lundi 16 juin 2025
Un peu de politique batracienne (25)
samedi 14 juin 2025
Si Nathan avait su (35)
C’est Don qui raconta à sa fille dans des mots qu’elle pouvait saisir, paroles qui ne lui permettaient pas de juger, encore moins de culpabiliser qui que ce soit, ce qu’il savait de cette histoire l’incriminant. Au lendemain neigeux de ce que l’on pourrait appeler une confession paternelle, Chelle commença à mettre au courant Benjamin durant le trajet en bus de ce qu'elle en avait compris et retenu. Cela la soulageait doublement ; que son père lui ait clarifié la situation et que son fidèle ami l’écoute.
- Tu sais, l’histoire de l’ours, pas celle des chansons de Félix Leclerc que mademoiselle Abigaelle nous a fait entendre, non, celle que tout le monde du village a parlé, eh bien mon père m’a expliqué ce qui s’est passé.
- C’est pas trop effrayant ?
- Tu me promets de ne pas en parler ? À personne ? Jamais ?
- Non, je ne peux pas te le promettre parce que Jésabelle et Daniel , mes parents, et moi on s’est juré de ne jamais avoir de secrets. Ils m’ont dit qu’un secret c’est ce quelqu’un nous demande de ne pas dire aux autres. Si tu veux que je te fasse la promesse de garder ton secret, eh bien j’aime mieux que tu parles de ça à mademoiselle Abigaelle, pas à moi.
- D’accord, seulement tes parents.
Le secret qu’un enfant doit promettre de ne jamais dévoiler, s'il provient d’un adulte, est trop souvent une manière détournée de l’enfermer dans des situations qui ne peuvent que lui être néfastes. Oreille tendue puis bouche fermée. Les éléments qui composent un secret demeurent dans le cerveau de l’enfant comme s’il s’agissait d’une bombe à retardement risquant d'exploser un jour ou l'autre alors que bien des dégâts auront possiblement déjà eu lieu. Benjamin avait parfaitement bien compris l'enseignement et ne comptait pas y déroger même si la demande provenait de sa meilleure amie, la personne la plus importante pour lui après ses parents.
Le bus avait ralenti sa vitesse en raison du vent qui soufflait de plus en plus violemment provoquant quelques amoncellements de neige là où les espaces boisés s’achevaient ; les plaines des deux côtés de la route ne pouvaient aucunement bloquer sa fureur grandissante. Le chauffeur maugréait et dans son regard que reflétait le rétroviseur vers les deux seuls passagers, on y lisait aisément une évidente contrariété.
Chelle reprit la parole. «Mon papa est mon héros. Il travaille très fort. Il nous aime ma maman et moi, peut-être un peu moins sa maman à lui, mon ancêtre. Lorsque l’ours blessé a commencé à faire peur à tout le monde au village, avec une flèche dans la cuisse qui saignait beaucoup, comme Patrick l’a dit dans la cour de l’école, on pensait qu’à cause de la flèche, mon papa était responsable de cette blessure. Quelques jours après, Monsieur le curé est mort dans le cimetière, puis on a retrouvé l’ours mort près de la rivière, mais pas la flèche. Cette journée-là quand je suis revenue de l’école, Ojibwée était pas mal excitée. Plus que d’habitude. Quand elle tourne en rond autour de nous, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas quelque part. Tu te souviens, il y avait une petite couche de neige sur le sol mais pas comme aujourd’hui. Je me suis dit que c’était l’arrivée de la première neige qui rendait ma chienne si folle, mais elle ne se roulait pas par terre comme elle fait quand elle est heureuse, non, elle courait vers la route puis revenait, repartait, comme si elle voulait que je la suive dans le petit bois à côté de chez-nous. C’est rare, très rare même que Ojibwée jappe, mais là elle ne cessait pas, ce qui a attiré l’attention de maman qui est sortie sur le perron me disant d’entrer. Je lui ai expliqué ce qui se passait ; elle est allée prendre un chandail parce que ce n’était pas chaud chaud et nous sommes parties derrière la chienne. Arrivées devant le bouleau blanc, à l’endroit où mon ancêtre grand-papa est enterré, eh bien nous avons été surprises toutes les deux de voir le coyotte mort avec une flèche dans la cuisse. Le même coyotte qui passait dans notre cour pour traverser la route. Il avait perdu beaucoup de sang parce qu’il flottait presque dans la mare sous lui. Ojibwée se tenait un peu plus loin et avait arrêté de japper. Maman a dit « ne touchons à rien, papa verra à cela quand il rentrera.» Et nous sommes revenues. Grimpant l’escalier, ma grand-mère ancêtre se tenait à la porte et je me rappelle parfaitement bien qu’elle n’était pas étonnée de nous voir revenir de ce qu’elle appelle le «cimetière» et avait comme un sourire dans sa face. Maman a dit «tu me laisses en informer ton père.»
