mercredi 21 mai 2025

Si Nathan avait su (30)


                          


Un 30 novembre, à 30 ans, Abigaelle ne se doutait pas que cette journée d’anniversaire s’avérerait pour le moins mouvementée. Oui, elle avait bien reçu la veille un courrier de son père. De sa mère, rien. Silence complet chez la famille Thompson résidant toujours en Australie. Il faut dire que la nouvelle trentenaire est plutôt négligente à donner de ses nouvelles. Lorsqu’elle annonça à tous ceux qui devaient l’apprendre qu’elle s’inscrivait à l’université Laval de Québec afin d’y entreprendre son doctorat, une fois la surprise passée, très peu, en fait plus personne de son entourage n’a conservé de liens avec celle qui, sans être à la tête de l’association étudiante de l’université de Montréal, avait représenté la faculté de l’éducation au sein de son conseil d’administration au cours des deux dernières années. Dès son élection, elle s’était fait des ennemis en raison de positions qualifiées d’extrémistes, particulièrement lorsqu’elle proposa d’engager des fonds pour subvenir aux besoins d’un comité souhaitant faciliter la venue d’étudiants américains fuyant leur pays, prétextant refuser de s’engager dans l’armée qui allait par la suite les envoyer combattre au Vietnam.  Dans un discours qui surprit l’ensemble des étudiants réunis en assemblée générale pour adopter le budget annuel de l’association, Abigaelle fit une sortie en règle contre son président et l’exécutif qu’elle associait, ce sont ses termes exacts, « aux anglais de McGill » qui venaient tout juste de déclarer leur neutralité dans le conflit indochinois. Elle fut également accusée, et cela sérieusement, d’être la porte-parole étudiante du FLQ au début de l’année 1970, ce qui lui valut d’être fichée auprès de la GRC. Son père l’encourageait, sa mère la fustigeait. Cette divergence d’opinions provoqua le divorce de ses parents. Séparation fracassante en raison de l’implication de son père dans un dossier fort sensible ; étant lui-même gynécologue, il devint un farouche défenseur du Docteur Morgantaler alors que sa mère militait activement pour la criminalisation de l’avortement.
 
*****
 
L’éducatrice n’avait pas eu l’occasion de profiter de son permis de chasse, très occupée par les obligations liées à son doctorat. À plusieurs reprises elle dut se rendre à Québec afin de faire valider la démarche dans laquelle elle souhaitait orienter ses travaux. Sans que ce ne fût des reproches, madame Lapointe qui supervisait sa thèse l’invitait à moins critiquer ce qui était en place actuellement pour davantage explorer de nouvelles pistes et les approfondir. Après réflexion, Abigaelle s’aperçut que son conflit, de  plus en plus ouvert avec madame Saint-Gelais, teintait son travail à tout le moins le style lapidaire employé.

Le 30 novembre, donc, bouleversement complet dans la municipalité des Saints-Innocents, d’abord annoncé quelques jours auparavant par Monsieur le maire, l’homme qui s’était donné pour mandat de rafraîchir les infra-structures existantes, dans un message écrit puis remis à la maîtresse de poste afin qu’elle le distribue dans tous les casiers postaux et, aujourd’hui, fait rare et occasionnel, le tocsin rappelant à la population qu’elle était convoquée pour 10 heures de l’avant-midi dans la nef de l’église, le local municipal ne pouvant pas recevoir autant de gens.
 
Branle-bas de combat. 9 heures 30, les cloches retentissent, les gens arrivent par petits groupes. Facile de lire dans le visage de tout ce monde que la réunion revêt un caractère particulier. On ne parle que de cela depuis près d’une semaine. Tous ceux et toutes celles ayant une quelconque responsabilité dans la municipalité se firent un point d’honneur de passer le message : «Devant une situation urgente, tous doivent être informés.»
 
Madame Saint-Gelais obligea Henriette, la secrétaire, à remettre à tous les enfants un mémo adressé aux parents de l’école, mémo dont les termes étaient sans équivoque. Elle avait même appelé son collègue directeur de l’école secondaire afin qu’il puisse de son côté faire la même chose auprès des élèves résidant dans la municipalité des Saints-Innocents.
 
La stratégie a bien fonctionné, l’église déborde. Personne ne sachant trop s’il est permis de parler à l’intérieur de la nef observe un silence religieux. Au micro installé devant la balustrade Monsieur le curé ouvre l’assemblée en donnant la parole à Monsieur le maire qui s’approcha l’air solennel, un texte en main.

                              

 
- Chers concitoyens, vous êtes tous au courant qu’un ours blessé rôde autour de la municipalité depuis quelques jours. Je vous fais un résumé des détails que nous possédons à l’heure actuelle avant de vous informer sur ce qu’il ne faut pas faire si vous vous trouvez en sa présence ; ces conseils nous ont été fournis par un spécialiste des grands animaux et animaux sauvages de la Faculté de médecine vétérinaire de Saint-Hyacinthe qui devrait se présenter ici dans les 48 prochaines heures. Il s’agirait d’un mâle âgé entre deux ou trois ans. Ceux qui l’ont vu, je tiens à les remercier d’avoir immédiatement avisé le responsable des permis de chasse et pêche, nous disent que la blessure qui saigne beaucoup serait le résultat d’une ou plusieurs flèches tirées peut-être dans sa direction, peut-être par accident ou par mégarde, l’ayant atteint. Il boite, une flèche toujours plantée dans la cuisse. Le vétérinaire nous indique que malgré cette blessure, il serait tout de même en mesure de se déplacer rapidement si le besoin s'en faisait sentir. On aurait noté qu’il bave beaucoup en présence d’un humain. Nous vous conseillons donc de ne pas l’approcher et cela pour aucune raison, encore moins de lui donner de la nourriture. Peut-être qu'il est menaçant, alors il ne faut pas lui tourner pas le dos ni fuir en courant. Retenez votre chien si celui-ci vous accompagne. Vous avez des questions ?
 
