lundi 21 juillet 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (25)

 

 

 

le bruit des pas feutrés...

 

le bruit des pas feutrés traverse la pièce
l’écho sur les murs
c’est ce que nous entendons
 
le bruit feutré des pas
c’est seulement à cause de l’écho
que nous l’entendons
 
sans écho…        pas de bruit
sans pas…           pas de pièce
sans pièce…       pas de bruit
 
et nous nous réunirons à mille
à mille et un
afin que saccadent  nos bruits de pas
feutrés dans une même pièce
 
huit tambours majeurs pour chaque coin
retentissant du plus formidable silence
celui de ceux qui n’ont rien à dire
de ceux qui ont tout dit
ne craignent plus les rabâchages
mille fois mille et une fois repiqués
sur les vagues de l’histoire
 
et que feront les vents de la liberté    
et que feront les vents de l’espoir
les vents d’ailleurs qu’ici nous avons reçus

les capteurs de vents
les récepteurs d’envies
s’abreuveront-ils aux sons des tambours…
craindront-ils les avis taciturnes des castrateurs…
mêleront-ils leurs voix enrouées à celles des stentors…
 
ou se perdront-ils dans l’écho des tambours
dans l’écho qui n’aura pas su réfléchir  
le bruit feutré des pas 
traversant une pièce
toujours vide
 
7 octobre 2012
441


                                          l’automne pleut

 
l’automne pleut des larmes couperosées 
elles roulent des arbres, rouillent le sol tiède
 
flaques d’eau devenues miroirs pour oiseaux de passage
 
l’automne pleut le chaud et le froid  
que la nuit démolit à coups de brouillard
 
masques diaphanes pour sentiers nuiteux
 
l’automne pleut sur les vitres embuées 
des enfants les maquillent rêvant de neige
 
au cœur du pays endormi les fantômes réveillent nos hantises
 
l’automne pleut de l’oubli sur nos souvenirs enfouis 
les feuilles mortes s’amoncellent sous la nostalgie
et
frileusement l’automne neige des couleurs pourpres
qui fondent aux pieds des enfants chagrinés
ensevelissant leurs légendes d’été
 
 
28 octobre 2012
443


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Ces deux poèmes sont les derniers de l'an 2012, écrits à mon premier retour du Vietnam.

Les suivants - 2013 et après - seront davantage teintés de l'atmosphère saigonnaise.

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mercredi 16 juillet 2025

ROMPRE LE SILENCE... de Nathan

                     


DEUX MOTS EN PASSANT, QUESTION DE ROMPRE 
LE SILENCE ENTOURANT NATHAN...


LE CRAPAUD ACHÈVE LA CORRECTION DES BILLETS 
QUI CONTIENNENT LA PREMIÈRE PARTIE 
DE L'HISTOIRE DE NATHAN.


POUR CEUX ET CELLES QUI SOUHAITENT 
S'Y REMETTRE, APPRÉCIER LES CORRECTIONS QUI, 
JE L'AVOUE BIEN HUMBLEMENT, 
DONNENT AU TEXTE UNE AUTRE DIMENSION, 


EH BIEN ! JE VOUS INVITE À TAPER :

SI  NATHAN  AVAIT  SU...  (1)  REVU  ET  CORRIGÉ
                   
ET SUIVANTS.

POUR CE QUI EST DE LA SUITE, 
LA 2E PARTIE, 
ÇA IRA EN AOÛT PROCHAIN.




jeudi 10 juillet 2025

Puisque vous me le demandez... encore !

Le Crapaud  a cessé depuis des lustres de numéroter les billets qu'il dépose sur son blogue, ce qu'il faisait depuis le début en 2005 - bientôt 20 ans, en septembre, le 5 pour être précis  - pour les grouper selon une thématique particulière, mais je remarque qu'ouvrir mes cahiers de lecture afin de vous présenter des citations provenant de mes auteurs favoris est fort apprécié. En voici quelques unes pour meubler ce beau juillet 2025.