- Toute une histoire ça, Chelle !
Et la conversation s'arrêta là, le bus stationnait devant l’école. En raison des chemins de plus en plus glissants, surtout que le fameux rang sans nom, sans numéro et sans asphalte n’est jamais dégagé - le même traitement prévaut pour celui qui mène chez les parents de Benjamin - ils furent les derniers à entrer dans l’école. Madame Saint-Gelais se tenait dans l’entrée, le regard fourbe, un agenda sur les genoux qu’elle referma après avoir pris quelques notes. « Allez vite en classe mes deux retardataires.» Assez vite Benjamin et Chelle avaient appris à ne jamais répliquer aux propos de la directrice de l’école, que les retenir.
La journée parut longue aux deux enfants qui attendaient la fin des classes pour continuer la suite du récit de ce que Don fit alors qu’on lui annonça la mort du coyote, tué lui aussi par une flèche. Doucement la neige faisait un tapis sur lequel les élèves de l’école s’amusaient à glisser, mais ne permettait pas pour le moment d’en faire des balles et les lancer, ce qui mettrait la directrice en rogne. D’ailleurs, tout ce qui peut d’une façon ou d’une autre être sujet ou objet d’accident - selon elle - la mène à des excès de prudence, une surabondance de nouvelles règles qu’autoritairement et sans consultation aucune elle impose unilatéralement à tous, élèves comme enseignantes. Combien de fois les hivers précédant celui-ci a-t-elle annulée les périodes de récréation en raison d’un degré de température qu’elle jugeait être un risque d’engelure autant pour les grands que les petits élèves ! Aujourd'hui, le vent et la neige prenaient de l'ampleur de sorte que vers 3 heures 30 lorsque le bus s’arrêta devant l’école, le chauffeur interpella la surveillante. « La route est vraiment dangereuse, pourrais-tu aviser les parents des deux éloignés de venir les chercher ? Je n’ose pas m’aventurer dans ces impasses.» La responsable en poste dans la cour d’école une fois l’horaire scolaire terminé se dirigea vers l’entrée pour aviser la directrice, mais Abigaelle qui surveillait de sa fenêtre de classe sortit rapidement pour s’informer de la situation. Derrière elle, madame Saint-Gelais, suivait attentivement l’échange.
- Dis au chauffeur que je vais me charger de reconduire Chelle et Benjamin directement à la maison. Il est difficile pour Henriette de les rejoindre, mais je prends tout ça sous ma responsabilité.
- Je fais entrer les deux dans l’école en attendant que tu les récupères, acheva la surveillante.
Devant l’attitude de l’éducatrice que la directrice jugeait rédhibitoire, cette dernière l’avisa que la commission scolaire ne possédait pas d’assurance pour ce type de déplacement et qu’elle aviserait le président de son imprudence. « L’urgence est de reconduire ces enfants à la maison puisque le transport scolaire ne peut pas le faire, répondit Abigaelle se dirigeant vers ses élèves coincés à l’école en raison du mauvais état des routes. Et dire que nous ne sommes qu’au début du mois de décembre.