Abigaelle, s’est installée à l’arrière de l’église, elle qui ne fréquente plus les endroits religieux depuis des années. Le court exposé du maire lui sembla clair et apte à rejoindre la population. Toutefois, elle avait remarqué un léger remous lorsque fut annoncé que cet ours noir d’une certaine taille en raison de son âge, avait peut-être été blessé par au moins une flèche l’ayant atteint à la cuisse, frisson accompagné de regards accusateurs vers Don, le garde-forestier. Une ou plusieurs flèches, un autochtone, le lien paraissait facile à établir. Celui-ci ne réagit pas. Chelle, sa fille qui entrant dans l’église avait salué son éducatrice d’un grand sourire, regardait son père avec l’allure d’une enfant qui ne saisit pas complètement ce qui se passe.
 
Autre chose avait aussi attiré son attention : l’absence de madame Saint-Gelais. Étonnant que la directrice ne soit pas à la rencontre car rien ne peut présager que cette menace, réelle, ne puisse pas éclater dans la cour de son école. Elle avait sans doute avisé le maire, mais ça n’enlevait rien à l’aspect bizarre de la situation. Peut-être devait-elle s’activer à la préparation de sa rencontre de parents prévue pour la semaine précédente, mais remise en raison de cette urgence !
 
Cette occasion permettait à l’éducatrice, pour une première fois, de voir réunis une bonne partie de la population de la municipalité, Don et sa fille sans les deux femmes qu’elle avait croisées, sommairement, au bout du rang sans nom, sans numéro et sans asphalte. Elle remarqua aussi Benjamin qui ne cessait de jeter des coups d’oeil du côté de Chelle, assis entre ce qui devait être ses parents, famille de l’autre rang, parallèle à celui des autochtones. Le père, un bonhomme droit comme un chêne, soucieux de bien comprendre tous les éléments de l’affaire apparaissait indifférent aux gens qui emplissaient les lieux et n’avaient de regards que pour son épouse, enceinte à un point tel que ça se remarquait. Elle fit rapidement le lien entre le fiston, Herman Delage et ces deux personnes qui deviendraient, du moins elle le souhaitait, ses possibles fournisseurs de haschisch. Un sourire qu’elle ne put contenir disait « deux de mes élèves, un autochtone et un couple original, tous en marge du village, chacun dans un rang sans nom, sans numéro et sans asphalte… nous devrions bien nous entendre.»
 
La rencontre terminée, chacun quittait l’église prenant bien soin de porter son regard sur la gauche, sur la droite pour éviter une surprise désagréable ; seul le vieux curé, l’air songeur, demeura assis à côté du micro.



dimanche 18 mai 2025

Projet entre nostalgie et fantaisie... (20)


                                          

Combien


de voix perdues
contre un seul cri inlassablement étouffé
celui qui remonte le cours du temps
qui impétueusement se lance
dans l’espace des mots nomades


    de pas égarés
contre un seul sentier qui péniblement se tord
tous ces pas menant au pied des potences
suppliciées   crevassées   fermées
sous un bouleau centenaire à l’orée des forêts


        de mains tendues
contre un seul adieu détaché au bout de soi
dans le perpétuel recommencement des siècles
qui frileusement puiseront encore
à la chiromancie des plantes vertes

            de cœurs ouverts
contre la haine qui transfigure les hommes du Yémen
de Lybie    de Syrie    d’Algérie    de Tunisie
ils déambulent sur des chemins ensanglantés
en quête d’une impossible liberté

                de regards fermés
contre un seul espoir annonçant au-delà des saisons passagères
le début d’un renouveau au cœur des icebergs
qui se vengeront à coup d’ours polaires des traîtres
gauchement engoncés dans leurs principes surannés

             
                      de temps faudra-t-il
à ce siècle sourd pour qu’armés des pinceaux de l’urgence
il grafigne les socles   griffe les piédestaux  tague aux murs  
les couleurs de l’irrémédiable cri éraillé des mouettes
hurlant aux océans leur cruelle mélancolie 

 

19 septembre 2011 
Saut 417





orchestre matinal


le violoncelle - à l’aurore - joue un prélude de Bach
les oiseaux dansent
barbouillant les nuages d’icônes multicolores

un peu en retard une voix enrouée l’accompagne
la rosée chante
sur laquelle s’octavient huit gouttes de nuit

à l’est du soleil aux branches endormies
le vent s’entortille
les notes blanches du matin doucement s’harmonisent


le violoncelle
de l’aurore joue un prélude de Bach
les hommes marchent
redressant à peine leur tête engourdie

entre si et sol un cri désespérant
reste là immobile dans l’herbe humide
à demi enfoui sous les feuilles d’un capharnaüm

la sonate en fleur majeure improvise
un air de jazz délicatement orchestré
par les musiciens d’un orphéon disparu


le violoncelle de l’aurore joue un prélude de Bach
alors que le ciel bleu harnache le brouillard
qui enrobe le clocher de l’église

de fines pellicules de pluie pianotent finement
sur la brise matinale
puis s’évaporent tels de légers coups de cymbale

au coin de la rue longue comme un air d’opéra
une triste chanson triste
s’inscrit dans le libretto du jour

 

11 octobre 2011
Saut 420





larmes sur drapeau

les larmes coulaient
vagues perdues derrière un tsunami
torrentiel mouvement
les portant vers la rive
qu’elles n’ont pas eu le temps de rejoindre


le sang des larmes
s’arrachait tels des lambeaux desséchés
torrentiel ressac
aux mains tendues   déchirées
s’offrant lui-même


les larmes sur un drapeau poussiéreux
torrentielle course
en d’indélébiles lettres de feu
tracent le mot liberté
le désert les aura promptement coagulées

