jeudi 10 septembre 2020

Humeur vietnamienne

 Humeur vietnamienne

 

    On pourrait classer ce billet parmi les plus bizarres que j’aurai publiés. Pourquoi ? Entrepris le 15 juin dernier, laissé en plan, comme en jachère, il libérait l’espace pour d’autres qui se classeraient sous le thème de la chronique de voyages, que ce soit du Nord du Vietnam, de Vung Tau ou de l’Île de Con Dau.

Je pourrais ne plus m’en occuper, le détruire même... mais comme il installait un point de vue - incomplet, du fait qu'il ait été abandonné - j’y reviens maintenant puisque l’actualité s’occupe à le remettre en tête de la liste des sujets à regarder de près : la discrimination raciale aux USA et dans le monde avec, pour fond d’écran, les événements survenus à Minneapolis, État du Minnesota, (la mort de George Floyd, le 25 mai 2020) puis à Kenosha, État du Wisconsin, à la suite de l’attentat contre Jacob Blake, le 24 août dernier. Deux états situés dans le Nord-Ouest américain, limitrophes l’un de l’autre.

J’y reviens, achevant sa forme originelle, à partir des quelques jalons qui soutenaient son architecture.

Nota bene   

Lorsque je débute ce billet inachevé, le second événement - celui de Jacob Blake - n’est pas encore survenu. Voici donc, en italique et enveloppé dans une autre police, là  j’en étais. La suite suivra.

  

              


         

    Le Vietnam est entré dans sa saison des pluies (mai à octobre) - on utilise souvent à tort le mot “mousson” pour qualifier cette période, terme qui convient davantage aux régions situées près de l’océan Indien. Les plus importantes, on les reçoit entre juillet et septembre, pour ce qui est de Saïgon du moins. N’imaginez pas des averses continuelles, jour et nuit... plutôt de celles qui, inattendues et cruellement subites, nous tombent dessus durant environ 30 minutes ; le temps que les rues s’inondent d’eau que les caniveaux n’arrivent plus à avaler.

L’humidité s’accroche solidement aux 35 degrés Celcius de jour puis aux 27 degrés de nuit ; elle devient souvent insupportable, au point que la pluie s’affiche en grande salvatrice.

Cela n’empêche en rien le déroulement habituel des activités, les motos de rouler et le fleuve, de plus en plus gonflé, d’aller rejoindre la mer Orientale.

Que le mouvement familier du temps !

Je ne vous entretiendrai pas de météo ou de température, ce billet est plutôt l’occasion de m’interroger sur la nouvelle question qui alimente l’actualité, arrivant même à balayer la covid-19 des premières pages des journaux ou des grandes heures d’écoute télévisuelle : les événements survenus à Minneapolis, aux USA.

D’abord un peu de géographie, puis un soupçon d’histoire. 

Cette ville est située dans le comté de Hennepin, État du Minnesota (Midwest américain) non loin de l’État du Wisconsin.

Avant l’arrivée du père Hennepin, mandaté par la France dans les années 1680 afin de l’explorer, Minneapolis est peuplé d’autochtones (Sioux). La ville se développera autour des minoteries et de la culture du bois.

Toutefois, elle connaîtra des heures sombres entre 1920 et 1930, alors qu’un certain Isadore Blumenfeld (surnommé Kid Cann) y développa le crime organisé et la corruption.

En 1931, dans le cadre de la Grande Dépression, le chômage et la misère entraînent des émeutes et déjà en 1972, Amérindiens et Noirs subissent les affronts de la ségrégation raciale et de la répression policière. L’état portera alors un surnom : Murderapolis.

Entre 1932 et 1948, les grands électeurs de l’État du Minnesota favorisent le Parti Démocrate ; ils se rangeront du côté du Parti Républicain en 1956, 1960 et 1972, avant de retourner vers les Démocrates et y rester fidèles depuis cette date. Actuellement, il se range donc sous leur bannière.

De nos jours, c’est l’industrie pharmaceutique qui fleurit dans ce coin de pays résolument tourné vers la culture et des mesures écologiques innovatrices.

Nous voici assez bien situé.

