Jésabelle profita du trajet les ramenant à la maison au bout du rang pour partager avec Daniel les paroles que l’ancêtre oji-crie lui avait adressées relativement à sa grossesse.
- Cette femme est d’une clairvoyance tout à fait surprenante. Ce qu’elle a dit au sujet de Benjamin puis sur son frère qui naîtra à la date indiquée par mon amie Angelle, autour de la mi-avril, même période à laquelle la femme de Don doit également accoucher, tout ce qu’elle a dit correspond. Bélier-Dragon, sur un chemin de vie 7, voilà tout ce que je savais avant de recevoir les paroles de l’ancêtre oji-crie. Ce deuxième ne ressemblera pas à son frère aîné, a-t-elle dit, il sera toujours hanté par le dilemme entre le bien et le mal. Difficile de suivre sa propre voie, celle de la liberté; malgré sa clairvoyance, sa confiance en lui souvent mise à l’épreuve, il nous sera difficile de saisir son type d’intelligence. Davantage chariot que bolide, il transportera les problèmes des autres sans pour autant être en mesure de bien les définir et à la limite s’en désintéressera totalement. Tout comme son frère, il sera un solitaire. Elle a même ajouté un solitaire chronique.
- Particulier quand même que Benjamin et Chelle soient du même âge tout comme le seront les deux qui s’en viennent, dit Daniel.
- Une deuxième fille pour l’épouse de Don, ce qui a semblé tracasser l’ancêtre sans pour autant en dire plus. Sa bru devra maintenant adopter un prénom comme le veut la tradition des Oji-Cris. Elle m’a demandé de lui en suggérer quelques-uns pour ne pas se voir obligée de prendre celui de l’ancêtre, car… Un silence s’est installé entre nous à l’intérieur de cette maison qui dégage tellement de bonnes odeurs sans que je réussisse à toutes les nommer. Des odeurs d’herbes fraîchement coupées. Dans la cave aux murs en pierre et au plancher de terre dont il m’est difficile de dire la couleur, nous y sommes descendus afin d’être plus à l’aise pour jaser et ne pas réveiller l’ancêtre ; l’humidité ambiante dégage là aussi des senteurs multiples. Ça chasse les mauvais esprits, m’a-t-elle dit avec dans les yeux comme un doute assez flagrant.
- Particulier quand même que Benjamin et Chelle soient du même âge tout comme le seront les deux qui s’en viennent, dit Daniel.
- Une deuxième fille pour l’épouse de Don, ce qui a semblé tracasser l’ancêtre sans pour autant en dire plus. Sa bru devra maintenant adopter un prénom comme le veut la tradition des Oji-Cris. Elle m’a demandé de lui en suggérer quelques-uns pour ne pas se voir obligée de prendre celui de l’ancêtre, car… Un silence s’est installé entre nous à l’intérieur de cette maison qui dégage tellement de bonnes odeurs sans que je réussisse à toutes les nommer. Des odeurs d’herbes fraîchement coupées. Dans la cave aux murs en pierre et au plancher de terre dont il m’est difficile de dire la couleur, nous y sommes descendus afin d’être plus à l’aise pour jaser et ne pas réveiller l’ancêtre ; l’humidité ambiante dégage là aussi des senteurs multiples. Ça chasse les mauvais esprits, m’a-t-elle dit avec dans les yeux comme un doute assez flagrant.
La journée aura été longue pour Benjamin qui quittait rarement la maison au bout du rang. Walden avait couru autour de la camionnette lorsqu’ils partirent et maintenant il ne cessait de manifester sa joie de voir la famille revenue.
*****
La fin du mois d’août s’installe alors que le début des classes approche à grands pas. Un document pendu à la boîte postale en précisait les modalités dont une principalement, à savoir qu’un bus se présentera chaque matin aux alentours de 7 heures 30 afin de prendre Benjamin pour le reconduire à l’école du village. Lorsque le service de transport scolaire sera interrompu, les responsables de l'école avertiront les parents à l'avance. Il sera inscrit dans la seule classe dite «maternelle» gérée par une éducatrice nouvellement engagée, une demoiselle Abigaelle - c’est ainsi qu’on pouvait le lire sur la feuille sans qu’il n’y soit précisé s’il s’agissait d’un prénom ou d’un nom de famille. La feuille contenait également la liste des fournitures scolaires qu’il devait se procurer avant la rentrée prévue pour le vendredi 29 août. Finalement, on y décrivait la liste des activités à l'horaire de la première journée ainsi qu’une invitation à tous les parents d’accompagner leur enfant.