 

 

. L’instruction n’a d’autre raison d’être que de nous prouver que la connaissance dont nous rêvons tant ne peut s’obtenir.
Anthony Burgess

 
. Il paraît que l’intelligence se mesure à la quantité d’incertitudes qu’un esprit peut supporter.
Philippe Labro


. Il se peut que quelque chose de fondamental nous échappe dans le domaine de la conscience et du fonctionnement cérébral.
Professeur Jean-Bernard

 
. Si j’ai perdu la mémoire à l’âge adulte, c’est peut-être que déjà très jeune, je n’avais plus confiance en la réalité.
Frédéric Beigbeder


La mémoire, quand elle explose, ne connaît pas de retenue, mais elle s’alourdit aussi de tous les efforts qu’on fait pour la refouler, la maîtriser.
Boa Ninh


. Les enfants regardent dans le futur, la vieillesse dans le passé alors que les ancêtres vivaient dans le présent.
Boucar Diouf


. Le brouillard nous maintenait dans un état de confiance. On ne voyait rien des gouffres. C’était préférable. L’homme ne ferme-t-il pas les yeux devant le danger ? Allégorie politique : les princes cultivent la cécité générale pour éviter les paniques ! Le brouillard est un brouillage. Yvan Tourguiviev  aux frères Goncourt : “.. Pour nous autres, le brouillard slave a quelque chose de bon... il a le mérite de nous dérober à la logique de nos idées... chez moi, l’idée de la mort disparaît.” Après tout, s’épargner les inquiétudes en demeurant des œillères n’avait rien d’absurde. Les romans, la foi, l’amour et les campagnes électorales : nous vivions tous dans les chimères. C’était cela aussi la traversée du Blanc : danser au bord du vertige en prenant soin de ne pas regarder derrière les parapets. Aujourd’hui Du Lac et moi nous nous félicitions de ne rien savoir des gueules entre lesquelles nous slalomions.
SylvainTesson


. L’avenir est de toute façon porteur de mort, le passé aussi, seul l’instant présent porte la vie, comme un grain de raisin porte le soleil et l’ivresse.
Amin Malouf


. Il y a tant de manières d’envisager la réalité et le point de vue de chacun définit ce qu’il abrite en son for intérieur. Dites-moi comment vous voyez le monde, je vous dirai qui vous êtes.
Jon Kalman Stefansson


. Qui sommes-nous ? Ce qui a été déposé en nous, désirs, espoirs, frousses, envols, dégringolades, recommencements.
Robert Lalonde

. Si les générations se renouvelaient comme le feuillage des forêts, si elles s’éteignaient l’une après l’autre comme le chant des oiseaux dans les bois, traversaient le monde, comme le navire, l’océan, ou le vent, le désert, acte aveugle et stérile; si l’éternel oubli toujours affamé ne trouvait pas de puissance assez forte pour lui arracher la proie qu’il épie, quelle vanité et quelle désolation serait la vie !
Kierkegaard




lundi 7 juillet 2025

LES SENTIERS DE NEIGE, de Kev Lambert

 


Je me suis royalement ennuyé à la lecture de QUE NOTRE JOIE DEMEURE de Kev Lambert, l’auteur de celui-ci LES ENTIERS DE NEIGE qui, à l’opposé, m’a entièrement ravi. Je questionnais mon for intérieur sur mes aptitudes à  bien lire, bien décoder un roman alors que les prix tombaient sur ce roman archi-textural autant de ce côté de l’Atlantique que de l’autre. Toujours je donne à l’auteur cinquante pages pour me retenir ou le remercier lui disant à une autre fois…

Une amie ayant difficilement traversé la limite que je m’impose avant de choisir de continuer ou d’arrêter, me dit : «Pu capabe. Le veux-tu ? Moi j’arrête. » Je ne dis jamais non à un livre surtout si l’auteur(e) est québécois (e). 

J’entreprends la lecture pour tout de suite tomber sous le charme. Voguant au rythme d’une centaine de pages par jour, je traverse ce qui me rappelle le continent Réjean-Ducharme en raison des personnages, ceux des enfants essentiellement : Émie-Anne et Zoey. Des vrais prénoms pas comme Ducharme. Des enfants d’à peine 8/9 ans, un peu comme chez l’auteur de L’avalée des avalés. Aussi rebelles, un peu moins peut-être, mais aussi accrochés à une réalité qu'ils se forgent. Leur propre réalité. Nous, les adultes, on dirait que tout ça c’est de l’imaginaire enfantin. Point final. Ça va passer comme la neige fond au printemps. Mais l’hiver c'est long et il en tombe de la neige. Ça se ramasse en tas devant la maison. Ça invite à y creuser des tunnels. Oui, mais nous, les adultes, on n’y voit que les dangers possibles. Les enfants y découvrent des mondes.

