mercredi 30 décembre 2009

Le trois cent vingt-troisième saut / Le trois-cent-vingt-troisième saut


Odile, Éthan et Catherine
Comment mettre un terme à cette année, la deux-mille-neuvième (en orthographe nouvelle)? Les bilans, le crapaud s’y lance seulement lorsque le nombre de sauts franchit la centaine… et encore, il faudrait vérifier si au moins une occasion n’aurait pas été ratée… et de toute manière les bilans ça ne fait rien avancer, ça «banalise» parfois les évènements ou encore c’est si intime que cela ne signifie rien pour les autres.

Ça vous donnerait quoi exactement de savoir où en est mon tendon d’Achille et ses multiples complications? Un petit effort d’empathie et ensuite on tourne la page.

Ça changerait quoi dans votre vie et le roulement irréversible de l’univers connu d’apprendre que mon côlon se porte mieux? Un léger bravo échappé du bout des cils.

Ça voudrait dire quoi de précis dans votre capacité intrinsèque d’auto-analyse si je vous disais que l’année 2009 fut celle qui suivait une 2008 plutôt difficile au niveau des émotions et celle d’Éthan qui devrait, au moment où ses lignes seront publiées, faire ses premiers pas? À peine un «j’espère-que-ça-ira-mieux-et-que-la-grâce-ne-te-laisse-pas-d’une-semelle».

En fait, utiliser le «je» est toujours complexe. Je (vous voyez, il revient toujours au moment où on s’y attend le moins) disais à un bon ami que je le trouvais particulièrement patient d’écouter mes histoires de santé, d’examens à l’hôpital, de chirurgie… Ce à quoi il répondait qu’au moins ça évoluait. Évoluer c’est vieillir. Inévitablement.

J’ai fait la douce découverte (d’abord je tiens à mettre sur la table un élément important : je lis actuellement L’ART D’ÊTRE GRAND-PÈRE de Victor Hugo) alors que j’étais chez ma fille Odile (la mère d’Éthan), la douce découverte du vieillissement à partir de la présence d’un enfant de onze mois. Je m’explique.

Les enfants, lorsqu’ils ont maitrisé l’art du sommeil, c’est-à-dire franchir la nuit sans se réveiller, se rendent habituellement jusque vers six ou sept heures le matin (sept heures pouvant être considéré, pour les parents du moins, comme de la grasse matinée). Au réveil, le gazouillis qu’ils émettent et que j’ai entendu de la voix d’Éthan puis retrouvé dans mes souvenirs de père, ce gazouillis est d’une si merveilleuse pureté que cela ressemble presque à une prière. Ce gazouillis m’amène à la douce découverte.

Un gazouillis matinal de l’enfant s’avère un signal, celui de se retrouver; plus encore, celui de la certitude que nous sommes encore là. Là, dans une présence entière, complète, de celle qui se trouve directement au coeur de la sécurité. Un enfant en sécurité émet des sons qui chatouillent l’âme, des musiques intimes… ces sons deviennent des marques personnelles, des empreintes indélébiles.

Entendre gazouiller un enfant, le matin, alors que tout recommence, que tout pourrait être à la fois différent et identique, c’est se rendre compte que l’on vieillit. Au réveil, l’adulte tousse d’une voix rauque, âpre comme s’il tentait de chasser on ne sait trop quoi de coller en lui-même. Le début de sa vieillesse, peut-être. Ou, comme l’écrit le Dr Olivenstein, «la naissance de la vieillesse».

Éthan gazouillait et m’a fait prendre conscience de cette vieillesse qui est avec moi maintenant. D’ailleurs, et je ne veux surtout pas revenir là-dessus trop longtemps, mes dernières histoires de santé en sont de vibrants témoignages. Presque une année complète à faire vérifier ceci ou cela, chirurgie puis vivre avec ses collatéraux alors qu’il y a encore moins de dix ans, le tout aurait été classé parmi les banalités de la vie.

J’accepte de me dire vieux. J’accepte d’être ce que je suis en train de devenir. Un peu comme un enfant qui ne voyait presque pas il y a quelques mois à peine et à qui maintenant on ne peut rien cacher. Comme un enfant qui émet des sons puis des onomatopées et enfin des mots qui prennent du sens. Ensuite, il gazouille le matin. Se traine, se lève et se dirige vers les mains tendues, ces mains qui symbolisent la sécurité et l’encouragement à se déplacer de trois pas vers maman, trois pas vers papa. Après, il courra.

Comme la vie est bien faite, opiniâtre (c’est ma chère belle-sœur Claire qui me le répète souvent), résistante et parlante. Toute en messages, en signes que l’on décode… par après.


Comment mettre fin à l’année deux-mille-neuve? En ouvrant les bras pour la laisser partir et se tourner vers deux-mille-dix, celle qui sera là dans quelques poussières de neige.

Fred Pellerin met cet aphorisme dans la bouche d’un de ses personnages : «J’ai beaucoup de respect pour le passé parce qu’un jour il fut l’avenir.» Quelle belle façon de marquer le temps! De le situer entre enfant et vieillard, entre gazouillis du matin et toux rauque. Une prise de conscience, aussi : pour parler du passé il faut être conscient d’en avoir un. Avoir un passé c’est accepter que l’avenir aura été la somme des présents. Ce que chacun fit de ses présents est une autre question, mais chose certaine, évidente, les présents se sont déroulé en jours et en années qui se chargèrent de les remplir. Maintenant, un enfant reçoit avec la même charge, l’occasion de construire son passé avec les bouts de présent qui marchent vers l’avenir.

Le Dr Olivenstein écrit : «La naissance de la vieillesse, c’est l’entrée dans l’âge où la transmission peut s’accomplir.» Je crois qu’il a raison. Transmettre c’est avant tout reconnaitre ce que nous possédons, juger de sa pertinence et l’installer dans une certaine durabilité, une certaine permanence. On ne peut tout transmettre, que des atomes, des potentialités à charrier vers d’autres sphères qui se transformeront selon et au gré de l’intelligence de chacun en une vie personnelle. «… la vie est une succession d’équilibres instables.» comme le dit si bien Olivenstein.

À l’aube de 2010, à quelques heures de l’entrée dans la première année de la deuxième décennie de ce siècle, j’avoue que le gazouillis d’Éthan, en un merveilleux matin de Noël 2009, m’aura permis cette si douce découverte.


Je ne peux pas le promettre à cent pour cent, mais le crapaud aura peut-être terminé un conte pour le début de l’année et vous l’offrira aux premiers jours de l’année neuve.

Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -

mardi 22 décembre 2009

Le trois cent vingt-deuxième saut / Le trois-cent-vingt-deuxième saut



Allons-y d’une deuxième incursion dans le merveilleux monde de la nouvelle orthographe!

Avez-vous fait quelques vérifications lors de vos derniers textes afin de voir si vous êtes «passé» du côté de la nouveauté et si vous appliquez les rectifications proposées?

Voici cette deuxième incursion :


2)
Dans les noms composés (avec trait d’union) du type pèse-lettre (verbe + nom) ou sans-abri (préposition + nom), le second élément prend la marque du pluriel seulement et toujours lorsque le mot est au pluriel.

Dans l’ancienne orthographe un compte-gouttes devient des compte-gouttes alors que dans la nouvelle orthographe on écrira un compte-goutte et des compte-gouttes;
un ou une après-midi devient des après-midi alors que dans la nouvelle orthographe un ou une après-midi s’écrira des après-midis.

TOUTEFOIS
, restent invariables les mots comme prie-Dieu (à cause de la majuscule) ou trompe-la-mort (à cause de l’article).
On écrit des garde-pêches qu’il s’agisse d’homme ou de choses.
Cette régularisation du pluriel aboutit à une règle simple et unique et supprime des incohérences : ex. dans l’ancienne orthographe on avait un cure-dent et un cure-ongles. Pourquoi?


Voici quelques exemples pratiques de cette règle de la nouvelle orthographe :

un abat-jour, des abat-jours;
un aide-mémoire, des aide-mémoires;
un casse-tête, des casse-têtes;
un gagne-pain, des gagne-pains;
un gratte-ciel, des gratte-ciels;
un pare-feu, des pare-feux;
un rabat-joie, des rabat-joies
.

On a bien saisi, je crois. Et si le cœur vous dit de creuser davantage, voici un lien intéressant, celui de l’Office québécois de langue française :
www.oqlf.gouv.qc.ca



«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


C L O A Q U E (nom masculin)
. lieu destiné à recevoir les immondices;
- bourbier; décharge; égout; sentine.
. lieu malpropre, malsain;
. foyer de corruption (morale ou intellectuelle);
- bas-fond;
. ant. Orifice commun des cavités intestinale, urinaire et génitale de nombreux animaux (oiseaux, reptiles, marsupiaux, amphibiens, certains poissons).


É T R I L L E R (verbe transitif)
. frotter, nettoyer avec l’étrille (instrument formé d’une plaque de fer emmanchée et garnie de petites lames parallèles et dentelées qu’on utilise pour nettoyer la robe des chevaux, des gros animaux);
- (brosser, panser)
. battre, malmener;
. faire payer trop cher
- (estamper).


Je remarque que parfois on utilise que le nom de famille pour identifier un personnage célèbre et cela dans quelque domaine que ce soit. On suppose, j’imagine, que le lecteur saura exactement de qui on parle. Il y a toutefois certains noms auxquels on doit accoler le prénom pour bien établir une distinction : on dira Rimbaud (ça ne pose pas problème, on sait exactement de qui l’on parle) alors que l’on écrira Alexandre Dumas afin de ne pas créer de méprise.

Mais ici se pose un problème puisque j’ai le nom de famille de l’auteur de la citation qui suivra, pas le prénom et en le divulguant, tout comme moi, vous pourriez songer à plusieurs personnes.

Il s’agit de Rubinstein. Lequel? Arthur… Anton… Ida… Olivier… Jonathan…

En interrogeant le texte, on présume que la danseuse Ida Rubinstein, les pianistes Arthur Rubinstein et Anton Rubinstein, ou Olivier Rubinstein, directeur des éditions Denoël s’intéressant à des questions d’ordre politique, n’ont pas commis ce texte. Mon choix se tourne alors vers Jonathan Rubinstein, ingénieur et informaticien américain qui a surtout travaillé chez Apple. Lisez et vous verrez:

« De façon subtile, la représentation de l’expérience douloureuse, de la maladie en général intoxique, gauchit, perturbe, transforme le vécu du malade. L’influence socioculturelle est déterminante dans la perception, le vécu et le langage de la douleur. Les expressions de la douleur sont modelées de façons différentes selon les civilisations, les motivations philosophiques ou les convictions religieuses. En bout de course, le cortex cérébral lui-même, le cerveau conscient (…) joue un rôle dans la perception et la modulation des sensations douloureuses (le cortex frontal est capable de dire non à la douleur). Pourquoi désigner du terme d’acolyte des états émotionnels tels que l’apitoiement sur soi, la culpabilité, la honte, l’inquiétude, la peur, l’anxiété ou l’état dépressif? Tout simplement parce qu’ils vous paralysent. Parce qu’ils inhibent toutes vos énergies au lieu de les rendre disponibles, de sorte que c’est contre vous-même qu’elles se retournent en faisant le jeu de vos algies. »

Ce passage me parle beaucoup actuellement!