 

26 octobre 2011
Saut422

vendredi 16 mai 2025

Si Nathan avait su (29)

 

Sofa  ou  Canapé



La conversation entre le grand jeune homme et l’éducatrice, sans nécessairement s’être achevée en queue de poisson, n’avait tout de même pas permis d’éclaircir les éléments essentiels pouvant les relier. Herman Delage, ayant reconnu la jeune fille qu'il avait croisée à l’université, lui apparaissant subitement à la porte du supermarché de ses parents une fin de semaine d’octobre, la laissait partir, un arrière-goût dans la bouche. Convaincu que Abigaelle ne s’était pas  spontanément évaporée à l’automne 1970 alors que toute la province vivait sous la loi des mesures de guerre que le gouvernement fédéral canadien avait proclamée pour résoudre sans trop de dégâts la situation délicate dans laquelle le FLQ les plaçait. Un diplomate britannique enlevé par une certaine cellule alors qu’une autre, semble-t-il plus agressive, retenait en otage un ministre du gouvernement québécois.
 
Ils s'étaient laissés, lui déçu, elle perplexe, sans promesse de se revoir, sans échange de numéro de téléphone, sans avoir vidé complètement la question que Herman avait déposée entre eux. » Je reviens ici les fins de semaines, nous pourrions, si tu le veux bien, reprendre nos échanges.     Sur quoi Abigaelle, écrasant du pied son mégot de cigarette, laissa flotter la proposition sans qu’il puisse en déduire quoi que ce soit.
 
La bruine n'avait toujours pas cessé lorsque l’éducatrice demanda à Herman s’il pouvait lui fournir un peu de haschisch. Nullement surpris, il répondit qu’elle pouvait très bien s’approvisionner ici même dans le village des Saints-Innocents, mais plutôt dans un rang sans nom, sans numéro et sans asphalte, non pas chez les autochtones mais auprès de la famille qu’encore on qualifiait de hippie, celle dont le père cultivait différents produits céréaliers. Ce furent leurs derniers mots.
 
Elle traversa la rue pour rejoindre la Westfalia stationnée devant le bureau de poste quand une camionnette bleue filant à toute allure, ne ralentissant pas devant une flaque d’eau formée depuis le matin, l’éclaboussa. Se repliant, le réflexe d'Abigaelle fut de se tourner vers le jeune homme qui entrait dans le supermarché affichant un sourire bizarre.

 
                                                        *****
 
 
Le plus clair de son temps, lorsque Abigaelle demeurait à la maison, elle le passait à l’étage, là où son bureau de travail était installé, pièce qui, en trois secondes, l’avait amenée à louer la maison que lui proposait monsieur Champigny sur recommandation du président de la commission scolaire. Cette pièce dont plafond, murs et plancher, tout en bois, lui était devenue comme un cocon. Elle s’y sentait à l’aise, confortable pour organiser sa classe de pré-scolaire et travailler à sa thèse de doctorat. L’endroit n’avait aucunement besoin de décoration, d’ailleurs c’est là le moindre de ses soucis. Pas même de rideaux aux grandes fenêtres se faisant face, l’une à l’est, l’autre à l’ouest, qu’une enceinte pour platine vinyle, placée dans un coin, un cadeau de son père à la fin de sa maîtrise ; elle l'utilisait pour syntoniser le seul poste de radio ayant de l’intérêt pour  elle, Radio-Canada.

Son geste, un réflexe peut-être ranimé par certains éléments de la conversation tenue avec Herman Delage, fut de retrouver parmi son importante collection de vinyles le disque du groupe Crosby/Nash/Stills and Young, retrouver la chanson Ohio, pièce qui lui rappelait les terribles événements survenus à l’Université Kent en mai 1970 au cours desquels quatre étudiants furent assassinés par les soldats de la Garde nationale de l’État. Ils avaient osé manifester contre la présence américaine au Vietnam exigeant le retour au pays des soldats, seule avenue possible pour assurer une paix véritable en Indochine. Absorbée par la musique, le goût du tabac encore présent en bouche, elle laissa la nostalgie l'envelopper. Lui revenait à la mémoire tous ces étudiants américains qu'elle et son comité avaient accueillis dans leur fuite des USA pour ne pas être enrôlés dans l’armée. Leur objectif premier était de rendre leur séjour pacifique. Toutefois, aucun ne provenait de cet état du Midwest malgré que plusieurs eurent gagné à la loterie du Vietnam de 1969. Elle ne recevait d'eux, et encore maintenant, que des nouvelles des manifestations, des arrestations.  

*****
 
La secrétaire de l’école primaire des Saints-Innocents, Henriette, lui avait offert dès son arrivée en août dernier un immense sofa afin, lui dit-elle, de pouvoir un peu meubler cette maison qui est si grande. » On ne l’utilise plus depuis que notre grande fille a quitté le village pour s’installer en Ontario avec son fiancé. C’est certain que cela nous a un peu secoués d’apprendre qu’elle vivrait avec son fiancé sans que la date du mariage soit connue. Que voulez-vous Abigaelle, un signe des temps et nous les parents... eh bien il ne nous reste qu'à s’adapter, mais c’est difficile !
 
Accompagnée de son mari, un homme costaud et silencieux, Henriette avait accepté l’invitation à souper de l’éducatrice souhaitant ainsi les remercier du transport du meuble que Gérard, son époux, aurait très bien pu monter seul à l’étage, mais la longueur du sofa obligea les deux femmes à lui donner un coup de main.
 
