vendredi 20 septembre 2024

Si Nathan avait su... (7) Revu et corrigé





Soyez sans crainte, nous n’entrerons pas dans un récit d’aventures, encore moins dans du fantastique. J’essaie seulement de suivre un personnage créé pour une autre circonstance, lui permettre d’évoluer - si cela est possible - sur une route qui lui semble, jusqu’à maintenant, obscure.
 
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Bizarrement... c’est ainsi que Nathan ressent les choses qui l’envahissent depuis sa lecture des deux lettres. En si peu de temps, trop d’événements l’ont bousculé : la séparation impromptue d’avec Isabelle et le déménagement qui s’en suivit - il n’avait pas eu à beaucoup chercher, l’appartement au-dessus de celui qu’il partageait avec elle s’était libéré et il s’y installa - son court voyage dans le village des Saints-Innocents, la rencontre dans le bus d’une dame âgée qui lui remit la carte professionnelle d’un groupe de rencontre, puis ce livre au beau milieu duquel se cachait une enveloppe postale contenant la lettre de James à Gabrielle - un père à sa fille. Ce paragraphe tiré du livre de Virginia Woolf dans lequel on parlait de paysage à l’intérieur de soi qu’il lui fallait découvrir, identifier puis tâcher d’établir une palpable unicité avec la réalité que nous dévoile le monde extérieur. Tout cela relevait presque de la science-fiction pour lui dont l’intérêt réside dans le fait de n’être jamais surpris par la forme d’un geste résultant d’une action/réaction parce que c’est ainsi que cela doit se dérouler ; pour utiliser un terme se rapprochant de l’électromécanique, le on/off. Le paragraphe qu’il pouvait maintenant réciter par cœur sans avoir recours au texte, sans être en mesure de l’expliquer, l’invitait à réfléchir. Les cours de philosophie suivis dans le cadre de sa mise à niveau au CEGEP ne l’ont jamais captivé ; les inévitables analyses de textes des cours de Français au secondaire, Isabelle les rédigeait pour lui.              Nathan, tu es paresseux, lui disait-elle. Tu devrais te fixer un objectif : lire ce que ton prof de philo propose, prendre le temps de traverser au moins un livre, à l’occasion. Tiens ! Je te donne un truc : associe les deux. LES RÊVERIES DU PROMENEUR SOLITAIRE de l’écrivain et philosophe Jean-Jacques Rousseau te permettrais de couvriras deux matières. Tu le trouveras à la bibliothèque, pas besoin de l’acheter.  

Ce fut pénible pour lui de déchiffrer ce bouquin inachevé, tellement à l’opposé des revues de mécanique qu’il dévore sans jamais se lasser. La langue d’un autre siècle contrariait sa compréhension, l’obligeant à pianoter sur son portable afin de saisir le sens des mots qu’il découvrait au fil de sa pénible lecture. C’est vers cette expérience que les événements récents l’engagèrent. Se promener. Marcher sans un autre but que celui de flâner. Peut-être tenter de connecter l’extérieur montréalais à cette abstraction que représente son intérieur.   Je vois très bien les effets externes de l’électricité sans entrer à l’intérieur de cette énergie produite par le déplacement de particules. Si comme Rousseau, marchant, flânant, j’arrivais à suffisamment intérioriser, à entrapercevoir ce fameux paysage, y repérer du réel, j’arriverais peut-être à l’énoncer de manière compréhensible

Est-ce pour l’expérience ou l’aventure que Nathan se lança dans ce que Rousseau appelait “la nécessité qui commande” ? Il savait que les derniers chambardements ne pouvaient être attribués qu’au hasard. Il devait s’y mettre. Dès maintenant.

Sa première flânerie

Je veux ni penser ni réfléchir, que laisser mes pas aller vers n’importe où, recevoir ce qui arrivera sans l’analyser. La flânerie sera mon guide. Éviter d’emprunter les rues que je connais, sachant ce qui s’y cache, s’y profile. J’irai davantage vers les ruelles.      Il marcha certainement deux heures par un froid glacial, seul, son baladeur branché sur la musique country de Jim Groce. Le vent balayait par des à-coups ininterrompus la neige qui se réfugiait sur le squelette des arbres, aux clôtures immobiles. L’espace se fissurait entre blanc et vert. Parfois, le voltage diminuait faisant grelotter les lampadaires ainsi que la lumière scotchée aux fenêtres des maisons sur lesquelles la chaleur imprégnait un givre froid. Souvent, une bourrasque devenait tornade, tourbillonnant aux pieds du marcheur solitaire perdu dans l’étroitesse des ruelles.      Existe-t-il une gymnastique de la flânerie ? Une grammaire de la rêverie ? Je me le demande, mais ce soir c’est davantage les éléments météorologiques qui se sont fait ressentir. Trois couches nettement identifiables prévalent : celle qu’enrubanne la froidure, une seconde (mes vêtements) qui la combatte et une dernière lovée autour de ma peau s’acharnant à protéger mon corps. Je ne rêve pas, je me défends contre des éléments extérieurs, mais je sens qu’ils cherchent à me pénétrer et que je dois me cuirasser pour me défendre. Non, ils ne se révèlent pas des ennemis ; ils défendent leur territoire. Ce territoire, bien qu’immobile, stable, prend une autre dimension compte-tenu de l’assaut des attaques. Si je refais le même trajet, mais dans des conditions tout à fait différentes, le territoire me semblera-t-il dissemblable ? Moi, serai-je le même ? 

