaire verrait à examiner plus en détails cette affaire.
- Lorsqu’il sera de retour de son hiver en Floride. Lorsque j’ai pu lui parler au téléphone, il ne semblait pas comprendre la situation et n’a pas répondu clairement à ma proposition de faire venir un spécialiste.
- Puisque la problématique est situationnelle, je vous invite à attendre les résultats des investigations faites sur la maison, avant de considérer autre chose. Évidemment, il y a une fosse sceptique ?
- Oui, il s’agit d’une maison ancestrale.
-D'accord. Si vous voulez prendre place sur la table d’examen, je vais procéder à une consultation gynécologique.
Abigaelle revint chez elle ce soir-là quelque peu bousculée par les paroles du médecin. Rapidement et sans en expliquer la source, il s’aperçut que sa patiente avait subi un avortement. Il voulut en savoir davantage puisque le nom de famille Thompson lui rappelait quelqu'un. Il osa lui demander s’il y avait un lien de parenté entre le célèbre gynécologue australien Thompson, un associé très proche du docteur Morgentaler et si ce médecin avait pratiqué l’arrêt de grossesse. Ce à quoi elle répondit qu’il s’agissait bien de son père, mais qu’il n’était pas au courant de cette situation, Morgentaler non plus.
Le médecin lui rappela que la loi interdisait cette pratique, alors que depuis 1975, en France, Simone Veil avait fait adopter la loi sur l’IVG. Abigaelle vit dans les yeux de l’omnipraticien que nous étions bougrement en retard dans ce domaine.
Il précisa que son examen, bien que sommaire, lui laissait croire que l’avortement avait été pratiqué dans des conditions minimalistes et qu’un risque d’infertilité pourrait en résulter. Si elle souhaitait consulter un gynécologue pour en avoir le cœur net, il pourrait la recommander à un confrère, à moins qu’elle veuille en parler avec son père. Sa réponse fut immédiate. Non aux deux propositions.
Gérard remonte de la cave, essoufflé et surtout complètement dépassé par ce cas devenu une intrigue.
- Ça dépasse mes connaissances. J’ai pensé au début, vous vous en souvenez Abigaelle je vous le disais le jour qu’on est venu déposer le sofa, c’est de l’eau qui s’infiltre quelque part sans pouvoir s'évacuer, alors ça pourrit le bois, mais la charpente ne semble pas attaquée et je ne vois aucune trace de flaques d’eau ou de moisissure sur les murs qui se formeraient en entrant je ne sais pas trop où. Un mystère. Aux neiges… en tout cas, j’ai beau m’arracher les cheveux, ceux qui me restent, il me semble que la petite odeur de l’été avait un peu diminué. Mais tu constates que depuis les journées printanières, eh bien elles reviennent. Champigny, il dit quoi ? Sais-tu quand il revient ?
- Il n’a pas été précis sur ces deux questions, mais assurément au printemps. Les semences devraient le ramener au village.
- Les semences dis-tu, ça fait des années qu’il loue ses terres à une grosse compagnie de la grande ville.
- D’ailleurs, ajouta Henriette, ça fait pas mal jaser au village. Lui et les Saint-Gelais... des beaux spécimens. Un regard complice entre elle et Gérard intrigua la locataire de la maison ancestrale.
Abigaelle salue le couple avec lequel elle partage souvent ses temps libres, répondant qu’elle accepte l’invitation à souper pour le vendredi suivant, 16 avril, sans savoir que Nathanaël viendra au monde ce jour-là.
jeudi 23 octobre 2025
Si Nathan avait su... (Partie 2) - 16
Celui de Chelle et l’arrivée de Gabrielle, un mois également : 10 mars, 10 avril. Dans ce cas, c’est maintenant chose faite.
Comme pour le premier accouchement, Don et Aanzhanie quittèrent l’hôpital dès le lendemain, revenaient à la maison après un court arrêt chez les parents de Benjamin afin de leur présenter le nouveau-née, récupérant Chelle par la même occasion. Ce moment fut rempli d’émotion, même Walden participa à l’explosion des sentiments qui animaient tout le monde.
- Elle s’appelle Gabrielle, dit Don qui la gardait précieusement dans ses bras, après que sa femme se soit assise.
- Trop beau comme nom, enchaîna Jésabelle dont les yeux roulaient de la maman à Chelle, scrutant la réaction de chacune. Tu as choisi un nom dont la finale en «elle» rejoint sa sœur.
