Le crapaud arrive – déjà! – à la fin de la transcription de son deuxième cahier de lecture qui ira, maintenant, sagement dormir dans la bibliothèque se coller au dos du premier…
Dans ce cahier, où je retrouve de fort belles choses, la fort mauvaise habitude de ne pas y inscrire les dates ainsi que des souvenirs uniques; je vous les envoie en vrac…
Bonne lecture.
. Ma vie n’est pas derrière moi
ni avant
ni maintenant
Elle est dedans
(Jacques Prévert)
. Ne devrions-nous pas rechercher, chez l’enfant déjà, les premières traces de l’activité poétique? L’occupation préférée et la plus intensive de l’enfant est le jeu. Peut-être sommes-nous en droit de dire que tout enfant qui joue se comporte en poète, en tant qu’il se crée un monde à lui, ou, plus exactement, qu’il transpose les choses du monde où il vit dans un ordre nouveau tout à sa convenance. Il serait alors injuste de dire qu’il ne prend pas ce monde au sérieux; tout au contraire, il prend très au sérieux son jeu, il y emploie de grandes quantités d’affect. (Freud)
. L’homme, dans sa maison, n’habite pas l’escalier, mais il s’en sert pour monter et pénétrer partout; ainsi l’esprit humain ne séjourne pas dans les nombres, mais il arrive par eux à la science et à tous les arts. (Rivarol)
. La vie n’est qu’une ombre qui passe,
Un pauvre acteur qui s’agite et parade une heure, sur la scène,
Puis on ne l’entend plus; c’est un récit
Plein de bruit, de fureur qu’un idiot raconte
Et qui n’a pas de sens.
(Shakespeare)
. Toutes mes difficultés de ces temps derniers m’ont appris que le secret du bonheur serait de se tenir toujours à la hauteur de ses propres exigences dans tous les ordres, physique, intellectuel et moral, grâce à une discipline de travail et de sacrements. (Saint-Denys-Garneau)
. Je pris conscience de ce qu’il y a de divin et de ce qu’il y a de ridicule dans toute existence humaine : l’énigme de nos cœurs déchirés et révoltés, la profondeur de l’histoire universelle et l’immense miracle de la pensée qui transfigure notre courte existence et qui, par l’effet de la connaissance, élève notre petite destinée dans la sphère de la nécessité et de l’éternel. (Herman Hesse)
. Ce que les vieux contemplent, quand ils rêvent au bord d’un cours d’eau, c’est leur propre mort; je suis maintenant assez vieux pour le savoir. Et moi, je m’approche d’eux parce qu’au fond de moi, il y a une ou deux questions que je voudrais leur poser. Des questions que je me pose depuis longtemps. Je voudrais qu’ils me disent ce qu’ils aperçoivent de l’autre côté et s’ils ont trouvé comment on fait pour traverser. Voilà, c’est tout.
(Jacques Poulin)
. Tant de souvenirs du passé surgissent lorsqu’on essaie de ressusciter en imagination les traits d’un être aimé qu’on voit ceux-ci confusément à travers ces souvenirs comme à travers des larmes. Ce sont les larmes de l’imagination.
(Léon Tolstoï)
. … parfois la mémoire superpose les souvenirs…
(Jean Rouaud)
. … les souvenirs s’éloignent chaque jour davantage de ce qui les a fait naître…
(Jostein Gaarder)
. Tout a un endroit et un envers. En général d’égale valeur.
(Peter Hoeg)
. Car il est de certains moments et de certains cas où la vie imite l’art, où les deux créations s’entremêlent tellement inextricablement qu’elles se reflètent elles-mêmes.
(Howard Buten)
. Il est tellement plus facile de condamner une âme à la perdition ou de dire des prières pour son salut que d’endosser la faute de l’avoir laissé croître dans l’abandon et courir à sa perte. La loi anglaise n’a commencé qu’à la fin du XVIIIième siècle à concevoir l’idée que le crime n’est pas nécessairement un péché. Les limites de la responsabilité humaine n’ont jamais été convenablement étudiées.