Quelques questions s’imposent dont la première saute aux yeux. Comme les conflits ségrégationnistes américains se manifestent principalement dans le Sud des USA - Mississipi, Alabama, Tennessee, Texas, pour ne nommer que ceux-ci - que le Minnesota, c’est le Midwest, qu'on note un déplacement de ce problème, dépassant les frontières sudistes pour chercher à s’installer plus au Nord, doit-on strictement y voir une occurrence ? Un effet des années Trump, comme s’il s’agissait d’un dommage collatéral ?

Est-ce que le qualificatif "systémique" c'est-à-dire  qui concerne un système ou qui agit sur un système” - dans le cas qui m’intéresse, celui des forces policières - convient-il pour aborder la question de la ségrégation raciale et sa mouvance du Sud vers le Nord ?

On peut ajouter questions par-dessus questions et plus encore sans pour autant, je crois, entrer au coeur même d’un sujet éminemment complexe.


Selon moi, il n’existe pas de races.

Le concept et son fondement scientifique même ont été évacués par les recherches du bio-technologiste Craig Venter qui, dans ses travaux sur le séquençage du génome humain (1991/1992), en est arrivé à la conclusion que tous les humains sont très proches les uns des autres et que chacun de nous possède la même collection de gènes avec des versions légèrement différentes de certains d’entre eux, hormis pour les jumeaux identiques.

Un second fait s’impose : tous les êtres humains actuels sont des Africains, lieu d’origine de Homo sapiens sapiens il y a plus de 300 000 ans. Nous y sommes demeurés pour au moins 200 000 ans alors que, progressivement, se dispersent certains d’entre eux avec l’idée de .... visiter le monde.

Alors, je crois que la véritable question dépasse celle du meurtre de George Floyd, celle d'un homme à la peau noire, par un policier à peau blanche ?

L'allégorie de Caïn et Abel abrège l’idée de la suite du monde après sa création. Elle nous apprend que l’un, pris d’une crise d’envie en raison du refus par le Créateur d’accepter son offrande (comme il cultive la terre, ce sont les fruits de celle-ci qu’il offre), alors qu’il recevait celle de son frère Abel, le gardien du troupeau de moutons qui, lui, offre au Seigneur les premiers-nés et leur graisse. Cela poussera donc Caïn à tuer Abel.  La punition pour son homicide fut que Dieu pigmenta sa peau qui prit une couleur noire, une marque afin qu’il soit reconnu et n’échappe pas à l’agression des autres hommes.

Une conclusion à cette fable exposant le premier meurtre de l’Humanité, un fratricide, suggérerait d’y voir là l’origine de la différence. Et pour mieux la stigmatiser, la rendre publiquement visible, utiliser la couleur de la peau du coupable comme une probante cicatrice à jamais indélébile, s’avère congruente.

Sans doute et par raccourci, Caïn, devenu homme à peau noire, qui s’en est pris à un autre homme dont la couleur de peau demeurera blanche, créa dans l’imaginaire des hommes qui suivirent l’idée de vengeance réparatrice, de punition, de condamnation, de discrimination et cela bien avant qu’apparaissent les premières manifestations de ségrégation.

Malgré lui, Caïn avalise le principe que tout acte, toute action auxquels pourraient être assujettis un ou des individus de la même couleur que lui et, par extension, de tout autre couleur autre que le blanc de la victime, ceci remémorerait le crime originel - son bourreau et son martyr - et inciterait à la vengeance, celle-ci devenue moralement acceptable pour tout justicier ou juge que ce soit.

L’homme à peau noire devint donc celui qui porte sur lui-même la tragique filiation d'une mimèsis. À partir de cette optique, l’esclavage ne peut pas être perçu comme une exaction, la ségrégation envers les individus de couleur nullement reprochable, mais au contraire comme l’exécution d’un jugement divin.

Abel, un homme blanc est mort ; lui survit un homme devenu noir en raison de ce crime, Caïn.

Je me suis alors amusé à chercher si Abel, roué de coups de bâton par  son frère Caïn, en était vraiment mort et si la question de l’envie - certains y ont vu de la jalousie - était la raison unique de ce méfait. Voici ce que j’ai trouvé.