Au prochain saut

vendredi 18 décembre 2009

Le trois cent vingt-et-unième saut / Le trois-cent-vingt-et-unième saut



L’an dernier, à l’annonce du début d’une crise économique sans précédent depuis 1929, tous les gouvernements du monde, y compris le Canada… après quelques tergiversations… mirent l’épaule à la roue afin de sauver l’économie mondiale du désastre.

Pourquoi ne fait-on pas la même chose avec le problème du réchauffement de la planète?

Sans doute parce que ce n’est pas vraiment un désastre! Peut-être en raison des « parce que » tellement difficiles à expliquer emballés dans des notions scientifiques relevant d’un certificat d’études secondaires et plus! Ou tout simplement qu’on a le temps. 2050, c’est tellement loin!

Vous savez, dans un abribus de la STM (Société de Transport de Montréal) alors qu’il fait moins 15 degrés Celcius à l’extérieur, parler du réchauffement de la planète n’est pas tout à fait évident! Mais le crapaud l’a fait.

Je posais, à une dame qui elle aussi attendait le 139 (le bus Pie-IX), la question plus haut énoncée. Dans sa sagesse de grand-maman (elle me disait avoir aussi trois arrière-petits-enfants), me regardant droit dans les yeux, elle m’affirma avoir entendu à la télévision un très grand spécialiste de la météo (ou quelque chose du genre a-t-elle précisé) que ce n’était pas si pire que cela. Elle réalisa, alors que j’ajoutais m’inquiéter pour la suite du monde, songeant surtout à mes petits-enfants, d’abord que le bus arrivait et que les réponses définitives ne sont peut-être pas celles qui répondent définitivement aux questions posées.

Nous sommes montés dans le bus, descendus à la station de métro Pie-IX puis séparés car nous empruntions deux directions différentes. Cette image m’a beaucoup frappé. Même abribus… même bus… même station de métro, puis deux directions opposées. Sans doute qu’à Copenhague – certains l’ont rebaptisée Hopenhague – retrouve-t-on ces deux directions opposées. Sans doute, peut-être ou tout simplement faut-il que les grandes questions humaines, cruciales ou pas, se ramènent à deux directions opposées!

Je n’en ai aucune idée mais ce que je sais c’est que samedi dernier alors que LE DEVOIR (qui aura 100 ans, comme les Canadiens, en janvier prochain) publiait un grand dossier sur la conférence de Copenhague et que je lisais attentivement les diverses argumentations, je me suis inquiété… au point de cesser de lire, au point d’avoir honte d’être encore Canadien.

Monsieur Harper a des enfants. Pas de petits-enfants (comme moi) et d’arrière-petits-enfants (comme la dame de l’abribus)… Voilà sans doute, peut-être ou tout simplement une explication nous permettant de comprendre sa position sur la question du réchauffement de la planète, position qui n’a rien à voir avec celle de la Chambre des Communes à Ottawa, d’une assez forte majorité de Canadiens et, semble-t-il, d’une très forte majorité de Québécois.

Je ne sais pas ce que ses enfants en pensent! Sont-ils un peu malheureux, en classe, d’avoir à dessiner une planète telle que la leur prépare leur papa-premier-ministre-du-Canada alors que les autres, désespérément, tentent de mettre un peu de bleu autour de leur croquis?

Éthan, mon dernier petit-fils, a onze mois aujourd’hui. En 2020, il aura onze ans. A-t-on le droit, le droit moral, de lui préparer une planète moins bleue que celle d’il y a trente ans alors que ses parents naissaient? A-t-on le droit, le droit éthique, de lui remettre une planète plus atrophiée que celle dont héritèrent ses grands-parents, il y a soixante ans?

Le crapaud, au nom de tous les Éthan présents et à venir, de tous les Émile, Léa, Arthur, de leurs amis d’ici et d’ailleurs, d’un ailleurs proche, d’un ailleurs éloigné, en leur nom, le crapaud qui continuera de fréquenter les abribus de la STM, de prendre le métro et d’user ses espadrilles, le crapaud demande que nos dirigeants nous dirigent vers la vie et non vers la mort. Que nos dirigeants prennent tous les moyens extrêmes comme ils le firent pour la crise économique, afin d’enlever cette épée de Damoclès qui ne tient plus que par un fil au-dessus de nos têtes.

Je crois que ma grand-maman, arrière-grand-maman, malgré qu’elle ait entendu dire que ce ne soit pas si grave, je crois qu’elle serait d’accord elle aussi et souhaiterait qu’à sa sortie du métro, le ciel fut bleu, l’air pur malgré le moins 15 degrés Celcius.



Bon. Voilà pour le côté éditorial de ce saut. J’achève en vous faisant lire un très court poème de William Ernest Henley. Il l’a écrit en 1875 alors qu’on venait de lui amputer une jambe. Nelson Mandela, dans sa cellule sud-africaine, se le récitait tous les jours pour alimenter l’espoir.

Clint Eastwood a intitulé son dernier film, tout à fait intéressant, du nom de ce poème, INVICTUS qui signifie «invincible».

INVICTUS

Dans la nuit qui m'environne,
Dans les ténèbres qui m'enserrent,
Je loue les Dieux qui me donnent
Une âme, à la fois noble et fière.
Prisonnier de ma situation,
Je ne veux pas me rebeller.
Meurtri par les tribulations,
Je suis debout bien que blessé.
En ce lieu d'opprobres et de pleurs,
Je ne vois qu'horreur et ombres
Les années s'annoncent sombres
Mais je ne connaîtrais pas la peur.
Aussi étroit soit le chemin,
Bien qu'on m'accuse et qu'on me blâme
Je suis le maître de mon destin,
Le capitaine de mon âme

William Ernest Henley (1875)


Au prochain saut


mardi 15 décembre 2009

Le trois cent vingtième saut / Le trois-cent-vingtième saut



Dans le dernier saut, j’ai glissé un peu moins de deux mots sur la question de la nouvelle orthographe, vous promettant d’y revenir à l’occasion. Puisque l’occasion fait le larron… saisissons l’occasion et nous l’aurons…

RENOUVO est un réseau qui réunit des associations privées oeuvrant pour diffuser les rectifications orthographiques proposées et recommandées par les instances francophones compétentes parmi lesquelles on retrouve l’Académie française, le Conseil supérieur de la langue française.

J’ai trouvé sur leur site internet cet article qui expose bien la question de la nouvelle orthographe.

«L’Académie française, comme les instances francophones compétentes (notamment en Belgique et au Québec), a approuvé à l’unanimité un certain nombre de rectifications proposées par le Conseil supérieur de la langue française. Celles-ci ont été publiées au Journal officiel de la République française le 6 décembre 1990.

L’orthographe, si on la compare à un vêtement de la langue, doit s’ajuster à l’évolution. Depuis trois siècles, l’Académie française n’a cessé de s’en occuper.

En 1740, par exemple, dans la troisième édition de son Dictionnaire, elle a modifié la graphie d’un mot sur quatre. Un siècle plus tard, en 1835 (6e édition), l’Académie a réintroduit le «t» dans les pluriels «enfans», «contens» et d’autres; «ai» a remplacé «oi» dans «j’avois», « il étoit», qui sont devenus «j’avais» et «il était».

Les rectifications actuelles touchent quelques milliers de mots; or, près d’un tiers d’entre eux avaient déjà en 1990 une forme dite nouvelle dans un ou plusieurs dictionnaires d’usage courant. Les éditions récentes de ceux-ci enregistrent une très large proportion des formes rectifiées. Les outils informatiques, en particulier les vérificateurs d’orthographe, sont également mis à jour.

Ces rectifications tendent à supprimer des anomalies de l’orthographe française, des exceptions ou des irrégularités (les rectifications ne touchent ni les noms propres ni leurs dérivés). Elles touchent en moyenne moins d’un mot par page d’un livre ordinaire et, souvent, il s’agit d’un accent.

. Par exemple, l’accent circonflexe ne se met plus (à quelques exceptions près, justifiées) sur les lettres «i» et «u» : abime, assidument, connaitre, il apparait, couter.

. L’accentuation de mots tels «allègement», «allègrement», «évènement» correspond maintenant à leur prononciation actuelle.

. Des familles désaccordées sont harmonisées : «bonhommie» s’écrit avec deux «m» comme «homme»; «boursouffler» ressemble à «souffler».

. Les numéraux composés, cardinaux ou ordinaux, sont unis par des traits d’union : «vingt-et-un-mille-deux-cent-cinq», «huit-centième».

Les graphies anciennes restent admises. Quant aux graphies nouvelles, elles ne peuvent que rendre service aux usagers d’aujourd’hui et de demain.»

RENOUVO est l’acronyme de Réseau pour la nouvelle orthographe du français.

Des questions récurrentes quant à la pertinence de la nouvelle orthographe - d’ailleurs Denise Bombardier les mentionnait dans un article publié dans LE DEVOIR il y a une ou deux semaines - les deux suivantes viennent en tête de liste : Va-t-on écrire au son? A-t-on nivelé par le bas?

Voici les réponses que nous offre le Groupe québécois pour la modernisation de la norme du français (GQMNF) :
« Non. La nouvelle orthographe n’est pas une écriture phonétique. Les rectifications de l’orthographe n’ont pas été mises en place dans le but de simplifier bêtement l’écriture et de régler le problème de l’échec scolaire en laissant passer des «fautes», mais bien dans le but de RÉGULARISER une partie du système orthographique du français et ainsi d’ÉLIMINER plusieurs incohérences et anomalies. »



Nous allons dès aujourd’hui aborder une première rectification :

(1) LES NUMÉRAUX COMPOSÉS SONT SYSTÉMATIQUEMENT RELIÉS PAR DES TRAITS D’UNION

« vingt et un » en ancienne orthographe devient dans la nouvelle orthographe « vingt-et-un »;
« deux cents » devient « deux-cents »;
« trente et unième » devient « trente-et-unième ».

Observation : on distinguera désormais soixante et un tiers (60 + 1/3) de soixante-et-un-tiers (61/3). Cette nouvelle règle supprime de nombreuses difficultés et évite des pratiques jusque là largement aléatoires.

