dimanche 28 mars 2010

Le trois cent quarante-quatrième saut / Le trois-cent-quarante-quatrième saut


Mario Cyr vient de faire paraitre deux livres - annoncés comme étant deux romans - jusqu’à épuisement des stocks et mono_, aux éditions LES INTOUCHABLES.

Il nous avait surpris lors de Visite tardive (roman, 2004) puis Revenir à toi (variations sur un même thème, 2009) avec des formats plus courts, plus concentrés, certains diront plus minimalistes… que ses premières oeuvres.

Les nouveaux-nés se ressemblent donc de par leur facture : moins de 90 pages chacun. Comme ils paraissaient au même moment, je me suis lancé d’abord sur mono_. Il aurait fallu, pour suivre la chronologie de l’édition, que j’y arrive en second, mais voilà… Ce roman (selon Mario) est plutôt une suite de réflexions qui partent de l’énoncé suivant : l’homme est un animal grégaire. Puis, tout au long de ces coups de lucidité, s’installe une espèce de soliloque interrogeant en mono une foule de sujets s’imbriquant les uns aux autres ou s’en distançant à des années-lumière pour nous amèner à un corollaire : le grégaire du départ débouche, par la suite, au solitaire?

Chacun des chapitres, appelons-les ainsi afin d’installer la structure du livre, possède son propre titre. Partant du regard introspectif (Mario le qualifierait de photographique) d’un narrateur, un peu comme s’il réussissait à se tenir stable sur une roue en mouvement, il examine, s’examine et en tire des conclusions caustiques, parfois fatalistes.

«Sauf qu’on ne peut pas aimer la vie à demi : elle vient avec la vieillesse, et la mort.»

On a l'impression d’enfourcher un monocycle, de tournoyer sur soi-même, surpris de ne perdre ni pied ni tête, de revoir continuellement les mêmes choses sous des aspects différents. Parfois nous les reconnaissons, parfois non, sans doute en raison de notre marche aveugle dans le cycle du naitre-vieillir-mourir. Regarder à travers cette roue en marche sur elle-même à la recherche de la différence entre centrifuge et centripète.

Le livre nous amène à revisiter des trajets, recomposer des réflexions, réfléchir sur ce que devient, en naissant, l’essence des êtres et des situations (chez Mario les choses se transforment généralement en évènements) s’en allant inexorablement vers la mort; nous interroger sur le niveau de lucidité acceptable pour que la démarche demeure cohérente.

Plus près, selon moi, des variations sur un même thème ou plusieurs thèmes que du roman, mono_ plonge dans l’enfance, émerge à l’âge adulte et pointe le bout de son nez dans le vieillissement. Questionner la vie avec une certitude que l’on pourrait croire blasée, cette route que chacun se doit de composer avec ou sans GPS, ce livre se veut, beaucoup, un arrêt sur l’exigence, l’obligation de répondre au dilemme grégaire/solitaire. « À quoi sert d’avoir une vie si on ne peut pas s’y jeter, et s’y vautrer?»


Lorsque je suis arrivé au second jusqu’à épuisement des stocks, j’ai compris qu’il eut mieux fallu lire celui-ci d’abord; beaucoup plus près du roman, sans doute par la présence de personnages (un peu trop peut-être pour un aussi court texte), d’une intrigue (qui suit des méandres parfois compliqués).

Il y a quelques clins d’oeil du premier au second quel qu’en soit l’ordre dans lequel on les ait lus. Non pas au niveau du contenu mais de la réflexion. Est-ce que mon ami Mario nous prépare un traité de philosophie? Mais les éléments que je pourrais nommer comme relevant de la «sagesse» - cette espèce de condensé des expériences de vie qui nous rendent soit blasés ou bêtement optimistes - j’ai eu comme l’impression qu’ils remontaient à la surface d’une conscience, toujours lucide, et tellement corrosive.

« Seulement la liberté n’existe pas. On choisit pas ses origines, ni ses bagages, ni le lieu, ni l’heure, ni la société, rien, on dispose à la rigueur d’une marge de manœuvre, oui, bien mince, balises étroites, dans un registre défini, qui correspond à l’espace probable du bonheur. Sans plus.»