(Olivier Wendell Holmes)
. Un seul être vous manque
Et tout est dépeuplé…
(Léo-Paul Fargue)
. L’homme cherche sans passion
le cœur de la vie
ou passionnément
cherche sa surface
mais cœur et surface
sont essentiellement identiques,
les mots ne les opposent
que pour exprimer l’apparence.
Si un nom est requis, la surprise les nomme tous les deux :
l’existence s’ouvre…
(Tao tö King)
. Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps.
(Gustave Flaubert)
. Si la douleur est violente, elle est courte; si elle est longue, elle est légère. Tu ne la sentiras guère longtemps, si tu la sens trop; elle mettra fin à soi, ou à toi : l’un et l’autre revient à un. Si tu ne la portes, elle t’emportera…
(Montaigne)
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
D A M A S Q U I N E R (verbe transitif)
. incruster (dans une surface métallique) un filet d’or, d’argent, de cuivre formant un dessin.
É C O B U E R (verbe transitif)
. peler (la terre) en arrachant les mottes, avec les herbes et les racines, que l’on brûle ensuite pour fertiliser le sol avec les cendres.
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lundi 30 mars 2009
Saut: 272
jeudi 26 mars 2009
Saut: 271
Son HOMMAGE AUX FOUS raconte l’histoire de Cyril Dusa alors qu’il sort de l’hôpital où il a fait un assez long séjour. Comme le médecin l’a autorisé à vivre à sa guise, naturellement il se croit condamné. Que signifie, d’ailleurs, vivre à sa guise, pour un paysan thèque marié avec une femme acariâtre, et dont le seul plaisir consiste à cultiver son bout de vigne et à surveiller ses fûts?
Quelque chose a changé, cependant : Cyril Dusa ne se reconnaît pas. Son nom lui apparaît lié à un destin qui n’est pas vraiment le sien. Rentré chez lui, il s’enferme dans le grenier. Raconte sa vie dans un cahier, pour lui tout seul. Envoie promener son fils qui lui fait des remontrances. Va se saouler au village. C’est là qu’il rencontre Éva, une jeune fille qui se donne mais qu’aucun homme ne garde. À soixante ans, Cyril découvre l’amour.
Voici quelques phrases tirées de ce roman.
. Car tout homme est évidemment libre, absolument libre comme Dieu tant qu’il ne commence pas à tenir compte des personnes qui l’entourent. C’est en elles que réside son esclavage et plus elles sont proches, plus elles l’enchaînent. Ainsi peut-on ressentir une haine cruelle envers ceux qui vous sont le plus chers, une haine douloureuse envers ceux avec qui on marche main dans la main, une haine désespérée à l’égard de celui dont on a besoin pour vivre.
. Dans ce grumeau réduit à quelques simples cellules sont stockées dès ses premières secondes toutes les connaissances nécessaires à la vie. À croire que l’apparition du cerveau sert à l’homme seulement à ignorer comment vivre, à pouvoir venir au monde sans expérience et presque sans instincts, à devoir, encore et encore, apprendre tout ce que nos ancêtres ont déjà appris à chaque génération, à être contraint de répéter toutes les erreurs, de passer par toutes les souffrances, de se préparer des pièges pour y tomber soi-même, d’entrer dans le malheur en connaissance de cause et de vaciller, désemparé, chaque fois que l’ombre d’une grande main étrangère obscurcit notre vie.
. Notre aptitude à penser nous vaut la perte de notre mémoire collective; notre capacité de réflexion, la rupture du fil des générations si bien que nous ne cessons pas de redécouvrir ce qui est déjà découvert, de résoudre à nouveau, dans les affres qui accompagnent toute décision, ce qui a déjà été résolu.
. Lorsqu’on boit, le temps passe trois fois plus vite car les mots coulent trois fois plus lentement, reviennent, se répètent, roulent, passent d’une bouche à l’autre.
