Attendre l’été. Quelques jours encore avant qu’il ne s’installe. Pas pour longtemps, nous le savons tous… mais quand même, attendre l’été c’est comme espérer de la belle visite… rare... partie de loin, qu’on voit si peu souvent, si peu longtemps. Celle qui change d’une année à l’autre. Qui a pris cette douce habitude de nous revenir, apportant les dernières nouvelles de cet autre côté du monde, de cet autre côté de la vie. Comme il aura… comme elle aura changé… Le monde et la vie.
Les feuilles sont d’un vert proche parent du bleu. Elles voltigent bien arrimées aux branches des arbres s’offrant aux oiseaux qui cherchent le sud afin d’orienter leurs nids. Et au loin, la mer. Langoureuse encore. À peine bruyante. Capricieuse. Un peu comme si elle avait eu froid au cours de l’hiver et qu’elle prenait son temps. Cette mer retrouverait bien le chemin vers la baie de Gaspé pour y déposer ces odeurs qui font du bien.
- Nous ouvrirons les fenêtres.
Magella annonçait par quatre mots, en une phrase, l’arrivée de l’été. Les fenêtres, à l’arrière d’un ancien "manoir" devenu maison de retraite, c’est ainsi qu'elle souhaitait qu’on l’identifia, donnaient sur la baie de Gaspé. Une fois ouvertes, plus fiables que les hirondelles, et on sait à quel point elles sont tardives par ici, ça ne pouvait tromper, le beau temps était venu.
Cette grande maison installée au creux d’un Gaspé encore fragile, certains disent qu’elle y vit depuis Jacques Cartier. D’autres, qu’elle fut construite par des Américains l’utilisant comme camp de chasse et pêche. Elle aura porté au fil du temps, le titre de chalet, d’hôtel, de château, de refuge; aura appartenu à d’illustres familles américaines puis gaspésiennes; aura permis des rencontres historiques; aurait été le creuset de retentissantes idées; le lieu de départ de mille et une légendes…
Magella Teasdale, que le titre de « vieille fille » n’offusquait pas, avait acheté cette maison de la Caisse Populaire de Gaspé qui dut la reprendre suite à une fulgurante banqueroute en lien avec la crise financière des années 1920. Seul le notaire de la place connaissait l'identité véritable du propriétaire et ne devait en aucun cas révéler son nom. Il représentait l’inconnu, signa pour lui les documents hypothécaires puis remit les titres à Magella Teasdale, nouvellement arrivée dans la région. On sut quelques mois après qu’elle venait de Montréal où sa famille aurait fait fortune dans l’industrie de la guerre.
La nouvelle propriétaire engagea de très fortes sommes pour la réfection de ce que pour l’instant on appelait « le manoir ». L’arrière, là où elle fit installer d’immenses fenêtres donnant sur la baie, devint une magnifique véranda habitable toute l'année. Fait nouveau pour l’époque, Magella exigea que les fenêtres ne soient pas uniquement de la vitre collée aux murs, mais puissent s’ouvrir de l’intérieur vers l’extérieur.
Elle se chargea elle-même d’enquêter auprès des personnes dorées de Gaspé et ses environs, afin d’en connaître plus sur ce que fut « le manoir », qui l’habita, son architecture ainsi que l’aménagement intérieur. Magella voulait absolument que l’habitation retrouve ses allures d'antan, qu’elle respecte en tout point son histoire. Alors que chacun souhaitait un peu plus de confort et de modernisme, la nouvelle propriétaire donnait l’impression de vouloir retourner à une époque que l’on souhaitait oublier. Surtout, elle ne paraissait pas pressée à divulguer ses projets pour une aussi grande demeure, habitée par elle seule. Et son chat.
Mademoiselle Teasdale, rapidement, se lia au notaire représentant le vendeur inconnu et lui offrit la responsabilité d’administrer ses biens. Soit dit en passant - de toute façon les langues se délièrent assez vite - chacun et chacune eurent bientôt leur opinion sur cette venue de loin. Tant d’argent, d’où venait-il? Toute seule, qu’était devenue sa famille dont jamais elle ne parlait? Vieille fille ou veuve? Catholique ou anglicane? Ce n’est pas du côté du notaire qu’on allait en apprendre davantage. Une tombe que ce maître Wilbrod dont on ne savait trop s’il s’agissait là de son prénom ou de son nom de famille.