Et encore :

« On s’élève de la poussière pour y retomber. Entre les deux, il y a l’ahurissement de vivre, le reste, le style, dépend de soi.»

J’écrivais dans le saut 261, à la sortie de Revenir à toi que Mario travaillait beaucoup sur le style. Utilisant l’ellipse avec un réel succès - ce procédé littéraire qui consiste à supprimer des mots nécessaires à la construction du texte mais que ceux qui sont exprimés font assez entendre pour qu’il ne reste ni obscurité ni incertitude – il va plus loin encore. Il nous lance ce procédé au niveau des idées. Ici encore ça donne d’excellents résultats.

Je vous invite à la lecture de ces deux livres, dans l’ordre que vous choisirez, et vous laisse sur ces derniers mots tirés de mono_ :

«… j’ignore ce que je redoute, sur le qui-vive constamment…»

Au prochain saut


(Ce saut est écrit en nouvelle orthographe.)

mercredi 24 mars 2010

Le trois cent quarante-troisième saut / Le trois-cent-quarante-troisième saut


Poursuite et fin des citations de Jean Bédard, cette fois-ci… Selon Comenius.

. Consulter pour entendre; consulter pour refléter; consulter pour décider.

. Il faut enseigner tout. La pansophie ne consiste pas à acquérir des connaissances éparses, mais à rencontrer la totalité. Son but consiste à libérer. Que tout soit libéré en chaque enfant, la nature dans sa totalité, l’homme en sa totalité.

. Il y a sacrement lorsque le corps et l’esprit nous apparaissent indissociables, lorsque le plaisir tire vers le bonheur. C’est par la conscience et la prière qui en est le moyen que la nourriture devient substance divine. Chaque besoin humain a son sacrement : le sacrement de la propreté, c’est le baptême; le sacrement de la vie sociale, c’est le pardon; le sacrement de la parole, c’est l’enseignement; le sacrement de la mort, c’est l’abandon et le sacrement du désir, c’est le mariage.

. La connaissance jaillit de la rencontre entre l’esprit qui est à l’intérieur de soi et les esprits qui sont à l’extérieur de soi. La médiation de la nature est essentielle. Les âmes assoiffées de vérité prennent chaque chose dans leur intuition, la vérifient dans l’expérience, en découvrent le sens par la syncrise, en expriment la vie dans des œuvres. Par la synthèse, on peut reconstituer une horloge que l’on a démontée, par la syncrise, on peut voir le principe d’une chose dans chaque chose.

. Le désespoir est incompatible avec la démocratie, puisqu’il engendre le désengagement.

. Le poids des enfants est décidément un bien étrange fardeau. Il nous écrase et pourtant c’est par lui que nous tenons debout.

. Une raison qui a rompu avec sa propre enfance est tout simplement incapable de penser. Elle suit machinalement une habitude, une logique. Elle pousse en direction de la mort. L’art de la liberté, c’est l’art de se commencer. Lorsqu’on a perdu la liberté, tout à coup, la naissance est derrière soi et la mort devant soi. Dans la liberté, la mort est derrière soi et la naissance devant soi.

. Tant que l’on ne se consacre pas à une véritable éducation à la liberté, la tolérance ne fait que répartir la violence, elle ne la réduit pas. Je l’ai observé mille fois dans les écoles, la répression est le corollaire du vide pédagogique. La violence de l’État mesure son incompétence.

. La pacification de l’humanité est une impossibilité sans la justice économique. Les collèges doivent toujours agir en amont de la violence, et le premier pas dans cette direction consiste à éliminer la pauvreté et l’exclusion. Tout individu a le devoir et donc le droit de participer aux décisions, de participer à la production de la richesse et de jouir des richesses qu’il produit. Mais cela ne suffit pas encore, la pacification est impossible sans le désarmement des individus et des organisations.