- Ne bougez pas, je vais chercher ma mini-van et nous partons à l’aventure.
mercredi 11 juin 2025
Projet entre nostalgie et fantaisie... (23)
en choeur
«crions plus fort pour que personne ne nous ignore»
«l’égoïsme n’a pour rempart que celui des autres»
«nos mots n’empêchent pas la chaleur
au jour de succéder à la nuit,
ls rafraîchissent le jour et la nuit»
en chœur on les entend dire
«les grandes idées devenues institutions n’ont plus de sens»
«un est un impair»
en chœur on les entend crier
«en regardant loin on marche sur des routes qui n’ont pas de fin»
en chœur et sans peur on entend
«à nos questions les réponses n’ont aucun langage pour bien se dire»
433
aller-retour
court autour du même infini
celui d’une note sans faute
symphonie mineure du matin
s'arrêtait aux carrefours crucifiés
déposait le poids des heures fatiguées
personne ne la remarque
guerres oubliées puis reprises
celles de la mémoire qui ruissellent encore
sur la peau de la femme
longs dans leur éternité
un léger tremblement
symphonie majeure d'après-midi
elle croise la lueur du soir
s'harmonise à la nuit
aux cris des sirènes
de fulgurantes comètes
hurlent à fendre la Terre
des hymnes mortuaires
Et
prostrée face-à-face au regard des autres
ceux qui ne savent toujours pas
que la vie est un long aller-retour
435
Fil d’Ariane
de la femme, statue de pierre, qui pleure son invariable silence
à son doigt, il s’allonge, cherchant à capter quelque chose au loin
pernicieusement enroulé à son poignet, le gauche, celui du coeur,
l’enserre comme un bijou, une guipure que le soleil se plaît à noircir
la femme qui pleure la cache de sa main droite, une main rouge
comme le sable mêlé à du sang… ou plutôt, en la fixant bien,
une carte périmée, toute de veines bleuies, étendue devant elle
parlant à sa place, demandant à être lue entre ses lignes blanches
à ses chevilles tordues par une sauvage douleur, des chaînes humides,
écrasées sur le bitume sec s’amusant à la harceler…
son corps, clone gris des trottoirs et du noir des rues
la femme qui pleure ligote ses rêves l’un à l’autre avec du fil blanc
laissant ses larmes nettoyer le vide qui peuple son âme
elle n’a pas de chaînes torsadées à son âme, qu’un fil blanc
437
vendredi 6 juin 2025
Si Nathan avait su (34)
On venait d’annoncer que les obsèques de Monsieur le curé de la paroisse des Saints-Innocents seraient présidées par l’évêque du diocèse et célébrées le samedi 20 décembre à 15 heures à l’église de la paroisse. L’article du journal NOTRE RÉGION ne précisait pas si, à cette occasion, on officialiserait la nomination du nouveau curé. Pas une ligne sur cette histoire d’ours blessé, de l’intervention de la faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe et d’une supposée corrélation entre cette affaire et le décès du curé chanoine.