La naissance d’un enfant survenant après qu’un autre soit déjà arrivé bouscule les événements de la vie quotidienne, amenant principalement celui ou celle à qui on attribue maintenant le titre d’aîné, l’amener à revoir sa place dans la famille, à mesurer le temps qu’on lui accorde par rapport au nouveau-né, à se poser mille et une questions ; chez certains on note certaines régressions un peu comme une croyance qu’en revenant à un stade antérieur on allait davantage s’occuper de lui ou tout simplement rappeler qu’il est toujours là.
Jésabelle avait prévu, et cela dès le jour où elle fut certaine que son corps se mettait à l’oeuvre pour faire un nouvel enfant, d’y impliquer Benjamin le plus possible et, comme le lui avait signalé Angelle - la sage-femme - préparer Daniel au rôle qui viendra plus tard, une fois l’enfant mis au monde.
Elle ne s’inquiétait donc pas des répercussions sur son premier fils, mais l’était davantage pour Chelle sachant que Aanzhanie vivait une grossesse difficile voire pénible. Les deux femmes en gésine vécurent leur temps de gestation de manière fort différente : dans le calme pour Jésabelle, dans le trouble pour Aanzhanie. Aucun doute dans l’esprit de la mère de Benjamin, les situations s’opposaient, raison pour laquelle elle suggéra de tracer un couloir jouxtant les deux maisons dans ce boisé adjacent. Ceci permettrait à la femme de Don d’apprendre à mieux se débrouiller dans la langue de son nouvel environnement, tout en s’éloignant quelques heures de Taïma qui ne cessait de la fustiger sans relâche avec des propos inadéquats.
Aanzhanie devint rapidement une élève remarquable ; évitant d'alimenter des conflits elle s’adressait à son mari et à sa fille dans la langue qui prévalait toujours à la maison, situation qui se modifia à la suite du départ définitif de Taïma, ce qui favorisa l’apprentissage de la langue française chez la mère et sa fille.
Les moments passés dans le boisé avec Jésabelle alimentèrent la hargne de sa belle-mère qui l’accusait de mal se préparer à l’accouchement. Il fallut l’intervention catégorique de Don, rappelant que la décision était immuable, la naissance se fera à l’hôpital des Blancs.
Dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, parfois difficile à y établir des liens avec celle qui nous est naturelle, le meilleur chemin à emprunter s’avère, un peu comme les parents le font avec leurs enfants, d'installer des expressions applicables au quotidien, éviter de se lancer dans l’inutile étude de la grammaire ou encore la mémorisation de mots sans rapport avec la réalité. La base demeure toujours la communication. Avec Aanzhanie, Jésabelle ne franchissait pas pour le moment le niveau supérieur du langage, celui qui atteint les sentiments, aborde les émotions. Cela viendra plus tard.
Pour le moment, au lendemain de la naissance de Gabrielle, alors que les deux élèves de la classe pré-scolaire, revenus de l’école, attendaient l’arrivée des parents de Chelle, tout sera centré, c’était la volonté de Jésabelle, sur les enfants, les trois enfants. De son œil observateur, elle ne cessait de dévisager son invitée de la veille, cherchant à y découvrir ce qui pouvait bien se passer dans son cerveau.
Un détail attira son attention. Les yeux du nouveau-née lui semblaient fixes et … bridés.
*****
Abigaelle accompagnée par Henriette, la secrétaire de école, salua le concierge qui lui rendit la pareille avec un sourire épanoui. Il faut dire qu’ayant croisé le président de la commission scolaire au bureau de poste, celui-ci le félicita pour la propreté de l’école primaire, une situation dont il était particulièrement fier.
Monsieur le concierge, depuis des lunes, tout le monde le surnommait ainsi au point que son patronyme s’était comme évaporé, précisa les raisons de ce surplus de netteté des locaux sans que cela n’eut augmenté sa charge de travail, précisant que l’idée provenait de la nouvelle enseignante.
- Un véritable don du ciel pour nous, commenta le président de la commission scolaire.
- Vous avez parfaitement raison, elle aime tellement son travail et cela rejaillit sur ses élèves. Je ne peux en dire autant pour notre directrice. Excusez-moi de médire, mais elle m’a apostrophé lorsque les enfants ont commencé à nettoyer leur bureau, leur classe, leur casier, me rappelant que ce n’était pas l’affaire des enfants de récurer l’école, mais ma tâche.
- Vous vous rappelez sans aucun doute les conflits entre l’ancienne directrice et Mademoiselle Saint-Gelais. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle souhaite gérer l’école comme une caporale de l’armée.
- Vous dites l’école, mais pour elle c’est son école.
