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Bizarrement... c’est ainsi que Nathan ressent les choses qui l’envahissent depuis sa lecture des deux lettres. En si peu de temps, trop d’événements l’ont bousculé : la séparation impromptue d’avec Isabelle et le déménagement qui s’en suivit - il n’avait pas eu à beaucoup chercher, l’appartement au-dessus de celui qu’il partageait avec elle s’était libéré et il s’y installa - son court voyage dans le village de ses parents, la rencontre dans le bus d’une vieille dame qui lui remit la carte professionnelle d’un groupe de rencontre, puis ce livre au beau milieu duquel se cachait une enveloppe postale contenant la lettre de James à Gabrielle - un père à sa fille. Ce paragraphe tiré du livre de Virginia Woolf dans lequel on parlait de paysage à l’intérieur de soi qu’il lui fallait découvrir, identifier puis tâcher d’établir une palpable unicité avec la réalité que nous dévoile le monde extérieur. Tout cela relevait presque de la science-fiction pour lui dont l’intérêt a toujours résidé dans le fait de n’être jamais surpris par la forme d’un geste résultant d’une action/réaction, et pour utiliser un terme se rapprochant de l’électromécanique, le on/off. Le paragraphe qu’il pouvait maintenant réciter par coeur sans avoir recours au texte, sans être en mesure de se l’expliquer, l’invitait à réfléchir. Les cours de philosophie suivis au CEGEP ne l’ont jamais captivé et les inévitables analyses de textes des cours de Français, Isabelle les rédigeait pour lui. - Nathan, tu es paresseux, lui disait-elle. Tu devrais te fixer un objectif : lire ce que le prof de philo nous propose et prendre le temps de traverser au moins un livre, à l’occasion. Tiens ! Je te donne un truc : associe les deux. Je te suggère, LES RÊVERIES DU PROMENEUR SOLITAIRE de l’écrivain et philosophe Jean-Jacques Rousseau, ainsi tu couvriras deux matières. Tu le trouveras à la bibliothèque, pas besoin de l’acheter. Ce fut pénible pour lui de déchiffrer ce bouquin inachevé, tellement à l’opposé des revues de mécanique qu’il dévorait sans jamais se lasser. La langue d’un autre siècle contrariait sa compréhension, l’obligeant à pianoter sur son portable afin de saisir le sens des mots qu’il découvrait au fil de sa lecture. C’est vers cette expérience (pénible, n’en doutons pas) que les événements récents l’engagèrent. Se promener. Marcher sans un autre but que celui de flâner. Peut-être tenter de connecter l’extérieur montréalais à cette abstraction que représente son intérieur. « Je vois très bien les effets externes de l’électricité, mais il m’est impossible d’entrer à l’intérieur de cette énergie produite par le déplacement de particules. Si comme Rousseau, marchant, flânant, je pouvais en arriver à suffisamment intérioriser et percevoir ce fameux paysage, y repérer du réel, j’arriverais peut-être à l’énoncer de manière compréhensible.» Est-ce pour l’expérience ou l’aventure que Nathan se lança dans ce que Rousseau appelait “la nécessité qui commande” ? Il savait que les derniers chambardements ne pouvaient être attribués qu’au hasard. Il devait s’y mettre. Dès maintenant.
Sa première flânerie
C’est ici que s’arrêtent les lamentations de Nathan. Jérémiades. Gémissements. Dans le fond, nous savons tous que les histoires des autres ne nous intéressent trop peu. Ne nous concernent que superficiellement. Par voyeurisme, on peut s’y attarder quelques instants, quelques pages, mais rapidement on revient à nos affaires, celles qui n’intéressent personne et que souvent on ne saisit totalement ni la profondeur ni la superficialité. Bien sûr que dans le cahier qu’il remplissait à ce moment, celui que l’on qualifierait de «réflectif», on peut y repérer, noircies sur plusieurs pages, quelques réflexions teintées des actualités qu’il vivait, mais il aura fallu se rendre plus loin, beaucoup plus loin, pour y trouver une flânerie différente des autres, plus intime, moins influencée par le raccourci des lieux communs, ceux que l’on entend de la bouche des gens qui vivent un abandon. Il faut un certain temps - et l’attendre semble exigeant - pour arriver au coeur de la situation qui en fait se trouve en nous. Oui, le groupe de soutien auquel participe Nathan lui permet, tout doucement avouons-le, à franchir la frontière entre l’extérieur et l’intérieur. Revenons à une page écrite à la fin de l’hiver que je me suis autorisé à recomposer, page qui se distinguait de celles qui tentèrent de scruter - sans y arriver, je crois - à son fameux paysage intérieur. Les suivantes portaient toutes le même titre : flânerie. De la première, celle dans laquelle je me permets d’en ajouter une autre - la redondance manifeste qu’on retrouve dans «flânerie 1, 2, 3 etc » ne semble aucunement faire avancer sa réflexion - d’un court centimètre. Il a certainement réalisé la chose et de là découla la décision de ne plus se présenter aux réunions du groupe de soutien. Nous sommes, dans l’extrait qui suit, vers la fin de l’hiver, le dernier avant que le narrateur prenne le relais dans le récit de son histoire.
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