L’église, temporairement fermée, se retrouve maintenant sous l’étroite responsabilité de Monsieur le maire. L’unique employé municipal verra à ce qu’elle soit nettoyée régulièrement, qu’avec la venue des froids, de la neige, il s’organisera pour que le chauffage soit ajusté et le déblaiement des entrées soit assuré. On dut même interrompre les activités de deux ou trois groupes communautaires qui se réunissent mensuellement au sous-sol, dont la populaire soirée du «Bingo» qu’organisaient conjointement les Filles d’Isabelle et le Cercle des fermières. L’inquiétude principale, devenue le nouveau sujet de conversation du village après l’affaire de l’ours, un peu comme un sujet politique s’efface lorsqu’un nouveau s’installe, portait sur la célébration des Fêtes de Noël. La tradition veut qu’une collaboration entre Monsieur le curé, la directrice de l’école et l’un des échevins de la ville qui, on s’en souvient, est également marguillier, pivote autour d'eux qui verront à ce que cette période, alors que l’école sera fermée, l’église en plein brouhaha et la municipalité veillant à la décoration de la rue Principale, que cette période donc soit la plus festive possible. Dans le cercle des plus âgés un embarras devint rapidement un souci, qu’arrivera-t-il si malencontreusement survenait un décès ? Le cimetière ne posait pas problème puisqu’en hiver les cercueils sont entreposés dans un charnier à l’entrée du lieu, mais pour les funérailles, devra-t-on les célébrer dans une autre église du canton ? Pour dire que cette histoire ayant débuté par un ours blessé, le décès de prêtre, un cadavre d’animal sauvage récupéré sans toutefois que la flèche meurtrière soit retrouvée, pour un petit village tissé serré c’en était beaucoup.
*****
L’atmosphère sévissant chez la famille ojie-crie depuis que Don, régulièrement assis sur les marches de l’escalier, si entièrement défait que sa femme et sa fille ne l’ont jamais connu ainsi, sans parler de l’ancêtre qui, réfugiée dans sa chambre au rez-de-chaussée, n’en sortait que pour manger, y retournant tout de go. Peu de paroles s'échangeaient jusqu’au moment où Chelle ne pouvant plus supporter l’éloignement de son père, s’adressa à lui. Sa mère, peu éloignée des fameuses marches devenues comme un refuge à ciel ouvert, pouvait très bien suivre une conversation parfois décousue, souvent sibylline, continuellement coupée par des silences ténébreux.
- Chelle, tu ne dois pas écouter tout ce qui ce dit dans la cour de ton école, n'entends que ce qui est important pour toi.
- Écouter, entendre, c’est la même chose.
- Non ma fille, il y a une différence et à toi de la gérer.
- Laquelle ?
Chelle, malgré son jeune âge, était déjà adaptée à recevoir des informations souvent radicalement opposées, voire contradictoires. Celles de son père, celles de sa mère et de l’autre, l’ancêtre, toutes aussi distantes à tel point qu'elles se rejoignaient difficilement. Cela la troublait parfois. Comme elle n’apprécie pas sentir une boule à l’intérieur d’elle, à l’estomac principalement, dans le bus la menant à l’école et la ramenant, assise tout à côté de la fenêtre donnant sur les rangs sans nom, sans numéro, sans asphalte, près d’elle son unique et combien essentiel ami Benjamin, lui parler de ce qui se passait dans sa maison, devint une soupape. Bien sûr Benjamin ne pouvait lui apporter de solutions, des conseils non plus, mais son écoute très attentive se révéla pour la fillette des occasions de mieux se sentir, de libérer ce qui commençait à l'angoisser. Les mots d’enfant ont la faculté de se rendre directement au vif du sujet, parfois de manière incorrecte ou évasive, mais une fois énoncés, puis reçus par une personne de confiance, deviennent libérateurs. C’est ce qu’elle vivait avec Benjamin, souhaitant ardemment que ça débloque avec son père.
- Écouter, c’est recevoir des sons qui se manifestent autour de soi sans qu'on y fasse trop attention. Comme il y en a plusieurs en même temps, on en manque certainement quelques-uns.
- Ça se fait tout seul, écouter.
- Oui, c’est ça. Mais entendre, c’est choisir ce qu’on veut écouter.
- C’est drôle ce que tu dis, mademoiselle Abigaelle…
- … celle qui est venue à la maison chercher son permis de chasse, ton éducatrice ?
- Oui, mademoisele Abigaelle, elle dit tout comme toi. Parfois, lorsqu’elle veut se faire entendre elle attire notre attention avec une main levée. Ça veut dire «Silence!» là je sais qu’on doit arrêter d’écouter tous les sons pour entendre ce qu’elle veut nous dire.