. … il avait l’impression qu’un animal inconnu se mouvait au milieu de la clairière. Un animal maladroit, qui paraissait devoir à tout moment retomber à quatre pattes, tant sa station debout semblait précaire. Un être mi-oiseau, mi-quadrupède, inadapté à la vie au milieu des herbes et des arbres, une bête fauve prise d’un désir de voler et qui était restée à mi-chemin, dressée pour prendre son essor, mais incapable de s’arracher au sol. Ainsi survit en chacun de nous une insatisfaction permanente, l’aspiration à devenir différent, plus grand, plus léger, plus rapace, à se transformer, à se dégager, à être plus qu’homme. S’élever comme l’oiseau, plonger dans les profondeurs comme le poisson, s’enfoncer dans le sol comme le ver. Si rien de tout cela ne nous est accordé, nous essayons au moins tantôt d’emprunter une autre rue, tantôt de changer de vêtements ou de rêver à ce que nous serions si nous n’étions pas ce que nous sommes.
. Comme toujours, la chose commençait par une toile d’araignée ténue, imperceptible, dont les fils à peine visibles se transformeraient avec le temps en des cordes solides et celles-ci à leur tour en barreaux que même la meilleure volonté ne pourrait abattre.
. On n’a aucun devoir envers ce qu’on reçoit, mais seulement envers ce dont on est soi-même l’auteur.
. Mais qu’est-ce que le bonheur, si ce n’est le coup le plus raffiné d’un destin tragique?
. N’es-tu qu’une écuelle trop plate dont le grain s’envole au moindre souffle du vent?
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
B E N O Î T (E) (adjectif)
. bon et doux;
. qui prend un air doucereux.
C A L L I P Y G E (adjectif)
. aux belles fesses;
. la Vénus callipyge : nom d’une statue du musée de Naples;
. adjectif et nom féminin : qui a des fesses exagérément développées.
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lundi 23 mars 2009
Saut: 270
J’ai découvert sur le web une nouvelle inédite qu’il aurait publiée en 1998 dans le supplément littéraire du journal Pravo. Ce n’est pas ce que je voulais vous présenter, ayant plutôt prévu piger dans mes cahiers de lecture et vous offrir quelques citations de son roman HOMMAGE AUX FOUS. Mais j’ai reviendrai.
Alors voici, par bribes, cette nouvelle intitulée «Comment une fable prit naissance» :
Alice et Robin, protagonistes de la nouvelle, forment un couple insolite. Ils vivent dans une institution pour handicapés physiques. Elle a perdu ses jambes dans un accident, il est bossu. L’auteur nous présente Alice le jour de son 25ième anniversaire. Elle se trouve encore au lit et attend Robin, son mari, qui devrait venir, comme chaque matin l’assister dans sa toilette. Elle entend Robin rire avec des femmes quelque part au rez-de-chaussée, elle s’impatiente, elle est prise d’angoisse, de doute et de jalousie, elle a peur de perdre cet homme, le lien principal qui l’attache au monde. Elle crie, elle l’appelle pour qu’il vienne la chercher. Voici comment Trefulka décrit les habitudes matinales de ce couple insolite, lui qui écrivait : «Peut-être un homme n’agit-il qu’en suivant la pente de ses habitudes.»
« Par-delà neuf montagnes, par-delà neuf rivières, il entendait Alice qui s’impatientait. Ce n’est pas qu’elle fût incapable de se débrouiller toute seule pour les deux étages qui la séparaient de son bureau, mais ils avaient tout un rituel matinal, et il aurait été par trop bizarre que Robin l’oublie justement en ce jour, qui était celui des vingt-cinq ans d’Alice. Bien entendu, il n’en avait nullement l’intention, il se faisait déjà une fête de tous ces gestes, de tous ces mots accoutumés, il ne pouvait imaginer sa vie sans eux.»