Jésabelle, après avoir lu à voix haute les renseignements, demanda à Benjamin de faire de même. Lecture faite, il dit que l’école sera plus intéressante qu’il ne le croyait au départ puisque Chelle fera partie de son groupe. Cela le rassurait, mais davantage le fait que sa nouvelle amie oji-crie, craignant d’être seule dans le bus, allait l'y retrouver et qu’ils seraient complices dans la cour d’école. Ni la fillette ni le gamin n'ont manifesté un enthousiasme exagéré à l’idée de quitter leur environnement du bout du rang pour se retrouver en territoire inconnu que, sans le dire à haute voix, leurs parents qualifiaient d’hostile.
- Je serai dans le bus quand il ramassera Chelle ? demanda un Benjamin légèrement soucieux.
- Sans être absolument certain, si je tiens compte de l’heure qu'on t'a donnée et du trajet à effectuer, ça serait logique que l’on vienne ici d’abord pour ensuite se rendre chez nos amis Oji-Cris, répondit Daniel.
- Ça serait idéal, Chelle craint de se retrouver seule dans le bus.
- Tu seras son protecteur, avança Daniel qui ne décelait aucune inquiétude dans les yeux de son fils qui déguerpissait avec Walden, ses livres bien tassés sur lui.
Le jour s’achevait, le soleil ayant pris l’habitude de se coucher plus tôt. Les parents entreprirent d’accélérer la transition de la nuit vers le jour pour qu’à l’entrée des classes Benjamin soit en mesure de bien vivre sa nouvelle routine. Ils se répétaient combien cet enfant répondait convenablement à leurs exigences et maintenait un rythme d’adaptation qu’ils s'expliquaient par ses contacts avec leur chien Walden, la lune, sa «perle fabuleuse» et son poète Alain Grandbois, devenu un fétiche. Maintenant, riche de plusieurs nouveaux livres, son esprit et son imagination allaient pouvoir vadrouiller dans plusieurs univers différents.
*****
La vie allait changer en profondeur autant pour les deux 5 ans qui entreprendront leur parcours scolaire, elle et lui qui, jamais auparavant, ne furent mêlés à d’autres enfants, d’autres adultes sauf ceux formant une famille dans les deux cas on ne peut plus atypiques. Pour Jésabelle qui allait maintenant pouvoir se centrer davantage, tout comme son amie oji-crie, sur une grossesse d’automne et d’hiver pour éclore au début du printemps. Pour Daniel aussi, envahi de plus en plus par le travail, mais qui appréciait le contact avec d’autres excommuniés vivant en périphérie du village tout comme leurs demeures situées chacune au bout d’un rang parallèle, donnant sur un cul-de-sac. Pour la famille oji-crie, Chelle, nouvelle venue dans un milieu qui les maudissait, tête haute comme le lui suggérait son père Don, devra s’imposer dans un monde qu’elle ne connaissait absolument pas. Que dire de sa mère qui, un peu avant la naissance de sa seconde fille, aura à se nommer elle-même sinon le patronyme de l’ancêtre lui serait donné d’office. Elle comptait sur Jésabelle, cette femme totalement à l’opposé d’elle-même, mieux affranchie et qui élevait ce fils premier de manière originale, unique, nullement attachée à des traditions folkloriques comme celles dont l'avait assujettie l'ancêtre, la même qui avait banni la mère de son mari, l'éclipsant de l’éducation de sa fille, l'effaçant de la famille et l’obligeant à retourner vivre à Sault-Sainte-Marie au sein du groupe original oji-cri car elle avait tenté de dévier des coutumes ancestrales. Une fois partie, la mère de Don disparut, laissant dans la tête de sa belle-fille, mille et un doutes, mille et une interrogations, et peut-être de la rancœur dont elle ne réussissait pas à se débarrasser.
Tout cela nourrira ce mois d’août de moins en moins pluvieux, apportant des nuits plus fraîches, plus étoilées et une lune dont la présence réjouissait Benjamin malgré le fait que vers les 20 heures, le soleil s’étant caché, il pouvait, quelques minutes encore, s’installer dans cet enclos sur la véranda, la regarder et lui lire quelques vers d’Alain Grandbois:
De grands arbres d’ancêtres tombaient sur nous
Il y avait des moments solennels
Où nous étions portés par l’ombre
Où nous étions tous tués par les genoux
Notre douleur n’égalait pas
Les instances nourries de larmes involontaires
Les ombres voilaient nos visages
Nos pieds nus saignaient sur l’arête du rocher
Et le nouveau jour nous tendait son piège
Sous les ogives des hauts cèdres
*****
- Bonjour, vous êtes bien mademoiselle Abigaelle ?
- Monsieur le Président de la Commission scolaire m’a suggéré de vous rencontrer pour louer un appartement dans le village.
- Oui, oui. J’ai justement quelque chose de libre qui pourrait vous plaire. De plus c’est juste en face de l’école primaire. C’est bien là que vous allez enseigner?
- Exactement. Allons-y.
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