Allons-y maintenant d’une application pratique : vous venez de lire le trois-cent-vingtième saut de crapaud, le prochain sera donc le trois-cent-vingt-et-unième…

Au prochain saut

samedi 12 décembre 2009

Le trois cent dix-neuvième saut



Dans le poème – r u i s s e a u – il y a un mot qui ne s’avère pas conforme à la nouvelle orthographe. Il s’agit de (nénuphars) que l’on doit maintenant écrire (nénufars).

Les débats autour de ces modifications nous en font entendre de toutes les couleurs et s’ajoutent à ceux qui s’adressent au cours d’éthique et de culture religieuse. Cela me rappelle le début des discussions entourant la réforme scolaire québécoise… Revenons à la nouvelle orthographe. Personnellement je ne m’y suis pas totalement converti, sans trop savoir pourquoi. Pour me bousculer un peu, j’ajouterai - à l'occasion - sur le crapaud, les grandes lignes de cette réforme qui semblent tant bouleverser notre monde de l’écrit.

Pour aujourd’hui, deux poèmes. Le deuxième est un «cadavre exquis» qui respectera les consignes prescrites au saut 316.



r u i s s e a u


les amarres lâchées n’ont pas atteint
- encore -
le fond du ruisseau
que mille têtes-ogives fouineuses les poursuivent

souffle sur l’eau un grand vent
s’y meuvent des vagues dilettantes
alors qu’une trace rouillée se camoufle
au creux du château liquide

l’immobilité pour mouvement
les galets tentaculés bougent sans bouger
tel une fleur-Ophélie noyée, coupée d’elle-même
un narcisse défiguré nage
les bras attachés aux nénuphars décolorés

ruisseau, porteur de naufrages
ta continuelle route brouille les illusions

ruisseau, ancêtre de fleuves
te voilà pris aux racines anhydres
à enterrer des gouttes d’eau
ensevelies au tombeau des cordages




CADAVRE EXQUIS NUMÉRO 2


un laurier mort
comme un fantôme qui passe
cheval blanc sur fond de montagne
le fantôme diaphane

entre plus tard et partir

l’haleine des mots du silence
sitôt refermés ouvrir les yeux
le bleu dans le gris des nuages
une vieille musique en sourdine

automne, saison des attirances


«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


B I L L E V E S É E (nom féminin)
. parole vide de sens, idée creuse.
- baliverne; sornette; sottise



C A L I C O T (nom masculin)
. toile de coton assez grossière;
Par ext. : bande de calicot portant une inscription (banderole);
. commis de magasin de nouveautés.


Au prochain saut





mercredi 9 décembre 2009

Le trois cent dix-huitième saut



Je remarque que mes cahiers de lecture qui portent les numéros 3 et 4 commencent de manière significative à être expurgés de leur contenu.

En ce matin de première tempête du presque hiver 2009, voici quelques citations tirées de LE PETIT FRÈRE TOMBÉ DU CIEL (Jostein Gaarder)

. J’ai dû oublier pas mal de choses et en inventer certaines autres. C’est souvent ce qui arrive quand on veut rapporter des événements qui ont eu lieu il y a très, très longtemps.

. Jamais une réponse ne mérite qu’on s’incline devant elle. Même si elle semble intelligente et juste, elle ne mérite toujours pas qu’on s’incline devant elle. Une réponse, c’est forcément le chemin qu’on a déjà parcouru. Seules les questions peuvent montrer le chemin qu’il reste à faire.

. Je crois que certaines des rencontres les plus importantes que nous faisons dans notre vie ont lieu pendant que nous dormons. Pendant notre vie, il y a des rêves qui sont si clairs qu’ils paraissent plus réels que la vie en bas, dans toutes les vallées encaissées.

. Il est presque aussi difficile de se rappeler un rêve que d’attraper un oiseau. Mais parfois, on dirait que l’oiseau vient de lui-même se poser sur notre épaule.


Les suivantes, toujours de Jostein Gaarder, proviennent de VITA BREVIS.

. La vie est brève, bien trop brève. Pourtant nous vivons ici et maintenant, mais peut-être seulement ici et maintenant, hinc et nunc.

. La vie est brève, Aurèle. Nous avons le droit d’espérer une vie après celle-ci, mais nous n’avons pas le droit de nous maltraiter et de nous servir les uns des autres comme si nous n’étions que des instruments pour atteindre une existence dont nous savons au fond si peu de choses.


Les prochaines, en vrac…

. La poésie est un aspect de la pensée
La beauté est un aspect de la vérité.
(Martin Heiddegger)

. Celui qui sait ce qu’est le grand désir, lui seul sait ce que je souffre.
(Goethe)

. Dis ce qui t’est le plus personnel, dis-le, il n’y a que cela qui importe, n’en rougis pas : les généralités se lisent dans les journaux.
(Elias Canetti)

. Elle se passe comme ça, la vie, braves gens : entre des morts auxquels on a coupé la parole et des vivants qui se taisent.
(André Hardellet)

. Tous, nous purgeons une condamnation à vie dans le cachot du moi.
(Cyril Connolly)

. Quand nous oublions, c’est que nous avons perdu moins la mémoire que le désir.
(Juan José Saer)

. Nous devrions nous souvenir de chaque mort comme s’il vivait, de chaque vivant comme s’il était mort.
(Ernst Jünger)

. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.
(Voltaire)

. La liberté des autres étend la mienne à l’infini.
(Michel Bakounine)

. Rien à faire, l’homme ne juge pas, il condamne.
(Charles Péguy)

. Sunt lacrimae rerum Il y a des larmes dans les choses.
(Virgile – Énéide)

. Dans l’état d’esprit où l’on observe, on est très au-dessous du niveau où l’on se retrouve quand on crée.
(Marcel Proust)


C’est quand même génial de faire se suivre ces auteurs qui, pour plusieurs, ne se sont ni connus ni lus… La magie des cahiers de lecture!

Au prochain saut

dimanche 6 décembre 2009

Le trois cent dix-septième saut



6 décembre.
Il y a vingt (20) ans.
20 ans, l’âge des possibles, l’âge des plus sérieuses insouciances.

Elles ( Geneviève Bergeron, Hélène Colgan, Nathalie Croteau, Barbara Daigneault, Anne-Marie Edward, Maud Haviernick, Barbara Klucznik-Widaieweiz, Maryse Laganière, Maryse Leclair, Anne-Marie Lemay, Sonia Pelletier, Michèle Richard, Annie Saint-Arneault, Annie Turcotte) devaient avoir environ 20 ans chacune… l’âge des plus sérieux possibles!

Lui (Marc Lépine – né Gamil Gharbi) venait d’avoir 25 ans.

Un 6 décembre de neige. Un 6 décembre fatal.

Il y a vingt ans aujourd’hui; pour se souvenir, ne pas oublier, mais aussi pour apprécier le chemin parcouru afin d’abolir le droit à l’arme à feu, se demander si la violence envers les femmes, envers nos filles est toujours un passe-droit que s’accorde certains individus recherchant le monopole du contrôle de leur être sur un autre…

Le crapaud a deux poèmes à nous offrir comme une gerbe de mots, car tous et toutes nous sommes (et seront) parties prenantes des gestes que posent (ou poseront) ceux ou celles qui vivent (et vivront) parmi nous… nous devons en assumer les conséquences, s’en responsabiliser.

Le premier est d’Anne Hébert, le second de Michèle Lalonde.



IL Y A CERTAINEMENT QUELQU’UN

Il y a certainement quelqu’un
Qui m’a tuée
Puis s’en est allé
Sur la pointe des pieds
Sans rompre sa danse parfaite.

A oublié de me coucher
M’a laissée debout
Toute liée
Sur le chemin
Le cœur dans son coffret ancien
Les prunelles pareilles
À leur plus pure image d’eau

A oublié d’effacer la beauté du monde
Autour de moi
A oublié de fermer mes yeux avides
Et permis leur passion perdue.

Anne Hébert


LE SILENCE EFFRITÉ

le silence effrité
aux rives de mes veines
douces grèves léchées de sang
où s’allongent les corps désunis de nos songes

ô tiédeur initiale des jours
quand l’ocre et le froment
partageaient une même allégresse
au seuil de nos lèvres

l’égalité miraculeuse de chaque désir

j’ai pitié de nos mains disjointes
nos paumes désenchantées et disperses
comme des coquilles crevées

nos regards impairs

l’oubli va nous dissoudre

Michèle Lalonde


Parmi celles qui sont décédées, il y a des noms qui résonnent davantage dans mon coeur: Bergeron… Daigneault… Pelletier… Turcotte!

Au prochain crapaud

mardi 1 décembre 2009

Le trois cent seizième saut



On entreprend le mois de décembre par un jeu: celui du «cadavre exquis».
Vous connaissez sans doute, cela vient des surréalistes parisiens qui le créèrent autour des années 1925. Il consiste à «faire composer une phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu’aucune d’entre elles puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes.»

Le principe étant que chacun écrit, et cela à tour de rôle, une phrase – la première fut : «Le cadavre exquis boira le vin nouveau.» - en respectant scrupuleusement l’ordre sujet/verbe/complément ou tout autre convenu par les participants. Toutefois, et c’est là que réside l’intérêt de ce jeu, personne ne doit connaître ce que le précédent a écrit.

Je me suis amusé à un peu trafiquer le jeu afin de voir ce que cela pouvait donner en bout de ligne. À partir d’un vers des dix (10) premiers poèmes du crapaud publiés sur le blogue, vers cueilli de façon aléatoire, j’ai reconstitué un nouveau poème…

Voici ce que cela donne. Il portera le titre suivant :

CADAVRE EXQUIS NUMÉRO 1

où? se cache le temps
la mer
sur les vagues d’une symphonie bleue
sous des ailes éloignées

tu coules loin
nous déportant, nous, ne sachant nager,
beaucoup trop
alors
sur la vie
sur les pistes
sur la grève engluée
devant la maison enchâssée
aux déchirantes heures de l’espoir
au bout à bout de la vie arc-boutée
il a plongé
il s’est humecté
le cœur il a plissé
avec des morceaux de vent
d’espoirs d’horizons
m’écoutais-tu?
comme une vague perdue que la mer enveloppe d’épaves vermoulues
comme les sons amplectifs du vent déchiquettent les souvenirs disparus

«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


A L E P H (nom masculin)
. première lettre de l’alphabet hébraïque
. en math : nombre cardinal caractérisant la puissance d’un ensemble infini (transfini)


A N A G O G I Q U E (adjectif)
. se dit d’un sens spirituel de l’Écriture fondé sur un type ou un objet figuratif du ciel et de la vie éternelle


Au prochain saut

vendredi 27 novembre 2009

Le trois cent quinzième saut



Novembre s’achèvera sur ces quelques citations.


