jeudi 11 avril 2019

LA THÉORIE DU " cé pas "



Vous avez bien compris que ce "cé pas" phonétique signifie "c’est pas"
Cé pas grave; Cé pas beau ça; Cé pa bien; Cé pas possible; Cé pas vrai; Cé pas une affaire à faire; Cé pas rien; 
Cé pas ça qu’il faut faire; Cé pas ce que je t’ai demandé; etc.      Il est dit en français mais peut se traduire par aussi castrant "it’s not that" en anglais.

On serait porté à dire que le ‘"cé pas" relève du concept psychanalytique SURMOI, de l’allemand Überich, terme créé par Freud et introduit dans LE MOI ET LE ÇA en 1923. Le SURMOI est l’une des instances de la personnalité, telle que Freud l’a décrite dans le cadre de sa seconde théorie de l’appareil psychique et souvent assimilé, à tort, à la conscience morale. C’est en fait une instance inconsciente née de l’intériorisation des interdits familiaux. Pour Freud, il est "l'héritier du complexe d’Œdipe".

J’ajouterai avant de poursuivre ma théorie du "cé pas", une autre notion, grammaticale celle-ci : l'ellipse, c'est l’omission d’un ou de plusieurs éléments (que l’on peut néanmoins déduire). Selon les cas, ce procédé permet d’alléger l’expression (par exemple en évitant une répétition) ou la renforcer. C'est un procédé fréquent dans les proverbes ou les petites annonces.

Je pense aussi au négativisme, cette attitude de rejet passif de toute sollicitation extérieure, de résistance au contact ou à la collaboration, sans raison apparente. Le négativisme est symptomatique de la catatonie (schizophrénie) en tant que trouble de l'activité motrice volontaire, mais se rencontre également sous forme de trait de personnalité associant un pessimisme et un refus de l'action.

La négation est également un frein - système permettant de ralentir, voire d'immobiliser, les pièces en mouvement d'une machine ou d'un véhicule en cours de déplacement.

Un système nerveux pour agir, un système social pour empêcher d’agir ? selon Henri Laborit irait dans le sens que je souhaite interpréter le "cé pas".

Derniers éléments référentiels:
la peur, cette émotion ressentie généralement en présence ou dans la perspective d'un danger ou d'une menace. En d'autres termes, la peur est une conséquence de l'analyse du danger et permet au sujet de le fuir ou de le combattre, également connue sous le terme « réponse combat-fuite » pourrait être le carburant du “cé pas” alors que
le pouvoir, cette capacité dévolue à une autorité ou à une personne, d'utiliser les moyens propres à exercer la compétence qui lui est attribuée,
son outil 
et sa caution morale,
l'autorité qui correspond au droit de pouvoir commander, d'être obéi. Elle implique les notions de légitimité, de pouvoir (sans pour autant être confondue avec celui-ci), de commandement et d'obéissance, et ne doit pas être confondue avec l'autoritarisme. La forme de sa légitimité peut varier, et elle peut enfin s'exprimer selon un rapport de force ou un rapport de compétence.

Puis, l’éducation qui est une intention, suivie d’actions, d’un éducateur sur un éduqué.
Deux acteurs:
être éduqué, c’est donc une violence que je me fais, afin de correspondre au modèle attendu, afin d’être conforme à ce modèle;
être éducateur, c’est aussi une violence que je fais en cherchant à obtenir de l’autre qu’il fasse ce que, moi, j’attends de lui.


Admis – privilège unique au Vietnam – dans la chambre à coucher d’une amie qui vient d’accoucher, une chose me saute aux yeux: les Vietnamiennes, primipares ou non, doivent être isolées de tout le monde durant le premier mois suivant la naissance de l’enfant. Seule la mère ou un substitut, peuvent l'approcher.

Réagissant au son de la voix de sa maman, cette enfant nouvellement née me mettait en présence d’une âme à l’état pur, d’un être entièrement à faire, à parachever tout comme ses fontanelles. Quelle merveille! Cette enfant pourra être ceci ou cela selon les messages transmis consciemment ou inconsciemment qui, inévitablement, lui parviendront.