Puis, j’aborde le continent Marie-Claire-Blais en raison des monstres. Ici, ils sont issus des jeux électroniques (ex. Zelda) activés par je ne sais trop quel Playmobil. C’est vrai que nous sommes avec Lambert en 2004, fin 2004, à la porte de 2005. Période des Fêtes de Noël et du Jour de l’An. Fêtes familiales quelque part au Lac Saint-Jean, tout près de Dolbeau. Puis à Québec. Les lieux importent peu puisque la magie se téléporte sans problème. Ne faut que de la neige. En masse. Les monstres ont des noms bioniques, cybernétiques, difficiles à prononcer, à y découvrir un sens caché, ce qui importe très peu à nos deux cousins - on pourrait ici écrire… cousines, mais ça sera peut-être pour plus tard… après les Rois - qui cherchent à rejoindre Skyd pour le délivrer d’un masque qui le conduit lamentablement vers une mort certaine. Skyd (mot danois qui signifie «ciel» et «tirer». Mais ce bizarre, très bizarre personnage de jeu électronique est déjà apparu à l’école de Zoey, alors que celui-ci découvre son Dôme… Sauf que Skyd doit être tiré non pas du ciel mais de sous-sols regorgeant de tout ce qu’on peut imaginer et que Lambert nous garroche en pleine face comme si depuis des lunes - non pas celle qui s’apprête à s’écraser sur la terre si on lui donne un petit coup de pouce - nous soyons hyper familiers avec ce monde des jeux électroniques où l’on doit s’évader une fois qu’on s’y est fait prendre, que l’on doit découvrir je ne sais trop combien de clés magiques ouvrant des portes camouflées dans les murs.

Je ne vous raconte pas l’histoire que certains décriront comme étant tordue, évitant le plaisir de lire un conte d’hiver devenant page après page un roman sur l’imaginaire enfantin oui, mais principalement sur la véritable identité. L’auteur nous amène doucement, je dirais délicatement, vers la problématique qui envahit Zoey, à savoir s’il est «il» ou «elle». Il y parvient par des descriptions tout à fait grandioses illustrant l’inconfort d’être exactement là où on ne doit pas être, que les modèles offerts, parfois de manière caricaturale, ne correspondent pas à ce qui grouille en-dedans de soi comme une bibitte kafkéenne vous dévorant chaque jour de plus en plus.

Est-ce un conte sur la réalité trans-genre ? Je ne crois pas, mais un roman qui interroge la genèse de l’implantation de l’identité chez l’enfant. Les conflits qui surgissent autant entre parents, enseignants, en fin de compte tout le système des valeurs qui cherche à socialiser l’enfant à partir de stéréotypes fortement incrustés dans la famille, à l’école. Tout, ici, n’est pas bousculé, mais plutôt questionné adéquatement.

LES SENTIERS DE NEIGE est un roman fort bien écrit, il me réconcilie avec un auteur que j’ai un peu trop rapidement évacué de mon palmarès. Je compte bien y remédier... avant la fin de mon enfance.




Kev LAMBERT

dimanche 6 juillet 2025

Si Nathan avait su (41) TIRÉ À PART

 


Tiré à part


Lorsqu’à partir d’un texte qui répondait au défi que nous nous étions donné mon frère Pierre et ma belle-sœur Claire, à savoir d’écrire sur un thème précis dans le cadre de notre activité appelée «Otium», j’avais proposé SI NATHAN AVAIT SU. Cette courte histoire aurait très bien demeurer là, mais elle a germé dans mon imaginaire m’incitant à lui donner une suite, un continuum. Je me suis donc lancé tête première dans ce qui, aujourd’hui, arrive à la fin de sa première partie.
 
Un verre de Morgon en main, de l’autre un tapotement sur les touches du clavier, voici qu’à la première semaine de juillet 2025 - la première partie est arrivée sur le blogue le 27 juillet 2024 - j’en suis à une période essentielle dans tout travail un tant soit peu littéraire, celle de la correction.
 
Avant d’entreprendre la deuxième partie - un prologue la lancera - je dois absolument tout revoir, tout relire afin de corriger les erreurs qui s’y sont glissées, les coquilles ou encore les méprises s’étant malencontreusement installées autour des personnages ou des événements.
 