. L’univers n’est ni hostile ni amical; il est simplement indifférent.
(J.H. Holmes)

. Dans la quantité de choses qu’on fait ensemble, il y a l’annonce de tout ce qui viendra plus tard – et aussi de tout ce qui ne viendra pas.
(Bernard Schlink)

. Elle s’obstinait à croire, comme tous les mal-aimés, que l’amour que l’on n’a pas reçu existe quelque part, prêt à vous fondre dessus.
(Paule Constant)

. … je vous demande si vous m’aimez de me laisser mourir une nuit très loin dans la mer.
(Monique Wittig)

. … la distance qui, peu importe ce qui la motive, finit bien sûr par se creuser entre ceux qui s’aiment.
(Mario Cyr)

. Il est déraisonnable d’aimer raisonnablement. Il n’est pas passionnant de n’aimer qu’avec passion.
(Jacques Cuerrier, Serge Provost)

. Ceux que nous aimons le plus sont ceux qui ont le plus de pouvoir de nous faire mal.
(John Fletcher)

. La joie, la peur, le désir d’en finir avec son propre poids : toutes nos émotions sont mystérieuses, aux autres comme à nous-mêmes.
(Robert Lalonde)

. Mais moi je vous dis qu’elles (joie et tristesse) sont inséparables. Ensemble elles viennent, et quand l’une vient s’asseoir seule avec vous à votre table, rappelez-vous, que l’autre dort sous votre lit.
(Khalil Gibran)

. Les choses les plus ordinaires ne sont pas toujours aussi ordinaires qu’on pourrait le croire.
(Jostein Gaarder)

. Le corps est un gouffre, tout est nuit noire par en dedans.
(Gaétan Soucy)

. La plus atroce offense que l’on puisse faire à un homme c’est de nier qu’il souffre.
(Cesare Pavese)

. Comment peut-on souffrir de l’absence de celui qui est présent? … on peut souffrir de nostalgie en présence de l’aimé si on entrevoit un avenir où l’aimé n’est plus; si la mort de l’aimé, invisiblement, est déjà présente.
(Milan Kundera)

. Un être humain qui souffre est à peine un être humain, il est amputé de la dimension de la santé, de la dimension du plaisir, il est en cage derrière les barreaux de la souffrance, muré dans sa douleur.
(Rubinstein)

. Demandez-vous si vous êtes heureux et vous cessez de l’être.
(J.S. Mill)

. Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre, et nous disposant à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.
(Pascal)

. La vie de l’homme ne peut être «vécue» par une simple répétition d’actions types propres à l’espèce : chacun doit vivre. L’homme est le seul animal capable de s’ennuyer, d’être insatisfait, de se sentir chassé du paradis.
(Éric Fromm)

. Peu de choses conservent leur charme dans la solitude; et si la solitude est complète et définitive, tout devient inévitablement amer. La belle vie humaine est une belle vie entre êtres humains, sinon, ce serait peut-être une vie, mais qui ne serait ni belle ni humaine.
(Fernando Savater)

. Il faut retenir avec toutes nos dents et nos griffes l’usage des plaisirs de la vie que nos ans nous arrachent des poings les uns après les autres.
(Montaigne)

. On mérite souvent sa place dans la vie à cause de certains mouvements brusques qu’on est capable d’avoir.
(Jean Giono)

. Les évidences abondent pour démontrer que le système cognitif a le pouvoir (qu’il n’utilise pas toujours) de modifier l’intensité de la douleur physique.
(Meg Bogin)

. Le divers, le tiroir qu’en enfant n’a jamais ouvert.
(Victor Segalen)

Au prochain saut

mardi 24 novembre 2009

Le trois cent quatorzième saut



Mardi matin, 24 novembre.

Le Salon du livre de Montréal est terminé depuis hier.

Je me suis abstenu en fin de semaine pour la simple raison qu’un retraité, selon moi, devrait s’astreindre à profiter des heures creuses que ce soit pour se rendre à la banque, faire ses courses au supermarché, aller au cinéma ou… au salon du livre, laissant à ceux qui sont encore actifs (les travailleurs) un meilleur espace pour participer à des événements qui s’étendent sur quelques jours ou tout simplement éviter de rallonger la queue dans les endroits publics afin d’obtenir des services. Les centres de vaccination contre la grippe A(H1N1) ont compris le problème en départageant les clientèles puis en émettant des laissez-passer! Je me souviens trop à quel point je rageais lorsque, devant me rendre à la banque sur l’heure du midi (l’heure du lunch) un gentil retraité, attendant qu’on le serve, ralentissait tout le monde alors qu'il aurait très bien pu s’y présenter une heure avant ou une heure après.

Donc, laissant le vendredi soir et les samedi et dimanche aux autres, j’optai pour lundi. Grand bien m’en fit car je me suis retrouvé à la place Bonaventure avec une ribambelle d’écoliers qui arpentaient à une vitesse vertigineuse les allées du salon à la recherche des stands où la littérature jeunesse se terrait. Il s’en trouvait partout.

J’étais heureux de voir tous ces jeunes s’exclamer devant tel ou tel livre, se surprendre de voir l’auteur en chair et en os, ramasser et déposer dans leur sac plastique tous les signets reçus des maisons d’édition, de crier à un ami ou une amie qu’il fallait venir voir ceci ou cela, interroger un ou une enseignante sur le moment prévu pour le lunch… tout en me disant que ce métier n’était plus pour moi. Ça exige un je-ne-sais-quoi que je n’ai plus… Une façon toute pédagogique de voir dans le hurlement de celui-ci une demande d’aide; dans le regard effaré de celle-là, une interrogation qui tarde à se pointer; dans l’éloignement de ceux-ci un désintéressement; et j’en passe.

Je me promenais donc dans les allées du salon après avoir organisé ma visite selon un sens «périmétrique» : faire le tour pour ensuite quadriller d’est en ouest puis du nord au sud, pour ne rien manquer.

Ce que je fis.

Ce qui me permit de me rendre compte que si j’avais attendu cette visite au salon j’aurais obtenu une réduction sur mon abonnement au journal LE DEVOIR (qui fêtera ses 100 ans le 10 janvier 2010)…

Ce qui me permit de constater à quel point les employés, sans doute de corvée depuis plus de cinq jours, avaient la langue… à terre.

Ce qui me permit de me poser les questions suivantes, cela à partir du point de vue des libraires : est-ce pertinent de tenir un salon du livre à cette époque? Est-ce qu’on ne devrait pas y retrouver, acceptant le fait qu’il persiste à se tenir un mois des Fêtes, que les crus de l'année et une occasion de saluer des auteurs?

Ce qui me permit de faire - comme plusieurs personnes d’ailleurs – le tour des maisons d’édition, carnet en mains et prendre des notes pour des achats chez mon libraire habituel.

Ce qui me permit surtout de constater à quel point les livres sont dispendieux. Je suis revenu du Salon du livre de Montréal, me disant que l’achat d’un livre n’est pas réservé à tout le monde. À moins de se diriger vers les collections de poche, et là encore, il est à peu près impossible de se procurer un livre de 200 pages et plus pour moins de 30 dollars. C’est incroyable, mais vrai. Le livre n’est pas un produit qui s’adresse à tout le monde. Ça prend des sous. Beaucoup de sous. Comme il ne s’adresse pas à tout le monde, c’est qu’il s’adresse à une catégorie de gens en particulier. À ceux qui des sous. Beaucoup de sous. Notez cette merveille de lapalissade!

La culture, celle dont on parle et discute sur toutes les tribunes publiques, ne s’adresse si l’on utilise le coût des livres pour exemple, qu’à une infime partie de la population.

J’ai relu mon cahier de notes en sortant du salon où je n’ai rien acheté. S’y trouvent neuf découvertes qui varient entre 19,95$ et 40$ : au total, si j’achète tout, plus de 200$. Je ne sais pas si mon voisin de quartier (je suis dans Hochelaga-Maisonneuve, quartier ouvrier situé dans l’est de Montréal) ou ma voisine, ou les deux ont budgété autant pour l’achat de livres?

Il y a quelque chose qui cloche ici! Ne devrait-on pas, minimalement, enlever la TPS sur le livre? Ne devrait-on pas chercher des moyens pour rendre accessible l’achat du livre et cela pour tout citoyen quelque soit son revenu?

Sans doute que Yann Martel qui écrit à Stephen Harper aux quinze jours pourrait aborder ce sujet avec lui! Mais ça serait univoque car notre premier ministre, en plus de ne pas lire les suggestions de l’auteur, ne prend même pas le temps de lui répondre autrement que par un accusé de réception rédigé par un adjoint…

Pour en finir avec le Salon du livre qui se voulait orienté vers la famille, je signale que pour une troisième année consécutive le prix du public a été décerné à Michel Tremblay. Je n’élaborerai pas sur cette nouvelle, étant allergique à cet auteur dont je suis incapable de lire les éternelles mêmes histoires. Point final.

Vous aimeriez connaître le contenu de mon cahier de notes?
Voici :

. Le tombeau de Tommy (Alain Blottière);
. Malavita encore (Torino Benacquesta);
. Thérèse pour joie et orchestre (Hélène Monette);
. Montréa Kitsch, 98 lieux hauts en couleur ( Sébastien Diaz);
. cellule esperanza (n’existe pas sans nous) (Danny Plourde)
. Kennedy sait de quoi je parle (Tania Langlais)
. L’édition du centenaire des oeuvres de Gabrielle Roy;
. Paul en Finlande (Yann Martel) publié chez Boréal Compact.

Faites le compte, il y en a pour plus de 200$ avant la TPS… Vous comprenez pourquoi je suis un adepte des bouquineries là où on retrouve des livres de seconds yeux… Mais les droits d’auteur, que leur arrivent-ils lorsque j’achète dans ce type de librairie?