Et dans la mémoire éreintée d’Alice resurgit son passé. Elle se voit telle qu’elle était avant l’accident et elle se dit qu’elle devait être «sacrément détestable avec son assurance de belle fille de la campagne, intelligente, un tantinet trop futée peut-être, derrière qui les garçons et les hommes faits se retournaient au passage…»
Finalement Robin arrive, avec un énorme bouquet de roses. Il regarde la tête d’Alice sur l’oreiller et surtout sa bouche curieuse qui a toujours l’air de sourire avec un peu d’ironie. L’auteur en profite pour faire un portrait d’Alice. «Avec les grands yeux bleu-gris et le nez un peu frivole, cela composait un visage aspirant à la joie et au rire, où planait cependant une ombre d’incertitude et qui était à l’affût du moindre mot déplacé, voire du moindre geste suggérant quelque chose qui la ferait tiquer. Robin savait que ce que Alice supportait le moins c’était les paroles et les gestes de compassion.»
Alice accueille Robin, elle fait semblant de le gronder pour son retard, mais elle laisse échapper aussi quelques mots qui trahissent son bonheur. Elle se fait porter par Robin dans la salle de bain, se laisse dévêtir et asseoir dans la baignoire. Robin coupe le ruban du bouquet et répand les fleurs sur la mousse, dans laquelle s’enfoncent les moignons, tout ce qui reste des jambes d’Alice. Il n’arrive pas à se rassasier du tableau d’Alice dans sa baignoire, «un demi-nu en blanc et écarlate, les seins, les épaules et les bras modelés par le travail et l’exercice, parce qu’ils doivent assumer tout l’effort nécessaire aux déplacements». En pensant à Robin, Alice se souvient parfois de son ancien fiancé, Pavel, «homme qui savait toujours beaucoup mieux qu’elle ce qu’il lui fallait et ce qui lui convenait mais qui lui a envoyé après son accident une lettre lui expliquant pourquoi il ne pouvait pas l’épouser, pourquoi elle ne le reverrait jamais.» Elle le comprend, elle sait que ses jambes sont parties bien que la formule lui semble totalement insensée. Elle se demande : «Comment ce qui vous permet de marcher peut-il partir? Et partir de surcroît en emportant avec soi toute votre vie, emportant tout votre amour…»
Mais le plus grand événement de cette journée exceptionnelle dans la vie du couple ne vient que plus tard. Robin amène Alice, sur son fauteuil roulant, emmaillotée dans un plaid, à la cour de l’institution devant la porte d’un atelier. Alice sait que Robin va lui offrir encore quelque chose d’important et elle est un peu inquiète. Elle craint que ce ne soit pas un cadeau complètement idiot. C’est là, en présence d’autres pensionnaires venus souhaiter à Alice un bon anniversaire, que Robin lui offre un engin étrange qu’Alice n’arrive pas à nommer. C’est un tricycle à moteur avec un large guidon à la place du volant qui ressemble à un scarabée exotique avec les élytres et les antennes. Robin est fier de lui annoncer qu’il n’a acheté que la chaîne et la lampe et que tout le reste était fabriqué par lui à partir de matériel volé ou récupéré à la casse. D’abord hésitante, Alice est prise tout à coup d’un enthousiasme irrésistible, elle se rend compte que l’engin lui donne une liberté inespérée. Désormais elle pourrait aller en ville quand elle voudra. Elle sait que Robin n’a pas de permis, mais elle se laisse pourtant installer dans le siège et s’agrippe au cadre en tube métallique. Et déjà la machine infernale se met en marche et emporte les deux passagers vers la forêt, les champs, et le village et même vers les paysages nouveaux. Ivres par la vitesse, Robin et Alice rêvent déjà d’un voyage jusqu’à la mer. Le souvenir de Pavel, qui est aussi un obsédé de la vitesse, surgit brusquement dans la mémoire d’Alice. Quand elle avait encore les jambes, il l’amenait à moto à la plage et au bal. Soudain l’engin quitte la route et les deux passagers, agrippés l’un à l’autre, sont catapultés vers la ramure d’un chêne. Pendus à une branche, dans une position bien dangereuse, ils ne perdent pas leur sang-froid et ils arrivent même à rigoler. C’est là où ils seront retrouvés par les sauveteurs.
« J’aurais jamais pensé, dira l’un des sauveteurs, que ce Robin, cet avorton bossu, aurait une veine pareille.» Alice, elle, demandera en riant : «Et pourquoi est-ce que je ne pourrais pas avoir de la veine moi aussi, pour une fois?»