Rappelons le décor : nous sommes en 1975, dans un Québec se relevant à peine de la crise d’octobre ‘70, à l’aube de l’arrivée au pouvoir - le 15 novembre 1976 - du Parti Québécois dont le but ultime est de mener le Québec à la souveraineté.
 
Époque charnière s’il en est une dans l’histoire nationale de cette province qui fut à quelques points de pourcentage de parvenir à son indépendance politique, mais profondément déchirée entre les tenants du OUI et ceux du NON, entre cette volonté d’arriver à contrôler son propre avenir. Les familles, comme jamais auparavant, sont brisées, à la limite de la discorde voire de la zizanie.
 
L’urbain et le rural dans un face-à-face de plus en plus appuyé s’accusent d’une part de freiner l’évolution de la société - de moins en moins hiératique - vers la modernité ou de s’éloigner des valeurs traditionnelles qui depuis la bataille des Plaines d’Abraham ont fait que cette province, difficilement, cruellement même, réussit tant bien que mal à se maintenir à flot.
 
Le village des Saints-Innocents, là où se déroule la majeure partie des intrigues, se voit bousculé par des problématiques nouvelles - l’arrivée et l’installation de nouveaux venus, qu’ils soient autochtones ontariens, le retour d’un fils hippie accompagné de sa conjointe qui s’émerveille face à un fiston amoureux de poésie, d’une enseignante doctorante qui frisonne devant l’organisation scolaire de sa première école où l’application du Rapport Parent sur l’éducation au Québec résiste comme les bons vieux gaulois d’Astérix et Obélix aux élans pédagogiques contemporains - problématiques nouvelles qui, indirectement, réveilleront de vieux stigmates ayant perturbé la vie des villageois à une certaine époque et dont les fantômes semblent resurgir des cicatrices qu’ils ont imprimées sur la collectivité.
 
Au centre de cette histoire des personnages importants - le seront-ils toujours en deuxième partie ? - certains encore énigmatiques, d’autres devenus acteurs importants et qui, c’est certainement le sentiment qui les animera au fur et à mesure que parleront, étrangement, les murs d’un silence enfoui au plus profond des âmes, mais dont les turpitudes lentement suinteront.

 

J’ai tenté de conserver un certain rythme dans la publication sur le blogue - 41 billets en près de 52 semaines. Je compte maintenir la cadence et cela dès le mois d’août prochain alors que s’enclenchera la deuxième partie de SI NATHAN AVAIT SU
 
À bientôt et merci de l’intérêt que vous portez à cette histoire.

 
PS        Non, il n’est absolument pas question que je parte à la recherche d’un éditeur pour ce qui devient de plus en plus un roman.

LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON qui soulignera ses 20 ans de présence sur Blogger en septembre prochain demeura l’unique écrin dans lequel ces épisodes seront déposées.



vendredi 4 juillet 2025

Si Nathan avait su (40)






Don ne cesse de marcher de long en large dans la cuisine de la maison, sa femme assise devant une table circulaire. S’arrêtant il annonce:
- Je me rends chez Daniel et Jésabelle, leur demander s’ils peuvent jeter un œil de temps en temps sur vous qui resterez ici pendant mon voyage.
- Tu nous laisses en compagnie de ta mère ?
- Non, elle m’accompagne.

Un cri démoniaque traverse la porte de la chambre du rez-de-chaussée, là où l’ancêtre grand-mère semble tenue captive depuis la découverte par son fils de la flèche assassine sur le flanc du coyote qui s’acclimatait de plus en plus à leur environnement. La bête sauvage n'était pas devenue une amie d'Ojibwée qui s'en tenait éloignée, la laissant toutefois traverser sans réagir la cour familiale en chemin vers le cimetière où repose l’ancêtre grand-père.

- Est-ce nécessaire de garder la porte barrée ? demande la femme sans nom qui tient deux mains plaquées sur son ventre gonflé.
- Oui, jusqu’à ce que je parte, demain matin.
- Elle reviendra de ce voyage ?
- On sait toujours quand on part mais jamais quand on revient, répondit Don qui enveloppait la flèche maudite dans un tissu que sa famille avait préservé de l'ensevelissement de l’ancêtre grand-père.
- La nouvelle année approche…
- Je sais ma femme, mais cette fois tu n’iras pas à Sault-Sainte-Marie. Notre deuxième fille t’en empêche. Je vois que c’est difficile pour toi, surtout sans aide de ma mère.
- Elle me déteste.