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mardi 17 novembre 2009

Le trois cent treizième saut



Il y a longtemps. En fait, le dernier poème du crapaud remonte au saut 285, c'est-à-dire en juin dernier. Une certaine panne sèche? Ou, je ne sais trop, une recherche de dire autrement. Je vous laisse le soin de comparer aux autres celui d'aujourd'hui, mais personnellement il me plaît bien. Sans doute parce qu'il aura été difficile de l'achever.
Il porte le titre suivant:
il y eut une invitation et elles furent nombreuses

Le voici.


il y eut une invitation
et
elles furent nombreuses



il y eut une invitation

un deuil serait souligné
sur le seuil des âmes qui la recevraient

et elles furent nombreuses

invitation adressée par courriel sur clavier qwerty
quelques âmes ébranlées s’en étonnèrent

elles furent nombreuses

une invitation plus buffet que banquet
exhortation au centre d’une île où pleurent des nymphéas
un bateau évanescent transporterait les invitées

furent nombreuses

débuta dans la cohue l’incompréhensible palabre
simultanément tenu d’un bout à l’autre de l’île
sur la grève empoussiérée des sirènes serinaient
des hôtesses démaquillées marmonnaient l’invitation

nombreuses

on assécha le feu
qui depuis le matin dévorait les coraux
entrées froides pour invitées surprises

on alluma les eaux salées
qui depuis la nuit bouillonnaient
comme des mains sacrilèges, aveugles et impaludées


- la vie, un fantôme activé par une marionnette à fils


cette redondante mélopée
sortait de la bouche affamée
d’on ne sait trop combien de lamantins voraces
arpentant les berges sur lesquelles les âmes accostaient


- la vie, une marionnette à fils hantée par un fantôme


l’écho chevrotant reprenait en accents torrides
les paroles monocordes, monotones et chantées
lançant la discorde au visage des convives javanaises

un long manteau blanc-fantôme
une jaquette noire-marionnette
cachaient leurs soupirs enfouis dans un bol de chiffres
offert aux convives sulfureusement nourries
afin qu’elles ne cherchent plus
aux creuses paroles, des messages surannés


- un chemin pavé de laideurs mène à la BEAUTÉ


les invitées infidèles et meurtries
endeuillées par leurs regards vaporeux
retenaient de longs soupirs marins
jusqu’à l’heure des condoléances gratuites

inscrivaient avec des os de requins affamés
le nom des âmes éternellement mortes
unanimement reconnues et oubliées

adressaient alors des psaumes desséchés
aux anges noirs, relève de l’atoll,
pris aux fils fantomatiques des marionnettes débranchées


- la vie, un triste silence à la fenêtre fermée -


et elles mangeaient
comme mangent à des noces mortes
des convives inconnus
à qui on aurait greffé à l’aisselle
des palimpsestes indéchiffrables
enrubannés du colophane des violons timorés

et elles écoutaient
mélopées et psaumes
résonnant à leurs pieds

et elles attendaient
impatientes, de cette patience des coquillages,
que le deuil pour lequel

il y eut une invitation
et elles furent nombreuses


se déplaça sous les vagues, sous les marées
entre ressac et mer bleue verte

et elles attendront
comme on attend
lorsqu’en attendant
on croit ne plus attendre

il y eut une invitation
et elles furent nombreuses

à recueillir sur le sable jaune
des marionnettes sans fils
des fantômes dévastés
et un bateau sabordé

Au prochain saut

samedi 14 novembre 2009

Le trois cent douzième saut



Je suis convaincu que vous manquez de poèmes… On ne vivre sans poésie. On risque la sécheresse permanente. Dans ce novembre encore si beau, si illuminé et presqu’en réconciliation avec l’été pas encore indien, voici un coup de pinceau de celle-ci et un autre de ceux-là…

Quand elle retire sa petite robe de nuit
et la pose au nord des ruptures
l’après-midi je sais que ça recommence
dans la transparente averse
de ses hanches
je connais ses mensonges
chacune de ses manies
alors qui osera demain et en quelle langue
me dire qu’elle m’a tué
avec ma déroute pour mobile
et mes chemises comme bestiaire
(Tania Langlais)


j’oublie ta joue parfois
même certains mouvements des draps
si étroits pourtant
dans leur chorégraphie
quand je reste j’alterne les choses
fragiles comme les océans
qu’on verse le matin
au compte-gouttes
pour rincer nos blessures
(Tania Langlais)


personne ne menace
la solitude des autres
mon obstinée verticale
à présent se retrancher pour penser
à autre chose
car la chasse continue
par-dessus nos épaules
malgré le temps qu’il fait
chaque chose à sa place
la mémoire se ramasse tout à fait
(Tania Langlais)

Extraits tirés de DOUZE BÊTES AUX CHEMISES DE L’HOMME


rien de ce que vous dites n’est oublié
si votre parole s’effeuille et tombe
en terre ferme qui recueille
et allume les moindres brindilles
(Roland Giguère)


on a beau dire l’avenir
le présent n’est jamais là quand il le faut
(Roland Giguère)


À l’horizon va bientôt surgir le griffon que l’on attendait pour poursuivre ce voyage insensé dans les failles du visible.
(Roland Giguère)

Extraits tirés de TEMPS ET LIEUX


La folie seule de l’amour
perce le trou par où s’échappe
l’ivresse d’être enfin dans l’azur
ou dans un carnage éclatant.
(André Frénaud)


Où m’atteindre, qui ne sais où je suis?
Pourquoi je n’aime la voix que fêlée?
Des yeux que ne vente plus aucun vent.
Ce n’est pas moi, c’est l’autre.
(André Frénaud)


Si je dois renaître, que ce soit
dans du bois bien mort,
ou dans de la neige
parce qu’elle fond,
ou dans de la pierre
qui jamais ne rêve.
(André Frénaud)


Extraits tirés de LES ROIS MAGES suivi de L’ÉTAPE DANS LA CLAIRIÈRE


Je me fuis chaque jour mais jamais ne m’échappe
Et la vie me rattrape avec ses bras de plomb.
(Sylvain Lelièvre)


Et nous faisons le voyage
Vaincus d’avance et désarmés
Dans la merveille et dans la rage
D’aimer.
(Sylvain Lelièvre)


Extraits tirés de LE CHANTEUR LIBRE


«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»

A I G U I È R E (nom féminin)
. vase à eau, le plus souvent en métal précieux ciselé, muni d’une anse et d’un bec


A L A N D I E R (nom masculin)
. foyer placé à la base d’un four servant à la cuisson des céramiques



Au prochain saut

mercredi 11 novembre 2009

Le trois cent onzième saut


Jean Bédard

Voici les dernières citations tirées de Maître Eckhart, roman de Jean Bédard. Nous reviendrons à cet auteur d’ici quelques sauts.

. Aucun cheval, ni mule, ni charrette ne furent mis à notre disposition. Nous devions affronter seuls, le Maître et moi, tous les risques du voyage. Je partis comme on part en pèlerinage, plein de péchés à faire pardonner, d’indulgences à obtenir, en disant adieu à tous mes frères, car le pèlerin ne sait jamais à quelle cathédrale ses pas le conduisent, à celle de la terre ou à celle de l’au-delà. Il sait seulement qu’il marche et qu’il marchera tant qu’il aura péché. Le péché fait la distance et donc fabrique l’espace que le pèlerin tente de défaire en revenant au centre, à la grande Cathédrale, la cathédrale des cathédrales.

. – Père Eckhart, vous avez oublié que le moine Henri de Lausanne fut pourchassé comme hérétique parce qu’il prétendait libérer l’institution matrimoniale de toutes les obligations civiles. C’est ce qu’il prêchait au Mans; il voulait que le mariage soit fondé exclusivement sur le consentement mutuel.

- Oui, mon ami Conrad, et c’était en 1116; depuis ce temps l’Église a été mise en devoir d’aller au-delà des coutumes pour faire face aux esprits plus éclairés de notre temps. On ne peut modifier quelque chose d’aussi sacré que le mariage sur la crainte des femmes. Il est naturel pour l’homme de craindre l’indéterminé, le possible et les puissances créatrices de la nature, de son propre cœur et de la femme. Nous avons peur de l’obscurité parce que l’obscurité cache le réel et suggère le possible. De même, nous craignons l’avenir et non le passé. Le passé est défini et nous savons ce qu’il contient, l’avenir nous apporte un possible que nous ne connaissons pas encore. Parce que nous ne la connaissons pas, dans nos esprits la femme est indéterminée comme le sont l’obscurité et l’avenir. Alors nous la craignons. Voilà pourquoi nous nous comportons si brutalement envers elle. Mais le péril repose bien davantage en nous-mêmes, dans notre cœur et dans notre cruauté. Ne t’ai-je pas déjà dit : En toutes choses, tout particulièrement dans la nature divine, l’égalité, c’est la naissance de l’Un, et cette naissance de l’Un, dans l’Un et avec l’Un, c’est le principe et l’origine de l’amour qui arde et éclôt. Sans égalité il n’y a pas d’amour et sans amour, le mariage n’est qu’outrage et profanation. Mon ami Conrad, je suis triste qu’après avoir fait tant de chemin, tu te retrouves à nouveau coincé dans tes peurs.

. La prière du paysan :

Ma vie sur terre n’a que quatre saisons. Je surgis de l’hiver, me dégourdis en février, au printemps travaille de toutes mes forces à faire produire mon champ et mon jardin. À l’été je reste courbé et me durcis les mains et le dos. À l’automne je flétris peu à peu et mesure les fruits de ma saison. L’hiver me recouvre et m’emporte, je l’espère, dans le jardin de Dieu. Chaque année de ma vie n’a que quatre saisons. Quand avril de ses averses douces a percé la sécheresse de mars jusqu’à la racine, quand Zéphyr, de sa douce haleine, a ranimé les tendres pousses et quand les petits oiseaux font mélodie, c’est le temps de labourer, de bêcher, de déchirer la terre pour y déposer la semence. Tout faire avant Pâques, et puis c’est la fête qu’il faut préparer pour le Seigneur. En mai, quand la verdure est foncée et le ciel blanc, réparer la maison et la grange, les barrières, les haies et les canaux d’écoulement. Sarcler les jardins du seigneur et soigner les terres. S’il nous reste du temps, désherber notre parcelle. L’été, nous arrachons les chardons sur les terres du seigneur pour que le Seigneur des seigneurs nous donne la célérité de le servir. À la Saint-Jean, il faut courir les champs avec des torches pour éloigner les dragons; le lendemain c’est la fenaison. Il fait chaud sur les terres, seigneur, et on moissonne en trempant les champs de nos sueurs. En novembre, nous battons le lin avec de lourds écangs, nous séparons la ligneuse de la filasse. C’est le mois sanglant, nous tuons les bêtes pour que le fourrage ne manque pas. En hiver, quand les étourneaux s’en vont, au temps de la froidure, je n’ai plus qu’une histoire à dire : les cerfs brament, la neige tombe, nous attendons le printemps. Puisse-t-il revenir car la grange est vide et il fait si froid. Chaque journée de vie n’a que quatre saisons. Le matin est printemps, le midi, été, au soir arrive l’automne et l’hiver tombe à la nuit. Nos jours s’en vont comme la balle au vent; il reste parfois des grains qui tombent en terre, prennent racine et font une autre saison. J’ai eu six enfants, quatre pour engraisser la terre, deux pour la faire rendre. C’est ainsi que roule l’écume du paysan sur les prés de son seigneur. Si tu entends rire un enfant, c’est qu’il est au printemps et moi, tu ne m’entends pas parce que j’entrevois déjà l’hiver qui s’approche.