- En effet. Je vois que vous avez retrouvé le sourire et le goût de travailler, alors continuez ainsi, vous avez mon appui complet.
Les deux femmes sortaient de l’école au moment où la camionnette bleue, celle de Benoît, le frère de la directrice, prenait place devant l’entrée. Le chauffeur rejoignait Mademoiselle Saint-Gelais pour la ramener chez elle. Le jeune homme aux yeux gris métallique les toisa sans les saluer.
- Quel être arrogant, avança Henriette.
- Tu le connais depuis longtemps ?
- Depuis toujours…Tout le village a eu maille à partir avec lui à un moment ou un autre. Moi, comme secrétaire de l’école, je ne peux te dire combien de fois ses institutrices l’ont envoyé à mon bureau parce qu’il était insupportable en classe. La seule chose que je pouvais faire, c’était d’aviser sa sœur. Mademoiselle Germaine enseignait la septième année à ce moment-là. Il tremblait de peur devant elle. Si douce, si gentille, si belle, lorsqu’elle entrait dans mon bureau, le gamin se calmait immédiatement, baissait la tête sans ajouter un mot. Je ne te dis pas les mots de… sacristie qui s’imprimaient sur ses lèvres qu’il mordait rageusement.
- Lui a-t-on offert des services pour l’accompagner ?
- Pas du tout. Il aura fallu l’affaire Delage pour que la justice s’en mêle et le condamne à quelques mois en centre. Ça s’appelait à l’époque «maison de réforme», un peu comme une prison pour les jeunes délinquants. Une chose quand même étrange s’est alors produite. Monsieur le curé de la paroisse s’occupait de Benoît depuis toujours l'ayant adopté comme enfant de chœur pour toutes les messes qu’il célébrait. On dit que le prêtre aurait fait des représentations pour que le frère de Mademoiselle Germaine soit libéré, un peu comme s’il acceptait de le prendre en charge. Mais je n’en sais pas plus.
- Le gouvernement du Québec étudie présentement la possibilité d’adopter une loi qui protégerait les jeunes de moins de 18 ans. Dans mes cours à l’université Laval à Québec, certains enseignants croient que cela pourrait même être déposée l’an prochain, en 1977. D’ici là, on engage de plus en plus de spécialistes, recrutés afin de mieux comprendre les troubles du comportement et faire des recommandations au ministre. Bientôt ça sera la même chose pour le pré-scolaire. Du moins je le souhaite.
- Et tu travailles si fort pour que les choses changent.
Elles se turent lorsque le duo émergea de l’école, le jeune homme soutenant sa soeur qui montait péniblement dans la camionnette bleue, adaptée pour favoriser le transport d’une personne handicapée.
Benoît fixa Abigaelle de ses yeux perçants, vers Henriette, il renifla des mots inintelligibles.
dimanche 19 octobre 2025
Si Nathan avait su... (Partie 2) - 15
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| Docteur Frédérick LEBOYER |
- Madame, nous ne trouvons pas votre dossier, pourriez-vous nous indiquer votre nom, votre prénom ? Comment souhaitez-vous que nous nous adressions à vous ?
- Aanzhanie, répondit Don. Ma femme ne parle pas encore votre langue.
- Quel joli nom ! Nous nous adresserons à vous monsieur pour la traduction, cela facilitera la tâche.
- Sans souci, merci pour votre gentillesse.
- Comme elle n’a pas de médecin traitant, celui qui est de garde en gynécologie s’occupera d’elle. Vous verrez qu’il est efficace. Il sort à peine de l’université. Il vous expliquera en détail les étapes. Vous pouvez lui faire confiance.
- Il s’agit de notre deuxième accouchement à cet hôpital. Notre première fille, Chelle, est née ici il y a cinq ans. Un détail important, dans notre tradition ojie-crie la maman choisit son nom à la suite d'une deuxième naissance. Alors le dossier...
- Je comprends. Votre nom, celui de votre fille et l’année tout ça suffira pour le retracer.
Ils entrèrent dans la salle enveloppée d’une reposante tiédeur. Les lumières tamisées propageaient une ambiance de quiétude. Deux infirmières les reçurent s’adressant à mi-voix. Puis l’accoucheur entra, se dirigea immédiatement vers Aanzhanie, lui serra la main avant de s’adresser doucement à Don.