 

Ce fut les dernières paroles qu’ils échangèrent avant que Don referme derrière lui la porte de la maison laissant pénétrer un courant d'air froid et sec poussant la femme enceinte à s’entourer d’un chandail de laine. Il s’installe dans la camionnette en route vers l’autre rang sans nom, sans numéro, sans asphalte... et sans entretien. Il aurait très bien pu s’y rendre en traversant le boisé commun, muni de raquettes, mais depuis qu’il a enterré le coyote, il le considère comme profane ; pour un oji-cri chez qui l’aspect spirituel de la vie est essentiel, cela signifie beaucoup.

Le soleil du jour permet à la neige de fondre légèrement, rendant ainsi la route facilement praticable. Quelques minutes plus tard Don stationne dans la cour de la famille de Benjamin, au passage il caresse Walden qui profite de la température idéale pour rester dehors.

- Salut Don, tu prends un café, lança un Daniel fort heureux de cette visite impromptue.
- Avec plaisir, mais ce n’est pas le but de ma venue chez toi et ta famille.
- On entre pour jaser.

Les deux hommes s’installent dans la grande pièce que Don voit pour une première fois. Jésabelle, à pas feutrés, les rejoint une théière en main. « Je n'ai pas de café que de la tisane, dit-elle.

- Sans souci. J’ai un important service à vous demander.
- Vas-y Don, à moins que ce ne soit pas de notre ressort nous pourrons certainement t’être utiles.
- Je pars demain matin pour l’Ontario. Avec ma mère. Pourriez-vous garder un œil sur ma femme et Chelle durant mon absence ? Deux ou trois jours au maximum.
- Ça sera avec plaisir, répondit Jésabelle voyant là une superbe occasion pour Benjamin d’inviter son amie et pour elle d’entrer en contact avec cette femme énigmatique qui, une fois seule, pourrait peut-être s’ouvrir un peu. Était-il à propos de s’informer si un lien direct ou indirect pouvait s’établir entre ce voyage et l’affaire de la flèche perdue puis retrouvée ? À peine avancée sur cette piste que déjà Don entreprend le récit de l’histoire dont les parents de Benjamin avaient connaissance, du moins en partie.

Il aura fallu au moins quatre tasses de tisane avant que tous les faits leur furent exposés. Avant d'entrer dans l’interprétation de ceux-ci, Don crut nécessaire d’ajouter quelques éléments qui, selon lui, ne dédouanaient personne, n’accusaient personne non plus, mais permettaient tout au moins d’expliquer les raisons de ce départ improvisé vers l’Ontario.