Abigaelle recevait chez elle pour la première fois depuis son installation ; ne sachant trop quoi préparer qui puisse s’avérer correct, elle opta pour un classique de la cuisine australienne, le poulet parmigiana accompagné d’un dessert très québécois, une tarte au sucre qu’elle avait achetée au supermarché. Gérard, en bon agriculteur énergique, dévora sa portion sans manifester quoi que ce soit, engloutit le morceau de tarte puis disparut à l’extérieur pour allumer sa pipe. Les deux femmes demeurèrent à table jasant de tout et de rien jusqu’au moment où Henriette ouvrit la porte sur un sujet qui, à première vue, pouvait sembler délicat pour Abigaelle. 

- Vous ne semblez pas bien vous entendre avec madame Saint-Gelais ?     L’hôtesse prit la balle au bond se disant que si la secrétaire de l’école abordait la question c’était certainement parce qu’elle avait noté des choses et cela en très peu de temps. Les classes avaient repris deux semaines auparavant tout au plus. 
- Henriette, croyez-vous que ça serait impoli si nous laissions tomber les «vous» pour passer aux «tu» ?   
Un sourire décontracté emplit le visage de cette femme à qui il était difficile de donner un âge. 
- Pas du tout Abigaelle, surtout que tout le monde se tutoie à l’école sauf toi qui emploie le «vous». 
-Tu as noté que je l’utilise quand je m’adresse à toi et à la directrice, maintenant il lui sera strictement réservé.
 
Alors que la conversation devenait un peu plus personnelle, Gérard entra et lança » Est-ce que je peux voir comment la cave se remet des dégâts du printemps dernier ?     Je ne sais pas exactement comment on y parvient, répondit Abigaelle, surprise par la question.    Tu as fait ta chambre à coucher ici en bas ?     Oui, vous avez raison.     Eh bien la trappe pour descendre est à l’intérieur du grand garde-robe.    Sans problème, allez-y.
 
                                  

- Tu vois juste Henriette, la directrice et moi semblons ne pas avoir d’atomes crochus. Le caporalisme n’est pas tellement dans mes cordes.
- Elle a beaucoup changé à la suite de son accident.
- Difficile pour moi d’évaluer, je la connais depuis si peu de temps, mais nos rencontres sont plutôt... froides. De plus, elle ne manifeste pas beaucoup d’intérêt pour la pédagogie et l’enseignement spécifique aux classes du pré-scolaire.
- Je sais qu'elle et toi n’utilisez pas le même vocabulaire, et n'avez pas le même avis sur les activités à offrir aux enfants.
 
Abigaelle, ne sachant trop si elle devait ouvrir davantage ou garder une certaine réserve, résolut de se placer en mode écoute laissant la secrétaire aller plus loin dans son discours.
 
- Pour ce qui de ta classe, je n’ai rien à penser ou à dire, c’est toi la spécialiste, mais affronter madame Saint-Gelais peut devenir… disons, dangereux. Elle n'aime pas beaucoup les frictions, encore moins qu'on s'oppose à elle.
- Que veux-tu dire exactement ?
- L’accident l’a beaucoup affectée, enfin je dirais que depuis cela… ce n’est plus la même personne. Lorsqu’elle enseignait, toujours la septième année, la classe des plus vieux élèves de l’école, ceux en partance pour le secondaire, tout le monde, les parents comme ses consœurs, notre école n’a jamais eu de professeur masculin, les dirigeants de la commission scolaire et même monsieur le curé, tous étaient unanimes à dire que c’était la meilleure. J’ajoute aussi que sa beauté qui n’a plus rien à voir avec maintenant, sa beauté faisait tourner les têtes des jeunes hommes du village. Puis, vers la fin de l’été, c’était en 1967, elle revenait d’une journée à l’Expo’67 de Montréal, cet accident, un accident bête, à quelques milles du village. Madame Saint-Gelais passait pour être une jeune fille moderne, d'ailleurs elle seule possédait une voiture dans le canton. Je reviens à l'accident qui s’est passé la nuit, eh bien on ne l’a retrouvée que le lendemain, en piteux état. Son frère a fait la macabre découverte. Sa voiture complètement démolie et madame Saint-Gelais, ensanglantée, défigurée, inerte, reposant dans le fossé, l’arbre qu’elle avait frappé de front à demi écrasé sur le capot de la voiture.
- Quelle horreur !
- La nouvelle s’est rapidement répandue dans le village une fois les secours arrivés avec leur bruit de sirène, celle des policiers puis celle de l’ambulance. Le médecin a réussi, certains ont dit que c’est presque un miracle, à la maintenir en vie. On l’a transportée à Montréal, dans un hôpital où elle est demeurée plusieurs mois.
- Tu me fais penser, Henriette, je ne connais pas son prénom.
- Germaine. Germaine Saint-Gelais. Lorsqu’elle est revenue au village, puis à l’école, tous nous l’appelions maintenant madame Saint-Gelais, peut-être parce que beaucoup vieillie et qu'elle se déplaçait en fauteuil roulant. Vraiment on ne la reconnaissait plus. À son retour à l'école, la directrice de l'époque l'a affectée à la bibliothèque et c'est à ce moment-là que la guerre a commencé... 
 
Abigaelle crut bon ne pas insister. C’est monsieur Gérard qui cassa le silence, revenant de son inspection dans la cave de la maison. » Tout me semble parfait, mais je ne réussis pas à chasser l'odeur bizarre qui est toujours là. Sans doute l’eau qui stagne depuis des années. En tout cas, mademoiselle l’institutrice, si vous n’y voyez pas d’objection, je reviendrai avant les neiges. On y va Henriette ?
 
- Merci pour le souper Abigaelle. On se revoit à l’école.
- C’est moi qui vous remercie, le sofa… enfin le canapé, va devenir mon meuble préféré, j’en suis certaine.







mercredi 14 mai 2025

Merci Daniel pour ce très beau texte.

Mon ami Daniel Cyr, celui qui, déjà, m'a autorisé à publier quelques-uns de ses textes sur LE CRAPAUD, en envoie un aujourd'hui particulièrement remarquable. 