- Elle est bien cette éducatrice. J’aime beaucoup comment elle vous présente les choses. Je me rappelle quand tu es revenue de l’école en chantant…
- … oui, une chanson de Félix Leclerc...
- … exactement. J’aimerais bien l’entendre.
- Benjamin m’a dit que son papa achètera un disque de Félix Leclerc la prochaine fois qu’il ira dans la grande ville.
Délicatement, à pas de coyote, entre le père et sa fille s’installait un moment pouvant ressembler à ce que chez les autochtones on appelle «pow wow», mais dans ce cas-ci, on pourrait plutôt dire un mini-pow wow. L’esprit de rencontre y est présent.
- Papa Don ?
- Oui ma fille, qui a-t-il ?
- Depuis quelques jours tu n'es plus comme mon papa que je connais. Est-ce que j’ai fait des choses qui ne t’ont pas plu ?
- Non Chelle, tout ce que tu fais depuis ta naissance est correct, même si je sens parfois que certaines choses obscurcissent tes yeux. Je reconnais ces moments. Tu plisses les yeux, t’éloignes avec Ojibwée et ne parles presque plus.
- C’est que je suis triste de te voir comme ça.
- Tu sais, l’histoire de l’ours m’a blessé autant que l’animal l’a été.
- Tu ne vas pas mourir comme lui ?
- Non, mais on peut mourir de différentes manières.
- Pas mourir et rester en vie en même temps ?
- Ma fille, peut-être que tu ne comprendras pas ce que je vais te dire, mais oui c’est possible de mourir et rester en vie.
Les marches de cet escalier auront reçu des trames de vie, plusieurs, depuis l’arrivée de cette famille ojie-crie dans la municipalité des Saints-Innocents.
- Tu sais autant que moi qu’un oji-cri comme tous les êtres humains de la terre possède un corps et une âme. D’ailleurs, c’est l’âme de ton ancêtre que l’on garde avec nous alors que son corps est à se mêler avec la terre dans notre petit bois, au pied du bouleau blanc. Il est mort de corps mais vivant d’âme.
- Est-ce que tu vas enterrer grand-mère ancêtre à la même place que lui ?
- Probablement, à moins qu’elle souhaite retourner dans son lieu natal, en Ontario.
- Elle ne parle jamais de ces choses-là.
- En effet, mais elle n’en pense pas moins.
L’échange entre les deux prenait un chemin qui ne semblait pas permettre à Chelle de mieux saisir la détresse silencieuse de son père, jusqu’au moment où il ajouta :
- On peut mourir d’une flèche...
mercredi 4 juin 2025
Projet entre nostalgie et fantaisie... (22)
lundi 2 juin 2025
LA FILLE À SON PÈRE
J'aborde ce billet par un biais... celui de l'affection, non, davantage, l'amour qui est au centre de ce livre, celui d'une fille pour son père, d'un père pour sa fille. La relation - qui s'étend aussi à la famille - sur laquelle se fonde les pages que Loïse consacre, magnifiquement, respectueusement, elle nous la fait vivre d'un très jeune âge jusqu'au décès de Jean, son papa, le grand-papa de ses enfants et l'arrière-grand-papa de ceux qui nous unissent Loïse et moi, tel un pont générationnel.
Chacune des pages et elles sont fort bien écrites, fort bien documentées, chacune nous permet à la fois de suivre cet amour filial et l'évolution autant de la ville de Montréal que celle du Québec. Beaucoup de choses changent, ont changé depuis la naissance de la fille de cet homme qui mourra dans ses bras. Beaucoup. Et la chronologie du texte permet de suivre les différents mouvements qui furent la genèse d'un Québec avide d'ouverture. Déjà, Loïse, et elle nous le décrit à merveille, se retrouve immergée dans cette dynamique, la comprenant parfaitement puis l'intégrant dans ses actions futures, autant au pays qu'à l'étranger.