Au prochain saut

dimanche 8 novembre 2009

Le trois cent dixième saut



Les citations d’aujourd’hui proviennent du roman de Jean Bédard, MAÎTRE ECKHART.

Maître Eckhart est né en 1260 à Hochheim (Allemagne) et meurt en 1328, à Avignon. Dominicain, ce philosophe a enseigné à Paris, a prêché à Cologne et Strasbourg, puis a administré la province dominicaine de Teutonie.

Il a vécu à l’époque de Thomas d’Aquin. Ce sont ses disciples qui ont conservé ses propos et ses sermons. On l’a accusé d’hérésie et le pape Jean XXII a condamné certaines de ses thèses. Son enseignement spirituel est centré sur une invitation au détachement comme moyen nécessaire de l’union à Dieu.
Il est intéressant de notre qu'étymologiquement son nom signifie «rivage» et «brave».

Il y aura un autre saut contenant des citations tirées de ce même livre.


. Le doute est ainsi fait qu’il égalise les possibles, qu’il nous ramène à l’indéterminé, comme si de nouveaux commencements surgissaient sans cesse, dans lesquels le passé ne décide plus de l’avenir et où la Providence fait feu de tout bois. Pour un moment, tous les futurs se présentent libres, l’avenir est affranchi. Cependant, il n’exercera cette liberté qu’à la seconde où il basculera du possible dans le réel.

. Ce n’est pas établissant des murs que l’on croît, mais au contraire en ouvrant des fenêtres et des portes.

. Si l’on se fixe obstinément sur une façon de voir, on perd de vue l’ensemble et c’est l’ensemble qui rachète le particulier. Après la révolte, il est bon de reprendre le dialogue, d’accepter le dialogue qui, entre l’invisible et le visible, tisse la sagesse. Le monde est si grand, si intelligent, si majestueux que les fautes que l’on y voit ont plus de chances d’être des erreurs de point de vue que des scandales d’incohérence.

. Une pierre ne reste jamais longtemps dans les airs, un oiseau finit toujours par s’envoler, le loup, par attaquer et l’homme ordinaire, par prier.

. … vous verrez combien le fond de l’océan reste tranquille malgré l’agitation des vents et des surfaces.

. Il est si rare que la parole puisse mieux faire que le silence.

. Il y a des moments où le silence hurle et crie bien trop de silences à la fois, bien trop pour ce que l’on peut contenir. Ce silence tue, il enterre même le souffle des prières. C’est alors que l’on éprouve le besoin d’entendre son semblable, de l’entendre gambader et courir dans une lande verte, de l’entendre nous rappeler qu’il existe quelque chose et non pas rien.

. Tu connais maintenant ta souffrance parce que tu as enfin accepté ton incarnation dans ce corps de femme. La consolation ne vient pas de l’extérieur de la souffrance comme une eau qui viendrait éteindre un feu. Au contraire, elle vient du dedans de la souffrance comme la source première du feu reste à l’intérieur du feu. La propriété première de la source du feu est de ne jamais être totalement consommée par le feu qu’elle engendre. Aucun mouvement de l’être ne détruit l’être.

. La consolation est au-dedans de la souffrance, dans son tréfonds. La souffrance passe, mais la consolation reste.

. Une chose va, mais ce qu’elle me dit reste. Si je souffre parce que j’ai perdu une chose, c’est là un signe certain que j’aime cette chose et que ce que j’aime donc en réalité c’est la perte, la peine de perdre et non pas ce que m’a révélé cette chose.

. … l’espace est l’expression de la distance entre les choses. Or, cette distance se définit par le temps qu’une chose met à se rapprocher d’une autre. Si toutes les choses étaient infiniment rapprochées, il n’y aurait plus d’espace puisqu’il n’y aurait plus de temps de rapprochement. En somme, l’espace est l’effet du temps, son expression.

. La conversion n’est pas l’adhésion aveugle à des dogmes et à des adjurations, la conversion c’est une transformation, c’est le passage de la mort à la vie.

. La chasteté, c’est quand l’amour déborde à ce point que, si vous ne mourez pas d’amour pour votre prochain, vous ne pouvez pas vivre.

. J’avais été élevé entre tant de pierres; comment aurais-je pu comprendre le cri d’une fleur, la plainte d’un ruban d’eau dans une lézarde de mousse?

. Mais la misère prépare des griffes qu’il n’est pas long de subir.

. … il faut apporter de la lumière et non tenter de déplacer les choses vers la lumière.

. … mieux vaut libérer le bien que de tenter de disloquer le mal…

. L’Église est là pour amener le nouveau dans le temps et non pour perpétuer les institutions, pour continuer la création et non pour fixer les épaves du temps.

. Le Maître restait à l’écart et savourait cet instant privilégié où le passé apparaît chuchoter à l’avenir les secrets visant à le rendre meilleur.

. Généralement, la souillure comme la violence sont des choses que l’on se passe de l’un à l’autre, et peut-être ne font-ils que tenter de remettre cette souillure et cette violence à qui représente ceux qui les leur ont donnés.

. Comment une maison peut-elle tenir si elle ne réchauffe plus personne?

. Un homme laissé sans critique court à sa perte. Jamais nous n’avons assez d’yeux pour nous passer de ceux des autres.

. Chaque chose du visible n’est qu’une respiration que l’on retient un temps avant de le laisser partir.

. Les paysans connaissent le temps, ils en suivent les saisons, ce sont eux l’Église vivante. Quant aux doctrines, si elles ne suivent pas le voyage des hommes dans leur culture changeante, elles ne sont que des pierres qui coulent à pic dans des fonds dont elles ne reviendront jamais. Malheur à celui qui veut se faire un esquif de pierre, il est perdu. Qui se perd se trouve, qui cherche à se maintenir se perd.

. Et un jour particulièrement sombre où l’orage voulait tout déchirer, il glissa comme hors de sa douleur, il entra dans le pourtour de la paix qui permet aux âmes de dire leurs adieux.

. Aucun homme ne peut survivre aux machines qu’il met en place pour le tenir hors de lui-même.
À suivre...

jeudi 5 novembre 2009

Le trois cent neuvième saut


Jean Bédard

Jean Bédard, philosophe de formation devenu par la suite travailleur social, est essayiste et romancier. Il est reconnu autant au Québec qu’ailleurs pour sa vison globale de la détresse sociale.

Voici ce que l’on peut lire dans l’Encyclopédie du Canada (éditions Stanké, 2000) : «Philosophe et intervenant social, Jean Bédard est apparu comme un bolide dans le monde des Lettres. [...] Cette démarche est à l'origine d'un livre, Maître Eckhart, roman, qui parut avec la chaude recommandation de Ilya Prigogine, Prix Nobel, et connut un succès immédiat. [...] Jean Bédard est un homme d'un esprit ample et profond à la fois...»

Professeur associé à l’Université du Québec à Rimouski, il enseigne l’éthique des relations humaines et des situations sociales extrêmes autant au Québec qu’en France et en Suisse.

Jean Bédard se préoccupe de questions relatives à la détresse morale, la pauvreté galopante surtout celle qui affecte les jeunes de même que la situation des femmes. Il manifeste un grand intérêt envers les hommes et les femmes de l’histoire qui ont connu une expérience spirituelle et un engagement politique ou personnel : Maître Eckhart, Nicolas de Cues, Comenius, pour ne citer que ceux-là.

Les citations que je vous offre aujourd’hui sont tirées de LA VALSE DES IMMORTELS, le premier livre de Jean Bédard que j’ai lu pour ensuite le relire; c’était au début de ma retraite en 2004. Voici ce qu’on retrouve en quatrième de couverture : « Dans chaque existence, il y a un moment critique, une bifurcation; l’instant, infiniment petit, dans lequel repose en puissance toute notre vie comme une forêt dort dans une minuscule graine. Cette histoire est celle d’une jeune fille qui donne naissance à sa mère. On y découvre que la femme, une fois née, est toujours la rédemption du temps.»


. Car nous marchons pieds nus sur un océan à peine gelé et il suffit de manquer de distraction pour tomber dans une profondeur sans limites.

. La musique trouble le silence, le vitrail trouble la lumière, le professeur trouble l’esprit.

. C’est la souffrance d’un grand feu qui anime une petite étincelle, s’il la prend dans sa flamme, il la consume et la tue. S’il l’éloigne trop d’elle, elle se refroidit et meurt. Alors il souffle sur elle pour la tenir chaude mais à juste distance. C’est l’exil de l’âme et l’exode du peuple. Par l’exil, l’âme devient elle-même un feu et son amour pour le feu l’amène à produire ses propres étincelles. Par l’exode, le peuple arrive à se gouverner lui-même.

. L’art de l’exil consiste à développer l’acuité de l’oreille afin de compenser l’aveuglement des yeux. Le sage est une grande oreille vive.

. C’est radical : dire, c’est mentir. Parce que les mots font des limites alors que ce dont ils parlent n’en a pas.

. L’exil est le commencement de la vie. La naissance est un éloignement. Nous commençons par être écartés de Dieu comme les petits poussins de leur mère, nous commençons dans la mort, baptisés en elle. Et ensuite, la mort se met à mûrir à la manière d’un fruit. Lorsque le fruit est mûr, il tombe lui-même et devient un arbre, et l’arbre, une forêt, et la forêt un univers, et l’univers, un débordement démesuré de vie. Une mort bien mûre, c’est une vie à pleine course dans une étendue sans horizon.

. Il est vrai qu’à fuir un malheur, on se jette dans un malheur plus grand.

. L’âme humaine a quelque chose du mammifère marin : elle doit sortir le nez de l’eau chaque fois qu’elle veut respirer. Pourquoi? Parce qu’elle ne vit pas dans sa substance propre. Certes, il y a un d’air dans l’eau, mais il lui en faut davantage.

. La première difficulté du fou consiste à distinguer sa propre folie de celle du monde. Le prophète est celui qui, après les avoir séparées l’une de l’autre, goûte à la Sagesse qui lui a justement permis ce discernement.

. Lorsqu’une chose inusitée disparaît pour ne plus revenir, on a coutume de dire que c’est une vision, une image, une illusion. On accorde statut d’être uniquement à ce qui persiste et se répète. Le temps grignote l’être et s’il l’avale trop vite… Qu’était-ce? Une cendre, une impression, un émoi? Qui peut le dire? Si la Chose ne revient plus pour se confirmer elle-même, mieux vaut affirmer que ce n’était rien.

. Il y a des miroirs que l’on ne peut jamais regarder en face, à moins d’avoir tout perdu.

. On finit toujours par rencontrer la face cachée de nos obsessions.

. C’est vrai que l’exil est un désert, mais au milieu de ce désert, il y a une source.