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
A F F I D É (adjectif et nom masculin)
. à qui on peut se fier, se confier
comme nom : confident
. qui se prête en agent sûr à tous les mauvais coups
comme nom : acolyte, complice
B A U G E (nom féminin)
. gîte fangeux (de mammifères, notamment porcins) : lieu très sale;
. mortier fait de terre et de paille.
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mercredi 18 mars 2009
Saut: 269
La situation n’est pas nouvelle. Elle a même donné naissance à une «réforme». A-t-elle été bien comprise? Bien expliquée? Bien endossée? Nous aurons des réponses à ces questions lorsqu'une problématique nous obligera à repenser nos manières de faire. Et si c’était plutôt notre manière d’être qui était en jeu?
La ministre de l’Éducation du Québec a décidé de se préoccuper de la situation. Elle fixera des objectifs à atteindre. Et nous attendrons les résultats dans quelques années…
Je me demandais, en écoutant cette nouvelle, qui dans mes cahiers de lecture pourrait bien aider à voir autrement. Je me suis dirigé vers Coménius que Jean Bédard a si bien étudié et nous présente de façon claire.
Voici quelques éléments pouvant nourrir la réflexion et que l'on risque de ne pas retrouver ailleurs, pouvant être perçus comme du «pelletage de nuages».
. L’école doit être pansophique, elle doit viser l’épanouissement complet de tous jusqu’à faire de chacun un être souverain, un lieu de rayonnement, un levier de la démocratie. Tous, filles et garçons, pauvres et riches, infirmes et bien portants, lents d’esprit et subtils en pensée, de la conception jusqu’à la mort doivent être en chemin vers l’épanouissement de soi par l’épanouissement d’autrui. Qu’un seul soit mis de côté et l’entreprise entière perd sa légitimité…
. Les moments décisifs ouvrent les portes, ils n’expliquent pas.
. La culture d’un peuple se mesure, non pas à ses particularités, mais à son intérêt pour l’humanité entière. Une culture rayonne dans la mesure où son éducation va jusqu’au fond de l’homme et des choses. Devenir homme ou femme soi-même constitue le premier pas. Accompagner chaque enfant est notre premier devoir.
. L’arbre prend racine avant de partir à l’assaut du ciel et même là, c’est avec son corps qu’il se hisse. Ce qui était vrai pour le pays devait l’être pour le corps. Éduquer, c’est faire entrer quelqu’un chez soi.
. Chaque école doit être conçue comme un petit paradis. Perçons le bâtiment de grandes fenêtres, entourons-le d’un jardin parsemé d’arbres, transformons ses murs en exposition, car c’est la nature qui, en premier, doit enseigner. Les élèves entendront les oiseaux, toucheront des animaux, seront constamment façonnés par la tendresse de la vie… Tout ce qui est enseigné doit être montré. La culture véritable n’est qu’un chenal entre la nature intérieure et la nature extérieure. Sur ce chenal, l’éducateur joue le rôle d’un passeur.
. Toute violence sera chassée de l’école. Parmi les violences : la grisaille des lieux, l’austérité des classes, la rigidité des bancs, l’inactivité physique si contraire à la nature des enfants… L’école n’a tout simplement pas le droit d’engendrer le dégoût de l’expérience et de la connaissance. L’école doit devenir le foyer de tous les rendez-vous, le centre d’un miroir concave dans lequel vient se refléter l’univers entier.
. Toute la communauté se doit à l’école. Le soleil est immense et d’une très grande chaleur et pourtant, il ne peut allumer la moindre brindille à moins de concentrer ses rayons. Qu’un couple concentre son amour, il en résulte un enfant. Qu’une communauté concentre ses enfants, et nous avons une école. L’école n’est rien d’autre que de l’amour concentré.
. L’enseignement n’est rien d’autre que le mystère même de la création. Tout ce qui vit veut se reproduire dans l’âme humaine afin d’advenir à son essence. Par l’apprentissage, le monde renaît de l’intérieur des hommes de sorte que ce qui suit dépasse ce qui précède. Par l’éducation, l’homme a trouvé le moyen du dépassement de soi.