- Chacune des tribus amérindiennes se caractérisent par divers éléments. Pour nous les ojis-cris, je ne crois pas me tromper en mentionnant deux principes importants : notre côté spirituel et des mœurs que vous les Blancs ne pourriez accepter, je parle au niveau culturel. Que nous ayons, à sa demande d’ailleurs, incinéré nous-mêmes mon père et enterré dans le petit bois en face de chez-nous, endroit que j’appelle le cimetière, sous un bouleau blanc, est une coutume qui lentement disparaît, mais  demeure primordiale chez les ancêtres. Ma mère, celle qui part avec moi demain, tient beaucoup à cette tradition, exigeant même qu’à son décès, on l’incinère et la dépose dos à son mari. Lorsque le coyote, celui qu’on vient de découvrir mort, une flèche plantée dans la cuisse, mort au bout de son sang tout juste à côté du bouleau blanc sous lequel mon père dort à jamais, lorsque pour la première fois il a traversé notre cour après avoir contourné le tipi, ne pas avoir été poursuivi par Ojibwée, ma mère y a vu un signe. On peut ignorer les signes qui apparaissent à nos yeux prétextant ne pas les avoir vus, mais pour nous ils sont révélateurs, on doit les entendre, les interpréter puis agir en conséquence. C’est surtout vrai pour les anciens de certaines familles ojibwées. Mes deux parents y sont attachés pour une simple raison, ma mère. Lorsque mon père Gordon a décidé de quitter Sault-Sainte-Marie pour s’établir ici, ma mère a changé du tout au tout. D’abord elle n’a plus accepté son mari dans le lit conjugal. Elle s’est immédiatement donné pour mission celle de perpétuer les traditions ojibwées, mais à chaque fois que cela menait à un désaccord, mon père la plaçait en retrait, l'isolait dans la chambre du rez-de-chaussée. Elle connaît cette pièce, vous ne pouvez pas imaginer à quel point. Une autre crise s’est présentée lorsque mon père m’a envoyé à Sault-Sainte-Marie afin de rencontrer la jeune fille qui allait, au grand désespoir de ma mère, devenir mon épouse. La famille de ..., vous savez qu’une tradition veut que l’épouse d’un oji-cri change son prénom pour en adopter un nouveau à la suite d’un deuxième accouchement, pour ma femme ça sera en avril prochain, sa famille que je situerais parmi celles les mieux adaptées à la vie avec les Blancs. Vous comprenez alors la rage de ma mère. Revenus de notre pays natal, presque tout de suite, ma femme se prépare à la naissance de Chelle. Toute la grossesse aura été un ensemble de moments que je pourrais définir comme… contre nature. En plus de ne recevoir aucune aide, ma femme subissait les remontrances quotidiennes de sa belle-mère, remontrances tellement outrageantes que cela affecta mon père sur qui une maladie après l'autre s'abattait, maladies attribuées selon ma mère à la civilisation blanche. Imaginez un instant sa stupeur lorsque j’ai décidé que notre fille allait naître à l’hôpital des Blancs. Une époque au cours de laquelle je faisais tout pour favoriser notre intégration dans la région, encouragé par mon paternel qui faiblissait de mois en mois. Il n’était pas question qu’un médecin approche son mari, de sorte qu’elle prit en charge sa santé… malheureusement ça n’a donné que du pire. À la naissance de Chelle, ma femme fit une dépression que ma mère qualifia de vengeance de la part des esprits ojibwés. Elle s’est intéressé à Chelle une fois qu’elle dut admettre que notre fille survivrait à tous les maléfices reçus des esprits du Mal qui, c’est bizarre mais c’est ce que je pense, semblaient être guidés par les invocations de ma mère. Rien de négatif ne s’est produit jusqu’à…

Don reprit son souffle. Ses yeux plissaient, à la limite de la crainte et de la libération apportée par la parole. Son public manifestait un intégral respect, une écoute sans reproche. Se tissaient entre les trois adultes, tout comme ce fut le cas lors du souper avec Abigaelle, un lien très fort, une chaîne se solidifiant confidence après confidence.

- La deuxième grossesse est aussi pénible sinon davantage que la première pour mon épouse qui aura, en plus, à choisir un nouveau nom qu’elle portera jusqu’à la fin de ses jours. Elle a avancé cette suggestion : Aanzheni. On peut traduire par «Ange». Ce qu’elle est réellement. Supporter ce qu’elle subit quand je suis absent relève d’une force intérieure formidable. Ce qui augmente ses fatigues, c’est l’influence que ma mère cherche à imposer sur le cerveau de notre fille. On doit continuellement rectifier le tir. Ça épuise. Mais vous vous demandez certainement pourquoi je pars avec elle pour l’Ontario, si cela a un rapport avec l’histoire de la flèche criminelle. Eh bien ! oui. Et de très près.  Les accusations sans preuves que la population du village alimente à mon égard, puisque personne ne chasse à l’arc, donc pas de flèches, alors on se retourne vers la seule personne qui pourrait en faire usage. Moi. J’ai expliqué au responsable régional du ministère que je n’avais rien à voir avec cette affaire et qu’on devait poursuivre l’enquête. Ce à quoi il m’a répondu que l’histoire de l’ours, bien qu’elle pourrait avoir indirectement occasionné le décès de Monsieur le curé, semblait maintenant évaporée de l’esprit des gens et qu’il comptait investiguer sans trop y consacrer beaucoup de son temps. Par la même occasion je lui ai demandé trois jours de congé pour que je conduise ma mère dans sa tribu en Ontario, sans santé déclinant. Je mentais, mais je savais exactement que c’est cela que je devais faire. Il m’a souhaité bon voyage, rappelant que le temps des trappeurs commençait exigeant une présence accrue de la part d’un garde- forestier responsable. Ça sera demain le départ. La fameuse flèche sera du voyage. Je crois savoir sans aucun doute à quelle famille elle appartient…







FIN   DE   LA   PARTIE  1

mardi 1 juillet 2025

Si Nathan avait su (39)

 


L’hiver s’installera officiellement dans quelques jours, autour du 21 décembre. Pourtant, déjà, les champs débordent de neige, les branches des arbres, sans plier, en auront reçu plein la gueule hier et, un peu pour se faire pardonner, le vent fait une pause ce matin, laissant  au soleil le bonheur de recevoir tous les commentaires flatteurs.