De sa plume aiguisée, avec des mots si personnels et combien seyants, admirablement affinés par une sensibilité toujours poétique, toujours à point, Daniel aborde le sujet de «l'amitié», sujet mille fois traités au point qu'il est devenu non pas banal mais trivial ; dans ce texte, il renaît, rejaillit tant que sa beauté nous éclabousse.  

Merci Ami Daniel




L'amitié


Il n’est rien, dans cette vie, qui m’élève davantage

qu’un ami véritable. Rien ne m’ancre plus profondément

à un autre être qu’une épreuve surmontée ensemble,

qu’un silence habité, qu’un regard où l’âme se dévoile.

Grâce à eux, je me découvre meilleur ; je sens croître

en moi une noblesse insoupçonnée. Sans mes amis,

la vie pâlirait, se traînerait, se voilerait de cendre.

Ce sont eux qui, d’un pinceau invisible,

colorent mes jours monotones et dorent

mes heures glaciales.


L’amitié demeure inébranlable et pudique,

tel un chêne centenaire faisant face aux orages.

En elle, je puise une clarté apaisante, une braise

qui console sans consumer. Elle ne réclame rien,

elle prodigue. Elle ne contraint pas, elle enveloppe.

Plus qu’un sentiment, elle est un pacte sans paroles,

un trésor que je garde au plus secret de moi.


À leurs côtés, je traverse les saisons de l’existence,

le miel des joies comme le fiel des peines,

les sommets lumineux et les ravins obscurs.

Ils sont l’aube qui me réveille et le crépuscule

qui me berce. Parfois, une seule syllabe murmurée

suffit à ressouder les fils du temps, à réveiller

la tendresse endormie sous l’épaisseur des jours.


L’amitié, pour moi, n’a rien de ces liens fragiles

qu’un souffle disperse. Elle est solennelle, radieuse,

aride parfois. Elle exige de moi vérité, loyauté,

persévérance. Mais en échange, elle m’offre la sérénité

d’un port, la douceur des chemins parcourus,

et cette conviction mystérieuse que, même dans la

solitude, un autre quelque part me porte.


Je ne demande pas à mes amis de me servir de miroir.

Je les aime pour leurs dissonances, pour les paysages

inconnus qu’ils déplient devant moi. Ils sont l’harmonie

qui contredit ma mélodie, la note imprévue qui achève

la partition. Ils ne tentent pas de me remodeler,

mais de me lire à livre ouvert.


Et lorsque je pense à eux, lorsque je contemple l’édifice

invisible que nos rencontres ont bâti, une gratitude

sans voix m’envahit. Mon cœur, comme une voile

captant le vent, se remplit d’une quiétude vibrante.

J’ai alors soif de leur dire merci — non avec des mots

sonores, mais par des silences partagés,

des présences tissées d’attention, des instants donnés

comme des offrandes.


Car l’amitié, dans son essence, est cette lueur tenace

qui persiste même lorsque la nuit s’épaissit.

Cette fleur dont les pétales ne fanent pas sous les

gelées du temps. Ce diamant brut que je polis jour

après jour, car il incarne, à mes yeux, l’une des plus

pures expressions de notre humanité partagée.


Daniel Cyr

Daniel CYR

s

vendredi 9 mai 2025

Si Nathan avait su (28)

 

          



À peine un clin d’oeil... une baisse rapide de voltage... l’interruption momentanée de toute activité à l’intérieur du supermarché…  L’espace infinitésimal entre se reconnaître ou faire semblant que ce qui nous arrive est de l’ordre de l’impossible, du hasard peut-être… L’échange soudain de deux regards replaçant sur une ligne continue des réminiscences que chacun tentait de recadrer afin de trouver les bons mots, l’une pour répondre à la salutation, l’autre, fils des propriétaires du Steinberg, rue Principale, municipalité des Saints-Innocents, pour  confirmer l’apparition qu’il venait d’avoir.

- Bonjour… Nous nous connaissons ? demande Abigaelle s’autorisant à dévisager le grand jeune homme debout devant elle.
- Je suis Herman Delage. C’est bien toi Abigaelle Thompson ?
- Tout à fait, mais je suis désolée de ne pas bien te replacer.
- Prends le temps de faire tes courses et nous pourrons jaser à l’extérieur, même s’il pleut un peu.
- En fait, c’est sur recommandation de la maîtresse de poste que je me présente ici. Elle m’a conseillé de m’adresser à un certain grand jeune homme travaillant au supermarché qui pourrait me fournir une carte topographique de la région. Je compte m’en servir pour un peu défricher la forêt.
- Défricher ?
-Je m’exprime mal, ça serait plutôt pour apprivoiser la forêt puisque je suis nouvellement arrivée et ne connais pas la toponymie des bois environnants. On vient tout juste de délivrer mon permis de chasse et j'ai besoin d'une carte récente pour bien m'orienter.
 
La conversation semblait permettre à Herman de recadrer des situations communes alors que chez l’éducatrice ça ne semblait pas aussi évident.  Il lui dit qu’elle avait été bien renseignée, qu’effectivement il peut répondre à sa demande.
 
- Attends-moi dehors, je reviens tout de suite avec ce dont tu as besoin, et dans un mouvement de talons aussi rapides que sa façon de parler, il laissa Abegaelle pantelante devant le comptoir devenu libre. La caissière s’adressa à elle d’une voix chevrotante, vous vous connaissez à ce que je vois, sans doute des collègues de l’université. Notre fils achève une maîtrise en géographie. Ce n’est pas parce qu’il est mon garçon, mais tout le monde le reconnaît, il est doué. D’ailleurs, mademoiselle Saint-Gelais l’avait remarqué lorsqu’elle lui a enseigné, c’était avant son accident, tellement stupide, mais que voulez-vous, on ne peut pas prévoir ça, elle l’a toujours poussé à travailler fort et une fois accepté à l’université je crois qu’elle était aussi heureuse que nous, ses parents.
 