. Le fanatisme construit un labyrinthe où plus l’uniformité est visée, plus le chaos est engendré. Tel est le principe de la guerre. Pour survivre, les civilisations de l’avenir devront engendrer l’amour de la différence.

. Terrible souvenir d’avoir été une femme, d’avoir goûté à la sève des dieux, au pouvoir de créer, et de l’avoir perdu… veuve, vide : horribles synonymes. Être devenu un vase de grès, avoir perdu tout le vin, sécher en tremblant de froid, sentir sa chair se racornir, devenir la momie de soi-même et être vivante dedans.

. Elle ne manque jamais de force la vie, car elle se nourrit des morts et recrache des vivants.

. C’est quoi une découverte? C’est la première fois que tu vois une chose assez pour savoir que tu ne l’avais pas vue auparavant. Aller de découverte en découverte, c’est le jeu du bonheur. Va mon petit. Ne t’habitue à rien.

. Tous les obstacles sont gros sous la loupe de la peur, mais pour vrai, ce sont des tunnels de fourmis.

. … même si un lapin meurt de faim, la carotte ne mûrit pas plus vite pour autant.

. L’espoir sans lucidité n’est qu’un rêve. La lucidité sans espoir n’est qu’une démission. Deux chemins faciles et sans fruit. Si tu les fais se féconder, alors naîtra la philosophie.

. … laisser à chacun sa sincérité et il sera dans la meilleure position pour trouver son chemin.

Au prochain saut

samedi 20 mars 2010

Le trois cent quarante-deuxième saut / Le trois-cent-quarante-deuxième saut

À l’occasion de l’entrée de Simone Weil à l’Académie française, cette magnifique phrase :

. C’est un devoir pour chaque homme de se déraciner (pour accéder à l’universel), mais c’est toujours un crime de déraciner l’autre.

Nous avons, avec Jean Bédard, reçu quelques citations de Maître Eckhart – je vous réfère aux sauts 310 et 311 – cet illustre personnage à partir duquel Bédard a écrit un roman historique fort intéressant.

Aujourd’hui, un deuxième personnage tout aussi captivant, Comenius et un second roman OU L’ART SACRÉ DE L’ÉDUCATION, qui scrute la pensée de Jan Amos Komensky, écrivain et humaniste tchèque (un autre) qui vécut de 1592 à 1670. Il est intéressant de noter qu’étymologiquement son nom komenty, en tchèque, signifie «commentaire», «explication». Je vous rappelle que nous avions déjà entrepris une première visite chez lui lors du saut 269.

Nous en aurons probablement pour deux sauts. Bonne lecture.

. On ne donne pas la vie, la vie prend feu dans l’espace inflammable du cœur.

. La partie préparatoire, rigide et cruelle du temps, c’est le passé; sa partie subtile, vitale et malléable, c’est l’avenir.

. On doit déposer la vie lentement sur le dos des enfants, par petits paquets bien pesés. Trop d’atermoiements, ils restent chétifs, trop d’empressement, on risque de les éteindre. Préserver l’enfant, c’est protéger sa joie naturelle. L’enfant aime le difficile, il grimpe, escalade, saute. Par le difficile, il renforce son corps, sa volonté, sa sagacité, sa mémoire. Mais le trop difficile écrase. L’éducateur doit moduler les exigences. Cela suppose qu’il assume lui-même le poids. Tel est le terrible métier de parent.

. Messieurs les renfrognés, j’en ai trop vu des comme vous. Depuis des millénaires, vous guerroyez pour vos idées. Figurez-vous que durant ce temps, vos guerres tuent. Alors, pourriez-vous, un siècle ou deux, cesser d’avoir des idées.

. Si la vérité n’est pas ce qui arrive par soi dans la plus grande des solitudes, elle n’est rien.

. Qu’une partie domine le tout, c’est l’essence même de la violence.

. … la connaissance résulte de la rencontre de quatre sources : soi, la nature, la Révélation et autrui.