La force de tout système est de s'autogérer. Une fois intégré dans le comportement conscient ou inconscient de l'individu, le système installe des stéréotypes qui ont rapidement force de loi, des habitudes qui évitent les oscillations et donnent du sens à la vie collective. Il faudra alors une forme de jugement, de sens critique pour dire que tel ou tel système ne puisse résister à l'analyse.

Élever un enfant, au sens de l’aider à grandir physiquement, la nature s'en charge, mais lui inculquer des valeurs souvent issues de traditions millénaires, grégaires, c'est le faire entrer dans un système, s'y plier et agir selon les règles induites par celui-ci.

Le langage, l'élément sans doute le plus puissant que possède un être humain afin de se soustraire à la solitude et à l'isolement, se manifeste par des signes oraux ou non qui permettent la communication entre nous. Communication teintée par le système en place, véhiculée par les diverses croyances et acceptée par le fait que nous participons selon nos ressources individuelles à la poursuite de notre cheminement dans l'espace et dans le temps où le hasard nous a placés.

Le phénomène humain qu'encore maintenant et sans doute dans mille ans nous tenterons de mieux saisir, repose donc sur la qualité des messages transmis, leur aptitude à se perpétuer d'une génération à l'autre et une certaine ouverture à les modifier selon le rythme et l'évolution du temps.

Il me semble partir d'assez loin pour exprimer mon idée sur cette théorie du "cé pas", mais elle repose sur des faits décryptables. J'utiliserai, pour se faire, l'exemple de cette enfant nouvellement née en terre vietnamienne, de parents vietnamiens dont l'un des deux est d'origine chinoise.

Sans qu'elle ne le sache encore, cette enfant intègre des comportements qui lui permettent d'entrer en relation avec sa famille. Comportements intergénérationnels qui remontent à la naissance de l'être humain doté d'intelligence.

Ils sont, ils seront vietnamiens puisqu'elle naît vietnamienne. Mais, fondamentalement, ils sont et seront humains. Les différences entre les deux se manifesteront au quotidien de sa vie et seront déterminantes pour son avenir. En contact avec d'autres différences, certaines distances se réduiront, de nouvelles attitudes se créeront au fil du temps.

Les civilisations qui nous ont précédés - et celles qui nous suivront - ne peuvent être les mêmes en raison des contacts que le hasard aura permis. Si cette enfant ne rencontre que des Vietnamiens, ne vit qu'en fonction de ce qu'elle reçoit consciemment ou inconsciemment, sans être, toutefois, entièrement isolée des autres mouvements humains qui circulent sur la planète, elle ninduira que jusqu'au bout de sa rue, ne connaîtra et n’apprendra pas des agirs n'ayant rien à voir avec les siens.

Alors que, par le hasard de la bonne fortune ou encore par l'évolution des moyens de communication qui favorisent les échanges et parfois les rapprochements, elle soit mise en contact plus ou moins directement avec d'autres individus, elle découvrira que son bout de chemin peut être un ailleurs qu'elle pourra explorer, analyser et juger s'il lui convient ou pas.

La théorie du "cé pas" apparaît donc comme une machination du conservatisme. Une manière de couper des ponts en construction. Si on l'applique dès le plus jeune âge, tout le "méchant/le mauvais" que représente le repli sur soi, la certitude que ce que l'on fait est la vérité pure, que rien ne doit être explorer car tout l'a été auparavant et que les réponses sont déjà toutes faites, comme des recettes à appliquer pour un savoir-bien-vivre, sans se poser de questions, nous intégrons dans le conscient et dans l’inconscient les germes d’un problème en puissance.

L'éducateur - que ce soit un parent, une école, une religion, un système politique, un système social - a donc le devoir, s'il souhaite que cette enfant devienne autre chose qu’un copier/coller de son environnement immédiat, le devoir de ne pas se référer à l'approche théorique du "cé pas" qui suppose un éducateur imbu de la vérité, un éduqué n'ayant qu'à recourir à sa mémoire et sa docilité pour devenir plus grand.