. L’école n’est qu’un microcosme de la communauté, on en peut enseigner dans ses murs la justice alors que l’injustice règne autour. Il est d’ailleurs impossible de protéger une école des injustices vécues entre les parents. Ces abus s’infiltrent à travers les enfants et entrent comme renards en poulailler.
. Si vous n’entendez plus rire dans une école, ce n’est pas une école.
Coménius (Jan Amos Komensky) est né le 28 mars 1592 et il mourra le 15 novembre 1670.
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samedi 14 mars 2009
Saut: 268
Et ce matin, il me fallait me plonger avec ivresse dans Rimbaud. Permettez-moi de partager avec vous ce si génial «bateau ivre»
Bonne lecture.
Je ne me suis plus senti guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteurs de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus! Et les péninsules démarrées
N’ont pas subi tohu-bohu plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots!
Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents, sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour!
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir!
J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets!
J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs!
J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs!
J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D’hommes! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux!
J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan!
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant!
Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises!
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums!
J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d’ineffables vents l’ont ailé par instants.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux…
Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et le fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons!
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau;
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur,
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs;
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets!
J’ai vu des archipels sidéraux! Et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur.
- Est-ce en ces nuits, sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur?
Mais, vrai, j’ai trop pleuré! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
O que ma quille éclate! O que j’aille à la mer!
Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne suis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Arthur Rimbaud
jeudi 5 mars 2009
Saut: 267
Associer Louis-Ferdinand Céline et Raymond Radiguet! Je serais porté à croire que seuls mes cahiers, par le hasard de la lecture, peuvent se le permettre.
Louis-Ferdinand Céline
Nous allons tout de même jouer le jeu et voir ce que, finalement, cela donne comme résultat.
Allons-y! L-FC pour Céline et RR pour Radiguet.
RR Il n’y a pas d’amour de vivre sans désespoir de vivre.
RR Nous restions immobiles. Ainsi doit être le bonheur.
RR Je ne souhaitais rien d’autre que ces fiançailles éternelles, nos corps étendus près de la cheminée, se touchant l’un l’autre, et moi, n’osant bouger, de peur qu’un seul de mes gestes suffit à chasser le bonheur.
L-FC La meilleure des choses à faire, n’est-ce pas quand on est dans ce monde, c’est d’en sortir?
RR Ce n’est pas dans la nouveauté, c’est dans l’habitude que nous trouvons les plus grands plaisirs.
RR Celui qui aime agace toujours celui qui n’aime pas.
L-FC Pour que dans le cerveau d’un couillon la pensée fasse un tour, il faut qu’il lui arrive beaucoup de choses et des bien cruelles.
RR Nous croyons être les premiers à ressentir certains troubles, ne sachant pas que l’amour est comme la poésie, et que tous les amants, même les plus médiocres, s’imaginent qu’ils innovent.
RR Pourtant l’amour, qui est l’égoïsme à deux, sacrifie tout à soi, et vit de mensonges.
L-FC … le mensonge, ce rêve pris sur le fait…
RR Les moments où on ne peut pas mentir sont précisément ceux où l’on ment le plus, et surtout à soi-même.
RR Si la jeunesse est niaise, c’est faute d’avoir été paresseuse. Ce qui infirme nos systèmes d’éducation, c’est qu’ils s’adressent aux médiocres, à cause du nombre. Pour un esprit en marche, la paresse n’existe pas. Je n’ai jamais plus appris que dans ces longues journées qui, pour un témoin, eussent semblées vides, et où j’observais mon cœur novice comme un parvenu observe ses gestes à table.
L-FC Toujours j’avais redouté d’être à peu près vide, de n’avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. À présent, j’étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel. Dans ce milieu trop différent de celui où j’avais de mesquines habitudes, je m’étais à l’instant comme dissous. Je me sentais bien près de ne plus exister, tout simplement. Ainsi, je le découvrais, dès qu’on avait cessé de me parler des choses familières, plus rien ne m’empêchait de sombrer dans une sorte d’irrésistible ennui, dans une manière de doucereuse, d’effroyable catastrophe d’âme. Une dégoûtation.