. S’il y a une souffrance, c’est que nos enfants doivent poser le pied dans nos lacunes…

. Un homme, c’est une femme, la cervelle en moins. Ça veut fortune, ça dilapide son bien; ça aime la vie, ça la risque; ça veut commander, ça obéit; ça veut une femme, ça se tient entre mâles; ça sème, mais ça fuit la récolte; ça a la tête plein d’idéaux et ça fait la guerre.

. Ce n’était pas la mort qui était passée dans ces villages, c’était l’enfer. La mort relève de la nature, Lucifer relève de l’homme. La mort, on en revient, l’enfer on n’en revient jamais.

. Le démon pousse la victime à ressembler au bourreau. Voir s’infiltrer dans son cœur ce qui nous a fait si horreur dans l’ennemi, c’est le pire de la guerre. La paix était signée, mais qui pouvait fêter? Qu’était cette paix? En fait, la guerre était entrée. Elle se cachait dans les entrailles humaines. Tant qu’il y a combat, la guerre est à l’extérieur, on la voit, on la hait. Mais lorsque les combats cessent, la guerre dévore du dedans.

. … le mal surgit toujours d’une guerre qu’on laisse couver contre soi-même. Toute violence contre les autres n’est que le surplus d’une violence contre soi. Un homme qui a fait la paix avec soi ne fait plus de mal autour de lui. De ce fait, il est plus sage de chercher la réconciliation avec soi que tenter de se punir. Les sages, lorsqu’on leur impose une douleur injuste, une humiliation, une souffrance, dès que ce malheur cesse, ils ne le continuent pas dans leur imagination. Ils n’ajoutent pas à la haine qu’ils ont reçue, ils ne se croient pas coupables parce qu’on les a humiliés. Alors ils souffrent moins longtemps et ils éprouvent moins souvent le besoin de tuer. Et s’ils éprouvent le besoin de tuer, ils attrapent une mouche, ils lui écrasent la tête, lui arrachent les pattes et les ailes. Ça les soulage un moment, après ils apprennent à rire et ils peuvent y voir plus clair.

. Après avoir tout pulvérisé, ils (les excès de la souffrance) se métamorphosent en calmes brises, reviennent sur leurs pas et réconfortent leurs victimes.

. Mais l’amour est l’amour, il ne repousse pas à la surface, mais amène dans la profondeur.

. La guerre est un instinct. Après un carnage, la vengeance. La vengeance est une pure imitation et cela tisse des liens de haine. Rien n’est plus savoureux que cette haine. L’homme est un chasseur, lorsqu’il a goûté au sang, il en devient ivrogne. La campagne se couvre de cadavres et la vue des morts, le pousse à se reproduire. Un besoin de femme le dévore. Ce qu’il a pris en sang, il doit le rendre en semence. Tel est le cycle. La femme refait les chairs, l’homme les dévore. C’est le règne de la bête. L’humanité n’est pas née et le tourbillon du feu perpétue l’espèce comme un espoir : un jour, un homme véritable sortira bien d’une femme. Hélas! la quantité d’engendrement ne semble pas accroître la probabilité d’arriver à l’humanité.

. C’était peut-être cela la minuscule graine de l’amour, une demi-seconde de contact suffisait pour la recevoir. Le reste consistait à la cultiver.

Au prochain saut pour la suite...

mardi 16 mars 2010

Le trois cent quarante et unième saut / Le trois-cent-quarante-et-unième saut



Le cahier de lecture que je viens d'ouvrir a quelque chose de tout à fait particulier. En effet, ce sera le premier (en plus d'être le cinquième à se faire dépouiller) qui couvrira les premiers mois de ma retraite. On parle donc de l'année 2004.

Je viens tout juste d'y jeter un rapide coup d'oeil; ce que je lisais à l'époque - Jean Bédard, Davis Servan-Schreiber, Gérald Messadié, Jean-Claude Guillebaud, Fun-Chang, Mihaly Csikzentmihalyi, Spencer Johnson, Hélène Grimaud, Fernando Savater - laisse deviner un lecteur qui n'a pas encore tirer la ligne entre son lui-même travailleur et un nouveau lui-même... retraité.