Si on dit "cé pas ça" à cette enfant, elle saisit ce qu'intrinsèquement elle pense, souhaite agir n'a pas de sens, qu'il lui faut modifier son comportement afin de demeurer dans la zone de compréhension des autres, ces autres qui lui sont essentiels à sa survie. Elle développe une faculté d'obéissance conditionnée qui obstrue sa faculté à saisir différemment le sens des choses perçues et ressenties par sa propre expérience. Multiplier les "cé pas" et nous obtenons l'automate que tout système cherche à construire.

Elle devient le jouet de la peur, de l'autorité, du négativisme et sans tout à fait en être consciente, remet entre les mains du pouvoir, sa possibilité d'être entièrement elle-même.

Le cerveau possède, dans toute sa complexité, une grande crainte: l'insécurité. Il ne faut pas se surprendre que tous les systèmes s'appuient sur cette donnée afin que règne l'inanimité qui rend l'être humain membre servile d'un groupe et non autonome, à la recherche de l'autre pouvant lui servir de tremplin vers un meilleur apprentissage de qui il est et des raisons pour lesquelles le hasard a semé en lui afin qu'il aspire au bonheur.

La théorie du "cé pas" est tristement fort répandue. Un raccourci, alors que la route est longue, semée de problèmes à résoudre; elle nous invite à se doter de stratégies afin de vivre dans un monde en perpétuelle mutation. Les outils que le "cé pas" fournit sont des clés qui ouvrent des portes ouvertes.

Cette enfant nouvellement née a des besoins primaires qu'il lui faut assouvir. Mais pour les besoins plus universels, on ne peut pas recourir aux  stratagèmes du besoin-réponse pour les réguler, il faut plutôt qu'elle soit placée en situation de résolution de problèmes qui sache la rendre plus libre.

On me dira qu'il n'est pas nécessaire qu’elle se brûle la main pour apprendre que le feu est chaud. C'est exact. Tout comme il ne lui est pas nécessaire de recourir au suicide pour connaître la mort. Connaître, c'est d'abord et avant tout savoir qu'un problème existe et que diverses solutions s'avèrent possibles.

Les personnes âgées, du moins à ce que je perçois autant dans la culture occidentale qu’orientale, arrivent un jour à se poser l’ultime question: qu'ai-je fait de ma vie? À l'approche du départ vers une forme de néant, d’inconnu, est-ce que tout ce que j'ai appris, vu, est-ce que tout cela m'est utile à l'heure de la mort? Ai-je assez vieilli dans mon corps et dans mon âme pour pouvoir affronter calmement, sereinement ce dernier pas ? Ici la théorie du "cé pas" prend du sens: la mort "cé pas" ce que l'on croit, la mort "cé pas" possible de la définir sans être intrinsèquement parvenu à son contact. On y aboutit comme on arrive à la vie: sans y avoir été forcément invité... le résultat d'un hasard.

Un jour cette enfant fera face à la mort. Elle se retournera vers ce qu'elle a reçu, aura appris et, sans doute qu’à son tour, elle ne pourra conclure qu’à leur inutilité. Difficile de sublimer la mort, on ne nous pas injecté l’antidote contre cette peur... mortelle.

Avec la théorie du "cé pas" la mort ne nous appartient pas, ne s’explique qu'à l'aide de concepts reliés à la vie, souvent sybillins mais toujours obsolètes alors que tout doucement, inexorablement le dernier souffle nous étouffera.

Je souhaite à cette enfant de reprendre contact avec le néant, cet endroit d’elle vient à peine d’arriver, là  nage le hasard, son premier lieu d’apprentissage. Je lui souhaite de pouvoir le nommer comme elle le percevra. Je souhaite que sa vie, unique, puisse être l’occasion de donner au monde, qui ne retiendra d'elle que des cendres et poussières, de construire une marche de plus à cet escalier que chacun d'entre nous devons grimper pour permettre aux autres d'aller plus haut.

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