Depuis le moment charnière de sa vie, celui qu'a choisi son père Gordon, à savoir de tout faire, dès maintenant, pour établir des ponts entre sa famille et les villageois des Saints-Innocents, cette volonté paternelle l’amena à apprendre la langue, s’inscrire à l’école des adultes, se spécialiser afin de devenir garde-forestier. Don accumulait des expériences qu’il n’aurait pu imaginer possibles. Gordon avait toutefois insisté sur le fait de ne jamais renier ses origines, sa langue et sa culture, que toujours lui et ses descendants seront des ojis-cris, mais la réalité de leur situation devra diriger ses actions. De minoritaire dans le village que son paternel avait choisi, il devint minoritaire dans sa famille. Il le ressentit rapidement par l’attitude de Taïma, sa mère, qui, sans le répudier totalement, avait décidé de semer son intégrisme ojibwé dans l'âme du deuxième fils, Gord.
Le premier accouchement, celui qui allait donner naissance à Chelle, fut un drame que sa mère avait orchestré en réponse au fait qu’il aurait lieu à l’hôpital des Blancs, une haute trahison à ses yeux. Elle refusa systématiquement de venir en aide à sa bru et ne jeta un œil sur sa petite-fille que plusieurs mois plus tard.
Jamais Don n’informa qui que ce soit de la réception qu’ils reçurent, eux les primipares autochtones et étrangers, à cet hôpital qui aurait souhaité ne jamais avoir à leur ouvrir ses portes. L’attitude qu’il manifesta, teintée d’une dignité sans soumission, la facilité avec laquelle sa femme accoucha sans jamais se plaindre, n’exigeant aucun surplus d’attention de la part du personnel soignant, et le fait que dès le lendemain de la naissance de Chelle, ils quittèrent les lieux remerciant tout le monde pour leurs bons services, cette contenance provoqua une vague de sympathie à leur égard ainsi qu'une sérieuse réflexion chez les administrateurs de l’institution.
Les derniers mots qu’Aanzhanie prononça avant que ne débute ce qui serait une cérémonie furent : « Gabrielle, je veux que nous l’appelions Gabrielle. »
*****
Ce jour d’avril déclinait. Les soirées demeuraient toutefois légèrement fraîches permettant quand même à la famille de Benjamin et leur invitée de s’installer dans le solarium qui avait été, au cours des cinq dernières années, le gîte sacré de l’amoureux de la lune, sa perle fabuleuse.
- Jésa, quand mon petit frère arrivera, l’installeras-tu ici comme tu l’as fait pour moi ?
- Benjamin, quand tu es né, c’était la pleine lune. Celle d’avril, la lune rose. Tout de suite nous nous doutions que cet astre allait être présent dans ta vie. Il n’y a qu’une lune même si elle change souvent de nom, même si elle ne se fait pas voir en entier tout le temps, qu’elle joue à cache-cache avec les nuages pour nous envoyer des clins d'oeil, c’est exactement la même chose pour les enfants. Ton frère, tout comme toi, Chelle et sa petite sœur, vous êtes uniques. Une seule copie dans tout le monde entier. Il se peut que Nathanaël…

- Oui, ça sera son nom. Il se peut que le solarium ne réponde pas à ses besoins tout comme il y a de fortes chances que plus vieux on taille une partie de son prénom et qu’il ne lui reste que Nathan.
- Nous t’expliquerons un jour ce choix que l’on a fait. Nommer son enfant est un privilège qui appartient aux parents, mais ça ne doit pas seulement être lié à la mode, mais plutôt à ce qu’il représente pour eux maintenant et plus tard pour lui.
- Et moi, pourquoi Benjamin ?
Chelle écoutait la discussion avec beaucoup d'intérêt. Par la lueur de ses yeux, il apparut clairement à l’esprit de Jésabelle que ce type de conversation n’était pas courant dans sa famille.
- Je ne sais pas pourquoi je m’appelle Chelle et ne connais pas le nom de ma sœur.
- Ta maman s’améliore dans l’apprentissage de la langue française. Beaucoup même. Elle m’a dit vouloir de plus en plus s’adresser à toi et à ta sœur dans la langue qui fait maintenant partie de votre environnement. Bientôt tu auras toutes les réponses à ces questions.
jeudi 16 octobre 2025
Si Nathan avait su... (Partie 2) - 14
Don se sent davantage en confiance à l’arrivée de ce deuxième accouchement dans l’hôpital des Blancs. Il y a cinq ans, la situation était différente. La maison au bout du rang sans entretien en toute saison comptait plus de résidents. Depuis, son père est décédé, sa mère Taïma, retournée en Ontario sur la réserve ojie-crie qui recevait, trois ans auparavant, son frère aîné Gord et son épouse Mae.