Je vous donne un petit aperçu dans ce saut.

. L'indécision, voilà ce qui brise le coeur. (Jean Bédard)

. ... nos émotions sont à la traîne; elles s'accrochent au passé bien après que notre vision rationnelle de la sitaution a passé. (David Servan-Schreiber)

. ... il n'est pire ennemi que l'ennemi de l'intérieur. (Gérald Messadié)

. ... c'est la singularité elle-même qui nous ouvre à l'universel. (Jean-Claude Guillebaud)

. Une partie importante de la sagesse et de la connaissance consiste à ne pas vouloir tgransformer les gens en ce qu'ils ne sont pas, mais à accepter ce qu'ils sont, à comprendre leur expérience de vie. (Fun-Chang)

. Les racines de l'insatisfaction sont internes, de sorte que chacun doit se débrouiller personnellement avec ses propres capacités. (Mihaly Csikzentmihalyi)

. Pour prendre de bonnes décisions, j'interromps le cours d'une mauvaise décision. (Spencer Johnson)

. ... à forcer ses désirs, on en fait des vérités, pire, des réalités. (Hélène Grimaud)

. Le langage est le tapis volant symbolique qui permet cette perpétuelle façon de survoler activement la réalité pour tenter de devenir pleinement réel. (Fernando Savater)

Comme vous pouvez le constater ça annonce bien!

Le poème que je vous offre aujourd'hui, il me serait très difficile de dire comment il m'est parvenu... il gagnerait peut-être même à être revu, retravaillé... je l'envoie quand même.

neige chinoise

une vieille dame chinoise balaie la neige sous son balcon
silencieuse
elle songe à son fils muet

de la neige que l'ennui a sassée sous son balcon
ne lui reste plus que les silences d'un fils

la dame du balcon chinois déploie ses ailes
sorcière sur balai blanc
à la main des grains d'un chapelet usé
qu'elle agite sans se faire entendre

muette de fils, elle lui parle avec ses mains
dans de grandes envolées de balcon

ses silences parlent anglais
ses souffrances, chinois
et elle pleure une neige balayée

les mots, en elle,
se transforment en images

ceux qu'elle avait lus
et qui ne contenaient plus de sons
devinrent des icônes de ciment
des traces sur les trottoirs balayés


«un carnet d'ivoire avec des mots pâles»

C A N O P É E
( nom féminin)
. zone d'une forêt qui correspond à la cime des grands arbres.

C A P I L O T A D E
(nom féminin)
. en capilotade : en piteux état, en miettes, en compote, en marmelade.

Au prochain saut

vendredi 12 mars 2010

Le trois cent quarantième saut / Le trois-cent-quarantième saut



Nous poursuivons, aujourd'hui, notre voyage dans le monde de la nouvelle orthographe: sixième coup de griffe + un petit rappel sur ce que nous avons déjà vu.

6) Les mots empruntés forment leur pluriel de la même manière que les mots français et son accentués conformément aux règles qui s'appliquent aux mots français.

. Le pluriel régulier, déjà familier à la plupart des francophones, renforce l'intégration des mots empruntés; l'ajout d'accent permet d'éviter des prononciations hésitantes.

Voici quelques exemples:
(AN) des matches (NO) des matchs
(AN) revolver (NO) révolver
(AN) des desperados (NO) des despérados.

Permettons-nous maintenant un petit rappel de ce que nous avons déjà vu:

1) Les numéraux composés sont systématiquement reliés par des traits d'union;

2) dans les noms composés (avec trait d'union) du type pèse-lettre (verbe + nom) ou sans-abri (préposition + nom), le second élément prend la marque du pluriel et toujours lorsque le mot est au pluriel;

3) on emploie l'accent grave plutôt que l'aigu dans un certain nombre de mots pour régulariser leur orthographe. On l'emploie également au futur et au conditionnel des verbes qui se conjuguent sur le modèle de céder, et dans les formes du type puissè-je;

4) l'accent circonflexe disparait sur le i et le u. On le maintient néanmoins dans les terminaisons verbales du passé simple, du subjonctif et dans cinq cas d'ambiguité;

5) les verbes en -eler ou en -eter se conjuguent sur le mode de peler ou de acheter. Font exception à cette règle appeler, jeter et leurs composés (y compris interpeler).