Dans l'esprit de la jeune éducatrice, lentement, prenait forme une hypothèse : ils s’étaient sans doute croisés dans les corridors de l’université de Montréal, peut-être avaient-ils participé à des conférences qui représentent d'essentiels complémentaires à leur formation. Pourquoi souhaite-il que leur conversation se déroule à l’extérieur ? Sous la pluie en plus. Écoutant d’une oreille distraite les propos de la maman dont la fierté ne faisait plus de doute à son esprit, elle portait son regard vers les allées du supermarché attendant le retour du grand jeune homme porteur d’une carte topographique.
 
Angelina, la postière, a raison lorsqu’elle étiquette le fils des propriétaires du Steinberg de «grand jeune homme», il dépasse par quelques pouces les six pieds. Sa longue chevelure d’un noir d’encre encadre un visage aussi blême que le brouillard ; le contraste est frappant. La jeune éducatrice n'arrive toujours pas à lui trouver une place dans sa mémoire. Une tête comme celle-là, impossible à oublier, il me semble, se dit-elle alors que d’un pas vigoureux, Herman, une carte à la main, lui désigne la porte menant sur l’extérieur.

Il pleut timidement dans cet fin d'avant-midi où la grisaille s'étend de plus en plus. 

Herman prit la parole - je comprends très bien pourquoi tu ne me replaces pas. En 1969, j’avais les cheveux ras sur la tête et peut-être encore quelques boutons d’acné au visage. Arrivé à l’université, seul de mon patelin, dans une grande ville en pleine ébullition, je me suis mis à la recherche d'occasions de socialiser un peu. C’est là que j’ai infiltré un groupe qui défendait les idées du FLQ*, moi qui n’avait aucune idée comment ça marche la politique. Tu t’en souviens ? Nous étions divisés, tout comme le FLQ, en cellules. Toi, parmi les plus engagés, les mieux informés et je dirais les plus radicaux ; moi, dans une cellule qui ne comptait que des nouveaux venus, des non-initiés ayant tout à apprendre sur le mouvement. Inscrit à la faculté des sciences, toi tu étais à celle de l’éducation, à la dernière année de ta maîtrise. J’épiais tous tes mouvements, surtout les livres que tu portais dans tes bras. C’est à ce moment-là que je me suis mis à lire la revue Parti-Pris dont je t’avoue les articles dépassaient ma compréhension. Dès ce moment, j'envisageais laisser les sciences au profit de la géographie, mais toujours je m’interrogeais sur les activités de votre cellule, la mienne étant, si je peux dire, réservée aux amateurs. On nous donnait des textes à lire puis on avait des examens. Ça m’ennuyait souverainement. Par contre j’adorais m’informer sur les actions menées avant que le groupe Rose-Lanctôt entre en scène. On peut dire que j’étais, à cette époque, un grand adolescent épris d’aventures et que les bombes, les vols de banque, le camp militaire de La Macaza, Vallières et Gagnon faisant le pied de grue devant le siège social de l’ONU à New York, et j’en passe, tout ça m’excitait beaucoup. Mais ce que je retiens, c’est ta disparition de l’université, pas quand tu as décidé de partir pour l’université Laval à Québec, non, celle qui coïncidait avec les enlèvements de Cross et Laporte, en 1970. La Crise d’Octobre je la vivais à l’université et toi, mademoiselle Thompson, tu étais disparue. La règle numéro 1 pour chacune des cellules, comme un serment sur l’honneur, a toujours été le silence. Voilà pourquoi je ne me suis pas informé sur ce qui t’arrivait.
- Tu as parfaitement raison, règle ultime, garder silence. Ce que je continue à respecter.
- Le temps a quand même passé. Je ne peux te cacher qu’au début du mois de mai l'an passé, au lendemain de la libération de Saïgon, tu étais présente à la manifestation soulignant la fin de la guerre du Vietnam.
- En effet, j’y ai participé, répondit Abigaelle qui cherchait une porte de sortie à une discussion paraissant l’embêter.
 
Herman lui offrit une cigarette qu’elle refusa, remarquant que cette marque, Celtique, avait été sa préférée lorsqu’elle fumait. L’odeur particulière du tabac brun résistait à ce vent d’automne accompagnant une pluie douce et persistante. Le grand jeune homme fumait, se taisait un peu comme s’il laissait mijoter les premières paroles lancées vers Abigaelle, attendant, peut-être, qu’elle brisa la règle du silence. Un intervalle de quelques instants, plus long que celui qui présida à son arrivée au supermarché. Puis…
 
Mon père a toujours été un amateur de boxe, fanatique de Cassius Clay. En 1964, lorsque le boxeur change son nom pour devenir Mohamed Ali, cela eut l’effet d’une bombe aussi retentissante que celle qu’il fit éclater en 1967 alors qu’il refusa d’être enrôlé dans l’armée américaine pour se voir affecté au conflit vietnamien. Cela déclencha un véritable débat aux USA et l'implication de plusieurs jeunes à manifester contre ce conflit qui faisait de sérieux dégâts chez la population civile vietnamienne et multiplia les manifestations d'abord dans les universités, puis dans la population en général. À l’époque, en fait entre 1968 et 1970, je présidais un comité de soutien auprès d'étudiants américains en fuite de leur pays pour éviter de participer à la guerre du Vietnam. En collaboration avec l’université de Sherbrooke et Laval, nous accueillions des étudiants des États-Unis imitant le geste du boxeur, quittant leur pays pour rejoindre principalement le Québec de plus en plus ouvert à les recevoir. Mais mon père abandonna son intérêt pour ce sport, ne cessant de critiquer celui qui fut son idole.
- C’était avant la Crise d’octobre ?
- Je l’ai dit, entre 1968 et 1970. Ce mouvement, très vite, a fait l’objet d’une surveillance rapprochée de la part de la GRC**
 et tous les membres ont été fichés sauf ceux de l’université McGill sans trop qu’on sache pourquoi.
 