Aujourd’hui, il revenait de chez ses amis Daniel et Jésabelle après leur avoir demandé d'accueillir Chelle à son retour de l’école car il partait pour l’hôpital, Aanzheni étant prête à accoucher.
L’assurance-maladie du Québec avait conclu une entente avec les autorités canadiennes responsables de la loi sur les Indiens, ce qui permit à la famille de Don de bénéficier des services de santé pour toute sa famille, entente à laquelle Taïma refusa d’adhérer interdisant qu’on y ajoute le nom de son mari.
En route vers la grande ville, au milieu de l’après-midi, il s’arrêta à l’école afin d’aviser Abigaelle du changement dans l’horaire du transport, ce qui lui valut un regard torve de la part de la directrice trop lente pour intercepter le papa de Chelle qui repartit rejoindre son épouse confortablement installée dans la camionnette, sans jamais manifester sa présence auprès de Madame Saint-Gelais.
*****
- Je vous prends quelques minutes seulement.
- Je vous écoute, dit-elle sans lui proposer un siège.
- La problématique ne se présente pas pour le moment, mais on la soulèvera bientôt quand viendra le temps d'organiser la composition des groupes d’élèves pour la prochaine année scolaire.
- Soyez plus précise mademoiselle.
- Le pré-scolaire devient de plus en plus une préoccupation majeure au ministère de l’Éducation. Le ministre Cloutier lui-même surveille personnellement l'évolution de ce dossier. Notre école pourrait représenter une situation unique dans la province. Les huit enfants avec lesquels nous travaillons actuellement passeront en première année à la prochaine rentrée scolaire. Sans savoir à combien s’établira la clientèle pour l’an prochain, je me questionne sur les services à mettre en place afin de répondre au nombre peu élevé d’élèves.
- Vous avez raison, nous discutons actuellement avec les responsables de l’organisation scolaire. Ce que je détiens comme information indique que les prévisions tournent autour de dix élèves pour la classe de maternelle.
- Cette classe du préscolaire, je parle de la présente, pourrait donc fournir un nombre d'élèves en-dessous de ce qui est exigé pour ouvrir un groupe de première année. N’est-ce pas ?
- Vous comprenez que huit élèves, eh bien ce n’est pas suffisant. À moins qu'il s'en ajoute d'ici l'été, ce qui me surprendrait au plus haut point, il faudra alors envisager autre chose.
- Comme un déménagement d’école ?
- C’est une hypothèse.
- Une éventualité?
- Je ne saurais préciser cela pour le moment.
- Alors, dans vos réflexions, je souhaite proposer une avenue. Les huit élèves de cette année auxquels on ajouterait la probable dizaine de l’an prochain cela pourrait constituer une classe multi-âge. Nous aurions ainsi 18 élèves dans un groupe préscolaire et première année. J’accepterais de les prendre en charge.
Madame Saint-Gelais recula son fauteuil roulant de quelques centimètres scrutant le regard de l’éducatrice qui la dévisageait sans baisser les yeux.
- C’est peu conventionnel comme solution, dit-elle.
- En effet, mais pédagogiquement acceptable.
Les rencontres entre ces deux femmes tournaient rapidement à l’affrontement. Leurs arguments ne reposant jamais sur les mêmes principes, voire les mêmes valeurs. Dans ces courts instants de silence passager devenant d’une lourdeur étouffante, chacune cherchait un nouveau souffle, un nouvel angle d’attaque. Rien ne peut concilier leurs points de vue. La directrice, pour une xième fois, comme si elle n'avait pas autre chose à dire, lui répète les bases sur lesquelles son principe de réalité s’appuie, ce à quoi Abigaelle, dans une riposte cinglante, lui lance que cela n’est qu’entrave à l’initiative et à l’action. Ceci mettait souvent fin à l’entretien.
- Avant que vous ne sortiez de mon bureau, j’apprécierais que vous signifiez au père de Chelle que mon école n’est pas un endroit où on entre sans vergogne. J’ai trouvé son attitude un peu sauvage cet après-midi lorsqu’il s’est dirigé vers votre local sans s’arrêter à mon bureau.
*****
- Tu restes à souper avec nous. Bravo!
La fillette n’a guère le temps de répondre que Jésabelle, ralentie par sa démarche de canard et suivie par Walden, s’approche pour les amener à la maison.
- Ta maman est partie à l’hôpital avec papa. Il y a de fortes chances que ta petite sœur se présente le bout de nez d’ici quelques heures.
Les larmes aux yeux, Chelle serre les mains offertes par Benjamin et sa mère.
Elle entre fièrement chez sa deuxième famille.
mardi 14 octobre 2025
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