Je vous offre maintenant le cadavre exquis numéro 7:

CADAVRE EXQUIS NUMÉRO 7
se referma la porte
dans le bruit matinal
et ronronna la voiture taxi

se tenant par la main,
les inconnus marchent
inconscients de la route à venir
à leurs insouciantes semelles l'innocence collée

au bout du sentier vide,
il n'y a rien,
à peine une ombre,
un peu de poussière peut-être
soulevée par deux scorpions rampant près des cactus violets

il y eut une invitation

les amarres lâchées n'ont pas atteint
- encore -
le fond du ruisseau
que mille têtes-ogives fouineuses les poursuivent

une ombre blanche
aux mains de sang
rapetisse les heures de décembre
réchauffe les neiges essoufflées

enfant de rue, rapine et tapine,
mains noires d'asphalte et de fumée
yeux jaunes cernés de vides,
voix rauque qui crache et ment
pieds calleux qui trottent et quêtent


Terminons ce saut avec...
« un carnet d'ivoire avec des mots pâles»


C A M P A N I L E (nom masculin)

. clocher à jour;
. tour isolée, souvent près d'une église, où se trouvent les cloches;
. lanterne surmontant le toit de certains édifices civils.


D É B A G O U L E R (verbe intransitif et transitif)

. intransitif: vomir;
. transitif: proférer (une suite de paroles, souvent désagréables).


Au prochain saut

lundi 8 mars 2010

Le trois cent trente-neuvième saut / Le trois-cent-trente-neuvième saut



Voici le deuxième saut contenant des citations de l’auteur québécois Robert Lalonde.


DES NOUVELLES D'AMIS TRÈS CHERS

. J’étais alors le jouet du plus féroce des tourments, celui de n’aimer personne en désirant avidement être aimé de tous.

. Souffrir ne sauve pas, ne punit pas non plus.


IOTÉKA'

. Poète, tu es un vieil enfant qui rêve au paradis que les hommes ont fui.

. Ne t’attache pas à moi. À tout bout de champ je m’envole, je m’enfuis, j’ouvre mes ailes dans un courant d’air tiède et me laisse emporter. Déjà je ne suis que cette toute petite zébrure noire en bordure du nuage, là-bas, au-dessus des pins. Tu me vois? Lève la tête, vite! Tu es si lent, si inattentif, tu as des yeux de taupe. Je serai bientôt en vue des îles Aléoutiennes, sous peu j’apercevrai la presqu’île d’Alaska, l’île Kodiac, le grand chapelet des îles de la Reine-Charlotte. Tu imagines? Oui, imagine – je le sais – mon voyage, mes escales, la force du vent, les constellations qui me guident, leurs reflets dans le miroir des lacs, la grève sablonneuse où je descends boire et me lisser les ailes. Tu imagines aussi, homme inquiet, les dangers que je cours, les orages, les bourrasques, la pluie cinglante, les brouillards aveuglants, la buse qui rôde. Certaines nuits, je sais que tu ne dors pas, occuper à scruter le ciel : tu me crois avalée par le cyclone, me vois chuter en spirale dans la gueule d’un volcan, contempler ma tête fracassée par la paroi d’un glacier imitant traitreusement le bleu du ciel.
Mais tu finis par te rendormir, tandis que je survole une mer de sapins, au crépuscule, toutes mes plumes en chamaille et, au fond de mon œil, ton image à demi effacée par le vent.

. Lever l’œil, purifier le regard, effacer les saccages afin d’imaginer la suite du monde.

. Pour quitter ma léthargie, il me faut cette frousse de perdre ma vie, cette urgence au fond de moi.

. Être humain, c’est être vieux, c’est avoir été, c’est avoir souffert, c’est avoir perdu sa vie, dans la nuit la plus noire.