On dirait que les conversations qui survolent un sujet épineux deviennent rapidement évasives, n’effleurent que la surface des choses même si les participants cherchent, par on ne sait quels subterfuges, à creuser plus profondément. Frôler afin de se frayer un chemin... ouvrir une porte permettant l'entrée d’une éclaircie qui balaierait l’inconfort, les craintes de se retrouver là où on cherche à oublier, à taire... à se taire, à s'oublier.
 
- Finalement, la fichée de la GRC va accepter une cigarette.
 
*         FLQ (Front de Libération du Québec)
**      Gendarmerie Royale du Canada




mercredi 7 mai 2025

Un peu de politique batracienne... (24)

 LE CRAPAUD et les résultats des élections fédérales 2025




LE CRAPAUD s'est donné quelques jours avant de commenter les résultats des élections fédérales canadiennes tenues le 28 avril 2025. 

L'étendue du pays, de l'Atlantique au Pacifique, ses différents fuseaux horaires, tout cela fait que nous recevons les noms des élus à la traîne, d'abord ceux en provenance des Maritimes alors que tous les autres nous parviendrons à la queue leu leu au fil de la soirée qui, ainsi, s'allonge... s'éternise. Ceci provoque un anachronisme. Certains électeurs s'étant déjà prévalu de leur droit de vote connaissent leur député, d'autres peuvent encore se rendre déposer leur bulletin dans les urnes du centre et de l'ouest du Canada.

Si LE CRAPAUD n'avait pas voté par anticipation, il aurait pu connaître les scores des différents partis politiques avant de se rendre au bureau de vote et, à la lumière de ce qui se dessine dans les provinces de l'est, ajuster son choix. Je ne crois pas que cela aurait pu l'influencer et que cette situation puisse avoir un certain effet autre que chez quelques indécis.

Lors du déclenchement de l'élection, LE CRAPAUD prévoyait l'élection d'un gouvernement minoritaire dirigé par le Parti libéral du Canada, puis à quelques jours du vote, il modifiait son pronostic en un gouvernement majoritaire dirigé par le même parti. Une fois encore, il n'a pas bien anticipé le dénouement, on ne peut vraiment pas le classer parmi les oracles omniscients, 

Un gouvernement minoritaire est certainement le meilleur que les citoyens peuvent souhaiter. Vulnérable, sujet à tomber à tout moment, ce type d'administration est invité - parfois obligé - à une certaine flexibilité, à devoir s'ouvrir à des compromis pour survivre. Aussi, et c'est sans doute le plus intéressant, ça oblige chacun des partis représentés à la Chambre des Communes d'Ottawa - ils ne seront que trois (3) à la suite du scrutin - à puiser dans l'essentiel de leur projet politique et le mettre sur la table. C'est ce qui s'est produit avec le dernier gouvernement, celui dirigé par Justin Trudeau, qui transforma en projets de loi certaines idées provenant surtout du NPD qui, semble-t-il, l'aura payé cher le 28 avril dernier, ayant quasi disparu de la scène politique canadienne.

Le Parti libéral et le Parti conservateur, au coude à coude dans les pourcentages du vote 43,76% / 41,31, voient leur nombre d'élus 169 / 143 les priver de la majorité, ce qui, techniquement du moins, remet entre les mains du Bloc québécois avec ses 23 députés, une arme qui pourrait s'avérer dangereuse et à l'occasion, décisive. Il ne faut pas oublier que la durée de vie d'un gouvernement minoritaire dépasse rarement les dix-huit (18) mois.

Si on regarde du côté des surprises issues de ces élections, LE CRAPAUD en note trois (3) : un) la défaite de Pierre Poilièvre dans son comté, laissant le Parti conservateur sans chef ; deux) la défaite du chef du Parti NPD Jagmeet Singh, suivie de sa démission ; trois) la redoutable efficacité des sondages qui ont presque obtenus une note parfaite.

La question de l'urne ? Certains ironistes la nomme autrement : question pour les cruches... Elle aurait été, cette fois-ci, la suivante : lequel parmi les chefs politiques en lice sera le plus apte à affronter le «p»étasunien ? Il semble que la réponse soit plutôt ambigüe si on examine les pourcentages obtenus par les deux favoris ainsi que résultat final. Dans les faits, on ne pouvait s'attendre à ce que le NPD, le Bloc québécois et le Parti Vert se retrouvent dans la course, ne restait alors que les chefs des deux partis qui depuis des siècles survivent à l'histoire, soit monsieur Carney et monsieur Poilièvre. Minoritairement, la population a jeté son dévolu sur l'ancien directeur de la Banque du Canada puis de la Banque d'Angleterre qui revient tout juste de Washington, d'une rencontre à la Maison Blanche avec le «p»étatsunien qui, contrairement à son habitude, a encensé le nouveau Premier Ministre canadien sans presque jamais lui laisser le droit de parole, roucoulant à son oreille des mots gentils et pour éviter de l'affubler du titre de «gouverneur du futur 51e état étatsunien» l'appelait par son prénom. C'est sans doute là que monsieur Carney aura «mark»é des points.

La suite des choses ? Difficile à prévoir mais il semble bien que les affaires partisanes boufferont une grande partie du temps des libéraux - apprendre à diriger un nouveau gouvernement minoritaire sous la direction d'un néophyte ; des conservateurs également, devant régler la situation d'un parti sans chef de l'opposition officielle et gérer le fait que plusieurs langues se délient à la suite des résultats ne les ayant pas favorisés malgré que depuis plus d'un an ils semblaient assurés de la victoire trônant dans les sondages de façon non équivoque.