C’est ici que s’arrêtent les lamentations de Nathan. Jérémiades. Gémissements. Dans le fond, nous savons tous que les histoires des autres nous intéressent très peu. Ne nous concernent que superficiellement, et encore. Par voyeurisme, on peut s’y attarder quelques instants, quelques pages, mais rapidement on revient à nos propres affaires, celles qui n’intéressent personne et dont souvent on ne saisit pas totalement ni la profondeur ni la superficialité. Bien sûr que dans le cahier qu’il remplissait à ce moment, celui que l’on qualifierait de «réflectif», on peut y repérer, noircies sur plusieurs pages, quelques réflexions teintées des actualités qu’il vivait, mais il aura fallu se rendre plus loin, beaucoup plus loin, pour y trouver une flânerie différente des autres, plus intime, moins influencée par le raccourci des lieux communs, ceux que l’on entend de la bouche des gens qui vivent l’abandon. Il faut un certain temps - et attendre semble exigeant - pour arriver au cœur de la situation qui en fait se trouve en nous. Oui, le groupe de soutien auquel participe Nathan lui permet, tout doucement avouons-le, à franchir la frontière entre l’extérieur et l’intérieur.  
 
Revenons à une page écrite à la fin de l’hiver que je me suis autorisé à recomposer, page qui se distingue de celles qui tentent de scruter - sans y arriver, je crois - à son fameux paysage intérieur. Les suivantes portaient toutes le même titre : flânerie. De la première, celle dans laquelle je me permets d’en ajouter une autre - la redondance manifeste qu’on retrouve dans «flânerie 1, 2, 3 etc.» ne semble pas faire avancer sa réflexion d’un court centimètre. Il a certainement réalisé la chose et de là découla la décision de ne plus se présenter aux réunions du groupe de soutien. Nous sommes, dans l’extrait qui suit, vers la fin de l’hiver, le dernier avant que le narrateur prenne le relais dans le récit de son histoire accrochée à plusieurs autres.

 

                                                        

Le printemps, bien qu’annoncé, n’arrive vraiment que le matin où ma mère ouvre les portes et les fenêtres de la maison, les refermant au coucher du soleil. Alors, c’est officiel, nous y sommes. Les bourgeons acoquinés aux branches des arbres n’apparaissent qu’aux yeux des plus grands observateurs. Ma mère Jésabelle a amorcé les travaux qui feront que la nouvelle saison ne pourra plus virer de bord, retourner au frileux confort de la neige. De ma chambre au grenier, les fenêtres qui reflétaient toute la blancheur de l’hiver, se patinent de givre à l’arrivée de la saison des réveils, s’embuent, maquillées de longues rayures incolores laissant imaginer derrière elles un monde nouveau. Le printemps réveille tant de choses, bousculent des habitudes. Mon père, un ours sortant de son hibernation, plaçait dans sa tête, dans un formidable ordre chronologique, les travaux qui s’annonçaient. Dire qu’il reprenait vie serait un pléonasme, à un point tel que ma mère, mon frère Benjamin et moi n’existions plus. À peu près comme tous les agriculteurs que je connaisse, il rêvait d’un printemps à la fois doux et lent, d’un début d’été oscillant entre pluie la nuit et soleil le jour, mais une chose manquait à tout cela, ces deux fils ne manifestaient aucun intérêt pour le métier - lui, il disait toujours que travailler la terre c’était une vocation devant se transmettre de père en fils. Son père la tenait de son père qui lui aussi la tenait de son père, cela depuis des générations: on devait labourer les terres dès le début du printemps jusqu’aux aoûtements… mais différemment pour Daniel qui brisait la tradition de sa famille en se lançant au grand dam de ses parents, à la surprise générale des habitants des Saints-Innocents. 
 
Laissons maintenant le clavier au narrateur pour la suite des choses.
                                                      

                                    












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