Un être dépressif
C’est à partir du poème de Jean DUGUAY,
mon ami psychologue-poète,
que je lance ce billet.
Pris dans une ornière
je fais du sur place
mes roues s'enfoncent
tout devient sombre
Si je force pour m'en sortir
mon esprit s'emballe
mon corps se raidit
je perds toute direction
Prendre du recul
avancer à petits pas
reprendre espoir
de trouver son chemin
Enlèves tes œillères
regardes dans ton rétroviseur
découvres les clés du bonheur
reprends ta marche solitaire
)( )( )( )( )(
Encore aujourd’hui, plusieurs mois après mon arrivée dans cet appartement qui s’enveloppe quotidiennement d’odeurs de chocolat, il m’arrive de prendre un temps d’arrêt… de m’installer devant la porte-fenêtre, immobile… admirant les arbres autour. Des tilleuls. En été, leur parfum se mélange à celui de l’usine de cacao.
Ce logement est lumineux, un peu comme s’il appelait la clarté du soleil au secours d’une plante à la recherche de renaissance. Dès l’aube, la chambre à coucher en est inondée. Le jour, sans gêne, elle s’insinue partout imprégnant des estampilles franches et nettes sur les murs.
Avant de l’habiter, début de l’automne ‘21, je suis demeuré chez ma Fille Catherine. Y ai retrouvé des odeurs familiales… des voix aimées… des habitudes reconnues. Délicatement, je commençais à décharger mes épaules de lourdes contraintes pour redécouvrir mes racines.
Racines qui allaient regagner de l’expansion. À ce moment je prends conscience que les fleurs d’une plante peuvent (et souvent doivent) tomber, que les feuilles nécessitent un entretien fréquent, que la tige fragile a besoin d’un solide tuteur, mais que le fondamental loge au niveau des racines.
Le pagure vietnamien que j’étais réapprend à ne plus chercher sa coquille dans celle des autres, à reconnaître sa véritable place, puis à sérieusement nourrir ses racines trop longtemps négligées. C’est chez ma Fille, à la voir tous les jours, très tôt le matin, soigner son environnement, cultiver la qualité de vie qu’elle inspire autour d’elle, que ma conscience des autres reprend forme.
Son exemple auquel s’ajoute celui de ma deuxième qui élève sa fille, seule et avec opiniâtreté, si présente qu’elle en oublie parfois de prendre soin d’elle-même ; celui de ma plus jeune fille, baptisée mon bijou d’avril, que certains êtres malsains se sont acharné à vouloir modifier la route, mais qui, solide, tient le cap ; celui de leur mère qui a été et demeure un vibrant modèle de fidélité et d’engagement dans tous les moments de nos vies. Leur sincère attachement nettoie autant mon esprit que mon corps faisant rejaillir leur résilience sur moi.
Au même moment ou à peu près, démarrait ma thérapie. J’y reviendrai afin de préciser cette impression qui fut celle de quitter un canot de sauvetage pour monter dans un bateau résistant aux intempéries et à toute forme de dérèglement.
Je suis encore un être dépressif, dépendant, hanté par cette question que je me pose et repose tant de fois : un être dépressif souffre-t-il simultanément d’une poussée exacerbée d’égoïsme ? J’ai fouillé afin de confronter ma perception que je définissais comme étant ‘’ moi avant tout et tout centré sur ma petite personne’’. J’ai trouvé non pas une réponse, mais une piste, elle vient d’Oscar Wilde. ‘’ L’égoïsme ne consiste pas à vivre comme on en a envie, mais à demander aux autres de vivre comme on a soi-même envie de vivre.’’
Je comprends mieux que parmi les préjugés alimentant la dépression, celui de l’égoïsme, ce besoin exagéré qu’on s’occupe de celui ou de celle qui en souffre, ce préjugé soit celui qui trône en tête de liste. Être continuellement aiguillé sur soi (ou ce qui en reste), manifester peu d’intérêt pour autrui et ce qui l’atteint, ne savoir conjuguer les verbes qu’à la première personne du singulier, sans aucun doute cela peut tomber sur les nerfs, pire, nourrir l’idée que l’être dépressif manifeste peu ou pas d’empathie alors qu’il semble l’exiger de l’autre, tout en s’assurant de protéger une bulle qu’il lisse tel un maniaque afin de la rendre imperméable, coagulée même.
Sur cet aspect de la dépression (tout ramener à soi et tout considérer à partir du même angle), je suis particulièrement chanceux de pouvoir m’appuyer sur la psychologue, mais beaucoup sur mon frère Pierre et ma belle-soeur Claire. Tous les deux sont présents à moi, ils composent mon filet de sécurité, de protection et cela dès l'origine des troubles qui me mitraillaient (avril 2021), ainsi que dans les périodes plus obscures, m’aidant à reprendre mon souffle alors que les nuages remplis de brouillard m’étouffaient. Je ne saurai dire à quel point leur sollicitude m’est un apport d’oxygène essentiel au même titre que Phuoc fut ma béquille au Vietnam.
Je ne puis dire, en cet aujourd’hui de mars 2024, que tout est rentré dans l’ordre, convaincu qu’une certaine fragilité, dont le poids m'est inconnu, rend l’être dépressif que je suis susceptible de rechuter, cette fois-ci sans lien avec une médication malavisée.
Cela pose une autre interrogation : d’où vient la dépression, comment peut-on ou comment doit-on s’en prémunir ? Il y a dans les TIRÉ À PART que j’ai introduits à ces billets quelques pistes de solution, mais au fur et à mesure qu’évolue ma thérapie, j’en arrive à penser que la réponse relève de l’intimité, de la façon dont on scrute son intérieur, du fait d’ouvrir les yeux sur de nouvelles perspectives et surtout la capacité de recevoir ce que mon frère Pierre m’a appris, soit celle de recevoir, d’accepter le fait que des signes nous parviennent et qu’il faille s’y arrêter, les accueillir, en prendre note et se mettre en mode action.
C'est aussi ce que dit le poème de l'ami Jean Duguay.
À la prochaine
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