 “ Au commencement, Abel était corrompu par Lucifer. Afin de le sauver, Caïn passa un contrat avec le Diable : il irait en enfer à la place d'Abel s'il laissait celui-ci aller au Paradis. Lucifer accepta à la condition que Caïn envoie Abel au Ciel de ses propres mains.

Puis, c’est l’interrogatoire de Dieu, le justicier, à qui Caïn répond: “Suis-je le gardien de mon frère ? “ Il me semble qu’il confond responsabilité et componction ; dans les deux options, le résultat demeure toutefois le même.

Nous sommes aux premiers pas de l’homme dans un univers qui, après la saison des pommes (Ève et Adam devant un arbre qui semble avoir un peu plus de tonicité qu’un simple pommier), celle de la récolte (les fruits de la terre que Caïn a cultivée), puis la naissance des moutons (Abel offrant les premiers-nés), tout cela se voit chambardé, chamboulé par ce que l’on a appelé la sortie du paradis terrestre à la suite du péché d’Adam et Ève, celui de la désobéissance.

Un homme blanc est mort des suites de la brutalité d’un autre qui verra sa peau muée pour devenir noire, qui sera châtié, maudit de ses terres devenues stériles.

On peut extrapoler en avançant l’idée que ce coin de paradis ne l’est plus depuis que Dieu en a chassé les primipares qui réalisent leur nudité qui ne posait aucun problème avant, en deuil d’un de leurs fils et séparés de l’autre qui doit s’exiler.

Comme si cela coulait ainsi qu’une eau de source, la loi du Talion, aussi ancienne qu’on puisse être tenté de la situer dans l’histoire de l’homme, s’installe, s’appuyant sur le concept d’oeil pour oeil, dent pour dent, pourrait fort bien dater de la brusquerie de ces événements mettant Dieu et ses créatures face leur destin.

Encore maintenant, elle rassemble plusieurs adeptes qui souhaitent la voir appliquer avec un maximum de rigueur, prétextant que la réciprocité crime et peine, devrait servir de credo.

Facile de franchir le pas suivant : un homme à peau noire, descendant directement de celui qui fut le premier meurtrier, ne peut être jugé qu’à partir de cette loi, comme par contumace. Pour lutter contre l’escalade de la violence dont tout homme de couleur pourrait en être le potentat, mieux vaut le traiter a priori comme un coupable. Donc, tuer un homme ou une femme de couleur respecte la loi du Talion et se définit comme un geste préventif.

Le policier qui a écrasé un George Floyd ne pouvant plus respirer, pour qui même crier précipitait sa chute vers la mort, n’est coupable de rien, il aura agi comme le brave défenseur de cette loi, comme s'il vengeait le frère de Caïn.

Ce credo résiste au temps et à l’intelligence, tout en circonscrivant son rayon d’action autour des personnes racisées, de ceux et celles qui ne se conforment pas au moule en vigueur dans nos sociétés... entre autres.

Dès lors que la ségrégation raciale, la discrimination sociale, la séparation des êtres à partir d’éléments physiques qui font différence, cette rupture dans l’homogénéité humaine qui doit être blanche, alors que tout cela est l’évidence même, il ne faut pas se surprendre des dérives auxquelles nous avons assisté depuis plusieurs décennies, qui resurgissent maintenant par l’exécution sommaire de personnes victimes de haine, de préjugés et cela de façon systémique.

Des lois, des amendements, des études, des commissions et j’en oublie, ont passé au crible le sens et le contenu du mot “systémique” appliqué aux forces de l’ordre manifestement pointées du doigt dans l’affaire George Floyd.

Certains règlent la question de manière un peu cavalière : défaisons les structures policières et rebâtissons tout ; réinstallons-les à partir des principes d’égalité des individus devant la loi, la constitution, etc. Le point intéressant dans ces propos, c’est qu’ils définissent exactement ce qui devrait être à partir des caractéristiques qui étaient à la base de leur création.

Plusieurs, éloignés des USA, s’évertuent à ne voir là qu’un phénomène américain.