. L’enfant peut se faire colombe ou loup, alors que le pauvre chien, lui, doit rester chien toute sa vie.

. L’homme sait que sa cervelle est mortelle alors que son cœur n’a ni commencement ni fin.

. Nous ne sommes pas qui nous sommes, mais ce qui fut planté, semé, jeté, déposé en nous, très tôt et une fois pour toutes.

. À demi mort, ton cœur bat toujours, ton cœur ne se repose jamais. Il se souvient, il espère, il écoute, il attend, prisonnier d’une main inconnue qui l’étouffe doucement, les mots dont dépendent sa survie, la suite de ses cognements dans la nuit.

. Interprètes que nous sommes de nous-mêmes, de ce moi multiple et embrouillé que nous abritons sous nos masques successifs, nous jouons, tous, à tour de rôle, l’un en face de l’autre, ce que nous croyons être notre personnage et qui n’est qu’une silhouette, avec son pan de décor brusquement éclairé, sur laquelle, tout aussitôt, la lumière s’éteindra.

. Nous avons tant de scrupules à laisser agir le temps. C’est lui, et lui seul, pourtant, qui apaise (mais il est vrai qu’il tourmente), qui resserre l’âme, la réduit à l’essentiel, à l’irréfutable (mais il est vrai qu’il la dilate et l’embrouille), qui éteint en nous les feux destructeurs (mais il est vrai qu’il les attise), qui détache, éloigne, brise les liens qui nous étouffaient (mais il est vrai qu’il les a tissés). C’est le temps seul qui dévoile la vérité, nous réconcilie avec l’aventure terrestre et, comme l’écrit Catherine Paysan, «nous délivre des miroirs anciens dans lesquels notre âme avait failli se noyer».

. Tel enfant, tel adulte. (Si tant est qu’on devienne adulte. En vérité, non, on n’a pas le temps.)

. Tu ne repasseras plus par tes vieux sentiers, ne reposeras plus les pas dans tes pas, déjà effacés dans le sable. Et pourtant tu marches toujours sur la même route, inconnaissable, connue pourtant. Tout est pareil et tout est changé. Tu sais et tu ignores, tu découvres que tu ignores, tu n’as encore rien fait et tu as toute une vie derrière toi. Tu es fini et tu recommences. Tu te regardes aller et soudain tu t’échappes et tu vois bien ton échappée belle, sur une route de survivance.

UN COEUR ROUGE DANS LA GLACE

. J’ai trois fois vingt ans et ce n’est pas trois fois rien. La jeunesse m’abandonne au matin, me reprend à midi, me chasse de son paradis à cinq heures, je chute avec le soleil et c’est le crépuscule final : encore une nuit, une longue nuit à perdre haleine, à m’essouffler derrière mon jeune fantôme qui tressaute toujours dans sa cage. L’andropause, l’arthrose, le pot aux roses!

Au prochain saut

vendredi 5 mars 2010

Le trois cent trente-huitième saut / Le trois-cent-trente-huitième saut



Les deux prochains sauts seront consacrés à Robert Lalonde, homme de scène et homme de lettres né à Oka en 1947. Voici quelques citations tirées de :

LE VASTE MONDE (Scènes d’enfance)

. Qu’est-ce qu’un ami, sinon cet ange qu’un dieu inconnu ajoute à votre ombre, et alors vous lancez sur la terre une très grande silhouette fabuleuse, invincible?

. Parfois, le silence était tel qu’il me faisait douter de ma propre existence. Alors il m’arrivait de pleurer doucement, debout contre le mur de la grange, en harmonie avec le ciel gris et le croassement des corneilles. La musique allait venir, bientôt, arracher des airs au vide effrayant, ressusciter le désir du désir perdu, brasser cette grande eau libre qui se déverse sans cesse au cœur pour aller se perdre on ne sait où.

. Tout dérangement au déroulement mathématique du temps et des habitudes acquises le dérangeait, comme une erreur dans ses calculs.

. … les pas étouffés de nos misérables errances dans un réel plus incertain que nos rêves.