Nous avons été habitués à suivre des auteurs masculins, sans aucun doute fort pertinents, mais qui ne voient le monde qu'à-travers le spectre de leur genre. Le texte de Loïse sur la part manquante des évangiles m'apparaît comme un essentiel rappel que la place des femmes dans nos sociétés, en plus d'avoir été occultée et réduite qu'à l'application servile des cours d'enseignement ménager, doit s'élargir au-delà de ce que l'on nommait, l'émancipation. C'est ici qu'apparaît la louve.
Oui. Et cet élément - il faut absolument en prendre connaissance si l'on veut goûter cette ode au père - l'élément de la louve, celui qui nous a permis, Loïse et moi, de connecter profondément, provient de la pianiste et écrivain Hélène Grimaud. Il faut s'y attarder un peu et ce peu deviendra gigantesque de fascination et sans aucun doute servira de clé de lecture à ce dernier livre de Loïse.
Poétesse, romancière, il me serait plus économe d'écrire auteure multi-genres, résolument ancrée en Outaouais malgré que Montréal lui soit encore tatouée sur tout le corps, nous épate par toute une série d'épisodes de la vie tumultueuse de cet homme qui imprimera sur sa fille, un peu comme on trace une carte topographique, le mot rebelle.
Je m'attarde sur ce mot, un mot qui en «mène large» qu'il soit utilisé comme nom ou adjectif, il réfère à cette volonté de ne pas suivre une route, une orientation, un système tout cela préétabli par un ordre quelconque et supérieur. L'esprit rebelle de Loïse, je le compare à celui d'une formidable écrivain vietnamienne Dương Thu Hương qui n'a jamais hésité à défendre les droits de la femme dans un pays particulièrement machiste, une culture chancelant entre esprit traditionnel et révolutionnaire, au point d'être exclue du Parti communiste et exilée en France.
Ces deux femmes prennent la plume, disent ce qu'elles ont vu, ce qu'elles voient et beaucoup comment elles voient l'avenir, les yeux ouverts autant sur le rétroviseur que droit devant comme toute conscience éveillée.
Voilà mon appréciation du récit de Loïse, le dernier et certainement pas le dernier des derniers.
Bonne lecture à tous et toutes.
samedi 31 mai 2025
Si Nathan avait su (33)
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Félix LECLERC |
- Oui Benjamin, que se passe-t-il ? Tu me sembles pas mal excité ?
Ayant couru du bus scolaire jusqu’à la maison, non pas seulement pour se prémunir contre la pluie devenue plus sévère, mais afin de partager un événement qui l’a particulièrement emballé aujourd’hui, tellement qu’il en a oublié de récupérer son livre dans l’abri que le voici dans la cuisine où sa mère achève de cuire le repas du soir.
- Est-ce-que tu connais le chanteur Félix Leclerc ?L'exaltation animait le fiston à un point tel que le chocolat chaud posé sur la table ne retint pas son attention.
- C’est quoi le théâtre ?
Jésabelle ne cessera jamais d’admirer la curiosité de son fils, son goût pour les belles choses, un petit bonhomme avide d'en savoir toujours davantage, même si cela tourne presque exclusivement autour de la poésie. Une nouvelle forme d’expression venait de lui être proposée à l’école et Benjamin exigeait qu’on lui en dise plus encore.
- On n’en a pas du théâtre ici dans le village.
- Non, tu as raison, mais dans la grande ville, il y a plusieurs salles où on présente de tels spectacles. Mais tu l’as connu comment Félix Leclerc ?
- À l’école, mademoiselle Abigaelle nous a fait écouter deux chansons de lui.
- Tu as aimé ?
- Tellement une belle voix. Quelle bonne idée de mettre de la musique sur les mots d’un poème !
- Pourquoi ton éducatrice a-t-elle pensé vous faire entendre ces chansons ? Lesquelles, t’en souviens-tu ?