. Tant que l’homme veut avancer à l’horizontale, une montagne constitue un obstacle. Mais si, tout à coup, il veut se rapprocher des étoiles, le même montagne devient son instrument.

. … ce n’est pas la mort qui succède à la vie, au contraire, c’est la vie qui succède à la mort. Mais cela n’est possible que si la mort est sacrée, rendue source vivante.

. Lorsque la démesure de l’univers touche à la démesure de l’âme, la peur cesse et la mémoire prend feu.

. J’avais enfin compris qu’il n’y a qu’un seul sacrement et c’est celui de l’amour. C’est une messe qui pardonne le passé, qui confirme le présent, qui oint les morts, qui baptise tout, qui fait du plus petit atome le prêtre et le chantre de tout l’univers.

. La souffrance attaque et se retire, provoque et détale. Elle déterre le cœur de l’homme, exhume sa valeur et valide sa dignité. Son jeu érafle et sensibilise; il prépare à la réception. Sa griffe pique et attise; elle pousse à l’action. Sa lame dénude et dévoile; elle laisse le vrai et emporte le contrefait. Elle élève bien plus qu’elle n’abaisse parce que l’homme et la femme sont capables de lui objecter le meilleur d’eux-mêmes.
Mais la misère, elle, fait tout le contraire : elle s’accroche et dure, détruisant tout espoir. Elle s’insinue dans le cœur et le brise. Elle le transperce et y injecte son venin. Elle séquestre, abat, anéantit. La misère défait l’homme. Elle est incompatible avec l’homme. Une fois emporté dans la misère, l’homme devient une honte, non seulement pour lui-même, mais pour toute l’humanité ridiculisée par elle. La misère étale notre impuissance. Elle n’a de cesse que lorsque l’homme lui est devenu semblable : acerbe, vénéneux et cruel.
Devant la misère, qui peut rompre le silence? La misère scandalise, un point c’est tout. Chercher à lui donner une quelconque légitimité nous rend immédiatement suspects de monstruosité. Appartenir à l’humanité, c’est par essence s’indigner devant la misère, lui dénier le droit à l’existence.
L’homme et la misère sont deux ennemis par nature. Pourquoi? Parce que la fin de l’homme est de chasser la misère et que la fin de la misère est de chasser l’homme. On juge donc une civilisation par la misère qu’elle produit et qu’elle détruit.


Au prochain saut

lundi 2 novembre 2009

Le trois cent huitième saut



Jamais je ne publie sur le blogue du crapaud les critiques de films auxquels j’assiste. Elles sont sur VOIR. CA et y demeurent. Mais je me permets aujourd’hui de vous faire lire, non pas la critique du film UN ANGE À LA MER de Frédéric Dumont, mais le poème de Baudelaire, Réversibilité, qui lui sert de support. Je vous convie également à voir ce bijou de film traitant d’un sujet… dont je garde le secret.


Réversibilité

Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse,
La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,
Et les vagues terreurs de ces affreuses nuits
Qui compriment le cœur comme un papier qu’on froisse?
Ange plein de gaieté, connaissez-vous l’angoisse?

Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?
Les poings crispés dans l’ombre et les larmes de fiel,
Quand la Vengeance bat son infernal rappel,
Et de nos facultés se fait le capitaine?
Ange plein de bonté, connaissez-vous la haine?

Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres,
Qui, le long des grands murs de l’hospice blafard,
Comme des exilés, s’en vont d’un pied traînard,
Cherchant le soleil rare et remuant les lèvres?
Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres?

Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides,
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dévouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides?

Ange plein de bonheur, de joie et de lumières,
David mourant aurait demandé la santé
Aux émanations de ton corps enchanté;
Mais de toi je n’implore, ange, que tes prières,
Ange plein de bonheur, de joie et de lumières!


Si vous voyez le film, vous comprendrez tout le sens de ce poème. Mais saviez-vous que les anges portent des prénoms? En effet. On nous a habitués aux anges et archanges de l’histoire sainte, il y en a toutefois d’autres. L’ange du feu porterait le prénom de NOURIEL; celui de la pureté, TAHARIEL; l’ange de la délivrance, PADAEL; RAEIL serait l’ange des secrets, ministre suprême de la Sagesse et l’ange de la mort, le messager ultime dont la beauté touche à l’effroi répondrait au nom de AZRAËL.

Qu’est-ce qu’un ange? Pascal dit : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. » Pas très aidant. Je me souviens que dans mon enfance on nous parlait énormément de l’ange gardien. L’image que j’en avais à cette époque est celle d’un «suiveux», quelqu’un qui ne me lâchait pas d’une semelle et, combien de fois, m’empêchait d’être complètement moi-même. Un genre de police secrète connue qui te colle aux fesses. Je ne peux pas dire les choses que je me suis retenu de faire à cause de cet ange collé à mon dos. Parce qu’un ange gardien, ça se tient dans ton dos. Ça parle aussi dans ton dos. Ça fait tout dans ton dos. Et souvent, alors que tu risquais un geste qu’on allait soit te reprocher ou pour lequel on risquait de te réprimander, ce foutu «suiveux» s’organisait pour te placer dans un état de culpabilité intense. Je me rappelle la fois où délibérément j’ai laissé choir une boîte de carton en bas du deuxième étage et que le carton s’est retrouvé sur la tête de Monsieur Gaumond (compote aux oignons, tel était le sobriquet que nous lui avions trouvé) qui la reçut, je ne vous dis pas avec quelle dignité… cette dignité d’un propriétaire offensé jusqu’aux entrailles et béni… Eh! bien (oui, une faute, je le sais…) je me souviens très bien de mon réflexe : comment mon ange gardien allait réagir et à qui il allait illico me dénoncer.

Cet ange gardien – est-il toujours derrière moi? – m’a suivi à un point tel qu’il m’a complètement fait oublier que d’autres pouvaient exister, à part évidemment ceux que l’on nous indiquait à je ne sais trop quel numéro du petit catéchisme. Aujourd’hui, je comprends que son rôle en était un de police secrète, de vigile muet et combien délateur. Je suis assuré que de la première cigarette fumée en cachette, la réaction réprobatrice de ma mère provenait de mon ange gardien à qui on avait oublié de donner une menthe afin de camoufler une haleine accusatrice. Convaincu que ma première bière, lorsque mon père l’a sue, ça émanait de la même source.

En fait, l’ange gardien – je continue de jaser de lui (est-ce que les filles ont une ange gardienne?) parce que c’est le seul qui ait croisé mon chemin – cet ange s’avère bien pratique pour les parents biologiques, pour ceux et celles qui ont un rôle de surveillance (ou d’éducation) à jouer dans la vie des enfants. Je dis les enfants parce qu’à partir du moment où tu balances ton ange gardien, tu n’es plus un enfant. Si tu as choisi de le demeurer dans ton esprit jusqu’à ton dernier souffle, l’ange gardien t’accompagne. Ce rôle de surveillance s’étend de l’extérieur à l’intérieur de l’individu. Je vous donne comme exemple d’un rôle de surveillance joué par l’ange gardien, le fait que je ne lisais pas des livres que l’on classait à l’INDEX, étant convaincu que je serais pris et excommunié. Oui, excommunié, parce que mes yeux allaient permettre à mon cerveau puis à ma conscience de lire, d’entendre et d’essayer de comprendre des idées aussi révolutionnaires que celle-ci : les anges n’existent pas.

Rien de pire dans une vie que de se rendre compte que ce à quoi on t’incitait à croire, ce qui devait régir tes faits et gestes et tout cela avec un radar collé au derrière, d’apprendre puis d’en être certain, que cela est faux, pire, que cela n’existe pas. Ton ange gardien n’était en fait qu’un tissu diaphane, translucide laissant passer le vide. Et malgré que tu aies cru qu’il fût derrière toi, que maintenant tu as la preuve qu’il n’a jamais été présent, que malgré cela tu aies survécu… ça donne un coup! Il doit certainement y avoir un ange qui a fomenté cet immense complot!

UN ANGE À LA MER ne traite absolument pas de ce thème.

Au prochain saut

mardi 27 octobre 2009

Le trois cent septième saut


Yann Martel

Les cahiers de lecture desquels sont issues les citations de ce matin - je vois très bien de quelle époque ils proviennent - ne sont pas parmi les plus intéressants. Je m’explique.

Yann Martel (l’auteur de L’Histoire de Pi) envoie au Premier Ministre Stephen Harper deux livres par mois – il a entrepris cette … croisade… en avril 2007 - afin de lui permettre de lire. Selon lui, il néglige cette activité intellectuelle et alimente une propension à ne pas s’intéresser aux questions culturelles au Canada : ses politiques en seraient une preuve manifeste.

Je me suis demandé (j’arrive au vingtième livre suggéré) si Martel conserve, lui aussi, des cahiers de lecture. Est-il allé y puiser les recommandations qu’il adresse par la suite à un lecteur qui ne semble pas s’y intéresser outre mesure?

Sans vouloir excuser le chef du gouvernement minoritaire fédéral, je dois avouer le comprendre un peu. Alors que j’étais actif sur le marché du travail, les cahiers de lecture que je dépèce actuellement en témoignent, je lisais principalement des ouvrages en lien avec l’éducation, la pédagogie et tout ce qui entoure ce domaine.

Vous saviez que Monsieur Harper, dans ses temps libres, eh bien! (oui, oui, je le sais que c’est une faute mais je persiste et signe…) il écrit. Un livre sur le hockey. Alors que moi, à l’époque, j’écrivais des vers… Chacun son dada…

Donc, voici les citations de ce matin et vous annonce que très bientôt, je vous offrirai des textes du philosophe québécois Jean Bédard. Ça augure bien!