. … sans cesse, il me fallait voir le monde de très haut ou de très bas, persuadé que j’étais né pour connaître de très proche aussi bien la poussière d’argent de l’aurore boréale que l’eau noire et morte des rivières souterraines.


ESPÈCES EN VOIE DE DISPARITION

. La vie est un mystère, crevé de petits trous par où se faufilent la peur, l’espérance, les malentendus…

. Quelle étrange place nous tenons dans l’univers, où nous sommes à la fois indispensables et de trop…


QUE VAIS-JE DEVENIR JUSQU'À CE QUE JE MEURE?

. «Il faut que ça change!» Mais rien ne change, rien ne changera jamais. Nous venons de nulle part et ne sommes attendus nulle part, en avant, plus tard. Rien ne sert à rien.

. Il faut faire semblant de prendre le parti de ce qu’on veut faire de nous. C’est le seul moyen de leur échapper…

. Il faut pas essayer de comprendre. Il faut s’en tenir aux faits. En essayant de comprendre, on altère les faits. La souffrance existe, un point c’est tout. Il n’y a pas vraiment de coupables, tout s’enchaîne, tout s’équilibre…

. Les créatures sans défense séduisent les cruels, méfie-toi!

. Tu dois aimer la vie et non pas le sens de la vie. Aimer ton existence sans raisonner.

. Et puis, qui qu’on en dise, quoi qu’on fasse, on se console pas. Il faut pas se consoler. On construit du solide avec le chagrin, quand on lui survit. Et quand les autres vous lâchent un peu…

. Ma désinvolture n’était qu’une manière de déguerpir devant moi-même en pensant m’échapper. Et puis tout est toujours à refaire avec le chagrin, je le sais bien. Il ne disparaît jamais. Il se recroqueville, se replie au fond de toi, il attend sagement son heure. J’ai voulu l’oublier, il se venge, il me rattrape.

. On ne naissait pas le jour où l’on venait au monde. On naissait le jour où l’on s’adoptait soi-même. À l’heure, à la minute, à la seconde où l’on se préférait, où l’on penchait subitement en faveur de soi, on naissait.


UN JARDIN ENTOURÉ DE MURAILLES

. (Marguerite Yourcenar : Tout grand amour est un jardin entouré de murailles.)

. … puisque l’amour n’était qu’un «châtiment destiné à nous punir de n’avoir pas su rester seuls».

. «On ne bâtit un bonheur que sur un fondement de désespoir. Je crois que je vais pouvoir me remettre à construire.»

. Chaque souffrance est une initiation, et l’éveil est court.

. … la volonté de séduire, c’est-à-dire de dominer.

. La banalité, c’est l’aveuglement. Tout est signifiant quand on regarde et qu’on voit.

. La réalité n’est pas la vérité.

. La vanité est un feu qui s’alimente délicieusement de nous pour ensuite nous réduire en cendres et nous éparpiller aux quatre vents.

LE VACARMEUR

. Chacun cherche sa joie, paye cher son espérance et son désir, et déguste en secret, voluptueusement, le fruit de son aveugle audace. Telle est notre existence de traqués-traqueurs, de chasseurs-chassés, de dévoreurs-dévorés.

. On ne saurait être heureux en oubliant qu’on est malheureux. En fait, on est «mal-heureux», c’est-à-dire heureux par intermittence. La joie et le malheur, ensemble, nous serrent le cœur, ensemble et en même temps. Notre désir fou de vivre à l’abri de tout est dérisoire. En fait, c’est lui, le «haut-mal», l’empêchement de tout, ce triste état de purgatoire où nous tournons en rond autour de nous-mêmes.

. Le vent est mon allié, il est cet ange avec lequel il fait bon se battre dans l’herbe, où nos deux ombres se chamaillent. Le vent me déprend de force de ce piège invisible qui se referme sur moi, à mon insu, ce nœud coulant que nous glissent autour du cou l’immobilité, l’entêtement, l’orgueil de tout tenter tout seul.


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