L’employé municipal, levé tôt pour vérifier si son travail de la veille nécessitait une retouche, remarqua qu’un véhicule avait patiné à l’entrée du village, en provenance du rang menant chez Daniel et Jésabelle. Redoutant qu'une perte de contrôle en fut la cause, il examine tout autour, ne remarque rien de particulier, seulement un léger affaissement d’un congère qui dut certainement servir de rempart au malheureux conducteur. Comme il avait passé une bonne partie de sa journée à déblayer la rue Principale, l’employé, en direction de la résidence de Monsieur le maire, s’attend à ce qu’il reçoive son congé afin de reprendre les heures supplémentaires travaillées, sachant fort bien que le magistrat préfère le payer en remise de temps plutôt qu’en argent. « Tu vérifies si tout est correct à l’église, puis on se revoit demain» lui dit le maire un peu surpris par les propos de son employé qui racontait la glissade d’un véhicule probablement survenue après le souper, pas trop tard dans la soirée, mais après ses heures de travail, c'est certain. « Je me doute que…» continue Nicéphore Cloutier, l’oncle de Daniel «… ça serait la camionnette bleue.» Monsieur le maire le réprimande sévèrement précisant qu’on ne peut accuser quelqu’un sans preuve justificative. «Ouain… en tout cas, c’est ce que je pense...» ajouta-t-il avant de quitter les lieux pour se rendre à l’église, ne comprenant pas tout à fait la raison de poursuivre son travail à cet endroit du moment que la paroisse venait d’être informée qu’aucune activité n’y était prévue d’ici la nomination du prochain curé, quelque part vers la fin du mois de janvier.
 
**********
 
Pour une rare fois, Jésabelle surveillait par la fenêtre de la cuisine l’arrivée du bus scolaire devant conduire Benjamin à l’école. Le jour, plus lumineux que jamais, s’annonce important pour son fils qui monte fièrement dans le grand véhicule jaune, salue poliment le chauffeur qui semble un peu embarrassé d'avoir manqué à sa responsabilité, laissant à eux-mêmes deux enfants dans la cour d’école. «Vous êtes bien revenus à la maison, hier ?   Ce à quoi Benjamin dans un sourire aussi radieux que le jour répondit « Mademoiselle Abigaelle est venue nous reconduire. Elle est même restée à souper à la maison.» Cela sembla soulager la conscience de Monsieur Clotaire laissant flotter devant lui une traînée blanche que la fumée de sa pipe dégageait.
 
Les pistes tracées par les pneus des véhicules de Daniel et Abigaelle ne se sont pas élargies, mais elles permettent tout de même au bus de se déplacer dans les deux rangs que depuis toujours Monsieur Clotaire déteste au plus haut point. Certains disent qu’il aurait menacé de démissionner si on ne trouvait pas un autre moyen pour transporter ces deux enfants - dire que c’est seulement depuis quatre mois que ce trajet lui est imposé - mais comme plusieurs hommes à la retraite se sont dits prêts à prendre la relève, il se soumet à cette réalité.
 
Benjamin, assis sur le bout de son siège, appréhende la route craignant que le chauffeur refuse d’emprunter le rang menant à la maison de Chelle. C’est lent, très lent, mais on s’approche. Au loin, il voit à l’entrée de son abri le parka bleu de son amie. Il ne peut retenir un soupir de soulagement qu’interpète Monsieur Clotaire comme un reproche lui étant adressé. « Elle est là ta petite amie. »
 
Chelle monte, se dirige vers le même siège qu’elle et Benjamin partagent tous les jours, s’assoit et déclare de manière presque solennelle « Je préfère la mini-van de Mademoiselle Abigaelle que ce bus qui sent le tabac à pipe. Au moins mon père, quand il roule ses cigarettes, il le fait dehors, même en hiver.»
 