Tant et si bien que les travaux avancèrent promptement. Magella possédait cette faculté de deviner les gens au premier coup d’œil et savait utiliser leurs qualités selon ses besoins. Le responsable des travaux visant à redonner au « manoir » son état premier, un certain Chamberlain provenant de la Baie-des-Chaleurs, dirigeait le chantier avec une main de maître. Son sens de l’organisation permit qu’au bout de six mois - il fallait absolument qu’avant l’hiver tout soit achevé – il put annoncer à mademoiselle Teasdale que c’en était terminé. Dont les fameuses fenêtres auxquelles Magella tenait tellement.
La châtelaine put engager quelques femmes de la paroisse les affairant à rendre habitable l’intérieur du « manoir » et conforme à ce qu’elle avait pu recueillir comme renseignements sur les antécédents de cette habitation. Le bleu et le blanc étaient à l’honneur du côté des tentures et des accessoires. Le bois, du pin et du chêne en grande partie, de même qu’un crépi légèrement beige se retrouvaient sur les murs et aux plafonds. Les meubles retapés puis disposés à l’endroit même où, à l’époque, ils vécurent.
Magella ne vivait pas au "manoir" durant les travaux. Elle se retrouva en pension chez une connaissance du notaire Wilbrod et tous les jours, sauf les samedi et dimanche, surveillait le travail de près. Ne laissant rien au hasard, fidèle à un plan aussi précis que rigoureux, mademoiselle Teasdale voyait à ce que tout soit là à temps, que rien ne manque pouvant ralentir ou freiner le rythme. Cela l’obligea de retourner à Montréal à deux occasions. Les voyages d’une semaine chacun la ramenaient aussi en forme, ragaillardie presque et plus déterminée encore à achever son projet.
Magella Teasdale emménagea dans « le manoir » au début d’un mois d’octobre, à la fin des années 1930. Aucune cérémonie officielle, sauf qu’elle invita à un banquet tous ceux et toutes celles qui y travaillèrent. Cela se tint à l’arrière, sur la terrasse de l’habitation donnant sur la baie. Deux mots à peine furent prononcés :
- Merci à tout le monde pour cet effort spectaculaire. Je vous annonce qu’au printemps prochain, lorsque je pourrai ouvrir les fenêtres de la véranda, que l’odeur de la baie emplira la maison, ce « manoir » recevra ses premiers pensionnaires.
Magella n’en dit pas plus. Le notaire Wilbrod la remercia au nom de la population de Gaspé, souhaitant à la châtelaine que puissent se réaliser tous ses projets.
L’automne arriva… puis l’hiver suivit. Magella Teasdale attendait le printemps.
Les feuilles sont d’un vert proche parent du bleu. Elles voltigent bien arrimées aux branches des arbres s’offrant aux oiseaux qui cherchent le sud afin d’orienter leurs nids. Et au loin, la mer. Langoureuse encore. À peine bruyante. Capricieuse. Un peu comme si elle avait eu froid au cours de l’hiver et qu’elle prenait son temps. Cette mer retrouverait bien le chemin vers la baie de Gaspé pour y déposer ces odeurs qui font du bien.
- Nous ouvrirons les fenêtres.
Magella annonçait par quatre mots, en une phrase, l’arrivée de l’été. Les fenêtres, à l’arrière d’un ancien "manoir" devenu maison de retraite, c’est ainsi qu'elle souhaitait qu’on l’identifia, donnaient sur la baie de Gaspé. Une fois ouvertes, plus fiables que les hirondelles, et on sait à quel point elles sont tardives par ici, ça ne pouvait tromper, le beau temps était venu.
Cette grande maison installée au creux d’un Gaspé encore fragile, certains disent qu’elle y vit depuis Jacques Cartier. D’autres, qu’elle fut construite par des Américains l’utilisant comme camp de chasse et pêche. Elle aura porté au fil du temps, le titre de chalet, d’hôtel, de château, de refuge; aura appartenu à d’illustres familles américaines puis gaspésiennes; aura permis des rencontres historiques; aurait été le creuset de retentissantes idées; le lieu de départ de mille et une légendes…
Magella Teasdale, que le titre de « vieille fille » n’offusquait pas, avait acheté cette maison de la Caisse Populaire de Gaspé qui dut la reprendre suite à une fulgurante banqueroute en lien avec la crise financière des années 1920. Seul le notaire de la place connaissait l'identité véritable du propriétaire et ne devait en aucun cas révéler son nom. Il représentait l’inconnu, signa pour lui les documents hypothécaires puis remit les titres à Magella Teasdale, nouvellement arrivée dans la région. On sut quelques mois après qu’elle venait de Montréal où sa famille aurait fait fortune dans l’industrie de la guerre.