RR L’instinct est notre guide; un guide qui nous conduit à notre perte.
RR Il faut pourtant, me disais-je, que l’amour offre de grands avantages puisque tous les hommes remettent leur liberté entre ses mains.
L-FC La grande défaite en tout, c’est d’oublier, et surtout ce qui vous a fait crever, et de crever sans comprendre jamais jusqu’à quel point les hommes sont vaches. Quand on sera au bord du trou faudra pas faire les malins nous autres, mais faudra pas oublier non plus, faudra raconter tout sans changer un mot, de ce qu’on a vu de plus vicieux chez les hommes et puis poser sa chique et puis descendre. Ça suffit comme boulot pour une vie tout entière.
RR C’est l’objet que nous avons constamment sous les yeux que nous reconnaissons avec le plus de difficulté, si on le change un peu de place.
RR La puissance ne se montre que si l’on en use avec injustice.
RR La passion chemine par degrés vers les larmes.
L-FC Si les gens sont si méchants, c’est peut-être seulement parce qu’ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs.
RR Et si je tente de comprendre et de savourer cette délicate saveur qui livre le secret du monde, c’est moi-même que je trouve au fond de l’univers. Moi-même, c’est-à-dire cette extrême émotion qui me délivre du décor.
RR Je tiens au monde par tous mes gestes, aux hommes par toute ma pitié et ma reconnaissance.
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
A I G R E F I N (nom masculin)
. homme qui vit d’escroqueries, de procédés indélicats; chevalier d’industrie
- (escroc, faisan, filou)
C A L A M I S T R E R (verbe trans.)
. friser ou onduler (les cheveux);
. lustrer : cheveux calamistrés : pommadés, gominés.
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lundi 2 mars 2009
Saut: 266
Mais quand même, tout file à vive allure. Pour le crapaud, cette période est celle de la mise à niveau du point de vue santé. Hypocondriaque reconnu, je dois dire que j’aborde la période des examens médicaux avec une autre approche… celle de la sagesse, me disait le médecin. Peut-être aussi celle de l’âge! De toute manière, je me suis résolu à remettre entre les mains de la médecine tout l’espace qui lui revient et d’accepter les verdicts comme autant de nouvelles expériences me rapprochant de moi-même.
Mon propos d’aujourd’hui est loin d’être celui du patient en route vers l’hôpital mais plutôt celui d’un regard sur la vitesse du temps. Tout roule à vive allure un peu comme s’il ne voulait pas nous laisser cet espace indispensable, comme un arrêt en plein mouvement, cet espace qui fait agir la réflexion, l’introspection…
Cela m’amène à vous présenter le poème d’aujourd’hui. Il s’intitule à vive allure. Faut-il une clef particulière pour le décoder? Je ne crois pas. Il s’inscrit dans la veine du temps, de la mort et de l’ombre/lumière.
Bon début de mars!
à vive allure
(leur bolide se dirige vers le mur)
à vive allure
bolide vert qui s’emmure
dans une vitesse incandescente
(leur souffrance cherche sa blessure)
à vive allure
les derniers mots sur la langue
comme des violences éclatées
dilacèrent leurs tympans
(leur bolide se noie aux cendres du sang)
à vive allure
recouvrant les bruits tachés sur le mur
hargneux, huit hommes hirsutes hurlaient
on accrocha un numéro muet
comme pour étiqueter leur cadavre
à pleine vitesse
au non vu/au non su
de tous/de toutes
agenouillés au pied du mur vert
à vive allure
on referma le bolide
puis
on nettoya le tout
à vive allure
«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»
C A M A Ï E U (nom masculin)
. pierre fine taillée, formée de deux couches de même couleur mais de ton différent;
. peinture où l’on n’emploie qu’une couleur avec des tons différents;
. en camaïeu : ton sur ton.
- Grisaille
D I L A C É R E R (verbe transitif)
. mettre en pièces;
. détruire avec violence.
Au prochain saut
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