. Pas besoin de souffrir éternellement si on souffre durant une minute en croyant durant une minute que cette souffrance sera éternelle, pardi.
Gaétan Soucy

. L’homme solitaire prend une fois pour toutes l’habitude de s’occuper de ses propres rêves; il ne peut plus réagir tout de suite à l’assaut des propositions extérieures. Il est comme un moine à son bréviaire dans une partie de balle au champ, ou comme un patineur qui glisse trop délibérément et qui ne peut répondre aux appels qu’en décrivant une longue courbe.
Jean Giono

. C’est le sort des solitaires de se fuir pour ne pas se perdre, de croire qu’un jour ils se retrouveront.
Didier Van Cauwelaert

. Le type qui a envie de faire sauter le monde est la contrepartie de l’imbécile qui s’imagine qu’il peut sauver le monde. Le monde n’a besoin ni d’un destructeur, ni d’un sauveur. Le monde est, nous sommes.
Henry Miller

. Je commençais à attendre. Mes pensées allaient dans tous les sens. Ou bien je me concentrais sur des détails pratiques liés à ma survie immédiate, ou bien j’étais crucifié par la douleur, pleurant en silence, la bouche ouverte, les mains sur la tête.
Yann Martel (L’Histoire de Pi)

. Les hommes n’ont pas l’habitude de rester. Ils fuient, ils éludent, ils oublient, on ne sait comment.
Éric Fottorino

. Car la souffrance était-elle autre chose que l’expression de cette angoisse qui nous envahit lorsque nous prenons conscience de l’étrangeté de toute cette histoire qu’on appelle la vie?
Yvon Rivard

. … Ah! que la vie serait belle et notre misère supportable, si nous nous contentions des maux réels sans prêter l’oreille aux fantômes et aux monstres de notre esprit…
André Gide

. Une. Une seule parole contient toutes les paroles. La vie s’y déverse. La vie est dans chaque grain, dans chaque mot… Si seulement, chaque fois, on le savait; si seulement chaque fois on le voulait.
Andrée Chedid

. Je sais maintenant qu’espérer est beaucoup plus difficile que de savoir d’avance ce qui va arriver. Si j’ai à choisir, j’aime beaucoup mieux savoir que je vais recevoir un coup de pied que d’espérer ne pas en recevoir. Puisqu’un coup de pied fait mal mais y penser tout le temps est encore plus fatigant et fait mal plus longtemps, comme si on se dessinait une cible de douleur sur le corps à force d’y penser.
Sébastien Chabot

. Le rossignol, qui du haut d’une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. Il est au sommet d’un chêne et toutefois il a peur de se noyer.
Cyrano de Bergerac

. La vie en nous prend constamment des résolutions sur lesquelles elle ne nous consulte pas.
Pierre Vadeboncoeur

. Voilà, Monsieur, tout le mal est là, dans les mots. Chacun de nous porte en lui un monde, un nombre infini de choses. Comment pouvons-nous nous comprendre, Monsieur, si je donne à chaque mot que je prononce le sens et la valeur des choses telles qu’elles sont en moi, alors que vous qui m’écoutez recevez chacun de mes mots avec le sens et la valeur du monde tel qu’il est en vous? Tout le mal est là, Monsieur, et personne n’y échappe.
Pirandello (Six personnages en quête d’auteur)

. Mais quelle famille solitaire avais-je donc! J’étais même ébahi que deux de ses membres aient pu s’assembler pour engendrer les deux suivants. Seulement, des solitaires qui feignent de ne pas l’être… voilà sans doute comment les familles se construisent, et comment la race des gens seuls est devenue si nombreuse.
Benjamin Kunkel

. Je vous jure que nous étions en train de rire quand la tristesse est arrivée.
Truman Capote

. Tant que les mots n’ont pas été dits clairement, il y a toujours une chance qu’ils n’aient pas été tacitement sous-entendus. Il y a encore de la place pour l’espoir. Et là où il y a espoir, il y a déception.
Aldous Huxley


Je termine ce saut en vous rassurant sur «un carnet d’ivoire avec des mots pâles», ça reviendra bientôt.

Au prochain saut

vendredi 23 octobre 2009

Le trois cent sixième saut



J’arrive difficilement à me remettre à l’écriture malgré le fait que je revisite certains textes inachevés, quelques poèmes entrepris avant le 16 septembre et qui incubent actuellement, sans réussir à leur donner cette charpente que l’architecture initiale avait structurée. J’ai vu à Villefranche le mot «architexture». On l’a créé afin d’associer photographie et texte. Un bâtiment et à sa porte, par terre, une photographie l’illustrant à une autre époque, accompagné d’un texte qui recadrait le tout. Belle idée.

J’arrive difficilement à me remettre à l’écriture. Plus facile avec la lecture et encore ardu avec la marche. En fait, il y a problème aux trois axes qui me sont essentiels, vitaux. Je me demande si mon esprit n’est pas en train d’ankyloser (paralyser par ankylose – diminution ou impossibilité absolue des mouvements d’une articulation naturellement mobile – perdre de sa rapidité de réaction, de mouvement par suite d’une immobilité, d’une inaction prolongée).

J’ai beaucoup fouillé dans mes recueils de poèmes afin d’y découvrir ceux ou tout simplement celui qui, d’abord, se rapprocherait le plus de mon état d’âme actuel puis allait pouvoir me relancer… Voici, du moins je le crois ce matin, le Saint-Denys Garneau qui répond le mieux à ce que je ressens présentement.



Bout du monde!



Bout du monde! Bout du monde! Ce n’est pas loin!
On croyait au fond de soi faire un voyage à n’en plus finir
Mais on découvre la platitude de la terre
La terre notre image
Et c’est maintenant le bout du monde cela
Il faut s’arrêter
On en est là

Il faut maintenant savoir entreprendre le pèlerinage
Et s’en retourner à rebrousse pas de notre venue
Avec le dépit à nos trousses de cette déconvenue
Et s’en retourner à contre-courant de notre image
Sans tourner la tête aux nouvelles voix de notre richesse
On a déjà trop attendu au bord d’un arrêt tout seul
On a déjà perdu trop de cœur à s’arrêter.

Nous groupons à l’entour de l’espace
de ce que nous n’avons pas
La réalité définitivement acceptable
de ce que nous pourrions avoir
Des colonies et des possessions
et toute une ceinture d’îles
Faites à l’image et amorcées par ce point
au milieu central de ce que nous n’avons pas
qui est le désir.

Hector de Saint-Denys Garneau


Je remarque que ce poème ne renferme aucun «je»… les pronoms utilisés sont les «ce», «il», «on», «en», «nous», «s’», «soi», «cela»… indifféremment employés comme personnels ou impersonnels, possessifs ou démonstratifs… il y a peut-être là quelque indice!

Pour me secouer, il faudrait peut-être m’intéresser à la politique municipale si fertile en rebondissements; à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1); au cas du subtil Sergeï Kostitsyn; ou encore, chercher à répondre à des questions existentielles, comme celle-ci : quand, exactement, meurt la feuille qui tombe de l’arbre à l’automne, est-elle morte avant d’échouer sur le sol?


Secouons-nous d’ici le prochain saut…

lundi 19 octobre 2009

Le trois cent cinquième saut



Le crapaud revient… et de loin! Je ne veux pas élaborer sur les événements des dernières semaines mais, et depuis quelques jours, je cherche une porte d’entrée vers la continuité de ces sauts qui m’ont toujours été des lieux importants.

Sans doute, n’y a-t-il rien de mieux que la continuité pour nous resituer et rien de mieux qu’en sortir pour se situer ailleurs, le crapaud replonge dans ses cahiers de lecture à la recherche de quelques citations… qu’il souhaite pertinentes.


. … ce que nous appelons liberté, c’est la possibilité de réaliser les actes qui nous gratifient, de réaliser notre projet, sans nous heurter au projet de l’autre. Mais l’acte gratifiant n’est pas libre.
Henri Laborit (Éloge de la fuite)

. On ne doit pas se tromper de mot, sans risquer de se tromper d’états d’âme et d’attitudes.
Paule Constant (Confidence pour confidence)

. … mais je fais confiance aux mots, qui finissent toujours par dire ce qu’ils ont à dire. Tournez cinq fois sur vous-même, les yeux fermés et, avant que de les ouvrir, un caillou que vous aurez lancé, vous ne saurez pas dans quelle direction il est parti, mais vous saurez qu’il aura bien fini par retomber sur terre. Ainsi sont les mots. Ils arrivent toujours, coûte que coûte, par se poser quelque part, et cela seul est important.
Gaétan Soucy (La petite fille qui aimait trop les allumettes)

. Cependant, lorsqu’on a cessé d’en vouloir aux faits, on devient tranquille comme une rivière.
Jean Bédard (La valse des immortels)

. On ne sait pas toujours pourquoi certains mots nous surprennent, pourquoi on devient tout à coup triste à les entendre, ces mots qu’on connaît par cœur pourtant et qui font lever tantôt des colombes, tantôt des corbeaux.
Robert Lalonde (Le vaste monde)

. Il nous arrive souvent, à nous autres humains, de croire à ce que nous désirons le plus fort.
Jostein Gaarder (Le petit frère tombé du ciel)

. Un rêve doit être inaccessible, il doit pourtant continuer de briller en nous, sans cela, il se perd, il finit par nous perdre aussi.
Marc Chabot (En finir avec soi – Les voix du suicide)

. … et une mère qui meurt, l’âge n’y fait rien, c’est une mère qui meurt, c’est le monde qui soudain se brise, et du coup on perd tout espoir de se voir offrir une seconde chance, on devient à ce moment véritablement une œuvre unique, numérotée, signée, et on découvre enfin que c’est sa vie que l’on joue, que toutes les ratures, tous les repentirs, les errata s’y inscrivent comme des balafres, qu’il n’y aura pas de mise au propre dans une vie future, pas de refonte, parce que la matrice n’est plus et qu’on devient soi-même l’original.
Jean Rouaud (Pour vos cadeaux)

. … être libres de faire une tentative ne garantit pas la réussite. La liberté qui consiste à choisir dans le domaine du possible n’est pas l’omnipotence qui serait de toujours réussir ce qu’on entreprend, même l’impossible.
Fernando Savater (Éthique à l’usage de mon fils)

. La seule liberté digne de ce nom est de travailler à notre propre avancement à notre gré, aussi longtemps que nous ne chercherons pas à priver les autres du leur ou à entraver leurs efforts pour l’obtenir. Chacun est le gardien naturel de sa propre santé, aussi bien physique que mentale et spirituelle. L’humanité gagnera davantage à laisser chaque homme vivre comme bon lui semble qu’à le contraindre à vivre comme bon semble aux autres.
John Stuart Mill

. Il n’est rien de plus lourd que la compassion (la télépathie des émotions). Même notre propre douleur n’est pas aussi lourde que la douleur co-ressentie avec un autre, pour un autre, à la place d’un autre, multipliée par l’imagination, prolongée dans des centaines d’échos.
Milan Kundera (L’insoutenable légèreté de l’être)

. Étant donné que c’est le corps qui l’éprouve et l’esprit qui l’endure, la douleur empiète sur deux entités que la science s’acharne depuis des siècles à isoler l’une de l’autre. Nous savons, nous qui souffrons, que la douleur éveille en nous l’écho d’une alliance originelle du corps et de l’esprit, laquelle remonte à des temps bien antérieurs à notre civilisation. Et que c’est cette interaction en double résonnance du somatique et du psychique qui rend la douleur si pénible à supporter. Une interaction qui pourtant, et c’est bien là le paradoxe, est pour nous une source d’espoir. Car si la douleur provient de la double connivence psychosomatique, il en résulte que nous sommes les seuls à détenir le pouvoir de dominer notre mal. Un pouvoir bien plus efficace que celui de n’importe quelle médecine.
E. Bogin


Au prochain saut

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...