Pour le NPD, c'est l'heure d'ouvrir la discussion sur les grandes questions fondamentales autant pour le parti que leur manière de reprendre du poil de la bête.

Le Bloc québécois reçoit une patae chaude et ça ne sera pas du bonbon tous les jours, surtout s'il se retrouve plus d'une fois devant le dilemme : devoir sauver le gouvernement ou le laisser s'écraser, provoquant un retour aux urnes, une activité pas très populaire auprès de la population. Il ne faut pas oublier que s'installe une certaine froideur dans ses relations avec le Parti Québécois, son grand frère.

Le Parti Vert n'a qu'une seule représentante au Parlement, son co-chef que LE CRAPAUD a découvert lors de ses entrevues, lui aussi vient de quitter la direction.

Ce qui s'en vient m'apparaît intéressant et je ne serais absolument pas surpris de voir disparaître de l'écran politique fédéral le parti de Maxime Bernier qui ne fait plus du sur-place mais se pulvérise faute de combattants. Une autre surprise et celle-ci me semble de taille : la résurgence du Parti 51 qui revendiquera l'annexion du Canada aux USA tout comme il le fit lors des élections québécoises de 1989, 2018 et 2022 sans résultats notables.

Si tout va comme prévu, le prochain billet portant sur la politique vue à travers la lunette du CRAPAUD, eh bien sera en octobre 2026...




dimanche 4 mai 2025

Hữu Ngọc R.I.P.


Hữu Ngọc    
 R.I.P.


 


2 jours après la commémoration du 50ième anniversaire de la Réunification du Vietnam et fin de la guerre, le 30 avril 1975, au lendemain de la Fête des travailleurs, le 1er mai, s’ajoute dans le grand livre de l’histoire vietnamienne, le 2 mai 2025, le nom qui désormais demeurera gravé dans la mémoire collective, celui de monsieur Hữu Ngọc , décédé à l’âge de 107 ans.
 
Considéré comme un des plus grands chercheurs spécialisé dans la culture vietnamienne, lui que l’on surnomme et que l’on surnommera toujours «le passeur de cultures», auteur de À LA DÉCOUVERTE DE LA CULTURE VIETNAMIENNE (publié aux éditions The Gioi), une œuvre gigantesque, autant que lui, indispensable à qui cherche véritablement à connaître et comprendre ce peuple dont il aura servi la cause de liberté et d’indépendance comme traducteur, enseignant, journaliste.
 
Raconter une vie qu’il a consacrée à la culture exigerait des pages et des pages, qu’il me soit permis plutôt de lui rendre hommage à partir de mon expérience personnelle auprès de lui. À chacun de mes voyages à Hanoï, il acceptait de me recevoir une fois que mon très grand ami Pham Tran Long m’est introduit à lui. Parfois s’ajoutait à nos rencontres l’ami Romain Kim (Benoît) qui aura été les yeux de Hữu Ngọc pendant plusieurs mois. Merci à vous deux de m’avoir périodiquement informé sur son état de santé.
 
Nos échanges se sont toujours tenues en français, une langue qu’il maîtrisait à la perfection, qu’il affectionnait particulièrement. D’ailleurs, je ne peux oublier qu’il me demandait souvent la raison pour laquelle j’avais choisi un titre vietnamien à mon roman écrit en français (DEP) et qu'il trouvait ma réponse pour le moins cocasse.
 
Monsieur Hữu Ngọc possédait une mémoire fantastique, y puisant à l’occasion des faits inédits qu’un historien aurait trouvés savoureux. Jamais la langue de bois entre nous, mais continuellement teintées de nuances qu’il expliquait par la culture de chaque époque. Rarement - moi si curieux - il n’abordait la personnalité de son ami Ho Chi Minh à qui il servit d’interprète (en allemand surtout), déjà conscient, je crois, de l’essentielle importance de cet homme dans le destin du pays dont il n’arrivait pas à concevoir qu’il puisse demeurer coupé en deux.


 


J’ai en mémoire cette journée complète avec lui et sa famille réunie, alors qu’il m’invita à partager le repas à ses côtés, racontant avec une délicatesse qui le caractérisait si bien l’importance du partage de la nourriture, mais surtout l’origine de cette habitude toujours présente chez les Vietnamiens, celle de s’informer auprès de leurs invités s'ils ont mangé. Mon ami photographe qui m’accompagnait à cette occasion, installé tout juste face à lui, le regardait - je ne peux oublier cette image - avec tellement de respect, un peu comme si toute l’histoire de son pays y était imprégnée. Ceci transparaît parfaitement bien dans la photo de famille qu’il prit à cette occasion.
 
De ces rencontres, à la fois uniques et si profondément humaines, je retiens la douceur de sa voix, cette façon si délicate de me prendre la main, me rappelant de lui parler tout près de l'oreille gauche, la meilleure disait-il, répétant «vous savez petit frère, les hommes ne peuvent vivre que s’ils ancrent leur avenir dans les chemins de leurs ancêtres…».
 
Une autre, celle-là particulièrement émouvante. Sa très chère épouse venait de le quitter. Il m’invita dans une pièce où se trouve l’autel des ancêtres, leurs photos dont celle de madame. Silencieux tous les deux devant cette image d’une femme au regard profond, il me prit par la main. La serra. Il venait de dire tout son amour avec cette retenue caractéristique du Vietnamien.


 


Monsieur Hữu Ngọc, vous auriez eu 107 ans le 22 décembre prochain, maintenant vous être immortel.


Madame Hữu Ngọc






Si Nathan avait su (30)

                           Un 30 novembre, à 30 ans, Abigaelle ne se doutait pas que cette journée d’anniversaire s’avérerait pour le moins ...