La nouvelle propriétaire engagea de très fortes sommes pour la réfection de ce que pour l’instant on appelait « le manoir ». L’arrière, là où elle fit installer d’immenses fenêtres donnant sur la baie, devint une magnifique véranda habitable toute l'année. Fait nouveau pour l’époque, Magella exigea que les fenêtres ne soient pas uniquement de la vitre collée aux murs, mais puissent s’ouvrir de l’intérieur vers l’extérieur.
Elle se chargea elle-même d’enquêter auprès des personnes dorées de Gaspé et ses environs, afin d’en connaître plus sur ce que fut « le manoir », qui l’habita, son architecture ainsi que l’aménagement intérieur. Magella voulait absolument que l’habitation retrouve ses allures d'antan, qu’elle respecte en tout point son histoire. Alors que chacun souhaitait un peu plus de confort et de modernisme, la nouvelle propriétaire donnait l’impression de vouloir retourner à une époque que l’on souhaitait oublier. Surtout, elle ne paraissait pas pressée à divulguer ses projets pour une aussi grande demeure, habitée par elle seule. Et son chat.
Mademoiselle Teasdale, rapidement, se lia au notaire représentant le vendeur inconnu et lui offrit la responsabilité d’administrer ses biens. Soit dit en passant - de toute façon les langues se délièrent assez vite - chacun et chacune eurent bientôt leur opinion sur cette venue de loin. Tant d’argent, d’où venait-il? Toute seule, qu’était devenue sa famille dont jamais elle ne parlait? Vieille fille ou veuve? Catholique ou anglicane? Ce n’est pas du côté du notaire qu’on allait en apprendre davantage. Une tombe que ce maître Wilbrod dont on ne savait trop s’il s’agissait là de son prénom ou de son nom de famille.
Tant et si bien que les travaux avancèrent promptement. Magella possédait cette faculté de deviner les gens au premier coup d’œil et savait utiliser leurs qualités selon ses besoins. Le responsable des travaux visant à redonner au « manoir » son état premier, un certain Chamberlain provenant de la Baie-des-Chaleurs, dirigeait le chantier avec une main de maître. Son sens de l’organisation permit qu’au bout de six mois - il fallait absolument qu’avant l’hiver tout soit achevé – il put annoncer à mademoiselle Teasdale que c’en était terminé. Dont les fameuses fenêtres auxquelles Magella tenait tellement.
La châtelaine put engager quelques femmes de la paroisse les affairant à rendre habitable l’intérieur du « manoir » et conforme à ce qu’elle avait pu recueillir comme renseignements sur les antécédents de cette habitation. Le bleu et le blanc étaient à l’honneur du côté des tentures et des accessoires. Le bois, du pin et du chêne en grande partie, de même qu’un crépi légèrement beige se retrouvaient sur les murs et aux plafonds. Les meubles retapés puis disposés à l’endroit même où, à l’époque, ils vécurent.
Magella ne vivait pas au "manoir" durant les travaux. Elle se retrouva en pension chez une connaissance du notaire Wilbrod et tous les jours, sauf les samedi et dimanche, surveillait le travail de près. Ne laissant rien au hasard, fidèle à un plan aussi précis que rigoureux, mademoiselle Teasdale voyait à ce que tout soit là à temps, que rien ne manque pouvant ralentir ou freiner le rythme. Cela l’obligea de retourner à Montréal à deux occasions. Les voyages d’une semaine chacun la ramenaient aussi en forme, ragaillardie presque et plus déterminée encore à achever son projet.
Magella Teasdale emménagea dans « le manoir » au début d’un mois d’octobre, à la fin des années 1930. Aucune cérémonie officielle, sauf qu’elle invita à un banquet tous ceux et toutes celles qui y travaillèrent. Cela se tint à l’arrière, sur la terrasse de l’habitation donnant sur la baie. Deux mots à peine furent prononcés :
- Merci à tout le monde pour cet effort spectaculaire. Je vous annonce qu’au printemps prochain, lorsque je pourrai ouvrir les fenêtres de la véranda, que l’odeur de la baie emplira la maison, ce « manoir » recevra ses premiers pensionnaires.
Magella n’en dit pas plus. Le notaire Wilbrod la remercia au nom de la population de Gaspé, souhaitant à la châtelaine que puissent se réaliser tous ses projets.
L’automne arriva… puis l’hiver suivit. Magella Teasdale attendait le printemps.
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