- Oh! Oui, je suis incapable de les oublier, parce que nous aussi on vient d’avoir une histoire d’ours.
- Tu parles de l’ours blessé ?
- Patrick n’a pas été gentil avec Chelle dans la cour de récréation. Il a dit qu’elle et son père étaient des tueurs d’ours. Des tueurs pas bons parce qu’ils l’avaient seulement blessé et que ça a rendu l’ours plus méchant.
Benjamin semblait tellement pris par ces deux chansons que sa mère insista pour qu’il lui raconte ce qu’il avait retenu non pas de l’affaire de l’ours blessé, mais des mélodies de Félix Leclerc.
- L’histoire est vraiment triste.
- Oui, mais l’autre est plus triste encore. C’est la mort d’un ours pris au piège et d’un loup accompagné de son petit qui viennent le saluer dans la forêt. Ils reviennent en pleurant. J’ai appris que l’ours c’est comme le roi de la forêt.
Jésabelle constatait que Benjamin avait été marqué par cette expérience musicale qu’elle trouva tellement intéressante, non pas seulement pour dédramatiser l'histoire qui bousculait tout le monde, mais, d’une certaine manière, amener ses élèves dans une autre dimension leur permettant d’apprécier la circonstance sous un angle différent. De jour en jour, l’éducatrice plaisait à cette femme dont la grossesse arrivait au début de son cinquième mois.
Ses pensées quittèrent l’espace d’un instant l’échange avec son fils pour se porter vers la famille de Don qui devait vivre tout cela assez péniblement. Don, certainement, mais aussi sa femme qui tout comme elle arrivait dans les mêmes temps de gestation. Il lui paraissait important qu’avant les grands froids et les neiges d’hiver, elle puisse leur rendre visite. Elle se dit » Je laisse passer la tempête actuelle, puis nous irons.
- Maman, penses-tu qu’on pourrait avoir le disque des chansons de Félix Leclerc ?
Plongée dans ses pensées, Jésabelle fut ramenée à la réalité » Bien sûr Benjamin. Nous demanderons à Daniel de nous en procurer un lorsqu’il ira dans la grande ville. Bonne idée.
*****
Don faisait les cent pas. Ne cessait de faire les cent pas. Le balcon, puis la cuisine, deux circuits, l’un après l’autre. Chelle lui avait parlé de ce qu’elle avait vécu à l’école durant la récréation du matin. Son père avait écouté. Sa mère aussi. Pour ce qui est de l’ancêtre elle fut confinée dans sa chambre, celle du rez-de-chaussée, qui après avoir entendu les propos de la petite fille déclara » Ça ne changera jamais ! Don l’obligea à quitter la cuisine d’un ton qui n’invitait pas à la réplique.
La fameuse flèche manquante, essentielle pour clore le dossier de l'ours, tout le village la lui imputait ; on l'avait déjà condamné, sans aucune preuve, mais condamné tout de même. N’ayant pu identifier un quelconque chasseur à l’arc, les soupçons tombaient davantage sur son dos et paraissaient être cautionnés par Monsieur le maire en raison des propos de son fils à l'école qu'il avait sans doute entendus à la maison.
Un autre incident s’était produit qu'il tenait secret. Quelques jours avant la mort de Monsieur le curé, la découverte de l’ours, de la venue du vétérinaire puis des techniciens, revenant à la maison au bout du rang sans nom, sans numéro et sans asphalte, son épouse l’attendait sur le balcon. Chelle n’était toujours pas revenue de l’école. Ojibwée, comme à son habitude, courut vers le camion de Don.
- Va voir près du bouleau blanc, dit-elle, effrayée, tremblante, assise sur le balcon une veste sur ses épaules.
- Tu veux que je te serve une bière ? demanda sa femme dont le ventre gonflé l’empêchait de se lever aussi facilement qu’elle l’aurait souhaité.
Un peu de politique batracienne (25)
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