jeudi 12 décembre 2024

Projet entre nostalgie et fantaisie... (12)

Créée en 1954, la chanson LES ENFANTS OUBLIÉS de Gilbert Bécaud connut un immense succès surtout à l'occasion des Fêtes de Noël et du Jour de l'An.

Les paroles écrites par Louis Amade ont résonné fort à nos oreilles... à cette époque... il y a 70 ans.

La réalité a beaucoup changé alors que le phénomène, lui, tout en se modifiant reste toujours aussi manifeste.

Je vous offre - et ce n'est pas tout à fait joyeux - ce poème écrit en février 2010. Je demeurais à Montréal. Un an après, je suis installé à Saïgon. Deux endroits, même réel me saute aux yeux. 





enfant de rue


enfant de rue, rapine et tapine,
mains noires d’asphalte et de fumée
yeux jaunes cerclés de vides,
voix rauque qui crache et ment
pieds calleux qui trottent et quêtent

enfant de rue, sang au bras
veine du cœur pendue sous la gorge
tu pourchasses, demain, des météos d’ailleurs
tu t’habilles, aujourd’hui, du même froid qu’hier
comme du silex taillé dans un temps confondu

                                                                                               
 







enfant de rue, tu arpentes la nuit blanche
un sac de couchage jauni lové à ton cou
un autre à la main rempli de néants
tu traînes vers le matin hésitant
et puis tu vas, lui s’en allant

enfant de rue, enfant du rien
négligemment, tu laisses exhaler de toi
charriées par le vent tes odeurs héroïnes
tu transportes de trottoirs en rues tes peurs cocaïnes
jusqu’au fond de tes abris insouciants

enfant de rue, aux prénoms multiples
quotidiennement modifiés
pour mieux habiller ton incognito
tu carbures au monoxyde de carbone
et tu squattes notre indifférence

                                                                             

enfant de rue, tu v i h et tu hépatites
slalom entre une épidémie l’autre
jusqu’à la porte de ces prédateurs
sicaires affamés et inassouvis
t’offrant un don contre un don de toi

enfant de rue, ta parole iconoclaste
toute de mots sens dessus dessous
ressemble à des silences contenus
au coeur d’immenses toiles d’araignée
où, instinctivement, grouillent des oestres

enfant de rue, tu marches ton urbaine liberté
dans cinq cents mètres carrés
et derrière toi disparaissent tes pas
comme des entailles électriques
rayées par le phosphore de l’oubli


enfant de rue, ton âme en bandoulière
désarçonnée d’un cheval de bois cassé
elle girouette de gauche à droite, déjantée,
aspirant à de stériles petits bonheurs
que ta dignité perdue épuise, ton espoir mutile

enfant de rue, on retrouvera ton cadavre
parmi les restes civils des cloaques
on ne saura ni à qui il appartenait
ni à quels parents adresser un avis
pour que les lieux puissent être évacués

et un autre te remplacera
traînant dans ses mains
les mêmes jouets brisés
et
les mêmes scénarios bizantins

 

7 février 2010
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