Les deux enfants se regardent comme s'ils revenaient d'un voyage interminable. Dans la figure de Chelle une pointe de jalousie se dessine lorsque son ami lui annonce que leur éducatrice est demeurée à la maison pour souper. « Chanceux ! Est-ce que tu leur as raconté mon histoire ? »   Benjamin, petit sourire narquois aux lèvres, lui dit qu’il n’a pu raconter que la partie qu’il connaissait. «Comme ça Mademoiselle Abigaelle est au courant. »
 
Avec toute la candeur d’une enfant de cinq ans, Chelle poursuit le récit de ce qu’on pourrait appeler «la confession de Don».
 
- Ce qui embarrassait mon père c’était cette flèche plantée à la cuisse de l’ours puis sur celle du coyote. Il se posait une question : pourquoi a-t-elle disparue puis réapparue ? J’ai compris que pour lui il n’y avait pas deux mais une seule flèche, la même ayant blessé et fait mourir l’ours puis le coyote. Les deux blessures mortelles portées à la cuisse. Lorsqu’il est allé dans notre petit bois après que maman lui ait annoncé ce que nous avions découvert à cause de l’énervement de Ojibwée, il m’a dit avoir enterré le coyote tout juste à côté de mon grand-père l’ancêtre et être revenu avec la flèche dans sa main. Maman l’attendait à la porte de la maison, grand-maman demeurait toujours dans sa chambre. Je me souviens qu'une odeur d’encens passait à travers la porte. Pas très agréable à sentir. Papa est rentré, a déposé la flèche maudite sur la table de cuisine et a demandé à ma mère si elle la reconnaissait. Moi, à ce moment-là, j’étais dans ma chambre à l’étage. On m’avait demandé de ne pas bouger, d’attendre l’heure du souper pour descendre. J’ai mal entendu maman parler, mais papa me l’a dit quand nous étions assis sur les marches de l’escalier et qu’il mettait fin à son pesant silence. Elle a dit que la flèche est ojibwée. Sa famille qui demeure en Ontario en a beaucoup des pareilles. Papa a répondu que pour le moment, cette affaire de coyote ne devait pas être ébruitée, que maman devait m’informer de ce qu’il a appelé un «ordre». Donc, la flèche est à la maison, cachée je ne sais pas où et qu’on ne doit jamais dire un mot à son sujet. Je ne sais pas si mon papa a aussi prévenu grand-mère, mais chose certaine, je ne la vois presque plus, mais je sens encore son encens qui pue.
 
Alors que le bus ralentit pour entrer dans la cour d’école, que déjà tous les élèves sont en rang devant leurs professeurs et qu’un silence règne partout, Chelle et Benjamin descendent, remerciant Monsieur Clotaire qui ne sait trop si cela est une boutade ou une politesse. « Soyez sans crainte je serai là en fin d’après-midi.»
 
Madame Saint-Gelais, immobile dans l’encadrement de la porte d’entrée de l’école, une cloche en main, examine son troupeau, cherchant à y découvrir des absents, lorsqu’elle aperçoit, enfin, les deux retardataires. Elle annonce de manière pompeuse et combien autoritaire : « Avec la neige qui est maintenant arrivée dans la cour, je vous rappelle l’interdiction formelle de lancer des balles. Souvenez-vous, il y a trois ans, lorsqu’un élève ayant caché un caillou à l’intérieur d’une balle de neige l’avait lancée vers un groupe qui ne s’y attendait pas et atteint la petite Josiane. Elle doit porter depuis ce temps-là un cache-oeil. Il n’est pas question qu’une telle situation se produise à nouveau. On va entrer maintenant.»
 
Par ordre de grandeur... par la qualité du silence dans les rangs... par la distance tenue entre chacun des élèves... par une série de critères dont seule disposait la directrice de l’école, Madame Saint-Gelais nommait un groupe puis un autre les autorisant ainsi à entrer, tête baissée comme s'ils saluaient un général des armées de terre, de l'air et de mer. 

La classe maternelle… en dernier lieu, bien entendu.


Projet entre nostalgie et fantaisie... (25)

      le bru it des pas  feutrés...   le bruit des pas feutrés traverse la pièce l’écho sur les murs c’est ce que nous entendons   le bruit ...