D’autres, partout dans le monde, ne cessent de répéter qu’ils ne sont pas ségrégationnistes, que la couleur de la peau de leur voisin ne les offusque d’aucune manière.

Sauf qu’il faudrait davantage creuser la question, l’extirper de son aspect strictement visible, celui de la brutalité policière par exemple et chercher à rejoindre ses racines, autres que celles qui émanent de Caïn et Abel.

Combien de fois sommes-nous témoins de ces paroles  : “ Je proteste contre la brutalité policière systématiquement abusive, principalement dirigée contre les gens “différents” de couleur et de sexe surtout, donc je ne suis pas inclus dans la catégorie des intransigeants...” 

Cela suffit-il ? Je ne le crois pas.

 

 



    Voici donc  j’en étais, le 15 juin dernier, alors que d’autres préoccupations m'éloignèrent de ce billet. Je ne compte pas l’achever, mais plutôt me diriger vers autre chose à partir de ce qu’il cherchait à installer. 

Plusieurs jours, depuis le samedi 5 septembre 2020, c’est Le Lac des cygnes, le grand ballet de Tchaïkovsky qui s’invite à moi. La seule explication que je trouve à l’arrivée de cette oeuvre majeure dans ma réalité quotidienne est la suivante : le cygne noir aurait-il un lien avec tous les débats entourant la covid-19 ? Les affaires Floyd et Blake ?

Et depuis, je plonge dans ce lac sur lequel valsent des cygnes, entraîné autant par sa musique que par les pas de danse accrochés aux pieds des plus grand(e)s danseur(euse)s de ballet.

Qui a-t-il dans ce qu'a orchestré le grand maître de la musique russe, arrimé à une légende germanique qui puisse, d’une certaine manière rejoindre la question que je développais dans le billet inachevé et ma volonté d'examiner les divagations que le coronavirus nous fait vivre depuis quelques mois ?

Oui... le cygne noir.



Le compositeur russe, sur quatre (4) actes, nous présente Odette, cette femme qu’un vilain sorcier - Von Rothbart - amoureux d'elle, tient captive, modifiant son apparence le jour, la faisant apparaître sous les plumes d’un cygne blanc, pour ensuite, la noirceur venue, lui redonner ses attributs de femme. Une nuit, elle croise le jeune Prince Siegfried qui, ayant quitté le château, souffre à l’idée de ne pas pouvoir choisir lui-même l’élue de son coeur et la marier. À la vue de cette femme, il en tombe follement amoureux.

Le sorcier imagine un stratagème : sa fille Odile - il la transformera en cygne noir, la mènera au château devenu le lieu d’un grand bal avec un dessein précis : à partir de la ressemblance avec Odette, charmer le Prince.

Ce ballet, je l’utiliserai comme élément de comparaison alors que mon regard se pose sur  nous en sommes avec la pandémie mondiale de la covid-19.

Auparavant, j'aimerais que l'on examine le second sens attribué au cygne noir : la théorie selon laquelle “un certain événement imprévisible a une faible probabilité de se dérouler (« événement rare » en théorie des probabilités) ; s'il se réalise, les conséquences seront d'une portée considérable et exceptionnelle, selon le statisticien Nassim Nicholas Taleb, autour de 2007.

 

 

S’appuyant sur “ un biais cognitif, soit une distorsion dans le traitement cognitif d'une information : le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement.”   

C’est en écoutant et réécoutant la musique du Lac des cygnes, que l’idée du “cygne noir” a jailli en moi. 

À partir des trois (3) billets publiés déjà et qui traitaient de la covid-19, je vais tenter d'aller un peu plus loin dans l'analyse de cette métaphore issue du monde du ballet et de l'autre, celui de la statistique, 




Je décline ici les titres et dates de parution des trois (3) billets parus sur mon blogue LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON :

Il ne faut pas parler de corde dans la maison du pendu  - 1 - : 18/04/20

Il ne faut pas parler de corde dans la maison du pendu  - 2 - : 26/04/20

Il ne faut pas parler de corde dans la maison du pendu  - 3 - : 08/05/20


 À SUIVRE

 

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